Chronique partiale Validé saison 2

En dépit des mêmes défauts que la 1, la saison 2 de Validé, rafraîchie par l’intensité nerveuse de Laetitia Kerfa, s’avère involontairement juste sur un point. Et ce, malgré la grossièreté enfantine de sa réalisation.

La série Canal + de Franck Gastambide, consacrée à l’univers du rap français a sorti un second volet le 11 octobre 2021. La première saison finissait par la mort brutale du héros, rappeur au sommet de son ascension, en parallèle avec celui qui l’incarnait dans la réalité : Hatik. Le fantôme d’Hatik-Apash est rapidement expédié au début par un rappel de sa meilleure scène, performance d’affamé au Planète Rap qui le révèlera. Ses proches, soucieux de faire perdurer son nom – au contraire du perfide Cichemann, ex-boss de maison de disque, dont le but est de le faire fructifier – créent un label, Apash musique. C’est là qu’intervient l’héroïne, Sara, aka Lalpha : la saison raconte les péripéties autour de sa signature au sein du jeune label.

La série a les mêmes défauts que la première. En voulant être accessible au plus grand nombre, elle parvient surtout à être simpliste. Écrire des personnages est trop difficile ? Il suffit de piocher dans les réservoirs de stéréotypes à disposition. Résultat : un Mounir qui ne s’exprime que par menaces, un Karnage à la direction d’acteur aussi subtile que son pseudo, un Brahim à l’humour débile qui irait comme dans un package avec son surpoids, etc. Les « méchants » ont cette fois leur chef, le méchant des méchants, Saïd Taghmaoui. En dépit de la qualité des acteurs choisis, les méchants de Gastambide sont, comme les autres, grossièrement écrits : Salvatore Esposito, l’excellent Genny Savastano de Gomorra, en fera les frais dans Taxi 5, campant un personnage horriblement nul même avec l’excuse qu’il s’agit d’une comédie. Écrire un scénario élaboré est impossible ? Pas grave, le public jeune suivra. Comme pour la saison 1, les ficelles sont aussi grosses que répétitives : un problème, une résolution, puis un autre problème une autre résolution. Telle est la structure de TOUS les épisodes, sans exception. Même des lectures symboliques auraient été appréciées si elles étaient suggérées plus que cousues de fil blanc, et si la série elle-même n’était pas une partie du problème. Exemple : la scène finale où Lalpha interprète une outro émouvante aux côtés d’Issam Krimi (Hip-Hop Symphonique) se superpose aux images d’une violence extrême, comme pour rappeler que le revers du strass et des paillettes est dans le sang et la misère. Celle des quartiers populaires qui au fond ne gagnent pas grand chose à voir le rap sur Canal +. Au contraire des marques – paris sportifs en tête – qui bénéficient de multiples placements de produits tout au long de la série.

La série garde ses défauts : en voulant être accessible au plus grand nombre, elle parvient surtout à être simpliste.

Reste qu’une des raisons du succès de Validé tient à cette simplicité et à ses petits clins d’œil pour faire kiffer des wannabe insiders – anglicisme certes horrible mais pratique pour désigner toute la partie du public fascinée par les coulisses d’une musique de plus en plus mainstream. Sans tomber dans les ragots d’entre-soi (qui peut pas blairer qui etc.), regarder la série avec une certaine connaissance du monde du rap français aide forcément à dérouler des fils. Le personnage de Mastar, figure du rappeur-star ultra-dominant, égoïste, artiste plus que mec de rue mais jouant sur les deux tableaux, a souvent été comparé à Booba – qui, dans la vraie vie, déteste évidemment la série. Et Rohff, qui « joue » son propre rôle ici – des guillemets sont nécessaires à « joue » tant le dialogue et les scènes semblent écrites en fonction de l’image qu’il a de lui-même, a droit a des faces à faces avec Bosh-Karnage et avec Moussa Mansaly (Sam’s), qui campe Mastar. La saison 2 de Validé est aussi le récit de la chute rédemptrice de cette icône, rattrapé par un pacte avec la « rue » – incarnée par Karnage – et son péché d’orgueil originel, sa jalousie de l’énergie du jeune Apash. En ce sens, le parcours de ce personnage secondaire révèle une faille intéressante. Encore fallait-il le temps pour l’exploiter.

