Hifi
Interview

Hifi

Troisième larron des X.Men, puis soldat à la fois fidèle et solitaire du 45 Scientific, il aura passé le plus clair de son temps à l’ombre de ses comparses. Coup d’oeil serein sur le passé, projets plein les cartons, il est désormais à la tête de son propre label. Entretien avec Hifi, rappeur indépendant, mais bien entouré.

Abcdr du Son : Il me semble que tu travailles sur ton second album depuis pas mal de temps…

Hifi : Disons que j’avais fait un premier jet. La vie faisant, je ne me suis pas occupé que de ça, j’avais plein de choses à faire. Normalement, c’est prévu pour 2012. Le clip de « Babylone System »  arrive bientôt, il va annoncer l’album. Les raisons pour lesquelles ça ne s’est pas fait, franchement, j’estime que le public n’en a rien à foutre. On est rentré dans une ère où tout le monde veut être au courant de tout… Moi, je pense qu’il faut revenir aux fondamentaux, à savoir la musique. Je ne vais pas m’amuser à faire un truc, le terminer et ne pas le sortir. Je suis un jusqu’au boutiste, je finirai cette carrière comme il se doit.

A : Tu as déjà beaucoup de morceaux de bouclés ?

H : L’album est prêt depuis un moment. Moi, j’estime qu’un bon morceau est intemporel mais, sans vouloir coller à la mode de la musique, on a quand même dépoussiéré un peu quelques morceaux. Quoi qu’il arrive, il faut rester dans l’air du temps, même sans suivre la mode. Au contraire, on essaie de la lancer. Vu le parcours que j’ai eu, et qui est valable pour d’autres collègues de notre époque, on va dire… Puisque les gens disent ça comme ça maintenant : « L’époque Time Bomb… » Comme si on ignorait les groupes dont on parlait… Il n’y a pas beaucoup de noms, ce n’est pas dur de les retenir. Que ce soit les X.Men ou même Oxmo, vu ce qu’on a fait comme preuves dans cette industrie, dans ce business, je pense qu’on peut avoir la liberté d’être « hors-mode ». C’est ça le but : amener un truc original, de la musique. Comme je dis bien souvent aux gens de mon entourage : « Moi, je suis un con, j’aime la musique. »

A : J’ai cru comprendre que ça ne sortirait pas chez 45 Scientific…

H : J’ai monté mon propre label. Les gens de 45 Scientific, qui étaient déjà ceux de Time Bomb, sont des gens avec qui j’ai roulé depuis le début de ma carrière, ce n’est un secret pour personne. Aujourd’hui, c’est le cheminement naturel après avoir fait partie d’un label indépendant où j’ai appris beaucoup de choses. Vu que la structure reposait sur nous-mêmes, j’ai pu voir tous les aspects de la production. Pour mon album, j’avais déjà participé de manière très importante au marketing, à la réalisation… C’est le moment de mettre en pratique cette expérience et, pourquoi pas, essayer ensuite de donner la chance à des gens de mon entourage que j’estime être des artistes de qualité.

A : Tu as assuré la plupart des productions sur ton premier album. Ce sera aussi le cas pour celui-ci ?

H : Non, là, on va essayer d’amener une plus grande diversité. J’ai rencontré pas mal de beatmakers, des gens avec qui je travaille, qui sont plus ou moins dans l’entourage, l’équipe. On essaie de ramener des talents. Le but, ce n’est pas de tout ramener à moi mais de faire la musique de qualité. C’est tout ce qui m’intéresse. Il y aura des prods de moi, bien sûr, puisque j’ai toujours été à la prod depuis ma première : « J’Attaque du Mike ». Il y aura un collègue à moi qui s’appelle N-Drin, un beatmaker libanais de Suisse, qui fait aussi des prods pour des Américains. C’est vraiment un bête de compositeur, très professionnel. Il y aura aussi Buddy Sativa. Pareil, de grosses capacités musicales… Et d’autres noms qu’on connait moins…

A : Il n’y aura pas de gens avec qui tu as déjà collaboré sur ton premier album, par exemple ?

H : Si tu veux parler de Geraldo et Fred Dudouet, qui sont les deux autres producteurs sur mon premier album – on l’avait fait à trois – , non, ils ne seront pas présents sur cet opus.

« Quand je suis rentré dans le biz, un ancien m’a dit : « Si tu ne mets pas un prix sur ta musique, elle ne vaut rien. »

A : Au niveau des featurings, ce sera une équipe resserrée ?

