Formule déposée The Alchemist, le nom dans toutes les boucles

Architecte sonore de quelques-unes des plus belles réussites du rap du XXIe siècle, The Alchemist aura connu une année faste. Omniprésent, il a réalisé pas moins de cinq projets, dont deux en solitaire (A Doctor, Painter and an Alchmist Walk into a Bar ; The Food Villain) et trois en collaboration avec d’autres noms prestigieux (l’EP LULU avec Conway the Machine, les albums Alfredo avec Freddie Gibbs et The Price of Tea in China avec Boldy James). Sans oublier, bien sûr, les quelques cartouches disséminées ici et là (au hasard, le mémorable « $500 Ounces » chez Westside Gunn).

Alchemist a connu différentes périodes tout au long de sa carrière, mais est toujours resté un producteur identifiable. Et si une chose ressort de ce run de 2020, c’est justement sa capacité à se mettre au service d’un interprète, d’une histoire, tout en gardant une certaine touche personnelle. Autrement dit, il consolide ce que François Truffaut appellerait son statut d’auteur. Dans Alfredo, qui raconte la fascination de la scène rap pour les parrains afro-américains Bumpy Johnson et Frank Lucas, les arrangements sont luxueux et raffinés, faits de pianos et de cordes souvent lumineuses à la violence lancinante : un tapis rouge pour Gibbs, qui n’a plus qu’à dérouler ses histoires de drogue et de contrats à honorer. Dans The Price of Tea in China, Alchemist capture les pérégrinations de Boldy James dans les rues de Détroit avec des ambiances plus intimes et nuancées, allant de l’éthéré (« Run-Ins ») au mélancolique (« Carruth ») en passant par le franchement angoissant (« Mustard », « Giant Slide »). Dans LULU, la production est sombre et minimale, caverneuse, voire abyssale, faite de nappes froides et de voix envoûtantes : entendre les premières notes de « Shoot Sideways » ou de « Calvin », c’est plonger la tête la première dans la gueule du grand requin blanc aperçu en cover. Là encore, la voie est toute tracée pour Conway et son flegme de bandit de grand chemin abîmé par la vie.

À chaque fois cependant, impossible de s’y tromper : dans le découpage minutieux des échantillons, dans le soin apporté aux arrangements, dans l’utilisation atmosphérique des voix, dans la mise en scène très cinématographique, il y a bien une signature ALC. Celle-ci se retrouve par ailleurs dans ses dernières sorties instrumentales où la structure des morceaux, richement ornés de sons d’ambiance et de samples de films, rappelle beaucoup ce que pouvait produire DJ Shadow sur Endtroducing. Dans « Stained Glass », une citation extraite des Infiltrés de Scorsese (mais qu’il faut attribuer originellement à John Lennon) permet d’ailleurs de résumer efficacement la formule Alchemist, qui ne cesse de se réinventer sans se déliter : « I’m an artist. You give me fucking tuba, I’ll get you something out of it. » — David²