Industry Baby Rap français : trop d’albums, peu d’idées

1236. C’est le nombre de sorties rap français recensées par le media Rap Minerz en 2021. Si on pousse le calcul, cela revient en moyenne à 22 sorties musicales par semaine tout au long de l’année, tout ça dans un seul genre musical. Un chiffre vertigineux, qui pose de vraies questions : parmi ces heures et ces heures de musique, ces centaines d’albums, mixtapes et EP de rap français balancés sur les plateformes de streaming, que retiendrons-nous de 2021 ? Sans doute pas grand chose. Ou en tout cas très peu par rapport à la quantité de musique proposée.

En 2021, le rap français – notamment mainstream – aura cruellement manqué d’idées

Porté par un succès commercial important et une boulimie encouragée par les plateformes de streaming, le rap français a adopté ces dernières années un rythme de sorties de plus en plus intense, qui s’est encore plus amplifié en 2021. Dans une logique de braquage des plateformes, de nombreux rappeurs se retrouvent alors à penser leurs albums comme l’on ferait une partie de pêche à la ligne : en balançant vingt morceaux au public, si possible avec des featurings, et en croisant les doigts pour que l’un d’eux prenne dans le Top 50 sur Deezer et Spotify. Avec le streaming, si un ou deux morceaux dépassent les 15 millions d’écoutes, l’artiste peut alors se retrouver certifié d’un disque d’or, si le reste des morceaux de l’album ne fait pas des scores trop ridicules. Cette pensée très court termiste fonctionne aujourd’hui, tant il existe un emballement du public pour le genre. Mais qu’en retiendra-t-on dans quelques années ?

En 2021, le rap français – notamment mainstream – aura cruellement manqué d’idées, de concepts ou de cohérence, tant il aura cherché le tube, répétant les mêmes formules en boucle (morceau trap chantonné avec une guitare vaguement sud américaine, prod drill générique, piano voix Auto-Tuné) alignant les featurings par vagues, souvent avec les mêmes artistes. De janvier à mai, on retrouvait ainsi PLK sur la moitié des gros projets rap français après le succès de son album ENNA fin 2020. À l’entrée de l’été, c’est Tayc qui prenait le relais suite au carton de son morceau « Le Temps » en apparaissant sur tous les tracklistings. Et il y a de fortes chances que le téléphone de Oboy – réputé pour ne pas trop se mélanger – ait énormément sonné en fin d’année après le succès de son morceau « TDB ». Certaines collaborations donnent même l’impression d’exister dans le but de reproduire le tube de l’artiste invité, à l’image de PLK et SCH sur « Incontrôlables », un « Bande Organisé » bis – au grand dam des fans des deux artistes qui attendaient un titre rap du duo – ou de Maes et Oboy sur « Le Maire », un « TDB » dans l’esprit. Si cette obsession du tube n’est pas nouvelle, elle ne cesse de monter. Tout comme la standardisation des prods, quitte à prendre le risque de lasser l’auditeur qui commence à être un peu moins dupe. Une pensée très court termiste (« Ce type de prod ou cet artiste a fait un tube, je peux aussi en avoir un avec ») qui aura éclipsé l’ambition artistique et la cohérence des gros vendeurs du genre, allant même jusqu’à pousser un SCH à atténuer le concept et la direction artistique du deuxième tome de son (néanmoins bon, malgré cette baisse de DA regrettable) projet JVLIVS. Officiellement, un choix délibéré pour « démythifier le personnage », officieusement une décision sans doute prise pour ne pas perdre en chemin les nombreux nouveaux fans engrangés avec « Bande Organisée ».

C’est parce qu’il proposait quelque chose de différent et audacieux par rapport au reste de la musique française que le rap a pris le pouvoir auprès du public en 2015

Le rap français a pris le pouvoir auprès du public en 2015 parce qu’il proposait quelque chose de différent et d’audacieux par rapport au reste de la musique française. Il ne faudrait pas qu’il passe du côté de la musique qui tourne en rond à force de répéter les mêmes formules. Restons cependant honnêtes : le genre se porte très bien, et ce ne sont ni les critiques emballées des médias ou les retweets enthousiastes d’une frange de fans sur Twitter (quoique…) qui vont payer aux artistes leurs loyers. Un tube dans une carrière peut même parfois tout changer. Mais à trop courir après cet unique objectif, les artistes les plus en vue perdent finalement tout goût du risque ou de la créativité en se laissant porter par une pensée plus pragmatique et financière qui tire le rap vers le bas sur le long terme. Si le public s’est autant extasié pour un solo de saxophone en fin de morceau ou pour un album avec des interludes parlés cette année, c’est sans doute pour une bonne raison : parce que le reste du rap français n’a pas proposé grand-chose d’autre à côté. – Brice