H : Nasme et Ali sont en feat, c’est la famille. Moi, j’ai une ouverture totale sur le milieu du rap. J’ai commencé à sortir dans les soirées, ce qu’on appelle le milieu hip-hop, quand j’avais 14 ans.  Donc, d’une certaine manière, même si ce n’est pas ma famille de sang, je considère qu’il y a quelque chose qui nous lie. Le milieu du rap, c’est ma famille par prolongation. Moi, tu vas me voir sur pas mal de projets, j’ai posé aussi pas mal de trucs entre-temps sur des projets underground, des albums – celui de Grain de Caf notamment – donc je suis ouvert à tout. Maintenant, comme les gens l’ont déjà compris, cet album est quelque chose de très personnel, même si ça se veut fédérateur et universel ; donc c’est la famille resserrée. Mais que des têtes qu’on connaît parce qu’avant d’être des rappeurs, ce sont surtout des amis. On retrouvera, si tout va bien, Nubi, Dany Dan, Ali, Nasme et peut-être mes collègues des X.Men.

A : Est-ce qu’il y aura un featuring d’un rappeur américain ?

H : Ce n’est pas exclu. On ne sait pas de quoi demain sera fait mais ce n’est pas spécialement un objectif que j’ai.

A : Tu ne te sens peut-être pas d’aller payer un gros cachet ?

H : C’est pas ça. Que ce soit des Américains ou des Français, le but, c’est quand même de toujours essayer de rémunérer les gens. Là, je passe un message à tous les producteurs, tourneurs, organisateurs de concert et, bien sûr, les rappeurs : on est dans une industrie du rap, il faut faire tourner l’argent. Sinon, ça ne veut rien dire. C’est pas étonnant que les maisons de disques aient réussi à mettre la main-mise sur l’industrie pour la simple et bonne raison qu’à la fin, le rappeur se dit que le seul endroit où il y a de l’argent, c’est la maison de disques. Parce que quand je vais voir une petite prod’ qui m’invite sur une mixtape, elle ne veut pas me payer. Quand je vais faire un petit concert, on ne veut pas me payer… L’artiste est le noyau de l’industrie, comment il pourrait ne pas être rémunéré alors que toutes les autres branches de l’industrie vivent sur lui ? C’est une logique que je n’arrive pas à comprendre. Je pense qu’au bout d’un moment, malgré tous les intervenants dans la chaîne, il faut que ce soit le rappeur qui frappe du poing sur la table pour faire respecter sa musique. Moi, quand je suis rentré dans le biz, un ancien m’a dit : « Si tu ne mets pas un prix sur ta musique, elle ne vaut rien. » Et il avait bien raison. Il faut faire respecter sa musique, exiger d’être payé. Et à tous les gens qui pensent que la paperasse, c’est bon pour les cravatés et que, nous, on est dans la rue « yo yo yo on est dans le ghetto« … Non mon pote, fais les choses bien, la paperasse et tout, ça fait partie du biz comme ta balance et ton couteau quand t’es dans la rue. Ce sont nos armes pour le biz, il faut qu’on se les réapproprie. Il faut monter des structures. Si tu n’as pas assez d’argent pour monter un label, monte une asso’, réunis-toi avec tes potes et mettez de l’argent en commun. C’est ça le message que j’ai envie de faire passer aux nouvelles générations pour qu’on soit enfin maître de notre business.

A : L’album sera t-il concentré sur les même thèmes que le premier ?

H : Déjà, il va s’appeler Plus Rien à Perdre, Plus le Temps de Prouver. Certains vont dire : « Ouais, il fait la même… » Si t’es allé voir Rocky I, tu vas voir Rocky II ! On parle tous des mêmes choses finalement. Mais avec un regard différent. Avec dix ans de plus, de l’expérience en plus, des évènements dans la vie qui te font voir les choses autrement. J’ai une espèce de gimmick que je balance souvent : « La rue, le biz, les meufs, le rap, t’y connais rien. Laisse-faire Hif’ car il s’y connaît bien« . Ça résume tout. Le biz, comment tu vas faire ton argent… Les meufs, c’est la moitié de la population mondiale et la personne avec qui tu vas passer la moitié de ton temps. Et la rue, c’est tout ce qui s’y passe. La vraie vie n’est pas à la télé, sur internet, au Sénat… Elle est dans la rue. Moi, ce que j’aime, c’est le contact avec les gens, les travers et les bons côtés des humains dans une grande métropole. C’est tout ça qui inspire le rap, c’est ça le rap. Même s’il peut prendre pied ailleurs, c’est quand même là qu’il est né, dans cette effervescence de la ville.