Autre clin d’oeil, cette fois plus pour amateur : le face à face YL/Kofs, épisode 3, quand la rappeuse héroïne Lalpha tourne un clip à Félix Pyat – quartier notamment de la Guirri Mafia, groupe marseillais qui a droit à un sympathique cameo – avec Alonzo. YL et Kofs ne jouent pas leur rôle ici, ils incarnent chacun un personnage de taulier du quartier dotés d’intérêts divergents. Kofs est déjà habitué à jouer les coups de pression avec sa carrure et sa voix de Garou, que ce soit lors de sa minute de « gloire » dans Bac Nord et, surtout, pour son rôle dans Chouf de Karim Dridi. YL (Salah) a lui-aussi une voix de rappeur grave et gutturale, très identifiable, et il signe d’ailleurs l’un des meilleurs titres de la BO avec la légende du Panier, Le Rat Luciano. Or, pour ceux qui ne savent pas, Kofs et YL viennent des mêmes quatre tours, Air-Bel, situé dans les quartiers sud de Marseille. Cette zone, avant le raz-de-marée Jul, était effacée de la carte du rap. Les quartiers nord ont historiquement remplacé le centre-ville de la Fonky Family en héraults du rap phocéen. À cette époque, Kofs et YL avaient rappé ensemble au sein du groupe 11.43, aux côtés de Naps, qui fait aussi une brève apparition dans la série ; Sidouh, qui a malheureusement arrêté le rap et Oussagaza, également aperçu dans Chouf. Les voir interagir a quelque chose d’une petite friandise emballée pour amateurs de rap.

Mais sur de nombreux aspects – un redoutable voyou neutralisé par un jeune qui n’a jamais tenu une arme à feu de sa vie, etc. – la critique du manque de vraisemblance est difficile à éviter. La lecture exotisante, relayée par d’autres personnages du rap français comme Soso Maness, est toujours valable. Là encore, la série n’échappe pas aux clichés : si on parle d’une rappeuse, il faut qu’elle ait traversé à peu près tout ce qui peut exister de mauvais pour une femme – évidemment ex d’un voyou, évidemment victime de violences conjugales et de revenge porn (adapté aux moins de 12 ans). Il manque la tournante (ne serait pas passé pour les moins de 12 ans) et on a à peu près tous les maux que des Marlène Schiappa et compagnie attribueraient à ceux qui font du rap comme des caractéristiques presque naturelles. Un extrait d’émission sur Cnews dans le dernier épisode mentionne d’ailleurs que Lalpha est « saluée par la secrétaire d’État à l’égalité hommes/femmes ». Enième exemple de la manie, dans les productions culturelles mainstream, de toujours vider le féminisme de ce qu’il a de subversif. Dans la réalité, une féministe n’est « saluée » par une secrétaire d’État qu’une fois morte. Mais plus que par manque de vraisemblance, la série pêche par sa volonté de concilier romanesque (impliquant suicide maquillé en prison, règlements de compte) et accessibilité à tous publics.

Caricaturale, la série est juste – malgré elle ? – quand elle parle des difficultés, étapes par étapes, rencontrées par une femme dans l’industrie de la musique.

Paradoxalement, l’aspect caricatural qui résulte de cette tension fait qu’il y a un point où la saison 2 est plutôt – tristement, et certainement malgré elle – juste : quand elle parle des difficultés, étapes par étapes, rencontrées par une femme dans l’industrie de la musique. Pourquoi ? Parce que la réalité est de ce point de vue caricaturalement sexiste. Le fait d’être dirigée vers la pop « urbaine » et le chant, par son label, son DJ, ses collègues, est largement étayée dans le discours des rappeuses sur leur carrière. De n’être envisagée non pas comme des artistes singulières, mais comparées à d’autres – Chilla, Shay, Diam’s, etc. Autre élément souligné par la série comme par la sociologie, le rôle de la vie privée comme obstacle aggravé pour une femme : la priorité aux enfants, les enjeux redoublés de la réputation – Sara est une balance, mais elle l’est pour des raisons que les hommes ne connaîtront jamais. Un brusque accès de réalisme, à se demander si le réalisateur n’a pas aspiré les caractéristiques des trajectoires des rappeuses qui ont participé au casting de la série pour ensuite les condenser dans le personnage de Lalpha.

