YL, poète et fédérateur
Interview

YL, poète et fédérateur

Un an et demi après le premier épisode de « #MarseilleAllStars », Yamine l’Artyste sort sa première mixtape, Confidences. Pas encore légendaire comme Zidane, mais clairement déterminé comme Mahrez, rencontre avec le joyau d’une scène des quartiers sud particulièrement prometteuse.

Photographie : Christophe Sterenzy

Petit des grands d’Air Bel et de Ladjoint, le beatmaker qui lie les deux générations en transmettant les valeurs du hip-hop marseillais aux nouvelles éclosions phocéennes, YL est un pur produit du Rap français, avec une majuscule. De ceux qui ont connu Luciano et Dicidens par leurs grands-frères, de « sang », réel ou métaphorique – Marseille apprend à ne pas faire la différence. Il a le goût pour toutes sortes de musiques, le respect des anciens et des modernes, du travail acharné, de l’amitié, du dépassement rigoureux dans l’écriture et l’interprétation. Le rap est pour lui une véritable école, un noble art. Sa musique le dit mieux : elle se veut unificatrice et efficace. Si « Yamine prend », « Yamine donne » aussi, car il compte rendre chaque parcelle de force reçue, à ses anciens, ses amis, sa famille. À cette discipline morale et artistique implacable s’ajoute une touche singulière, plus obscure : celle d’une sensibilité à part, profonde mais sans posture, d’un enfant, bien que magnifiquement entouré, solitaire et insomniaque. YL est le fruit contradictoire d’une époque où les personnes au cœur le plus tendre ont parfois un regard glaçant comme les métaux. Ou, selon les reflets, déchirant de mélancolie.


Débuts « On me connaît déjà je suis Larlar, je suis Air Bel, je suis Marseille »

A : On dit que tu as commencé à rapper à 11 ans avec le groupe 11.43, dès 2007. C’est vrai ?

YL : Je n’en faisais pas partie, j’étais le petit du groupe. J’apparaissais dans certains featurings, je faisais des scènes avec eux. 11.43 est un groupe originaire d’Air Bel, composé de cinq rappeurs. Naps, Sahim, qui est resté dans l’ombre mais pour lequel j’ai un respect immense. C’est lui mon grand à la base. Il y avait aussi Kofs, le plus jeune, que vous connaissez, Oussagaza [Oussama Abdul Aal, né d’un père palestinien d’où le surnom, acteur jouant le rôle de Rachid dans le film Chouf, NDLR], et Sidou, que vous ne connaissez pas, mais que vous connaîtrez bientôt. Quand je sors un featuring avec Naps c’est que je le connais depuis petit, il est de la même génération que Sahim, autour de la trentaine. De rapper si tôt avec des gens qui ont de l’expérience, ça m’a donné une école, et donc une légitimité. Les gars comme Ninho ou moi, on rappe depuis l’enfance, on a ce que j’appelle une école et c’est bien. En dehors de ça, j’avais déjà une légitimité dans le fait que je suis un grand amateur de rap : je parle souvent de mon album référence, HLM Rézidant de Dicidens, la Scred Connexion, la FF…

« J’écoute l’inspi des rebeus de Bezbar »

YL – #MarseilleAllStar 1

Mes influences tapent souvent dans la fin des années 1990, maximum le début des années 2000. Nessbeal, je trouve qu’il avait l’écriture la plus choquante pour l’époque, Zesau je le considère précurseur de tous les flow trap avant qu’elle arrive, même avant certains ricains. Avec Koryaz, c’était une synergie. Pareil pour la Scred Co et la FF : Haroun et Luciano sont les poètes du rap français. Mais j’ai aussi des influences actuelles, je ne m’en cache pas. Je suis proche de Sofiane, et fan de Niro depuis ses débuts, il y a un beau featuring avec eux sur Confidences.

A : Justement un jalon dans ta carrière, c’est la BO de Chouf le film de Karim Dridi, et Sofiane est déjà présent sur le clip du titre « Trafficanté ».

