Talent brut Megan Thee Stallion, une perle à protéger à tout prix

« Les voisins ont appelé la police… J’ai eu peur. Tout ce qui se passait avec la police… Je ne voulais pas mourir. Je ne voulais pas que la police me tire dessus parce qu’il y a un négro avec un flingue dans la voiture avec moi. » Avant d’aller plus loin, il faut lire à nouveau la citation. Une fois la tâche exécutée, introduisons le contexte. Cette déclaration est tirée d’un live Instagram de la star Megan Thee Stallion qui, après s’être fait tirer dessus par le rappeur Tory Lanez, prétexte devant la police s’être coupé le pied après avoir marché sur un verre. Avec la fuite du premier rapport dans la presse, l’affaire est médiatique, les railleries sur les réseaux sociaux fusent et surtout, la distorsion de la réalité s’immisce insidieusement. Dans une ère « post-véridique », la rappeuse originaire du Texas est obligée de communiquer sur des faits avérés : « Tu m’as tiré dessus. » À présent, il faut relire une troisième et digérer ladite déclaration. Megan Thee Stallion s’est faite tirer dessus, par peur, elle n’a pas dénoncé son assaillant à l’arrivée de la police. Dans cette attitude paradoxale, une multitude de couches sont à peler pour tenter d’en saisir sa dimension. Dans un premier temps — et de façon assez visible —, il y a les tensions séculaires entre une communauté et le bras armé de sa face étatique. Illustration, le 25 mai, George Floyd, un Afro-américain est assassiné dans le Minnesota par le policier Derek Chauvin. Dans cet énième drame aux relents racistes, toute la société américaine s’embrase et de vives manifestations éclatent dans une situation de confinement. Le retentissement est tel que des institutions se posent enfin les bonnes questions, à l’image de l’équipe de football américain des Washington Redskins, qui renonce à son nom et logo, jugés offensant pour les Amérindiens. De son côté, l’opinion publique et les médias semblent insensibles à la gravité de l’accident entre ces deux artistes. Même constat dans le rap américain et ses acteurs masculins. Taulier de sa ville Port Arthur (Texas), Bun B prend la pleine mesure du sujet avec une justesse paternelle : « Megan est à Los Angeles toute seule […] Sa mère est partie. Son père est parti. Sa grand-mère est partie. Tous les gens qui lui portaient un amour inconditionnel, qui l’ont protégée et l’auraient protégée, ne sont plus là. Donc, en tant qu’OG de Houston, je lui apporte tout mon soutien. » Le sujet est en réalité plus profond, la question du genre est même soulevée. Le 13 mars 2020, une jeune Afro-américaine, Breonna Taylor, est tuée à son domicile par la police. Tout comme Megan Thee Stallion, c’est une femme. Tout comme Megan The Stallion, son affaire suscite l’émoi à la suite de la mort d’Ahmaud Arbery, un joggeur afro-américain assassiné par deux hommes blancs un mois auparavant dans l’État de Géorgie. Tout comme Megan Thee Stallion, son histoire mobilise les consciences seulement après un drame ou une intervention extérieure. Tout comme Megan Thee Stallion, elle incarne une voix trop longtemps restée étouffée. Un discours périphérique, inaudible, sans valeur. Aujourd’hui, l’autrice de l’album Good News (2020) est à un carrefour central dans sa carrière. Plus exposée. Plus attendue. Plus scrutée. Megan est un talent brut dans un genre qui peine à se renouveler ces dernières années. Une grande dame respectueuse des traditions et du pliage de prod. Une femme qui assume pleinement tout son être : son sud natal, son accent, son corps. Elle est la sève indispensable à la longévité d’un style et des industries culturelles. Une voix féminine salvatrice pour toutes celles passées au silence. Une perle à protéger à tout prix. — ShawnPucc