A : Tu as d’autres projets pour le label, en dehors de ton album ?

H : Ce qui, je l’espère, va un peu tirer cette prod’ et la mettre au grand jour, c’est cet album. Je suis concentré dessus. Maintenant, j’ai beaucoup de choses en tête. Je pense qu’à l’avenir, il faudra compter avec de la production régulière de la part de Kalhiff Music. J’ai des projets de tape, de collaborations de toute sorte.

A : Qu’est-ce que tu retires de votre expérience Time Bomb, qui vous a vite mené au sommet mais a duré finalement très peu de temps ?

H : J’ai envie de te dire que l’appréciation qu’on a là-dessus, on ne peut l’avoir qu’avec le recul. Moi, j’ai une vision complètement dépassionnée de tout ça. Ça peut paraître bizarre pour certaines personnes mais, moi, j’estime que c’est le destin. C’est comme si tu me disais : « Pourquoi t’as quitté l’école primaire ? » Bah parce que tu devais rentrer au collège. Ça fait partie du chemin de la vie. Ça a commencé chez Time Bomb, on a tous appris des choses, il y a eu la continuité chez 45 Scientific. Aujourd’hui, c’est Kallhif Music. Ce n’est que le cheminement logique. Les choses ne sont pas faîtes pour rester figées. Je n’ai pas de regrets, c’était une très bonne époque. Aujourd’hui, je revois tous les acteurs de l’époque, que ce soient les X.Men, que ce soient les gens de Time Bomb, que j’ai eu l’occasion de croiser. Pas de problème, c’est cool.

A : On a souvent parlé d’une embrouille avec les X.Men…

H : Les journaux vivent de la polémique, qu’est-ce tu veux que je te dise… [rires] On va rester en bonne cordialité même si tu vois bien que ce ne sont pas les choses dont j’ai envie de parler le plus. Plutôt que de te servir de la polémique, je te sers du scoop positif et agréable. Je te dis que je revois les collègues des X.Men et qu’on espère qu’on refera de la musique ensemble. Et il y a peut-être quelques petites choses de prévues… On ne lâche pas le terrain tant qu’on aura pas fini ce qu’on a à faire.

A : J’ai cru comprendre que les X.Men allaient sortir un nouvel album. Est-ce que tu en seras ? Ou peux-tu tout simplement nous confirmer l’information ?

H : Je n’ai pas envie de te confirmer alors que les autres ne sont pas présents. Mais en tout cas, il se trouve qu’on se voit avec les X.Men et qu’on aime toujours faire de la musique. Mais avant toute chose, chacun a ses projets solos à finir. Aujourd’hui, je ne peux pas t’en dire plus.

A : Un morceau marquant de ton parcours, présent sur Sad Hill : « Si t’es Cap d’y Aller ». Raconte-nous comment ça s’est fait.

H : A l’époque, vu que j’étais dans un label, les acteurs de celui-ci s’occupaient de nous trouver des plans. C’est Geraldo qui m’a proposé de poser sur cette compil’, où les X.Men avaient déjà posé un truc. IAM, Kheops plus précisément, m’ont fait descendre à Marseille. On est allé dans le studio de Kheops pour enregistrer le morceau qui s’est écrit sur place. Il m’a proposé trois instrus, j’ai pris celle qui convenait le mieux… [sourire]

C’était la bonne époque du rap. On t’appelle à l’autre bout de la France, tu voyages, tu poses un morceau, t’es dans le studio, t’as à fumer et à boire… Voilà, c’étaient de bons moments. Ce sont des choses que les moyens réduits d’aujourd’hui ne permettent plus forcément d’envisager.

Hifi - « Si t’es cap d’y aller »

A : Chez Time Bomb, à partir de quel moment avez-vous senti l’enthousiasme général s’intensifier sur la région parisienne ? Cassidy évoquait l’épisode de la Fnac des Ternes comme étant un moment clé.

H : Je pense que chacun te donnera une version différente. Mais, oui, c’est clair que, là, on ne pouvait pas ne pas voir. Plus de 2 000 personnes qui mettent à sac une Fnac alors qu’on en attendait entre 150 et 300. J’ai essayé tant bien que mal quand j’étais sur la scène de prendre le micro et de calmer les gens avec Ali mais personne ne nous a écoutés, comme tu as pu le voir aux infos. Jusqu’à maintenant, je préfère ne pas trop y penser en fait. Je pense qu’il est important de prendre de la distance avec ça et de rester simple avec les gens. Même quand ils peuvent avoir des comportements peut-être un peu inattendus parce que tu représentes quelque chose pour eux, il faut prendre ça avec humilité et distance.