YL : Déjà, dans l’épisode 1 de #JeSuisPasséChezSo à la Castellane, il y a un petit insert où on nous voit : on s’est rencontrés comme ça. Ladjoint [Mourad, beatmaker central à Marseille, qui a également beaucoup produit pour Sofiane, NDLR] par contre, je le rencontre bien avant, il y a plus de dix ans, quand je suis allé enregistrer avec le 11.43. Il me connaît depuis que je suis petit.

A : Est-ce qu’il y a quelque chose chez Fianso, dans sa musique, dans son statut, qui peut parler au rap de Marseille, le côté proximité, rap de quartier ?

YL : Clairement. Et je trouve qu’en ce moment, Marseille c’est en bombe, on remercie le ciel. Il y a bien plus de connexions qui se font : rappeurs marseillais entre eux ou avec les Parisiens, et plus de rappeurs en général parlent de Marseille dans leurs textes, leurs interviews. Cette ville a une identité musicale particulière, comme Paris d’ailleurs, où il y a plus de monde donc plus de diversité, mais ici on va avoir un truc peut-être plus artisanal. Après, moi je fais beaucoup de flows américains, si tu regardes bien ; et même un mec comme JuL, il est influencé par les ricains, pas par les mêmes références, mais il l’est. Par contre, c’est sûr que le fait que depuis certaines années, des gars, jeunes, avec une marque aussi particulière que JuL et SCH soient confirmés, ça apporte une identité, un autre visage à la ville.

A : En 2017, tu signes chez Def Jam avec Bylkaprod. Est-ce que tu peux nous parler justement de ce qu’est Bylkaprod, de ce que vous avez fait ?

YL : Bylkaprod c’est ma structure de départ, avec laquelle j’ai commencé, avec laquelle je suis encore, et avec laquelle j’espère être toujours. Rayane l’a fondé, il a plusieurs casquettes : manager, producteur exécutif sauvage, [« perchiste », ajoute Rayane]. Oui, perchiste parfois, même sparring partner. [Rires] Pur produit marseillais, comme moi. Entre nous, ça a commencé il y a deux ans avec une voiture, un parking, une bouteille de coca et un Samsung. Instru, freestyle toutes les semaines. Beaucoup plus amateur que les « #MarseilleAllStars » [série de freestyles collectifs sortis au cours de l’année 2016, NDLR], uniquement postés sur les réseaux sociaux. On doit pouvoir les retrouver en cherchant bien, parce qu’on ne supprime rien, on assume tout. [Rires] Puis on a sorti mes premiers contenus visuels professionnels solo sur Daymolition – des vaillants de la première heure, Daymolition. Mais même à ce moment-là, je n’avais pas décidé de me professionnaliser. On faisait de la musique comme on jouait au foot. Dans la même veine, il y a eu « Marseille », tournée avec une voiture de shérif. [Sourire] Pour l’anecdote, on a croisé à un feu rouge de Marseille un mec qui avait cette caisse. À l’époque on était en indé, donc on lui a tout simplement demandé de nous la prêter pour un clip. Et ça a marché, il est venu. [Rires]

Avec « Enfant d’Africain », je fais un million de vues, et surtout, je commence à trouver mon identité. Puis « Trafficanté » marque un nouveau tournant puisque je rencontre mon clippeur, Comm, qui me fait prendre conscience de l’importance de l’image. Il fait la plupart de mes clips, mais pas tous, pas « Fruit de mon époque » par exemple. J’ai une manière de travailler où je n’aime pas monopoliser. Ça se ressent sur la mixtape, ce n’est pas « Ladjoint derrière chaque note » – bon, tout est contrôlé chez lui quasiment. [Rires] Big up à lui, c’est mon frérot. Mais je pense qu’on peut extraire le nectar de chacun, le domaine où la personne est vraiment excellente. Ensuite, on a envoyé des clips comme « Libérez Messin », qui a fait un million de vues en huit jours, mais qui a été supprimé pour des histoires d’instru. [Il sourit, NDLR] On apprend, on apprend. Et un dernier appelé « Insomnia », que je trouve magnifique, alors qu’on l’a fait en indé, et c’est là où il faut saluer la prod exé sauvage de Bylkaprod. Et suite à tout ça, la signature chez Def Jam.