Un autre passage est plutôt juste : celui où Pauline, responsable d’une major fictive – appelée Omega, qui pourrait correspondre à Universal ou Sony – appelle William (fondateur du label Apash Music) en disant qu’elle ne peut pas signer leur artiste pour le motif qu’« elle chante pas, votre rappeuse ». Cet extrait de conversation téléphonique aurait pu littéralement être tiré d’un témoignage d’aspirante rappeuse dans ce monde. Idem pour l’épisode où une journaliste – présentée comme rien d’autre qu’un appui pour la promo de Lalpha –  lors d’une interview avec la rappeuse, centre ses questions sur « ça fait quoi d’être une femme dans le rap » face à une artiste qui ne veut « parler que de musique », puis en sort un papier au titre putaclic : « Les mecs, je les éteins ». L’anecdote colle plutôt à la réalité d’une pratique « journalistique » centrée sur le buzz, le titre accrocheur, plus que le fond. Mais qu’importe, la qualité d’une œuvre ne se juge pas à son degré de réalisme. Elle se juge par contre en grande partie sur sa forme.

De ce point de vue, la série souffre de deux défauts majeurs. Et là, c’est vraiment sans appel. Le premier, ce sont les dialogues. Personne ne demande de dénicher un Prévert pour les écrire. Mais quand même. Même le jeu des meilleurs acteurs du show – Laeti, Sam’s et Taghmaoui – pâtit de leur pauvreté. Peut-être faudrait-il demander conseil à Lalcko, dont l’interlude du magnifique « Street of Paris » est un modèle de dialogue réaliste mais bien écrit (mais demander conseil à Lalcko, avec tout le respect qu’on lui doit, c’est prendre le risque que Validé devienne The Leftovers ou autre série un peu perchée de Lindelof et dans ce cas-là, adieu l’audience). Le deuxième, c’est la fâcheuse tendance de son réalisateur-acteur à se donner le beau rôle. Plus fort que lui ? Dans son premier face à face avec la rappeuse, il déballe, dans son rôle de producteur reconnu du rap français, l’arsenal de remarques habituelles à une apprentie rappeuse, sexistes sous couvert de pragmatisme. En gros : fais des sons pour danser, chante, parce que personne ne veut entendre de femmes kicker dans ce pays c’est triste mais c’est comme ça. « Une rappeuse qui tue sera toujours moins reconnue qu’un rappeur moyen ». Jusque là tout va bien, on est même agréablement surpris de cette honnêteté. C’est sans compter la suite du scénario. Après une altercation, Lalpha s’essaye alors à un type de son d’entre-deux, qui donnera son feat avec Alonzo – et qui n’a rien de « cloud », contrairement à ce qu’on entend dans la série. Le feat est une réussite. Le personnage campé par Gastambide, DJ Sno, devient alors « celui qui a eu les couilles de lui dire, de la faire sortir de sa zone de confort et donc de lui offrir son premier tube ». Idem lors du tournage du clip, où il enguirlande « pour son bien » la rappeuse trop en retrait lors du tournage et l’incite à prendre la place qu’elle mérite. Summum de cette fâcheuse tendance : la scène où – spoiler – il se dresse héroïquement contre le méchant des méchants, S. Taghmaoui, ex abusif et truand de l’héroïne. Et là encore, le spectateur a droit à une terrible réplique : « ça va, il m’a un peu secoué le bâtard » sur fond de regard courageux dans le rétroviseur. Il ramène Sara chez elle. Nouvel échange de regards. Une égratignure sur la bouche qui rappelle qu’il a pris ses patins. Et évidemment, quelques scènes plus tard, l’héroïne finit par – à ce stade le spectateur a deviné mais proteste intérieurement contre ce virage du scénario – s’approcher – noooooon – et lâcher un petit smack au beatmaker génial-honnête-courageux beau-fort-intelligent, mais avant tout modeste. Bref, de ce point de vue, la série est usante, et aurait gagné à laisser plus de place à Sam’s-Mastar, dont le récit de la chute est pas trop mal vu – on peut toujours rêver pour entendre Booba un jour dire d’un de ses poulains « j’aurais mieux fait de l’aimer plutôt que de le détester » – ou encore un peu plus à Laeti.

