Événement

Annulation d'un concert à la FNAC des Ternes

Février. Deux gamins de banlieue plutôt aisée se baladent dans les rayons de la FNAC des Ternes. Le bâtiment est splendide, prétentieux même et il est le nouveau fleuron de la Fédération Nationale d’Achats des Cadres. Les deux gamins n’y connaissent pas grand chose au rap. Leur entourage est plutôt rock et eux le sont par mimétisme autant que par sincérité. Pourtant, ils aiment écouter un peu de rap de temps à autre. Venant du 92, ils sentent depuis quelques années que quelque chose se passe. Ils savent qu’il y a un peu plus que le MIA, Alliance Ethnik ou MC Solaar derrière ces boucles et ces phrasés. Paris Sous Les Bombes l’a laissé entendre, alors qu’ils voient depuis quelques mois des sacs Wu-Tang portés en bandoulière et tombent sur des autocollants parlant d’une « Lettre au président ». Par contre, l’existence de Time Bomb, ça, ça leur est encore complètement étranger. Alors pendant qu’ils fouillent les bacs à disques, quand ils entendent des cris, puis des bruits de verre brisé et une clameur qui monte, ils sont loin de se douter que des noms tels que Cassidy, Ill ou Lunatic sont derrière cette effervescence. Plus qu’une effervescence, c’est même un début d’émeute. Nos deux gamins comprennent qu’il s’agit de rap quand soudain s’éparpillent sous leurs yeux des dizaines de jeunes. Ils sont comme eux mais pas vraiment. Ce ne sont pas les mêmes habits, pas la même façon de se mouvoir non plus, ni même la même façon d’exprimer sa rage. Devant l’annulation du showcase de Time Bomb, la FNAC des Ternes devient un self service à ciel ouvert. Les alarmes à cordons spirales se mettent à biper. Les vendeurs fuient après avoir tenté de s’interposer. Les gamins des Hauts-de-Seine ne s’inquiètent pas outre mesure. Ils n’ont pas les codes mais les connaissent. Alors ils sont juste fascinés sans se douter du « pourquoi ? » Les rideaux métalliques de la FNAC se ferment devant eux pendant que les vigiles se positionnent et que des camions de CRS se mettent à cerner le carrefour de l’avenue des Ternes. Certains plongent, butin dans les bras pendant que s’abat le roulis de la devanture du magasin. Quant aux deux gamins n’osant rien voler ils en tirent une conclusion : le rock et sa fureur sont finis, pulvérisés par l’héroïne, la mort de Kurt Cobain et l’explosion de Guns N’ Roses. Il est définitivement temps de voguer vers « la terre promise des MCs. »

Cassidy

(Rappeur des X-Men, à l’époque membre de Time Bomb)

« On était sollicités pour faire un showcase à la Fnac, sans plus d’informations, on savait juste qu’on allait jouer nos morceaux classiques, notamment « Pendez-les ». À l’époque, on n’avait pas de voiture. Donc on sort du métro Ternes, et, là, on voit une cohue en direction de la Fnac. On s’est regardés avec Ill et on s’est dit : « Il y a un truc qui se passe. » On arrive dans la rue de la Fnac, bondée de monde, on monte à l’étage et on se pose un peu dans les loges. On nous apprend que le concert ne va pas être possible, qu’il y a trop de monde par rapport à la salle. Et au moment où Ali est parti sur scène pour annoncer que le concert n’allait pas avoir lieu, ça a commencé à pousser, la vitre est tombée et c’est parti en couilles… Ça a chapardé dans tous les sens… Les organisateurs ont été dépassés par la taille de l’événement. On s’est rendu compte de l’impact qu’on avait ce jour-là. Et ça été un moment charnière. Parce que suite à ça, on s’est tous retrouvés à la baraque de Gilles [Ill, NDLR], en se disant qu’il y avait un truc qui s’était passé : « On a une grosse influence mais ça suit pas derrière. » On a commencé à se poser des questions… Et je peux te dire que Time Bomb s’est presque dissout à ce moment-là. Parce qu’on a réalisé qu’il se passait des choses. À l’époque, on pensait clairement qu’on s’était fait carotte. Les chiffres étaient flous, voire inexistants. On a montré ça à des avocats qui nous ont dit : « C’est un contrat qui vous lie mais sans aucun avantage pour vous et beaucoup pour les producteurs. » On a tout simplement décidé de rompre ce contrat et chacun a un peu fait sa vie. On est quand même restés tous en contact à cette période, mais des choix devaient être faits. Oxmo est resté avec Time Bomb, et pour ce qui est de Lunatic, X.Men et les autres, on s’est mis à l’écart de tout ça. » (Propos recueillis par Diamantaire, octobre 2011)

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