Memes pas mal La « meme-ification » du rap français

En mars dernier, Karim Benzema, sans doute ennuyé par l’arrêt du championnat de foot espagnol, lance à l’improviste un live sur son compte Instagram. Pendant une heure, il se pose avec diverses personnalités pour discuter de tout et de rien, faire dire « Fumier » à Ronaldo (le vrai, le Brésilien), comparer Olivier Giroud à un karting et parler de bien d’autres choses. En fin de live, après un échange avec Thomas Ngijol, c’est Lacrim qui passe une tête dans le direct de Benzema : coup de bol, le rappeur est de bonne humeur et il propose alors à son compère d’écouter en exclusivité un extrait de sa prochaine mixtape. Mauvaise nouvelle : la qualité sonore de l’extrait est extrêmement médiocre, ce qui va totalement desservir la diffusion en exclusivité de « Jacques Chirac » premier extrait aux sonorités drill de R.I.P.R.O 3. Benzema, bien embarrassé, va alors faire du mieux qu’il peut pour cacher son peu d’enthousiasme durant cette écoute très artisanale. « C’est nwar, c’est nwar. Arrête arrête arrête. » La séquence va devenir, malgré elle, un des memes les plus drôles de 2020 et une des vidéos les plus détournées dans les mois qui suivront. Une source de blagues parmi tant d’autres dans une année 2020 qui aura vu le rap français devenir un véritable objet d’étude pour les amateurs de memes internet. Alors certes, la tendance n’est pas non plus totalement nouvelle : déjà en 2019, Fred Musa remportait haut la main le titre de la vidéo la plus drôle et la plus détournée de l’année avec son « J’apprécie à moitié » , tandis qu’auparavant Rohff, La Fouine, Vald ou Koba LaD alimentaient déjà bien les réseaux sociaux.

Plus qu’une musique, le genre est devenu un feuilleton suivi au quotidien.

Mais rarement on aura assisté à autant de détournements du rap français qu’en 2020 :  l’ennui des confinements a sans doute joué, mais la place aujourd’hui centrale du rap dans la culture populaire d’une grande partie de la jeunesse est aussi à prendre en compte. Plus qu’une musique, le genre est devenu un feuilleton suivi au quotidien via Twitter et Insta, avec ses personnages, ses privates jokes et ses héros. À tel point que le meme peut parfois dépasser l’artiste : il y a par exemple beaucoup de chances que Gazo ait été découvert par une frange de ses nouveaux fans à travers son fameux « Tema la kichta, tema la taille de la kichta » , tandis que Bosh a lui pu profiter des milliers de détournements autour de son morceau « Djomb » et son fameux « Bien ou quoi » sur TikTok au début de l’été. L’influence d’internet fait aujourd’hui partie prenante de la stratégie des rappeurs français dans la promotion de leur musique, quitte à parfois un peu trop faire des appels du pied (Kaaris qui se filme en train de faire des pas de danse dans le clip de « Goulag ». Pour inciter TikTok à le reprendre ?). Et à ce petit jeu-là, il y a évidemment eu un grand gagnant cette année : « Oui ma gâtée », « Le J c’est le S », « C’est pas la capitale, c’est Marseille Bébé », « Et ça fait Zumba cafew »… « Bande organisée » restera dans l’histoire du rap français comme un des plus grands puits de détournements internet de l’histoire du genre. Une folie créatrice qui a même permis au morceau de pénétrer toutes les sphères de la société en quelques semaines. De juillet à octobre 2020, il était ainsi impossible de passer à côté d’une phrase tirée du morceau, même pour ceux qui détestent le rap : il suffisait juste de voir les joueurs de l’OM après leur victoire face au PSG scander le morceau, ou Jean Luc Mélenchon (attention c’est gênant) réutiliser le titre pour blaguer sur le couvre feu, pour comprendre la force et l’impact du titre, porté par la ville de Marseille et par les réseaux sociaux.

Si 2020 aura été une année bien morne, elle aura aussi définitivement fait rentrer le rap français dans la pop culture sur internet tout en permettant à ce genre musical de rire un peu de lui-même. Ce qui n’était pas gagné d’avance. — Brice