En tant qu’actrice et que rappeuse, Laetitia Kerfa a un côté « tout ou rien »

Car il y a quand même une petite satisfaction à tirer de cette saison 2. Sans surprise, c’est le choix de son actrice principale. Laetitia Kerfa a une histoire qui façonne ses traits, ses expressions, et leur confère une indéniable intensité. Elle rafraîchit à elle-seule tout le casting. Révélée à un plus grand public en tant que comédienne/rappeuse dans Du sale ! de Marion Siéfert, elle l’a été bien avant par les amateurs et amatrices de rap. Original Laeti est d’abord une rappeuse qui a saigné les open-mic underground du nord-est de Paris aux squats d’Aubervilliers, fait ses armes notamment avec Loréa, ex-rappeuse du groupe 1 Bario 5 S’pry, qui anime un atelier d’écriture depuis plusieurs années à la maison du hip-hop à Belleville. On la voyait avec des rappeurs engagés tels que Iracible/Nada et Ryaam. Lors d’un festival « femcees » de 2018, Laeti fera lâcher prise et fondre en larmes une bonne partie de l’audience. En cause ? Un titre sur son géniteur et un remix du « Nwaar is the new black » de Damso à la sauce féministe. « Oui je t’ai violée et cela par ta faute m’a dit cet homme pour qui sentiments j’avais »… Laeti retourne la force du rap, une force injustement réservée au masculin, et la prend pour elle. Elle laissait le public frissonnant, écorché mais avec la même rage de vivre, de vaincre et d’exister qu’elle. Du rap, quoi. En tant qu’actrice et que rappeuse, elle a un côté « tout ou rien » : parfois, elle excelle au point où tout ce qu’il y aurait de plus intense au monde s’incarne sous sa peau. Parfois, elle n’est pas là, à côté, et manque la prise. Rate les temps. Mais pas d’explication biographique ou psychologisante ici, son interprétation – de comédienne et de MC – suffit à suggérer l’oscillation entre la faille et la force en elle. Sa carrière de rappeuse n’avait pas du tout la même teneur que celle d’Hatik, elle avait peu enregistré, et donnait rarement dans d’autres styles que le boom-bap appris à l’atelier et le freestyle sur face B. Le seul titre de la BO qui lui ressemble – qui n’a pas été retouchée par l’équipe du film, à l’exception du prénom de l’amie dédicacée – est d’ailleurs celui qu’elle pose sur une face B de NTM. Est-ce pour cette raison que la série ne filme pas sa performance live à Planète Rap de « Bonhomme », le fameux titre drill-mystère qui signe sa vengeance, par la musique, sur Yàmar, rival marionnette du « méchant de maison de disque » ? Ces performances live à Skyrock étaient pourtant les meilleurs moments d’Hatik. Faire rapper Laeti plus longtemps signifiait aussi moins de scénario, ce qui est un indéniable avantage. Reste une présence telle qu’elle rappelle, il y a quelques années, lorsque dans le public de ces open-mic, il se murmurait entre les rangs : c’est la rappeuse qu’il nous faut. Dont on a besoin. C’est là toute l’amertume que laisse la série, au moins pour les passionnées de rap français. Laeti-Lalpha est présentée comme une figure de kickeuse mais « ouverte », star mais sans concession, exprimant des émotions et un vécu propres dans une forme grisante, sans commune mesure avec la faiblardise de la variété. Or d’une part, cela signifie qu’il a donc fallu une fiction pour que cette rappeuse parfaite, tant attendue, existe. Non pas que la réalité manque de candidates. Celles-ci, comme le rappelle la série, sont confrontées à une série d’obstacles aussi répétitifs et usants que le scénario de Gastambide. Peut-être que l’intérêt de cette saison 2, avec tous ses défauts, est aussi de les rendre un peu plus visibles, pour ceux pas foutus d’écouter les concernées. D’autre part, les titres de la BO ne sont pas honteux mais ils sentent, nécessairement, le personnage, et la direction artistique vers un mainstream qui manque forcément d’originalité et de personnalité. Et ce, alors même que s’il y a bien une chose dont Laetitia Kerfa ne manque pas, c’est de personnalité. Bref : Validé peut être une bénédiction comme une malédiction. Faire percer Laeti et la faire devenir la rappeuse qu’elle aurait dû être. Ou l’enfermer dans un rôle et la musique préfabriquée de Lalpha. Dans le dernier cas, les horribles dialogues de la série ne seront pas les seules raisons de la détester. – Manue