Boxe avec les mots

Ärsenik

("Quelques gouttes suffisent...", 1998)

Autant l’imagerie de la boxe associée à l’impact du rap tapait dans un déjà vu certain, autant 'Boxe avec les mots' transpirait l’efficacité. A l’image du premier album du duo Ärsenik porté par une production haut de gamme et la lame tranchante de Lino ; le chef de file des MCs injustement mésestimés.

Samuraï

Shurik'N

("Où je vis", 1998)

C'est avec la détermination d'un challenger et la sagesse d'un maître aguerri que le rappeur d'IAM ouvre son premier – et à ce jour unique - album solo. Sur un sample de Bruno Coulais pioché dans la bande originale de la série télévisée "La Rivière Espérance", il expose pêle-mêle ses réflexions à propos de l'amitié, de la persévérance et de la connerie adolescente.

La fin de leur monde

Akhenaton ft. Shurik'N

("Soldats de fortune", 2006)

Clippé par l’équipe du Zapping de Canal +, entre enfonçage de portes ouvertes et saillies authentiquement saillantes ("Juifs, Catholiques, Musulmans, Noirs ou Blancs, fermez vos gueules, vous faites bien trop de bruit"), Oncle Shu et Papa Chill signent la version planétaire du monument ‘Demain c’est loin’, neuf ans après. Aux années hall ont succédé les soirées JT et sites conspirationnistes, avec indignation mêlée d’écœurement et sentiments d’impuissance qui vont avec. Savoir, c’est bien, mais ensuite ?

Civilisé

Lunatic

("Civilisé", 1999)

Maxi bande-annonce puis despedida en forme de bouquet final d’un album-testament, à l’ombre fredonnée de Serge Reggiani. Booba fait une pelote de réjection des œuvres complètes d’Odile et Emile Bled ("Et si tu veux tester mes égals", putain !), pendant qu’Ali, presque habité, tape comme un fringaleux dans le grimoire à punchlines ésotériques... L'un des plus beaux gâchis de la courte histoire du rap en français, au fait.

Comme un aimant

Chiens de Paille

("Comme un aimant", 2000) - Photo : Boris Wilensky

Un oeil amer dans le rétro et l'autre guettant avec anxiété la ligne d'horizon, Sako livre ici l'un de ses plus beaux textes. Sur une production de Bruno Coulais et Akhenaton, porté par une rythmique trébuchante, quelques notes de piano puis des nappes de cordes, le rappeur cannois déverse son spleen au micro et transcende la BO pourtant magique du film du même nom.

'Comme un aimant' vu par SAKO : "Ça doit remonter au printemps 1999. La Cosca existait depuis quelques mois et regroupait une dizaine de groupes. Akh et le staff nous ont tous rassemblés pour nous parler du film et de l'idée de B.O. Des artistes comme Nas, Barry White et Isaac Hayes étaient envisagés...

Chill avait une vision de grande envergure, amplifiée par la collaboration qu'allait lui offrir Bruno Coulais – tous deux s'étaient rencontrés grâce à "Où je vis" de Shurik'N, qui y samplait une de ses œuvres. Akh avait un petit synthétiseur portable sur lequel il posait des mélodies, n'importe où, puis les donnait à Bruno qui se les appropriait et les traduisait pour l'orchestre. Il venait ensuite redécouper avec ses machines les phrases de Bruno. En mode ping-pong, les productions mûrissaient.

Akh a assigné à chacun la mission de faire un morceau. Il laisse généralement beaucoup de liberté aux artistes, mais là il m'a dit : "Toi, tu feras un morceau sur le thème du film et ça s'appellera 'Comme un aimant'". J'étais flatté. Comme à chaque opportunité qu'il m'offrait, je me suis dit que c'était trop pour moi. J'essayais de faire en sorte que ça ne se voie pas.

