Sortie

Shurik’n – Où je vis

Au sommet de sa popularité après le carton de L’École du micro d’argent, le groupe IAM devient en 1998 une nébuleuse imprévisible et insaisissable. C’est le moment où vont briller des figures restées plus ou moins en retrait jusque-là : Imothep avec Blue Print et Chroniques de Mars vol. 1, Kheops avec Sad Hill, Freeman avec L’Palais de justice. Et Shurik’n donc, qui sort son premier (et longtemps seul) album solo. Loin des contrées égyptiennes d’Ombre est Lumière ou des racines italiennes de Métèque et Mat, Où je vis est un disque martial tourné vers l’orient, qui s’inscrit dans la continuité de l’univers sombre et guerrier initié par L’École. Adepte des arts et des philosophies asiatiques, Shurik’n drape Marseille dans un tissu de soie quinze pistes durant. Au rythme des vents et des cordes traditionnelles japonaises il prend le pouls des artères phocéennes, parcourant sa ville comme un ronin désœuvré en quête de sens au chaos environnant. L’humour y est rare, l’egotrip contenu ou déguisé. Où je vis est un album constat, épuré et intimiste (Shurik’n produit seul l’intégralité des morceaux, les featurings se limitent à la sphère marseillaise…). De ceux, tristes et mélancoliques, qui requièrent un certain état d’esprit au moment de s’y plonger. Et si les classiques se bousculent au portillon (« Samouraï », « Les miens », « Lettre »), c’est surtout la hauteur de vue de l’ensemble que l’on retient. Tellement haute qu’un morceau comme « Manifeste » semble, vingt ans plus tard, avoir été écrit hier.

Shurik’n

“Quand j’ai commencé à créer le premier album, je savais déjà qu’il n’y aurait pas de suite. Cet album n’était pas fait pour ouvrir une carrière solo. Je ne me projetais vraiment pas dans une carrière seul. C’était une envie ponctuelle ce projet. Une envie artistique de me prouver que je pouvais le faire, réaliser un album entièrement – et seul. Je voulais faire un beau disque, apporter une pierre à l’édifice du hip-hop. Quand j’ai fini de le travailler et qu’il est sorti, je suis tout simplement retourné au sein de la meute. À l’époque, il n’y avait pas de pression particulière autour de ce premier album. Il n’y avait pas de carrière en jeu. J’avais pu me concentrer sur le plaisir de le faire, son écriture, la programmation. J’avais voulu tout faire tout seul. Je voulais être à la barre partout. Pour les productions, le texte, le visuel. La réception de l’album a largement dépassé mes attentes. Je n’en ai pas eu conscience immédiatement, malgré le bon fonctionnement du disque à sa sortie. Je m’en suis rendu compte à l’époque de Revoir un printemps. C’est à ce moment-là que j’ai pu voir l’impact qu’il a pu avoir sur plein de générations différentes. Certains qui venaient me voir, pour m’en parler, ne pouvaient pas avoir l’âge de l’écouter quand il est sorti. Il y a eu une forme de transmission. C’est à la fois gratifiant et bluffant. Tu te rends compte que des gens ont vécu des choses à travers tes morceaux. L’album a eu une vie plus longue que je ne pensais. En tant qu’artiste, tu fais un album, tu mets tes tripes dedans et une fois qu’il est sorti, tu n’en es plus maître. Ce sont les gens qui lui insufflent une vie, lui donnent – ou pas – une direction à suivre. C’est le public qui en fait un classique. Ou pas.” – Propos recueillis par l’Abcdr en juin 2012

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