Abcdr du Fond Le diptyque raffiné de Gizo Evoracci

Par Beufa

Rapper avec A-Wax avant même d’être majeur, « rider avec le CS et le RD », croiser le micro avec la reine de Memphis (qu’elle repose en paix) : Gizo Evoracci semble avoir tout fait, tout vu, tout connu. Il rappe aujourd’hui comme quelqu’un qui, s’il n’a plus rien à prouver, reste perpétuellement en quête de cette forme d’absolu qui ne se construit que dans les plaisirs simples d’une vie luxueuse. Le pain de maïs, le rouge sur une cigarette écrasée au petit jour, la montée d’adrénaline quand on sent l’odeur d’une liasse, la baguenaude : Gizo raconte tout cela, par petites touches impressionnistes. Une ligne sur deux sonne comme le genre de proverbes qui ne se transmet que de bouche à oreille derrière des vitres teintées, confortablement assis sur une banquette en cuir rouge ; la seconde est une anecdote tirée d’une vie si riche en aventures qu’il faudrait Olivier Cachin pour la raconter en entier.

Très prolifique cette année, le vétéran grignois s’est également fendu d’un Tesla Coupe DeVille qu’on conseillera à tous les amateurs et amatrices de ride le coude à l’air sous l’étouffante chaleur du Tennessee. Mais son magnum opus de 2023, c’est sans conteste l’étonnant diptyque Cotton Gin Blues / Baguenaude d’un nègre libre sorti le 14 octobre. Pris individuellement, chacun des deux disques esquisse une trajectoire, l’une diurne et l’autre nocturne, dans l’univers esthétique de son auteur.

Lorsqu’on les écoute ensemble, ils composent un tableau tout en clair-obscur, où le souci principal semble être de proposer une oeuvre élégante, raffinée, en un mot : noble. Par le sample, par la référence ou par l’hommage, Gizo s’inscrit dans la continuité des grands virtuoses qui ont marqué l’histoire musicale de la diaspora africaine, de Miles Davis (la pochette de Baguenaude d’un nègre libre est une référence directe à celle du classique Bitches Brew) à Cesária Evora, à qui Gizo Evoracci doit son nom d’artiste.

Telle est sa volonté de s’inscrire dans la que le rappeur cherche parfois à mettre à distance le genre musical dans lequel il s’inscrit (« J’ai toujours honte de faire du rap, si on te demande dis que je fais du jazz »). Mais en fait de rupture, il n’y a là qu’une continuité avec la fresque dans laquelle Gizo inscrit sa propre peinture. La baguenaude n’est pas une version plus élégante ou embourgeoisée de la ride chère aux légendes du G-Funk. Comme Aelpéacha ne manque pas de venir le rappeler au détour d’un interlude, il s’agit in fine d’un seul et même mouvement.

https://youtu.be/TdXXvYS7VcA