Focus Rap français et electro, la victoire des bips boup blips

Par Brice

C’est peut être un des memes rap français les plus drôles de l’année : le 25 novembre dernier, le Bordelais Khali sortait IL ME RESSEMBLE PAS NON PLUS. Un disque dense et expérimental, où les nombreuses couches de productions et la voix haut perchée du rappeur n’ont pas empêché une partie du public rap de saluer la qualité du projet. Et aussi d’un peu gentiment s’amuser de la musique assez spéciale du jeune Khali. Le temps d’un tweet, un certain @ADAM_Aragorn3 proposait ainsi une parodie trop précise de la musique de Khali pour qu’il n’en soit pas fan : “bip bou blip *ost de sans d’Undertale* blip blou blap ils m’comprennent pas […] *hyperpop glitchée* *bruit de miroir qui se casse* […] bap bip bloup jsuis dans ma chambre”. Suivi d’une version audio du tweet offerte par @StivMP4, histoire d’être encore plus éloquent.

Si souvent, le fait de voir apparaître des versions parodiques de la musique d’un artiste est bon signe sur sa singularité musicale, ces deux tweets racontent aussi en creux une tendance musicale de plus en plus forte au sein du rap français ces derniers mois : le rapprochement de plus en plus fort entre le genre et la musique électronique, notamment au sein de la nouvelle génération. Portés par le digital, Soundcloud, les univers numériques, les jeux vidéos, et les micro-niches sonores d’Internet, de nombreux producteurs ont fait cette année se rencontrer des scènes musicales électroniques avec le rap français. On pense évidemment à la Jersey et ses beats frénétiques, entendu chez Kerchak, Implaccable, ou Favé (et brillamment porté par le duo de beatmakers Draco Dans Ta Face et Finvy) au son hyperpop, entendu du côté de Realo, BabySolo33 ou Nyluu, ou même à la techno et la house, du côté d’autres producteurs comme Rosalie du 38 ou Abel31, un des représentants les plus intéressants de toute cette tendance que ce soit en solo (200) ou avec des rappeurs comme Zoomy et Winnterzuko.

Cette nouvelle scène d’artiste collabore avec des producteurs qui montrent dans leurs sonorités une véritable volonté d’apporter des sonorités électronique plus niches dans le canevas du rap.

Le rap français et la musique électronique n’ont pourtant pas attendu la next-gen pour essayer de faire des choses ensemble. Dès le début des années 2000, DJ Mehdi mélangeait les deux genres ensemble, notamment sur Les Princes de la ville avec le 113, alors que de l’autre côté de la France, Pone infusait aussi la musique de la Fonky Family de sonorités dansantes sur leurs albums ou en solo avec Le Rat Luciano. Quelques années plus tard, toute la scène du rap dit alternatif tentera aussi de mélanger house, musique de club et rap, avec des artistes comme Grems, La Caution, ou TTC. Pourtant, la proposition artistique de ce dernier courant aura eu du mal à se faire sa place commerciale dans le paysage rap de l’époque, qui voyait ces ouvertures musicales comme une dénaturation du son de “sa” musique. Vingt ans plus tard, les choses ont changé : avec la domination mondiale de la trap, son très synthétique composé sur les mêmes logiciels que les producteurs d’electro, les deux genres ont décidé de se regarder dans les yeux, et de collaborer. C’est l’une des raisons qui explique sans doute pourquoi le son Jersey a été accueilli aussi favorablement par les fans de rap cette année : habitués depuis des années à entendre des sonorités un peu plus électroniques ou avec un BPM rapide dans leurs playlists, que ce soit dans les sphères mainstream (Jul) ou plus pointues (Laylow, Kekra), l’alliance pouvait maintenant se faire à plus grande échelle qu’au public de niche (mais réel) des années 2000.

Au final, est-ce toujours du rap ? Si certains artistes comme Realo ne souhaitent pas être rangés dans cette catégorie (sans doute à raison, Realo ne posant pas un seul couplet rappé sur tout son dernier projet EMOTION, tout comme BabySolo33) de nombreux autres continuent pourtant de faire perdurer une tradition des rimes et des placements sur des productions beaucoup plus aventureuses, à l’image de H JeuneCrack sur son très bon 3ème Cycle. Surtout, cette nouvelle scène d’artiste collabore avec des producteurs qui montrent dans leurs sonorités une véritable volonté d’apporter des sonorités électronique plus niches dans le canevas du rap, tout en étant extrêmement mis en avant par leurs interprètes, au point de souvent cosigner leurs projets avec eux (La Fève et Kosei, Zoomy et Abel 31, Meel B et Irko, ThaHomey et Skuna). Une initiative encore assez rare dans le genre qui envoie un message assez enthousiasmant pour la suite : en 2023, les producteurs vont sans doute encore plus sortir de l’ombre. Et continuer leur travail de renouveau sonore qu’il sont actuellement en train d’effectuer dans le rap français. Avec plein de bips boup blips, si possible.