Tristes et sans pitié Enima – « CLT » feat. Norsacce

La musique d’Enima est belle sans être lyrique. Elle émeut sans s’épancher. C’est dans cet esprit qu’elle rappelle parfois l’âge d’or d’un certain rappeur de Lunatic – la forme elle, est bien différente. Mais il est parfois difficile de l’écouter pour des raisons extra-musicales. Enima met en scène dans sa musique une figure de pimp désabusé, symbole monstrueux de l’esprit du capitalisme, de la maximisation épuisante de tout, y compris de soi et des autres. Il a d’ailleurs été accusé de proxénétisme dans la vie réelle, mais jamais condamné. Chez le Montréalais, le pimp est surtout le reflet d’une domination acquise à la sueur du front et en dépit de la morale, condamnant l’homme à un face à face avec sa propre incapacité à aimer. À noyer toute relation humaine dans les eaux glacées du calcul, sous des tonnes de diamants, froids et rutilants. Et pourtant, sa musique est loin d’être dénuée d’émotions, au contraire. C’est toute la question, à l’écoute : comment peut-on être à ce point sans âme et, en même temps, aussi triste ? Ce sont ses doutes, l’expression d’une souffrance qui strie le cerveau, d’une zone grise permanente, qui rendent l’empathie possible. Ses « sentiments sont dilués ». « Habitué à plus savoir où [s]e situer, entre une femme, une prostituée », chantonne-t-il dans « Devilish », titre qui résume toute l’ambiguité de son – horrible – rapport aux femmes. « Alors viens pas me casser les couilles, t’es pas une sainte, tu n’es pas Eve/ Et même si t’es Eve, Eve c’est une pute elle nous a tous mis dans la merde », déclare-t-il à celle qu’il aime pour lui rappeler qu’elle ne vaut guère mieux que lui, elle qui ne met plus de Nike grâce aux putes qu’elle insulte. C’est dans le featuring avec Norsacce, « CLT » que la douceur impitoyable et chagrine qui caractérise les deux rappeurs ressort le mieux. Car il y a une différence entre Résilience et les autres projets du riche, seul et triste Canadien. C’est le choix original de ses featurings. TK rappe bien. PLK rentabilise enfin son passé de garagiste dans un refrain qui fait tache comparé au reste (« J’appelle une p’tite racli pour m’faire une p’tite vidange »). Le meilleur reste le titre avec Norsacce, un des rappeurs émergents les plus intéressants actuellement, pour sa maîtrise de la mélodie comme la science du placement. Et c’est vrai qu’entre les deux artistes semble exister un lien qui irait au-delà du genre musical exercé. En espérant que leur collaboration dure et donne d’autres fruits… – Manue