A : Est-ce que cette signature a changé des choses en termes de direction artistique ? Pour les featurings tu as voulu appeler les artistes directement, d’homme à homme. Étant donné la variété des beatmakers qui ont un « nom » dans Confidences, as-tu procédé de la même façon ?

C’est les deux, ça dépend. Il y avait des beatmakers avec lesquels j’étais en contact avant même que je signe, comme Therapy, Guilty. D’autres que mon DA m’a présentés, mais on a travaillé ensemble en studio avant, donc ça ne change pas : je ne fais rien sans qu’il y ait toujours un peu d’humain derrière.

« Marseille a une identité musicale particulière, comme Paris d’ailleurs, mais avec peut-être un côté plus artisanal »

A : Parlant de Bylkaprod, et de la chanson « Vai Nova », quels sont tes liens avec la musique traditionnelle kabyle ? 

YL : « Vai Nova », c’est un clin d’œil à Idir bien sûr. C’est Soolking qui a eu l’idée, après on a bien travaillé le truc ensemble. Et maintenant c’est un tube ! On a repris un tube pour en faire un tube. C’était pour faire plaisir à la communauté algérienne aussi : il n’y a qu’à regarder les commentaires YouTube, il y a la diaspora algérienne du monde entier ! Et oui, on est bousillés à la musique traditionnelle algérienne depuis enfant. Déjà parce que c’est notre environnement, mais aussi parce que je trouve qu’il y a des mélodies de malade !

A : Je trouve justement qu’il y a un lien entre la mélancolie et l’aspect mélodique d’un certain rap marseillais et cette musique.

YL : Exactement. Le rap marseillais est à l’image de sa ville : ensoleillé, chantonné, triste. Et c’est grâce à des influences comme celles-ci, Idir etc. Parce qu’aussi, j’écoute de tout, et j’ai un grand respect pour le folklore de n’importe quel pays. En ce moment, je suis dans la musique éthiopienne ; dernièrement, j’ai découvert la musique roumaine. Je kiffe, il y a de ces mélodies ! Le rap se renouvelle comme ça. En n’écoutant que du rap, tu ne vas pas faire du bon rap.

 

A : La référence au père, on la retrouve à d’autres moments de la mixtape, comme dans « La cause de mon père ». Tu peux expliquer la mise en équivalence : « Je peux mourir pour maman, pour le FLN » ?

YL : À certains moments, il faut lire entre les lignes pour ce son. Je fais référence à l’enfance difficile de mon père, rythmé par la guerre d’Algérie et ses aléas. Que ce soit mon grand-père, mon père, ma famille a clairement un rapport avec le FLN. Mais quand je dis « je me vois défendre la même cause que mon père », dès le début, on comprend que la véritable cause de mon père, alors que la guerre d’Algérie est finie depuis longtemps, c’est sa famille. Sa détermination formidable à défendre les siens.

A : Je trouve ça intéressant parce que j’ai l’impression aujourd’hui qu’il y a cette espèce de glissement : la politique finalement, ce n’est pas un parti, c’est défendre les siens.

YL : Le texte plonge directement l’auditeur dans ce que je veux : je me vois moi, Yamine, défendre la même cause de mon père. Et tout au long du texte, je parle de ma mère, mes frères, de ce qui peut m’arriver dans la vie et de la manière dont actuellement, je peux défendre au quotidien les miens.

École et écriture  « Apprends-moi à lire et écrire même si ta pensée et ta culture sont vecteurs du mal »

A : Tu sais que tu te distingues par ton écriture. Je te cite : « Longtemps que je ne suis plus écolier mais je manie le vocabulaire » dans « Zanotti », « Je manie la langue de Molière comme je manie celle de mes parents » dans « Loin ». Pourquoi tu utilises le verbe « manier » plutôt que « maîtriser » ?

YL : C’est que « manier » appartient à un champ lexical plus combatif. Qu’est-ce qu’on manie ? Une arme. Et la langue, si on la manie bien, c’est une arme.

