Sortie

La Rumeur

Troisième volet : Le Bavar & Le Paria

Après avoir mis en avant Ekoué puis Hamé les années précédentes, La Rumeur publie coup sur coup en 1999 deux nouveaux volumes de sa série de maxis. Le premier, un hors-série non numéroté intitulé L’Entre volets, dérogeait à l’introduction étape par étape des membres du groupe. Il mélangeait Hamé et Le Bavar. Le premier, qui avait déjà honoré le maxi Le Franc-tireur quelques mois plus tôt, retourne l’institution policière avec la précision et le crépitement qui ont toujours caractérisé son écriture. « Pas de justice, pas de paix » sonnait comme une clameur amplifiée de La Rumeur. Quatre semaines après cet Entre Volets, Le Bavar se fait à nouveau entendre, cette fois accompagné de Mourad le Paria, et installe définitivement le quatuor dans l’ombre des mesures du rap français. Kool M & Soul G fournissent ici des instrus dépouillées, où les boucles qui tournent toutes seules ne réclament aucun arrangement. Plus lumineux que sur les précédents volets,  ces samples permettent au Bavar et au Paria de poser tour à tour un rap peut-être plus « street », et en tous cas musicalement plus boom bap que celui développé par Ekoué et Hamé. « On tenait vraiment à ce qu’il y ait ces trois visions du rap et le troisième volet a aussi rééquilibré l’ensemble, avec celui d’Hamé qui était très sombre et celui d’Ekoué plus hybride » disait Kool M à l’Abcdr à propos de ce troisième volet. « Je vais te le dire sur un autre ton » comme le dit Le Bavar, dans un disque qui mélange la conscience prolétaire de La Rumeur, les métaphores de la débrouille de rue (« Marché noir ») et le vague à l’âme du désœuvrement. Il y a des points communs à trouver entre cet EP et des morceaux de la Scred Connexion, sortis à quelques mois d’écart, que ce soit « Avec s’qu’on vit » de Koma et Mourad, « La Routine » d’Haroun, ou « Quand j’serai grand » de Fabe. « Le volume du Bavar et du Paria clôture cette identité qui s’articule autour de trois thèmes : banlieusard, fils d’immigré, et prolétaire » analysait Marc Nammour de La Canaille en revenant sur ce disque dans nos colonnes. Et permet au groupe de frapper encore plus fort, définitivement déterminé à mettre toujours un peu plus de delbor. Les agitateurs ont trouvé leur rumeur.

Kool M

(DJ et coproducteur de La Rumeur)

« Le troisième volet, c’est l’époque où Mourad était encore en phase d’expérimentation. C’est le dernier des quatre à s’être mis au rap. Il avait de très bonnes idées, commençait à sortir de très bons flows, mais il se cherchait encore dans la mise en écriture. Et la mise en écriture, elle est aussi jaugée par rapport à celle des autres membres du groupe. C’est La Rumeur quoi ! Je pense que Mourad est l’un de ceux qui a dû le plus se battre car on mettait la barre vraiment haut. Plusieurs fois, il a dû réécrire ses textes. Mais d’un point de vue musical, Mourad et nous, les beatmakers, avons été particulièrement en phase. C’est le plus âgé des MC, il n’a que deux ans d’écart avec moi. Son grand frère était avec EJM et DJ Fab. Il s’appelle Rachid, c’était le seul rebeu du truc. Mourad a grandi avec les références de son grand frère, qui sont les mêmes que les miennes. Le Bav’, lui, il faut toujours que ça pète et que ça tourne. Il aime les tourneries. Donc, travailler avec eux deux, c’était très facile musicalement car il y avait vraiment beaucoup d’atomes crochus musicaux. Soul G et moi, on écoute du rap depuis 1983. Mourad est à peine plus jeune que nous et Le Bavar a une bonne notion du groove, il aime les samples qui tournent bien. Que ce soit lui ou Mourad, je les ai vus travailler leur écriture. Mais avant même de retravailler leur écriture, j’ai envie de dire que je les vois réapprendre à lire. Quand Hamé est arrivé… C’était le bibliothécaire! [Rires] Les mecs ont senti qu’il fallait se mettre à la page. Ce n’était plus de l’écriture où tu griffonnes deux trois petits trucs comme ça, le matin ou le soir. Non, il faut apprendre, apprendre et apprendre. En réalité, avec ce troisième EP, le son de la Rumeur est définitivement défini. Dès 1996, on avait déjà notre identité, mais pour nous, quand on finit ces trois volets, c’est quelque part la fin d’un cycle, un peu comme des moines shaolin qui ont tous passé la première porte. C’est là et seulement là qu’on s’est dit qu’on allait partir sur un album. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en avril 2017.

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1999, une année de rap français - le mix
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