A : Tu penses que c’est cet événement qui a fait péricliter Time Bomb ?

H : Non, je pense que ça n’a rien à voir. [sourire]

A : Tu fais de la langue de bois.

H : Non, c’est toi qui aimerais avoir une autre réponse. [sourire] Je ne vois pas spécialement le rapport entre les deux mais il y a peut-être quelque chose qui m’échappe.

A : Peut-être vous êtes-vous rendu compte que les contrats n’étaient pas très avantageux pour vous…

H : Personnellement, je ne vois pas le rapport. Tu sais, sur un contrat, il y a écrit deux noms : la personne qui te propose le contrat et la personne qui la signe. Ça ne regarde vraiment personne d’autre. [rires]

A : Les membres d’IAM aimaient beaucoup ce que vous faisiez à l’époque…

H : J’ai cru comprendre, c’est vrai. [sourire]

A : J’imagine que ça a été un honneur ?

H : Ce sont des artistes comme les autres. Moi, le plus grand honneur que j’aurais de ma vie ou de ma mort, c’est si demain je rencontre le Créateur. En tout cas, c’est cool d’avoir eu cette reconnaissance par des gens qui étaient en place dans le biz. C’est quelque chose qui s’est peut-être un peu perdu aujourd’hui, surtout dans le milieu parigo-parigo. Les gens se croisent ; donc ils ont peut-être du mal à dire à celui qui est en face : « J’aime bien ta musique. » Moi, ça ne me pose pas de problèmes, je n’ai pas ce problème d’égo. C’étaient des Marseillais ; donc peut-être qu’ils avaient plus de facilités à le faire. Ils ne se sont pas cachés d’avoir apprécié notre musique, ça, c’est sûr. Ça nous a fait plaisir, ils nous avaient invités à l’époque pour une de nos premières télé [NDLR : Captain Café sur France 3]. Je revois les images, je vois un jeune boy… Ça fait presque quinze piges ! C’était une bonne confirmation, on va dire.

A : Entre Time Bomb et ton album chez 45 Scientific, tu as rappé quelque temps avec Lesly. Ce n’est pas forcément la période la plus exposée de ta carrière, tu peux nous en dire un peu plus dessus ?

H : Plus qu’une période, on va dire que c’est une rencontre. Je l’ai rencontré dans un concert à l’époque de 45. On a sympathisé parce qu’il arrivait sur Paris depuis mon bled, la Martinique. Il officiait déjà là-bas dans un crew qui s’appelait Negkipakafèlafet. Traduction littérale : « Les négros qui blaguent pas ». Dont fait partie aussi Neg Lyrical, un bon collègue à moi que je dédicace et qui mériterait d’être reconnu à Paris, autant qu’il l’est au pays. Lesly m’a présenté à toute son équipe de rappeurs de Martinique. Et, voilà, j’ai vraiment eu un coup de coeur pour le hip-hop créole. J’aime beaucoup leur énergie, leur manière de voir la musique. Autant je pense que le rap français peut les influencer, ainsi que le rap américain – comme nous tous – autant je pense qu’il serait bon pour le rap français de se laisser influencer par le rap créole parce qu’il a une vraie énergie positive. Donc voilà, vu qu’on bougeait pas mal ensemble, ça a donné lieu à un maxi où il était invité et un maxi qu’on a fait plus ou moins ensemble, dans un esprit un peu plus musical. C’est ça que j’aime chez eux : la musicalité. Lesly a malheureusement arrêté la musique depuis.

A : Rien à Perdre, Rien à Prouver a bien marché en terme de ventes ?

H : Je n’ai pas le chiffre exact. C’est sorti à une époque où le déclin de la vente de CD a frappé de plein fouet l’industrie. On ne s’est pas mal débrouillé par rapport à la période, la conjoncture, pour un premier album d’un artiste solo…

A : Certains ont déploré la qualité du mix. L’effet un peu étouffé était-il voulu ?