A : Tu as un goût particulier pour certaines figures de style. Par exemple, les paronomases [figure de style consistant à utiliser dans la même phrase des mots qui se ressemblent phonétiquement, NDLR] et les diérèses, tu accentues distinctement les syllabes [« vi-olent, vi-olet » par exemple, NDLR] mais c’est ta voix surtout qui va faire sonner les mots entre eux. Comment tu écris, concrètement, pour que l’oral informe à ce point l’écrit ?

YL : Je n’écris jamais avant les prods. Une punchline parfois, mais de sens. Pour le flow ? Jamais. Peut-être qu’une fois dans ma vie j’ai trouvé un flow avant l’instru, avec un texte saccadé plein d’allitérations, mais c’était motivé par le sens. C’est le début de Trafficanté : « Le mal qu’on m’a fait je le rends bien / je contrôle les accès du secteur / J’écoute Rim’K j’fais temps plein (…) » Et j’ai continué avec ce flow en entendant l’instru. Dernièrement, j’écris beaucoup en studio, ou au quartier, étant donné que je suis souvent dehors. Je n’écris jamais chez moi, jamais enfermé dans une salle. À part le studio, parce qu’il y a quand même une atmosphère, et parce que j’y vais depuis gamin. Je suis toujours nostalgique en allant chez Ladjoint. Et la nostalgie, c’est un état particulièrement propice à l’inspiration. Sinon, je suis un gars de l’extérieur. Ça m’arrivait même de monter sur la colline d’en face pour prendre un peu de hauteur et retrouver l’inspi.

A : C’est quelque chose que tu mets beaucoup en scène, l’idée que l’écriture c’est une activité solitaire. C’est l’intrigue de « 4 Tours » où tu laisses tes amis partir en boîte pour rester écrire, et le thème de l’incompatibilité entre la musique et les relations amoureuses dans la mixtape.

YL : Je suis très jaloux de ma plume, et concentré quand j’écris. J’essaye de m’ouvrir, mais je n’aime pas trop qu’on vienne s’en mêler. Ma musique c’est… quelque chose. Je manque de mots pour l’expliquer, je peux en faire mon métier bien sûr, mais à la base je vois ça comme une discipline. Aussi noble que la boxe. Ça en devient presque maladif, et peut se répercuter sur mes relations. Qu’elles soient familiales, amicales ou amoureuses – les trois c’est de l’amour ! Donc j’ai l’impression – je dis bien que ce n’est qu’une impression – que d’être passionné à ce point, ça peut freiner mes relations.

« Je suis très jaloux de ma plume, quand j’écris, je n’aime pas trop qu’on vienne s’en mêler »

A : Tu dis d’ailleurs « J’ai la street sur l’épaule et la petite sur les côtes », c’est une image forte, est-ce que tu peux l’expliquer ?

YL : « La street sur l’épaule », je pense que les gens le ressentent, c’est que je suis authentique. Je ne parle que de ce que j’ai vu, vécu, ou de ce qu’on m’a rapporté directement. Mais aussi pour montrer que c’est un poids, que ça me pèse et que je subis cette réalité. « Ma petite sur les côtes », ça veut tout dire : qu’elle est près du cœur, mais aussi qu’elle rend fou un peu. [Rires] Elle est dans son droit ! Et en contradiction avec la « street », d’ailleurs je dis ensuite : « Je suis fidèle mais bon je peux pas quitter mes tours.» Je poursuis avec l’opposition entre l’amour et le quartier. Ce qui m’empêche d’être dans une relation saine, ce n’est pas l’infidélité, mais la loyauté au quartier. J’aime mettre en lumière les paradoxes. On n’est pas tout blanc ou tout noir, on ne va pas que dans une direction. C’est l’idée de la cover aussi. La musique, c’est le même principe qu’aller au psy. C’est clairement une thérapie. Raconter tes problèmes, ce qui te met mal à l’aise, mais aussi tes joies – « Oublie-moi », il est joyeux dans les sonorités, même si le discours l’est moins, « Mon barrio », aussi. C’est une autre image du quartier : c’est le même lieu, mais les petits sont là, tout le monde sourit, YL danse alors que ce n’est pas habituel… C’est raconter des choses contradictoires, tristesses, joies, pensées, inquiétudes. Après on se sent mieux. Quand je sors de la cabine, clairement, je me sens mieux.

