Sortie

Mixtape Vague Nocturne

Outre le fait qu’elle soit portée par trois labels, dont P4 Records qui distribuera aussi bien les disques de Prodige que d’Ophélie Winter, Vague Nocturne est une compilation notable à plus d’un titre. D’une part, son initiative : elle est issue d’une émission animée par Mike sur FPP et qui donnait sa chance à l’antenne à des groupes inconnus. Sa tracklist suit cette logique au point que, pour une partie des rappeurs présents, ce sera peu ou proue la première apparition. Si M’Group (qui voit les différentes versions de « Rapide comme un serpent » être placées un peu partout à l’époque) ou Sayd et Expression Direkt ont une réputation bien assise en 1998, ce n’est pas le cas de la plupart des rappeurs dont le nom est inscrit sur la face arrière du boîtier de ce CD sorti en janvier 98. Certes, pour beaucoup, avoir son nom imprimé sur une jaquette n’était pas tout à fait une première. Teemour, qui a accompagné Mike dans ce projet, n’en était pas à son coup d’essai. Idem pour P.M, qui quelques mois plus tard fera une petite sensation avec son titre « Les P’tits chefs ». Quant à La Harissa, elle poursuit la route déjà entamée l’année précédente avec un premier album. Mais au milieu d’exercices obligés du rap français, notamment l’hymne à la fume et à la fête,  tellement « raggamuffin » qu’il en est vintage, de Proff et Pat, d’autres mettent pour la première fois les pieds sur un disque officiellement pressé. Et pas n’importe qui puisque c’est le cas d’un trio de Marseille qui symbolisera tout un pan du rap des années 2000 : Les Psy4 de la rime. De même pour TTC et La Caution, épaulés par Naja (des Reptiles), à qui revient l’honneur d’ouvrir cette compilation à une époque où faire du rap “déjanté” intriguait tout le monde mais valorisait avant tout la notion de performance. Vingt ans plus tard, cette pluralité au sein d’un même disque est à nouveau retouchée du doigt par certains featurings décomplexés qu’affectionne le rap français. Pour le meilleur comme pour le pire.

Nikkfurie

(MC de La Caution participant à Vague Nocturne)

“Je crois que c’est notre première apparition discographique, oui. On avait peut-être enregistré à la même période pour d’autres tapes ou compil’, mais qui sont sorties après. Ça s’est fait chez DJ Cruz, chez qui beaucoup de gens venaient poser, notamment nous ou TTC. Il y avait une super bonne vibe chez Cruz, une compétition super positive entre rappeurs. Tout le monde bossait dur car il y avait une émulation. Chez lui, on croisait Res-KP ou Naja, même plus tard Alpha 5.20, plein de gens. Ça rappait toute la journée là-dedans ! Grosso modo, si tel jour Cruz avait fait une prod que personne n’avait encore squattée, tu étais sur le morceau. Ce qui est marrant, c’est que la compilation vient de l’émission Vague Nocturne qu’animait Mike sur FPP. Vague Nocturne faisait des concours de freestyle à l’antenne. Les rappeurs téléphonaient pour passer à l’antenne et lâcher leur freestyle ! On en faisait partie et un jour, depuis la cabine téléphonique en bas, on a gagné la spéciale auditeur. Je ne sais même pas si on avait encore un blaze de groupe. On a été invités à l’antenne et on a rappé sur place, c’était ultra hardcore. [Rires] Des psycho du pera. Nous, on faisait du rap comme on fait du street football : notre délire c’était d’aller dans les formes de rap les plus compliquées et techniques. En plus on ne rappait pas pour faire carrière, on était juste des fans de rap capables de te dire que Dre était un rappeur médiocre. Oui, le son défonce, le mec est un génie du hit. Mais nous on trouve que quand il rappe, techniquement il n’y a rien qui se passe. Ce qui nous intéressait nous c’était des challenges et on les trouvait dans l’écriture et les flows. Sur les mixtapes, on choisissait toujours des egotrips pour ne pas flinguer des morceaux qui nous tiennent à cœur ou introspectifs et qu’on pouvait avoir pour nos propres projets. Et l’egotrip, c’est le truc qui te permet le plus d’aller sur des multi-syllabiques. On ne définissait pas ça avec ce mot, pour nous on inaugurait nos propres techniques, notre challenge c’était de faire rimer le plus de syllabes possibles. On était encore maladroits à ce moment-là, ce n’était pas La Caution aboutie, ni L’Armée des 12 qu’on a montée plus tard, à force de prendre régulièrement le micro à la volée en compagnie de TTC. On s’est par contre rassemblés sur le fait d’avoir des timbres de voix différents, des flows différents et autour de cette idée de chacun pousser nos caractéristiques le plus loin possible. C’était toujours cet esprit de pousser le challenge le plus loin possible. On a pu faire des trucs qu’on ne pouvait peut-être même pas faire chacun dans nos cadres habituels. La Caution, on était vraiment dans une optique de mec qui font du rap de tess, mais en blouse de chimiste, de façon ultra scientifique. [Rires] Je crois que le rap est la musique qui se régénère par excellence. Mais certaines personnes n’acceptaient pas cette idée. D’ailleurs tous les mecs de l’époque qui taxaient d’alternatif ce qui ne ressemblait pas à Pete Rock sont eux-mêmes rangés dans l’alternatif aujourd’hui. Nous on s’en foutait, ce qui comptait n’était pas de respecter tel ou tel code mais de faire un morceau qui tue et qui repousse les limites de la performances. Les titres qui restent dans l’histoire sont très souvent ceux où tu as une impulsion avec une émulation autour de l’idée de performance. Prendre un sample de cirque comme sur Ghetto Circus, au final ce n’est pas ça qu’il fallait juger. Nous, on était à bloc sur la performance, sur le fait de développer des techniques et une énergie à nous. Le reste on s’en foutait, voire on le méprisait. Ce truc qui disait que le rap était la nouvelle chanson à texte et où tu étais félicité par Libération parce que tu avais fait un texte contre le Front National ? Ce n’était pas pour nous. Nous on voulait du son où ça se lâche !” – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en décembre 2018.

Précédent Suivant