H : On va dire que ce qui est fait est fait. Ce sont des expériences, tu apprends aussi par tes erreurs. Mais je suis un peu d’accord avec toi, le mix n’était pas terrible. Peut-être que quand le nouvel album sortira, j’essaierai de faire une version remastérisée. J’ai eu une petite déception là-dessus, je t’avoue. Mais c’est pas grave, je ne suis pas quelqu’un qui éprouve du regret ou du remords, on vit dans le présent ; ce qui m’intéresse, c’est la musique d’aujourd’hui. Sans bien sûr cracher sur tout ce que j’ai fait. Chaque morceau, pour moi, c’est comme un enfant. Ce sont mes enfants, ils sont là, ils grandissent comme ils grandissent et, à la fin, ça te rapporte ce que tu mérites.

A : Un autre morceau marquant de ta carrière et qui était justement sur cet album : « Drame Quotidien ».

H : « Drame Quotidien », j’apprécie beaucoup ce morceau et je sais qu’il plaît aussi à pas mal de gens. On va dire que ce sont des périodes de vie et, quand tu es au fond du gouffre, je pense que – je reprends leurs mots – ça a donné de la force à certaines personnes. Le rap, c’est la continuité de toutes les musiques noires qu’on a connues. Et le propre de ces musiques-là, c’est ce qu’on appelle communément le blues. Et le blues, c’est un peu ça, tu fais du bien avec du malheur. Moi, c’est ça que j’aime dans le rap, le côté blues. Avec mes galères, les gens se sentent peut-être moins seuls, vu que tu partages quelque chose avec eux. Aujourd’hui, mon intention est surtout de donner de la force aux gens plutôt que juste partager du malheur ou de la frustration. Maintenant, malheureusement, souvent, la vie est triste. Sans leur jeter la pierre, bien au contraire, je pense que certains savent mieux faire que moi des choses joyeuses. Chacun son job.

Hifi - « Drame quotidien »

A : L’album est sorti en 2003. On était dans une période où le rap français était très marqué « street ». Est-ce que ça t’a influencé dans sa conception ?

H : Tout ce que je vis, tout ce j’écoute m’influence. Je t’épargne les conditions dans lesquelles j’ai enregistré l’album mais c’était une période assez difficile, avec le recul. Ce n’est que de la musique, ça sort de ta tête… Donc si ta tête est dans un bain, forcément, ta musique ressemble au bain où se trouve ta tête. J’aime beaucoup cet album, je l’écoute volontiers de temps en temps. Si le côté hardcore m’a influencé ? Écoute, souvent, on nous dit que c’est nous qui avons influencé pas mal de monde. Il faut savoir dans quel sens on prend ça. Si un thème est dur, j’ai envie de dire qu’il faut en parler durement… Et encore pas forcément parce qu’on peut aborder des thèmes qui ont l’air cool durement… Et inversement. Moi, j’apprécie beaucoup des groupes comme M.O.P qui sont les plus gros gun talk de l’industrie et, pourtant, ils ne sont pas sombres. Ils te donnent que de la ce-for. Ils ambiancent les gangsters même.

A : Parle-nous de tes influences, justement.

H : Beaucoup d’influences communes à tout le monde. Je ne te dis pas que je vais chercher des références que personne ne connaît… Les gens très influents, forcément, touchent le plus de monde possible, et j’en fais partie. Moi, je suis vraiment un hip-hop fan. Donc j’écoute toute sorte de rap. Du rap le plus conscious au rap le plus dur. Pour peu que le mec ait des choses à dire et que l’orientation de son âme soit positive, ça m’intéresse. Je ne suis pas dans le concept « le rap, c’était mieux avant, c’était mieux après, c’était mieux aujourd’hui… » J’aime le rap, voilà. Aujourd’hui, même si la mouvance Dirty South, que beaucoup fustigent, est très orientée sur l’argent, le matériel… J’ai envie de dire : à l’image de la société où l’on vit. Il y a plein de choses positives là-dedans aussi. Quand le gars donne la force, j’aime bien.

A : Je sais que les X.Men étaient très influencés par le Boot Camp Click. C’était ton cas aussi ?

H : On a saigné le Boot Camp Click. Récemment, Smif-n-Wessun sont passés en concert à La Bellevilloise, j’étais là-bas avec Ill, on a kiffé. Donc bien sûr, j’ai été influencé par le Boot Camp Click, le Wu-Tang, Nas… Par un tas de groupes de Los Angeles aussi : MC Eight, Snoop dans les débuts, Dogg Pound pour leur énergie… En rap français, à l’époque, on a tous été très impressionné par La Cliqua, les 2 Bal, Fonky Family et autres… Ce sont des gens avec qui on a échangé des vibrations, des visions de musique, vraiment. Je trouve qu’aujourd’hui, on parle beaucoup du rap en termes de « cité », « social », « revendications politiques » alors que, moi, j’ai vraiment vécu le rap comme un échange musical. Ça me faisait plaisir de voir ce qu’il y avait dans la tête d’un négro en face de moi. Comment, lui, il exprimait sa vie, son truc, la poésie qu’il mettait dedans… On s’est tous échangé ça, j’imagine. Et chacun en a tiré sa personnalité.

