smiley Deadi, ça cartoon

Il arrive parfois des petits miracles dans le rap français. Celui de tomber sur un rappeur souriant en est un gros. C’est le cas de Deadi. Catapulté sur le devant de la scène à coups de freestyle enregistrés dans les parties communes de son immeuble, le rappeur de Poissy empilait d’abord les textes pour les gars de son quartier, histoire de s’occuper et d’amuser la galerie tout en satisfaisant sa passion pour le rap. C’est spontané, sans calcul, sans prétention d’être diffusé au-delà d’un cercle restreint. Puis le rappeur contracte un pneumothorax. Ça le motive à concrétiser un peu plus sa passion. “Les médecins m’ont dit qu’il y avait risque de récidive, donc je me suis dit que j’allais aller à la MJC et que j’allais enregistrer un truc pour les mecs qui me le réclament depuis un moment” explique t-il à nos confrères du site Le Bon Son. Début 2020, poussé par sa compagne qui lui ouvre un compte Instagram, il réalise désormais ses freestyles au format vidéo. Le public découvre alors un rappeur sourire en coin, bouche crispée et de traviole à la joker, qui débite sévère avec une voix nasillarde. Deadi s’étonne de l’enthousiasme qui lui est réservé sans bouder son plaisir. Il a seulement peur de finir comme tant d’épiphénomènes que le rap a connu. Pour le rassurer, son éclosion ressemble plus à celle qu’a connu un Kacem Wapalek. Un rappeur duquel il est d’ailleurs souvent rapproché (plutôt à raison) et avec lequel il s’est empressé de partager le micro.

Personnellement ce qui m’a fait peur, c’est qu’on me prenne pour une blague

Deadi en interview au site 16mesures

La comparaison avec l’ancien membre de L’Animalerie évacuée, il faut dire que Deadi a de toute façon et surtout ce petit truc de différent des épiphénomènes qui ont peuplé la scène rap : il sourit tout le temps, même lors d’un freestyle où il balance plus d’une cinquantaine de fois le mot fils de pute. Rictus amusé et content d’être là, regard pétillant, gimmick qui réveille (“kekekekeskispasse ?!”), énergie débordante portée par un flow dynamique, rapide et pointu. Bref, Deadi a un côté doux dingue décomplexé. “On m’a toujours appelé le rappeur fou ! (rires) C’est le cas depuis que j’ai vingt ans et aujourd’hui j’en ai trente-sept !” se remémore t-il au micro de Nadsat.

Être souriant, avoir la bonne humeur communicative, ne fait pourtant pas de Deadi un rappeur à blague. S’il nomme sa première mixtape faite maison BLC (pour Bats Les Couilles), il n’y évacue pas des thèmes plus durs. Sur son premier album, Tout va, il raconte des moments de détresse humaine sans que sa voix, pourtant pleine d’une ironie pinçante au naturel, ne défigure la thématique. Quand il fait le mariole avec les Svinkels sur “La Vedette”, c’est plus grinçant et agressif que la série de jeux de mots qui aurait pu être attendue au regard du featuring. Deadi y préfère des séries d’assonances portées par un côté je-m’en-foutiste et sûr de lui, toujours sur cette brèche de la folie contenue. C’était d’ailleurs l’un des défis du rappeur de Poissy en 2021 : ne pas se départir de son sourire et garder sa spontanéité sur des formats qui par définition le sont pas. Un album n’est pas un freestyle devant un smartphone. Un EP avec Nizi ne se construit pas comme une mixtape débordante sur des instrus piochées sur Youtube et ramenées à la MJC.

J’suis un clown mais un clown qu’est pas si gentil que ça

Deadi dans son titre « Banzaï »

Car c’est aussi ça la fraîcheur de Deadi : son côté naïf. Naïf dans le sens désintéressé et passionné. Il y a quelque chose de pur chez le rappeur au débit nasal. Quand il explique à son producteur Nizi ne pas savoir ce qu’est un instru Drill en 2021. Quand il préfère manier les références de pop culture et l’univers du jeu vidéo sans tomber dans la geekerie outrancière. Quand il reconnaît ne pas du tout être intéressé par tout ce qui entoure la musique, les chiffres, les stratégies, ou encore qu’il a besoin d’être coaché en studio et que la scène c’est “génial parce que quand t’es en concert, les gens sont précisément là pour écouter du son. Tu as leur attention. On est tous là pour la même chose.” Mais “naïf” ne veut pas dire “insensé” ni “déconnecté”. Car le son de Deadi pue aussi la conscience de la galère, de l’ennui. Sauf que le tout est retourné avec beaucoup d’auto-dérision et est trempé dans des références de proximité dans des références quasi-cartoonesque (CF “La Chaise”, “Le Voisin du quatrième” ou la violence esthétisée de « Banzaï »). Cartoonesque, c’est peut-être d’ailleurs le mot qui colle le mieux à Deadi. Parti comme un espèce de smiley hilare, il tient désormais à lui à d’en multiplier les faciès, à jongler avec une pratique musicale plus sérieuse sans se départir de son sourire pleinement heureux d’être là. Car son rap est à l’image de son rictus, celui d’une bouche en forme de boomerang. Le genre de rappeur qui te fait marrer même quand il te dit qu’il va te fumer, alors que pourtant, tu sais que c’est vrai. – zo.