A : Confidences porte bien son nom, puisqu’on apprend des choses sur toi, notamment que tu étais plutôt un bon élève…

YL :  J’étais en L, puis j’ai fait une fac d’histoire à Aix, j’aimais bien, mais en histoire, à part prof… Beaucoup de lectures m’ont marqué. Les classiques déjà, Maupassant tout ça, ceux qu’on a dû lire à l’école. Et surtout Alfred de Musset. Lorenzaccio, j’ai kiffé [Lorenzaccio était au programme du Bac L l’année où YL l’a passé, NDLR] ! Ça aussi c’est un autre paradoxe: au niveau comportemental j’étais zéro, mais les profs étaient amoureuses de moi parce qu’elles sentaient que j’étais passionné, sincère. Je lisais tout ce qui me tombait dans les mains.

A : La mythologie grecque, par exemple ? Ton couplet dans « Le Cercle » : « Mon petit frère a foutu en cloque ta petite sœur, je vais le défendre comme le prince Hector », ou « je ne laisserai même pas ton cadavre à ta mère » font référence à la guerre de Troie.

YL : Exactement, eh bien c’est un parallèle. Un parallèle entre nos deux époques. « Mon petit frère a foutu en cloque ta petite sœur » : ça c’est une histoire qui peut arriver dans les quartiers. Et c’est la même scène dans l’Iliade quand le prince Hector s’interpose face aux Grecs parce que son petit frère Pâris a déconné avec Hélène. [Il rit, NDLR] Mais c’est son petit frère, il l’aime, donc il va le défendre ! Et l’autre parallèle, c’est une réalité de la vie plus triste. Qui pour moi existe partout, mais particulièrement à Marseille. Ce sont ces histoires chez nous, où on ne laisse même pas les corps aux mamans… qu’ils soient calcinés ou autre… Comme le roi troyen Priam qui part pleurer aux pieds d’Achille qui a profané le cadavre d’Hector : « rends-moi mon fils, je veux honorer sa mort. » Ce parallèle, c’est pour réveiller les gens, que ça s’arrête. Je pense que c’est plus fort quand on le fait comme ça. Je m’inspire juste des gens qui l’ont fait avant nous. Ça donne plus de sens, plutôt que de dire « ouais c’est mal ce que vous faites », un discours qui ne touche pas, peut-être que par ces images, ça va finir par rentrer, d’abord par là [il montre sa tête] et finira par atteindre le cœur. [il met la main sur son cœur]

A : Il y a aussi la figure du grand banditisme comme référence très présente dans ta musique, des noms comme Farid Berrahma, Ahmed Othman qui est même le nom du douzième titre, qu’on voyait dans les journaux, surtout dans le sud… Mais toujours des bandits du Sud-Est, n’est-ce pas ?

YL : Comme Mesrine à son époque, ou d’autres figures du banditisme, mais je suis très… marseillais. [Rires] C’était pour mettre à l’honneur Marseille. En fait, il fallait un son egotrip, donc je me suis dit, autant le faire sur un Marseillais, et surtout, une figure du grand banditisme qui n’a pas été citée par d’autres ! Là je me sens comme le premier qui a fait un son sur Tony Montana. J’ai inauguré pour les nôtres, mais peut-être que je vais inspirer d’autres personnes et qu’ils vont à leur tour parler de leurs figures du banditisme local. Par contre, plus répandu dans le rap français, il y a la fascination pour la série Gomorra, et particulièrement le personnage de Ciro.