A : C’est peut-être aussi le problème de certains rappeurs qui croient que le rap ne doit servir qu’à exprimer des revendications sociales ou autres…

H : Moi, en tout cas, ma vision des choses, c’est que c’est avant tout de la musique. La revendication seule ne peut pas traverser le temps. Il n’y a que la musique qui traverse le temps. Il n’y a que la musique qui est éternelle.

A : On a pu t’entendre à l’occasion du Planète Rap d’Ali faire un freestyle avec Lino et donc Ali. Tu leur as mis une petite gifle…

H : [rires] Non, encore une fois, on a eu un échange de rappeurs. Après, si toi, tu as apprécié le freestyle, moi, j’ai apprécié le leur aussi. Chacun vient représenter dans son style, c’est ça qui est bon avec le rap. Moi, pour faire du Hif’, je suis le meilleur, voilà [rires]. Maintenant, Lino, si je l’ai oublié tout à l’heure dans les groupes qui ont eu une vraie résonance dans notre cheminement, je vais rajouter Ärsenik. Leur côté aiguisé, ghetto style, avec de vraies métaphores… Lino, Calbo, au top.

A : C’est quelqu’un avec qui tu aimerais travailler, Lino ?

H : Ouais, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Je ne sais pas ce qu’il projette, ce n’est pas quelqu’un que je vois mais quand on se croise, ça fait toujours plaisir.

A : On va revenir à ton futur album. Tu as une date ?

H : Quand tu fais les choses… Je ne vais pas dire tout seul  puisque je ne suis pas tout seul… D’ailleurs, je passe une dédicace à mes collègues avec qui j’avance sur cet album, ils se reconnaîtront. Je ne peux pas te donner de dates car c’est très aléatoire. Mais c’est sans aucun doute, avec l’aide de Dieu, en 2012. L’album est là. Le reste, c’est du technique et de l’administratif. Rien à Perdre, Rien à Prouver date de 2003. Donc il y en a peut-être pas mal qui ne me connaissent plus. Mes respects à L’Abcdr du Son qui, comme vous le voyez à l’heure actuelle, fait perdurer un peu l’histoire. Mais, malheureusement, ce n’est pas le cas de beaucoup de médias qui, je pense, ont voulu zappé une page de cette histoire. Ceux qui sont quelque peu politisés comprendront exactement pourquoi. Parce que, bien sûr, là, ça n’a plus rien à voir avec la musique. L’État s’en bat les couilles de quelle couleur sont tes chaussures ou de ce que tu vas manger… Par contre, ce que tu écoutes comme musique, ce que tu lis comme bouquins, ce que tu vas voir au cinéma, ça les intéresse parce que ce sont des médias très influents, qu’il faut à tout prix contrôler. Il n’y a pas de hasard. Souvent, les gens viennent nous voir comme si on était responsable de quoi que ce soit en nous évoquant la déception due au fait qu’on ne soit pas allé plus haut dans l’industrie… Moi, je leur réponds ça : ce n’est pas à nous qu’il faut poser la question mais à ceux qui ont fermé des portes, censuré…

A : Tu crois qu’on vous a mis des bâtons dans les roues ?

H : Je ne le crois pas. Je le sais. Il n’y a pas d’exemples à donner parce que j’estime qu’il y a certaines choses à faire comprendre aux gens pour qu’ils se rendent compte de ce que c’est mais, après, on n’est pas du genre à laver le linge sale sur la place publique. Si tu veux écouter mon avis sur ce genre de questions, il n’y a qu’à écouter ma musique et, en général, je t’en lâcherai un ou deux mots. C’est l’avantage de la musique : en quelques rimes, tu peux faire comprendre beaucoup de choses, que des longs discours n’expliqueront jamais. Je maintiens qu’il y a une volonté de l’industrie, qui n’est finalement chapeautée que par quelques têtes, de mettre à l’écart les anciens acteurs de cette époque, pour peu qu’ils aient choisi d’exprimer jusqu’au bout leur vision des choses.

