Sortie

Scred Connexion

Bouteille de gaz

Si la Scred au complet est née en 1998 avec l’apparition du collectif coup-sur-coup sur Opération Freestyle (sans Mourad), puis Détournement de Son (au complet), 1999 est l’année où l’équipe de Barbès gagne son autonomie discographique. Fidèle à l’éthique de Fabe et de ses pairs, le maxi Bouteille de gaz met en avant les deux rappeurs les plus jeunes du collectif : Haroun et Mokless. Benjamin de la bande, c’est Haroun épaulé par Cutee B qui produit les trois pistes de ce disque à l’image et l’intitulé sulfureux. Le titre éponyme de ce maxi est né d’une cassette audio de propagande du Front National, que le parti avait distribué dans certaines boite aux lettres de la Goutte d’Or. Utilisant la métaphore de la bouteille de gaz, symbole de la menace terroriste en France depuis les attentats de 1995, les deux rappeurs questionnent le rapport du pays des Lumières à l’immigration. Défiant l’idéologie raciste, envoyant chier les notions d’assimilation et d’intégration forcée, « les deux beurs qui ne sont pas ceux que l’on tartine ni qu’on baratine » ont les qualités de la jeunesse : la franchise, le côté offensif, le sens de la formule teinté de ce qu’il faut de provocation tout en ayant la volonté d’être à la hauteur de leurs grands frères. Entre réalité de rue, conscience du désœuvrement, constats politiques populaires et rap de proximité hyper ciselé, Mokless et Haroun défient les dégâts de la routine, de la peur et de la résignation en trois pistes. « Ça donne ma rue quand tu mélanges » comme ils disent, celle qui regarderont avec autant de bienveillance que de lucidité tout au long de leurs carrières.

Haroun

(Rappeur de la Scred Connexion)

« Il y avait eu les morceaux de la Scred sur Opération Freestyle et Détournement de Son, mais pour Mokless et moi, sortir un maxi était un passage obligé, comme pour tous les rappeurs à l’époque d’ailleurs. Avec la Scred, il n’y avait pas de stratégie visant à arriver les uns après les autres dans un timing précis. L’idée était simplement faire un truc frais pour commencer et avoir une carte de visite, ce que le format maxi permettait à une époque où internet ne donnait pas encore l’occasion de se faire connaître depuis sa chambre. Sur ce maxi, je produis les trois titres. C’est passé assez inaperçu à l’époque, alors que dans mon esprit, je ne pouvais pas dissocier le fait que je rappe avec le fait que je produise. De toute façon, les producteurs et les ingé son ont toujours été dans l’ombre. Je venais d’avoir une MPC, j’ai appris tout seul, je bouclais mes samples là-dessus et je fouillais partout. Je ne me privais de rien. Je n’étais pas comme certains mecs complètement acharnés, qui disaient que si tu samplais un truc, tu devais en posséder le disque original. Je trouvais un truc cool dans L’Arme Fatale ? Je le prenais. Le seul truc qui compte, c’est la qualité sonore de ta source. D’ailleurs, le titre « Bouteille de Gaz » est né à cause du sample de voix qu’on entend au début. Ce sample, il vient d’une cassette de propagande du Front National. Ils mettaient ces cassettes dans toutes les boîtes aux lettres sur lesquelles figurait un nom à consonance française. Befa étant métisse, une cassette a atterri dans sa boite et elle s’est retrouvée entre nos mains. On l’a écoutée et, très franchement, on en a ri plus qu’autre chose. En partant de chez Fabe, je lui ai dit que je prenais la cassette. J’ai samplé le passage dans lequel l’Europe est décrite comme le paradis des immigrés, parce que ça sonnait comme une vaste blague d’entendre ça de là où je l’écoutais, c’est-à-dire à La Goutte d’Or. Je n’étais pas dans l’esprit de faire un morceau qui ressemblerait à une thèse anti-raciste sérieuse. L’idée était de rétorquer au niveau du propos repris en intro. À tel point que le jour où j’ai entendu le titre passer à la radio sans le discours en intro, il perdait tout son sens initial pour moi. Par exemple, je ne pense pas que la France soit un pays de fachos. Quand je dis ça, je réponds à ce type qu’on entend dans l’intro, je réponds à un mec qui me dit que je devrais lui lécher les bottes et que je suis redevable d’être accepté contre son gré au « paradis des immigrés. » Ce morceau, c’est un clash, mais un clash de Mokless et moi contre un mec du FN. La question de la bouteille de gaz, de la référence à l’outil terroriste que ça représentait pour la France à l’époque ? [En 1995, des attentats avaient touché l’hexagone, avec comme mode opératoire des bouteilles de gaz piégées, NDLR] Je me la suis faite et me la suis refaite au moment des attentats du Bataclan, c’est évident. Je me suis même demandé s’ils n’allaient pas nous tomber dessus dans le cadre de leurs nouvelles lois sur l’apologie du terrorisme. Aujourd’hui, je pense que ce genre de références, avec le discours qu’on a tenu, c’est bien de le faire une fois que le temps a passé. Pour ce genre de choses, le temps passe doucement, mais je crois que ce serait bien de remettre à jour l’idée qu’il ne faut pas tout confondre ni tout mélanger. Il ne faut pas oublier que des gens subissent le problème d’une autre manière aussi. Nous, on ne peut pas accepter de vivre dans une société où les gens flippent de nous. C’est ce que disait déjà « Bouteille de gaz » à l’époque : comment veux-tu vivre, avancer et t’épanouir dans une société où les gens ont peur de toi ? On peut poser le débat de l’islamophobie, du racisme, mais la peur c’est encore autre chose. C’est physique la peur, c’est vraiment autre chose. Des gens qui ne sont pas concernés par ce sentiment de peur, que ce soit celle que tu inspires ou celle qu’on te renvoie, ils ne peuvent pas se rendre compte du mal que ça fait. Et le pire, c’est que des grands médias s’en servent. Effrayer des gens, les pousser à se fermer à une frange de la population, ça a des effets au-delà de l’audience. Moi je ne suis pas pour faire de la provocation pour la provocation. Je ne ferai pas un titre qui reprend une image comme celle qu’était la bouteille de gaz à un moment où les gens sont encore sous le choc, dans une peur panique ou un questionnement profond comme lors des attentats. Moi-même, ça m’a beaucoup questionné. Tu assistes à ça devant ta télévision, tu te dis : « on a passé un cap dans l’horreur. » En plus nous sommes nous-mêmes dans la musique, alors nous arrivons à voir un peu ce que ça peut être de se retrouver enfermés dans une salle de concert avec des mecs qui alignent tout le monde. Tu te dis : « ça devait être une scène d’horreur. » À ce moment-là, évidemment, tu n’es pas chaud pour refaire un morceau comme « Bouteille de gaz ». Mais il y a un temps qui arrive après, celui où tu te dis : « on a tous eu notre traumatisme, OK, maintenant, il faut revenir à la raison. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en décembre 2019.

Note de la rédaction : cette date de sortie est approximative. Elle a été arrêtée à mi-novembre sur la base des dates de publication d’articles de presse.

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1999, une année de rap français - le mix
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