Pour les anciens Def Jam Number One

Reprendre son propre titre 23 ans plus tard à l’occasion d’un nouvel album dans une discographie déjà bien remplie a t-il un sens ? Si on s’appelle Public Enemy, il faut croire que oui. L’étendard éternel du rap militant réadapte en 2020 son socle ultime, celui qui à l’époque a révolutionné le rap : “Public Enemy No. 1”. Contrairement à l’image qui en est faite, le titre originel de Chuck D. et Flavor Fav n’était pourtant pas un brûlot d’engagement. Il est plutôt une déclaration d’indépendance farouche, de ceux qui n’ont de compte à rendre personne. C’était un egotrip rugueux. Rempli de sous-entendus brûlants certes, mais relativement inoffensif au-regard de ce que Public Enemy produira ensuite. Et c’est peut-être grâce à cela que revisiter cette pierre angulaire du hip-hop en 2020 ressemble plus à une célébration qu’à une surenchère. Chuck D l’a lui-même confié : c’est cette chanson qui a fait basculer le groupe chez Def Jam. Les Beastie Boys et Run D.M.C., déjà signés au sein du label, écoutaient le titre “jusqu’à la mort”. Rick Rubin poursuivait P.E car il les voulait dans son studio. Mais 23 ans plus tard, qu’en sort-il ? De prime abord des retrouvailles auto-centrées, une commémoration d’un temps révolu. Ça ressemble à des petits vieux (en bonne forme !) se partageant leurs souvenirs sur un banc ? Peut-être. Mais à y regarder de plus près, c’est surtout une sorte de photographie rappée de ce qu’était l’effervescence hip-hop autour du label de Russel Simmons et plus particulièrement de son roaster incroyable. Et pour les principaux protagonistes du morceau, cela semble représenter beaucoup, surtout lorsqu’il s’agit de deux groupes ayant perdu l’un des leurs en route. Les Beastie Boys ont vu MCA passer de l’autre côté en 2012. Ils avaient juré de ne plus rapper ensemble suite à sa mort, et s’ils apparaissent sur ce titre, c’est sûrement que c’est une manière de se rappeler de leur ami. D’ailleurs, ni l’un ni l’autre ne rappent, ils se contentent de drops. Quant à Run D.M.C., orphelin de Jam Master Jay depuis 2002, leur enthousiasme ne trompe pas. Alors oui, la victoire de ce “Public Number Won” n’est pas celle de la rue, ni du black power, et ça a sûrement quelque chose d’un peu triste. Mais l’âge d’or de Def Jam méritait bien des retrouvailles. Car finalement, ce trio magique, composé de trois groupes qui défendaient des choses radicalement différentes en apparence, c’était peut-être la première grande victoire du rap. — zo.