A : A ce propos, je ne sais pas si tu l’as lu mais il y a récemment eu une interview de Thibaut de Longeville sur L’Abcdr du Son…

H : J’ai vu ça ce matin. Thibaut de Longeville est quelqu’un que j’ai eu l’occasion de croiser plusieurs fois dans ma carrière. Il a donné sa vision du truc en tout cas. Ça rejoint un peu ce que je t’ai dit, sur certains points.

A : Il parlait notamment de choix douteux concernant les sons à mettre en avant sur la compilation Hostile Hip-Hop… « Tout Saigne » au détriment de « Pendez-Les » par exemple…

H : Voilà, ce sont des choix… Personnellement, qu’on soit bien d’accord, je n’ai vraiment aucune animosité, aucun ennemi parmi les rappeurs qui, comme je te l’ai dit, sont pour la plupart des gens avec qui on s’est vu grandir à distance parce qu’on squattait les mêmes endroits. Ce sont de petits esprits qui vont te dire : « Lui, il a eu ci, moi, j’ai pas eu ça… » Premièrement, je n’ai aucun regret là-dessus. Deuxièmement, une partie de ce trajet vient de moi, de mes choix. On n’est pas juste balloté par le vent de l’industrie. Si, moi, j’ai refusé telle ou telle chose, c’était pour des raisons bien précises. Parfois, on m’a proposé certains plans que je ne considérais pas comme étant dans la ligne de conduite de ma carrière et que j’ai donc choisi de ne pas faire. Je ne vais pas que tirer sur l’industrie. Dans ma conception, il y a des choses qui tiennent du cheminement industriel et qui ne me correspondent pas. Comme un artisan menuisier ne voudrait pas vendre ses meubles à Ikea. Si à l’époque, « Tout Saigne » a bien marché pour La Clinique, des frères que je connais d’ailleurs, bien a eux.

A : Tu n’as pas de griefs contre les rappeurs.

H : Bien sûr que non. Maintenant, dans l’ensemble de l’industrie, sans prendre de cas particuliers, je pense qu’il y a des choix politiques faits sur les gens qu’on pousse plus ou moins en avant. Ce serait complètement bête de la part du public de croire que les artistes présents dans les bacs de la Fnac y sont principalement grâce à leur talent. Si, moi, je produis une merde et que j’ai de l’argent pour arroser la radio en terme d’annonceur et compagnie, t’entendras mon morceau toute la journée. Point barre.

A : Crois-tu qu’on peut établir un parallèle avec ce qui tu disais tout à l’heure, dans le sens où, en France, il n’existe pas de liens solides avec la musique noire ?

H : Moi, je suis un noir et j’ai une influence de la musique noire dans ma culture et dans ma famille. En France, malheureusement, que ce soit dans la musique noire – même si, aujourd’hui, tout le monde peut faire du rap, c’est pas un problème – ou même dans la musique franco-française, tu retrouves le même phénomène : la musique ne tient pas une importance capitale dans la vie des gens. Nous, on est des aficionados ; donc ça occupe une bonne partie de notre vie et ça nous influence. Voilà d’ailleurs pourquoi le choix politique de sélectionner la musique que « les jeunes des quartiers » vont écouter est pertinent pour eux. Parce qu’ils savent que, chez nous, la musique a beaucoup d’importance. On ne la met pas juste en toile de fond pendant qu’on va prendre notre douche. L’importance qu’elle a dans le milieu hip-hop vient de la culture des gens qui ont à la base diffusé cette musique dans le hip-hop. Que ce soit des noirs ou des arabes. Ça n’a pas été un hasard que ces populations-là aient eu un affect avec la musique noire américaine, tout simplement parce qu’ils étaient noirs. C’est l’évidence même. Pourquoi il y a Eddy Murphy et Wesley Snipes ? Parce qu’il fallait, à un moment, dans la conquête des marchés de l’industrie, conquérir un public qui avait accédé à un certain niveau de vie, qui était enfin solvable, sorti de la ségrégation etc. Et il fallait les exploiter avec une industrie. Donc on a mis en place des role model, comme on dit aux États-Unis, qui influencent les gens dans une direction. D’où que vienne l’influence, il se trouve qu’on a été frappé par la culture hip-hop. Donc je ne vais pas nier le fait que la culture américaine nous a influencé. Et je pense que c’est une bonne chose parce que, malgré l’instrumentalisation, elle a quand même pu donner des lettres de noblesse ou une fierté à des gens qui en avaient besoin à ce moment-là. Histoire de se consolider une nouvelle identité dans les pays occidentaux.

A : On a l’impression qu’en France, il n’y a pas cette culture de l’entertainment et que le rap aurait finalement pu être beaucoup plus que ce qu’il est aujourd’hui.