« Les vraies œuvres d’art se reconnaissent quand elles arrivent à traiter des thématiques présentes depuis des millénaires sur cette terre, d’une manière différente à chaque fois »

A : Oui ! Tu es un des seuls à être plus clément avec Ciro, JuL a été traumatisé par ce personnage au point d’en faire une chanson à charge, PNL c’est « plus Savastano »

YL : Ah moi, j’adore Ciro. Et depuis le début. Les autres parlent de son côté traître, mais on est tous différents, on interprète différemment : pour moi Ciro est un personnage passionnant parce que tiraillé, torturé. Un peu Lorenzaccio dans son genre, mais regarde bien, à un moment il peut tuer Patrì – la nièce à Malamore, pour ceux qui connaissent – mais il ne le fait pas ! Il lui dit « tu vas dire à ton patron, Don Pietro, que je ne suis pas comme lui, et que j’en ai marre d’avoir du sang sur les mains. » Ça le touche, clairement. Il tue sa femme, cette scène m’a fait presque pleurer, c’est vrai ; et avec la fille [dont parle JuL sur son morceau « Ciro », torturée et tuée par Ciro di Marzio dans la saison 1, NDLR], c’était trop. Mais je le kiffe, déjà le personnage a un charisme de fou, il se tire de situations de malade, il se sort de la mer, retrouve Conte, finit par récupérer des terrains… Il part d’en bas pour arriver tout en haut. J’assume, je suis plus Ciro que Savastano. Parce que pour moi, on a tous notre partie sombre, tout est nuancé, et j’ai plus tendance à kiffer des personnages paradoxaux, qui font un peu de bien un peu de mal. Dont la conscience est parfois absente, et parfois peut les torturer… En fait, ça renvoie à ce qu’est l’être humain, à des sujets comme le libre-arbitre, à des thèmes limite bibliques, intemporels. Pour moi, c’est là où on reconnaît les vraies œuvres d’art, quand elles arrivent à traiter des thématiques présentes depuis des millénaires sur cette terre, d’une manière différente à chaque fois. Et c’est ce qui est beau chez l’homme : ce regard à chaque fois différent porté sur les mêmes choses.

A : Tu parles de références bibliques, le clip de « Fruit de mon époque », c’est une Cène – au sens dernier repas du Christ – qui est représentée ?

YL : Je considère plus ça comme une référence artistique, au tableau de Léonard de Vinci. Et une volonté de montrer le « fruit de mon époque » au sens propre, avec les fruits sur la table, les jetons de poker et le shit cellophané pour signifier l’époque. J’aime beaucoup ce son, il est olympique au niveau des flows, c’était celui qu’il fallait pour entrer dans l’album. Si j’avais pu l’appeler « Intro », je l’aurais fait ! Mais je suis bien le fruit de mon époque, et puis ça sonnait mieux.

A : Finalement, tu es un peu un pont entre plusieurs raps, entre les époques justement, anciens et modernes, Paris et Marseille…

YL : Dans « Marseille All Stars épisode 3 », je suis entre Kamikaz et le Rat Luciano, qui nous parraine. Pour moi tout est dit ! C’est un brassage de générations magnifique. Ce son est intemporel, je le fais péter encore aujourd’hui, « je suis en feat avec le Rat donc je suis en feat avec le Rap. » Je ne réalise toujours pas, c’est beau ce qu’on a fait ! J’ai une autre phase « dinguerie je rappe avec des rappeurs qui tenaient le micro quand moi je ne pouvais pas tenir le biberon. » Et c’est réel, je suis né en 1996, le Rat Luciano a commencé à tout péter en 1997… Je ne pouvais pas tenir mon biberon ! J’espère pouvoir atteindre un statut de fédérateur comme les rappeurs qui m’ont fait kiffer pendant mon enfance. C’est maintenant que je m’en rends compte : leur côté artistique m’a attiré et leur côté humain m’a réjoui. Fianso, même si on n’a pas le même âge, il a aussi été bercé par ces fédérateurs, et aujourd’hui c’est à son tour de le faire et il le fait. C’est un rêve d’être ensemble. Ça tuerait si on pouvait être tous ensemble ! Dans l’avenir, il y a des gens qui vont aller contre cette idée, d’autres qui vont la défendre. Et j’espère me situer dans le camp de ses défenseurs.

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1 commentaire

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  • SirBobYaard,

    On te lit derrière toutes les questions Manue et l’interview est génialement conduite ! Tu m’as donné envie de l’écouter c’est ce qui compte non ? 
    Bravo tu es trop forte