Début 2015, YG est en studio pour entretenir la flamme du succès de son premier album My Krazy Life, sorti l’année précédente et qui fait de lui l’un des rappeurs californiens (et américains) les plus en vue. Alors qu’il sort prendre une pause, il est victime de coups de feu et touché au niveau de la hanche. Une blessure importante mais pas mortelle, à tel point que le natif de Compton retourne dès le lendemain en studio pour enregistrer ce qui va devenir « Twist My Fingaz », sur un groove G-funk ressuscité par Terrace Martin. Bravache, YG y lâche ces quelques rimes qui résument ce qu’il a incarné durant la décennie écoulée : « I’m the only one who made it out the west without Dre, […] The only one that got hit and was walking the same day. »
« Daequan! I told yo momma she should have moved! All this bullshit? Her fault! Miss « I Can’t Leave Los Angeles, California ». » (« Hot Pops Intro », Still Brazy) Originaire d’Atlanta, le paternel de YG a tout fait pour ne pas élever sa progéniture dans le Compton des années 90 : à cette époque, la ville compte quatre-vingt-onze homicides pour cent mille habitants, la faute notamment aux violentes guerres de quartier que se livrent les gangs locaux. Pourtant, son fils subit à seize ans la rixe d’initiation indispensable pour intégrer les Tree Top Piru du block 400, une branche des Bloods : « Hamad threw a right, duck, hit him with the left, bop-bop! Two to the chin, bop! One to the chest, one to the ribs, the haymaker didn’t connect […] That’s how I got put on, Tree Top Piru, yeah I got put on. » (« BPT », My Krazy Life) Un bizutage presque obligatoire pour tout adolescent autour de Rosecrans Avenue, et qui va lui permettre de développer des compétences dans le « flocking », terme local pour le cambriolage qu’il détaillera avec précision dans « Meet The Flockers ». Globalement, tous les détails de la vie d’un voyou de la grande ère de Los Angeles durant les années 2000 et 2010 vont parsemer la discographie de YG.
Son appartenance au gang lui offre surtout une connexion précieuse : Dijon Isaiah McFarlane, aussi connu sous le nom de DJ Mustard. Le jeune producteur passe entre son pilon et son mortier les graines 808 de tout ce qui fait vrombir les systèmes audio des SUV, de l’Ouest au Sud, depuis deux décennies : G-funk locale, mob music nord-californienne, crunk et trap géorgiennes, bounce music louisianaise. En ressort au début des années 2010 la ratchet music, un sous-genre où, sous des apparences sommaires et minimales, les claps et les basses groovent. Avec YG, Mustard entame une relation de confiance qui va les porter jusqu’à leur premier succès commercial, « Toot It and Boot It », un hymne à l’amour à durée déterminée. YG et Mustard sortent des premières mixtapes à l’énergie juvénile, où l’hédonisme flirte constamment avec le danger. Des sorties à la fois encore vertes mais assez affirmées pour attirer aussi bien l’oreille de Jeezy (avec qui il va signer un deal sur son label CTE) que de Sickamore, DJ de mixtapes devenu D.A. réputé.
YG a incarné le son et l’esprit sud-californien : un gangsta rap pur jus, fort tout à la fois de son héritage et de son impertinence.
YG publie alors My Krazy Life, premier album qui l’impose immédiatement comme l’une des nouvelles figures de la côte ouest, et ce, donc, sans la moindre contribution de Dr. Dre. C’est toujours accompagné de Mustard qu’il trousse ce premier disque, dont les ambiances ratchet sont plus aventureuses, entre les cordes celtiques sur « Left, Right », ode aux danseuses érotiques, et les notes de R&B classieuses sur « Do It To Ya » et « Momma I’m Sorry ». Une bande son tout-terrain sans en avoir l’air, idéale pour la cadence souple de YG, parfois âpre, parfois doucereuse. Les critiques sur My Krazy Life sont unanimes : Los Angeles tient son nouveau porte-parole avec cette machine à hits derrière ses histoires de membres de gang, de loyauté et de trahison, de fierté et de regrets, contenues subtilement dans ce « k » rappelant le refus du « c » des Crips adverses.
Pourtant, deux événements vont changer la trajectoire de la musique de YG début 2015. La fusillade précédemment citée, mais aussi des conflits financiers avec DJ Mustard. Quelques mois plus tard, Still Brazy, son deuxième album, porte les stigmates de ces événements. Exit « Mustard on the beat, hoe ! » : cette fois, le chef d’orchestre est DJ Swish, qui dépouille le son ratchet de son confrère pour le rendre plus sombre et cru, avec d’autres producteurs amateurs de basses puantes (P-Lo, CT Beats, Terrace Martin). Exit, aussi, le YG feu follet de la première moitié des années 2010. La paranoïa a gagné le rappeur : les points d’interrogation remplacent ceux d’exclamation (« Who Shot Me? », « I Got a Question », « Why You Always Hatin? »), et dans la bouche de YG, Los Angeles est moins un territoire de plaisirs que de dangers constants. Son inquiétude passe alors du personnel au collectif, dans un contexte social et politique agité par le mouvement Black Lives Matter et le retour en force du réactionnisme populiste incarné par Donald Trump, alors candidat à l’élection présidentielle. YG appelle à l’unité, aussi bien entre « Blacks & Browns », dans un titre avec l’américano-mexicain SadBoy Loko, qu’entre rouges et bleus avec Nipsey Hussle. Pourtant membres des deux plus grands gangs rivaux du pays, les deux artistes s’engagent sur le terrain politique avec le remarqué « FDT » et ce “Fuck Donald Trump!” sans équivoque au refrain. Cette sortie achève de propulser YG sur le devant de la scène mainstream.
Mais la suite de la discographie de YG dans la fin de la décennie n’a pas réussi à atteindre le même vif vermeille et écarlate de ses deux premiers disques. Stay Dangerous et 4REAL 4REAL sont des albums inégaux, notamment dans les tentatives de YG de se départir de sa ratchet magique. Il n’empêche : en quelques mixtapes et deux albums de haute volée, YG a incarné le son et l’esprit sud-californien porté plus localement par ses pairs comme Joe Moses et RJmrLA. Un gangsta rap pur jus, fort tout à la fois de son héritage et de son impertinence. – Émilien et Raphaël