H : Ça, j’ai envie de dire : pose la question à Pascal Nègre, De Buretel et Chulvalnij. C’est à eux qu’il faut poser la question. Pourquoi on ne veut pas promotionner un entertainment où les gens se reconnaissent vraiment ? On oblige même certains rappeurs à détourner leur musique de leur intention d’origine pour créer une espèce de nouvelle identité dans laquelle peu de gens se reconnaissent, finalement. Parce que force est de constater que le discours est toujours récurrent…  Il y a un tas de choses sur le marché et personne n’en est content. Je ne comprends pas, il me semblait que le but de l’industrie était de développer des choses et de les mettre sur le marché. Après, facile de jeter la pierre aux rappeurs en disant qu’ils n’assurent pas. Il y a plein de gens qui assurent, on les connaît tous. Et même ceux qui assurent sont finalement, malheureusement pour eux, souvent pervertis ou cèdent à la pression d’une industrie qui leur dit qu’il faut faire ce qui vend. Parce qu’aujourd’hui, on vend de la musique comme on vend des yaourts alors que la musique, ce n’est pas des yaourts. La musique, ce n’est pas quelque chose qui se plie à l’offre et la demande comme un autre produit. Parce qu’en vrai, le public n’y connaît rien en musique. Ce sont les artistes qui ont à proposer quelque chose et c’est à l’industrie de l’amener au public pour qu’il puisse l’apprécier en tant que tel. Malheureusement, la musique surfe aujourd’hui sur un autre biais de la consommation humaine, à savoir la répétition intempestive qui fait qu’à la fin tu prends ce qu’on te donne. Ça va bien au-delà du rap et de toutes considérations de communautés.

C’est un vrai problème en France qui ne se pose pas dans les mêmes termes aux États-Unis. Même s’ils ont d’autres problèmes, il y a un tas de gens, de labels, de fondations, de mécènes etc, prêts à investir dans la musique pour la musique. En France, on investit dans la musique uniquement pour la rentabilité. Aucune maison de disques n’en a rien à faire que, dans son catalogue, elle ait quelque chose qui vienne faire valoir le côté culturel de la musique. Tout le monde s’en bat les reins. Tout ce qu’on veut, c’est gagner de l’argent. Et vu qu’en plus c’est un milieu qu’ils connaissent mal, ils s’y prennent mal la plupart du temps ; donc ils ne gagnent pas d’argent. Ils pervertissent un artiste, ils le dénaturent, ils ne gagnent pas d’argent, ils jettent l’artiste à la poubelle. Le plus triste dans cette histoire, c’est le rabaissement général de la culture.

A : Tu ne penses pas que certains rappeurs ont leur part de responsabilité, dans le sens où ils ont pesé à une époque mais n’ont pas su développer de structures viables ?

H : Je vais être de la plus mauvaise foi possible : ce n’est pas de leur faute. Même s’ils avaient une part de responsabilité, je refuserais de la reconnaître parce que ce ne serait que l’effet de la responsabilité d’autres personnes qui sont au-dessus.

A : Tu as quelque chose à ajouter ?

H : Grosse dédicace à l’ensemble des acteurs du hip-hop parce que j’ai vraiment beaucoup d’amour pour cette musique, pour ce que ça représente, pour la force que ça peut et que ça pourrait avoir, pour peu qu’il y ait un peu plus de saine unité. Je ne suis pas tellement d’accord avec l’esprit de provocation ou de clash que j’ai pu voir… Je pense qu’on a beaucoup mieux à faire, même pour attirer l’œil sur nous. Revenir avec de l’unité et un groupe, ça ramène bien plus de buzz et de bonnes choses que de se tirer dans les pattes. Je citerai par exemple le retour d’Express D. Moi, tous les rappeurs que je connais sont loin d’être des menteurs ou des affabulateurs. Quand on regarde nos vies, on voit qu’il y a souvent beaucoup de malheurs, donc je pense que c’est inutile de s’en rajouter dans la musique. Et la musique, quoi qu’il arrive, reste de la musique. Et j’ai envie de dire, pour finir, qu’à part L’Abcdr du Son, parce que nous sommes ici entre gens bien, les journalistes feraient mieux de se focaliser sur de vraies choses, d’essayer de tirer les artistes vers le haut et d’en donner aussi une image positive. Et ce serait bien mieux.

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1 commentaire

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  • Perkins,

    Jamais reconnu à la hauteur de son talent… HiFi un rappeur trop sous estimé