Quelques temps plus tard, il m'a fait voir le film en me disant de le rejoindre ensuite au studio. J'ai essayé de prendre des notes pour mon texte mais il y avait trop de directions à explorer et, surtout, je me suis laissé attraper par l'histoire. Peu de temps avant, j'avais vu "Rocco et ses Frères" et je retrouvais un peu de ce film dans "Comme un aimant". Quand je suis descendu, il m'a fait écouter le beat sur lequel il voulait que je travaille. J'ai essayé de lui gratter des infos sur les directions mais il n'a rien voulu me dire pour ne pas m'influencer. Si ma plume était trop grande pour moi à l'époque, elle ne devait pas être autre chose qu'elle-même.

Je suis rentré dans le 06. J'avais quinze jours pour écrire. A l'époque, je sacralisais le processus d'écriture. Il fallait que tout soit structuré, que ça ait l'air d'un vrai travail pour me rassurer face à l'ampleur de la tâche. Je me suis donné la première semaine pour le premier couplet et la deuxième pour l'autre. Pour le refrain, je fonctionnais toujours à la dernière minute. Avec le recul, c'était une erreur : aujourd'hui, c'est tout l'inverse. J'ai dû pondre chaque mesure dans des tas de versions différentes. Je n'ai rien cherché à dire de particulier. Comme chaque fois, c'est la musique qui appelle les mots. Il y avait beaucoup de passages du film qui résonnaient avec ma vie, donc pas de souci pour le contenu. Il fallait simplement écrire juste et fort.

J'ai fini le premier couplet le vendredi soir. Je ne vivais que pour ça - un carnet dans la poche quand je sortais, un bloc-notes près du lit quand je me couchais... Je me souviens avoir trouvé le phrase "... des petites filles déjà petites femmes..." (dans sa forme finale) dans le bus qui remontait de Cannes. Le samedi, j'ai rejoint Hal à notre studio : il a validé le premier couplet. Puis je suis rentré et j'ai attaqué la deuxième semaine. La veille de l'enregistrement, j'ai écrit le refrain avant d'essayer de dormir... Au pied du mur, c'est dur de trouver le sommeil. Je l'ai réécrit le samedi, sur la route. Arrivé à la Cosca, j'ai sué sang et eau pour le poser sans "droper" - le "drop" est une technique d'enregistrement qui consiste à prendre une voix petit à petit : on enregistre les premières mesures du couplet, puis les suivantes... Je voulais le poser "straight", pour être sûr de pouvoir le redonner sur scène de la même manière. Éric Chevet (l'ingénieur de mes grands moments) s'est arraché les cheveux parce que je recommençais sans cesse. Hal et lui donnaient leurs avis et on a avancé comme ça. Akh passait de temps en temps prendre la température. Le soir, c'était fait.

Ils sont partis ensuite aux États-Unis pour enregistrer les artistes US, puis à Capri, pour mixer. Quelques mois plus tard, le titre était terminé. A la première écoute, j'ai été déçu par mes placements rythmiques, très différents de ce que j'avais en tête. La route était encore longue.

Ce titre fouille en profondeur chez les gens. Je le joue encore sur scène aujourd'hui et c'est toujours la même clameur dès les premières notes de piano. Quand je le joue pas, on me le réclame... Je ne sais pas si c'est le morceau dont je suis le plus fier mais il est dans mon Top 5. Je suis vraiment fier de voir le nom de mon groupe entre ceux de Bruno Coulais, d'Isaac Hayes et de Talib Kweli sur la pochette.

Avant que j'écrive, il était prévu que 'Comme un aimant' soit un single. Mais au final, ça ne s'y est pas prêté. Je ne regrette pas qu'on ai perçu mon travail comme dense et austère. C'est ce qu'il était à l'époque. J'étais simplement sincère. Aujourd'hui, je le suis toujours avec un peu plus de technique et de sérénité... Avec le recul, il y a quand même quelques bonnes phrases. Celle des "petites femmes" mais aussi celle qui dit : "Je resterai qu'un arracheur de sacs aux yeux de ceux dont la vie n'est autre que la vie des autres", ou bien "Combien montent ? Combien tombent ? Inutile de le dire aux gosses"... Mais bon, on peut toujours mieux faire."

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