Mixtape

1996 : une année de rap français

Être un jeune auditeur de rap dans une petite ville de province au milieu des années 1990, c’était toute une aventure. Skyrock ne couvrait pas tout le territoire, le net n’en était qu’à ses balbutiements, la FNAC était loin, quand bien même on avait les moyens de mettre régulièrement 100 francs dans un CD. Restaient quelques moyens détournés de s’approvisionner : la copie K7 d’une copie K7 d’une copie K7 d’un CD qu’un « grand » (c’est-à-dire qui était au lycée ou plus sûrement aurait eu l’âge d’y être) avait pu chopper, les enregistrements radio des quelques morceaux ayant passé le cut pour arriver sur les ondes FM, et les incursions du rap à la télé.

Bien évidemment, ces dernières étaient rares. Des lives sporadiques sur le plateau de Nulle Part Ailleurs ou du Cercle de Minuit, les clips de Best of Groove sur M6 ou ceux de la chaine allemande Viva pour les chanceux dont les parents possédaient une parabole. Pas vraiment une morne plaine, sans l’époque de Spotify et de YouTube comme référent de comparaison, mais quand même. Il fallait de l’organisation et de la rigueur pour vivre sa passion, afin de ne pas manquer une occasion qui ne se représenterait plus. Dans ce contexte, un rendez-vous allait devenir incontournable : Cap’tain Café.

L’émission, hebdomadaire, arriva sur France 3 en 1996 et fut diffusée pendant trois ans, les vendredis en fin de soirée. Aux manettes, Jean-Louis Foulquier et sa gouaille. Le concept était simple : dans un bar, durant une petite heure, différents artistes se produisent en live puis viennent rejoindre le regretté Rochelais à table pour une interview. Comme il l’a fait durant toute sa carrière, Foulquier fait la part belle aux jeunes talents et aux scènes peu visibles à l’époque, parmi lesquelles, bien évidemment, le rap. Entre pleins d’autres, X-Men, Ärsenik et Lunatic se produiront. Passi sera l’invité principal d’une émission, tout comme IAM. Sortiront de tout ça des moments d’anthologie, qui, malheureusement, n’ont pas tous trouvé le chemin des sites d’hébergement vidéo… Et d’autres un peu plus folkloriques. Grâce à Cap’tain Café, Foulquier confortera son rôle de bienfaiteur du rap hexagonal, après avoir contribué au lancement des Francofolies de La Rochelle, qui elles-mêmes avaient beaucoup participé à l’exposition de la scène nationale et à l’émergence de jeunes groupes pleins de talent. L’animateur de France Inter avait flairé qu’il se tramait quelque chose de fascinant dans les quartiers populaires d’Ile-de-France et d’ailleurs et, comme souvent, il avait vu juste.

« Si 1995 avait été l’année de l’émergence d’une nouvelle génération, 1996 fut celle de son installation.  »

Car si 1995 avait été l’année de l’émergence d’une nouvelle génération, 1996 fut celle de son installation – bien facilitée par la discrétion des NTM, Iam et Solaar durant ces douze mois. Les noms de Fabe et de La Cliqua étaient désormais familiers, et l’exercice du premier album allait contribuer à ce que ceux de Doc Gynéco, de 2 Bal 2 Neg’ ou d’Ideal J le deviennent aussi. Dans le même temps, la Province commençait à exister au-delà d’Iam (KDD, NAP, Soul Swing) et, dans la lignée des Cool Sessions ou de Time Bomb – Volume 1, différentes compilations arrivaient sur le marché, marquant fermement pour certaines l’histoire du mouvement (Le Vrai Hip-Hop, Hostile Hip-Hop). 1996 fut donc une année foisonnante, de façon relative par rapport à ce qui se produirait au tournant des siècles, mais foisonnante quand même. Réaliser un mix qui permette de donner une idée suffisamment fidèle de ce qu’était le rap français à l’époque est donc un exercice périlleux. Il faut faire des choix, et laisser de côté des morceaux et des artistes que d’aucuns jugeront incontournables. Ainsi, il n’y aura pas de Stomy, de KDD ou d’Akhenaton au programme. En revanche, John Wayne, Babar, les Bee Gees et le Capitaine Crochet traîneront dans les parages.

 

 

TRACKLISTING

  1. Intro Captain Café
  2. Lunatic – Le Crime paie
  3. La Cliqua – Rap Contact
  4. Koma – Une époque de fou
  5. Ideal J – Show bizness ft. Rim’K, Rohff, Manu Key & Yezi l’escroc
  6. Kabal – De par les yeux d’un disciple
  7. Boboch 1pakt – La Putain 2 sa race
  8. Assassin – Shoota Babylone Remix
  9. 2 Bal 2 Neg’ – La Magie du tiroir
  10. Lone – Je représente ft. Busta Flex
  11. Soul Swing – La rage dans le mic
  12. X-Men – Pendez-les, bandez-les, descendez-les !
  13. Arsenik – L’Enfer remonte à la surface
  14. Afro Jazz – Paris-New York
  15. Suprême NTM – Come Again Remix ft. Big Red
  16. Different Teep – Guerilla
  17. Rocca – Le Hip-Hop mon royaume
  18. N.A.P. – Je viens des quartiers
  19. Weedy et Le T.I.N. – Il boit pas, il fume pas, mais il cause ft. Abuz
  20. Fabe – Dis aux gosses
  21. M.Group – Fidèle au rap
  22. Légitime Processus – Quel pied quand elle pleure
  23. ATK (Légadulabo) – Esprit speed
  24. Busta Flex – Aïe Aïe Aïe
  25. La Harissa – Vas t’faire enculer
  26. Yazid – Je suis l’Arabe
  27. Polo – Panne sèche Remix
  28. Doc Gyneco – Nirvana
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3 commentaires

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  • soundy,

    Aimer le Hip Hop pour un provincial c’était une mission, c’est vrai. Les cassettes audios ou vidéos usées jusqu’à la corde.. Les premiers salaires dépensés aux FNAC des Halles ou Montparnasse..
    Avec un pote on connaissais un « bourgeois » muni d’une parabole dès le début des années 90 on le harcelait pour qu’il nous enregistre Yo! Pauvre type qui a du nous supporter pendant un bail, on débarquait à pas d’heure pour lui donner la VHS.. Merci à lui.

  • Tetuko,

    Il est ou le bouton pouce en l’air?
    Tous ce skeuds laisses en France chez les parents. ca fait toujours du bien de reecouter tout ca. Merci les gars.

  • Fabien,

    Lourd mix, un bon complément au dossier sur 1996 du bonson
    http://lebonson.org/2016/05/23/vingt-ans-apres-1996-en-20-disques/