Guilty, chef d’orchestre du Katrina Squad
Interview

Guilty, chef d’orchestre du Katrina Squad

Dans la création musicale comme dans le choix de ses collaborateurs et interlocuteurs, Guilty fait preuve depuis une décennie d’une exigence forte, avec la rigueur pour maître-mot. Aujourd’hui à la tête du label Katrina Music, il revient sur son parcours, ses inspirations et sa conception du rap.

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Abcdrduson : Te souviens-tu de la première fois que tu as joué de la musique ? 

Guilty : La première fois que j’ai composé, ça remonte à dix ans. J’ai rencontré des gars qui faisaient ça, et je leur ai demandé de m’apprendre, tout simplement. Avant ça, j’avais des vinyles de collection, j’allais à Leitmotiv [premier disquaire spécialisé hip hop de Toulouse, ouvert de la fin des années 90 jusqu’en 2010, NDLR], je m’intéressais à la musique, mais disons que je n’avais pas le temps d’en faire. Donc après, quand j’ai eu l’occasion de tomber sur quelqu’un qui m’a fait écouter ce qu’il composait, je suis allé avec lui, et sur son ordinateur et son petit clavier MIDI on a composé un truc. J’avais vingt-quatre piges.

A : La première fois que tu places une production pour un rappeur, de qui s’agit-il ? 

G : Demi Portion ! C’est lui qui est venu me chercher la prod, sur Myspace. On se parlait sur internet, il a trouvé la prod et m’a envoyé un message comme « je suis avec Sprinter, on a kiffé la prod, on aimerait bien que tu nous l’envoie. » C’était à peu près trois mois après ma première compo. J’avais déjà écouté Demi Portion, que Philippe de Leitmotiv m’avait fait découvrir, quand Les Grandes Gueules venaient de sortir leur premier son sur galette. Je m’en rappelle la galette était blanche avec le gros tampon vert des Grandes Gueules dessus. Philippe m’avait dit d’écouter, moi j’étais plus rap américain mais au final j’ai kiffé, et quand Demi Portion est venu vers moi ça m’a fait plaisir. Mais je n’étais pas encore dans ça, j’en avais un peu rien à foutre. Mais bref le premier rappeur avec qui j’ai été en relation c’est Rachid, et peu de temps après je suis allé les voir à Sète.

A : Et à partir de cette première expérience, tu te mets en tête de continuer la production, ou bien c’était juste un one-shot ?

G : Je faisais juste de la musique moi. J’étais chef d’entreprise, je m’en battais les couilles, je n’avais pas besoin de ça pour vivre. J’aimais la musique depuis jeune, ça me faisait plaisir de faire des compositions chez moi.

A : C’était finalement plus les rappeurs qui venaient vers toi que l’inverse ?

G : Totalement, je n’étais pas dans cette démarche, j’avais plus l’impression de ne pas avoir le niveau qu’autre chose, comme toute personne qui commence. On m’avait dit « ouvre un Myspace, tu parleras avec les Américains comme ça » et Myspace c’était vraiment pour ça. J’avais des gars qui me disaient « ouais j’ai parlé avec lui, j’ai parlé avec celui-là ! » ; c’était le début de Myspace est c’était un truc où les Américains te parlaient. J’avais fait partir une prod pour un groupe du Bronx, je ne me souviens plus le nom… Ils avaient posé mais ce n’était pas sorti.

A : Tu disais que tu étais plutôt dans le rap américain. Adolescent, quel rapport entretenais-tu à la musique ?

G : J’ai écouté beaucoup de rap français toute ma jeunesse. C’est le rap français qui m’a fait rentrer dans le rap, quelque part. C’est ça et Nas, disons. Nas, Biggie, Tupac, et beaucoup de rap français. C’est après qu’il y a eu une époque où ça m’a gonflé d’écouter le rap français. Je me disais que ça me faisait accumuler de la haine. J’étais un peu nerveux et c’est vrai qu’en écoutant du rap américain, tu es un peu moins sur les paroles vu que tu ne comprends pas tout, tu es plus sur le groove et ces choses-là. Automatiquement, je me suis limité à ça, puis je préférais quand même les sonorités américaines. Il y avait plus de travail, et je pense que pour tout le monde de toute façon, il y a toujours une part de toi qui préfère les sonorités américaines. Le truc qui m’a fait kiffer à mort le rap américain, je pense que c’est ce délire de DVDs qui arrivait à ce moment-là, où tu pouvais voir ce qui se passait un peu là-bas. Je m’intéressais beaucoup à tous ces trucs, du Up In Smoke Tour à des trucs beaucoup plus underground. Après tu as la période Dipset qui est forte, on s’est tués à Dipset, des mecs qui étaient dans leur temps, et c’est pour ça qu’ils ont tout baisé. À tous les niveaux, ils étaient là avec leur temps, que ce soit la sape, la sonorité, la communication, tout. Des mixtapes, ils en sortaient combien ? Je connaissais des renois qui partaient à New York et me ramenaient des mixtapes qu’ils achetaient dans la rue à deux, trois balles. Tu donnes quatre dollars aux portes de Harlem, ils te filent une mixtape des Diplomats. La folie. Après j’avais un très bon ami qui était installé à Manhattan à cette époque-là, j’étais pas mal connecté avec lui, il m’envoyait ce qu’il y avait là-bas. Et c’est en plaçant des prods que je suis revenu au rap français. C’est pour ça que j’étais bien avec des Demi Portion et des Furax au début, parce que je faisais juste ça pour faire du bien et je trouvais que c’étaient des très bons rappeurs.

A : Sur Instagram, tu avais posté la jaquette de Quelques gouttes suffisent, agrémentée d’une légende « mon classique ». C’est ton disque de chevet, si on parle rap français ?

G : C’est mon classique. Choquant. Regarde ce que j’ai aux pieds [Il nous montre sa paire de Reebok Classic]. Pour moi, Quelques gouttes suffisent c’est l’album qui arrive à tout rassembler. Il y a un côté rap accessible à tout le monde, sans que ce soit vraiment fait exprès, en conservant une éthique. C’est autant pour le grand public que pour le public underground, et celui qui me dit qu’il n’a pas écouté Quelques gouttes suffisent c’est qu’il n’entend rien au rap. C’est un mec de Lille qui me le fait découvrir, un gros lascar en train de fumer dans un parc en écoutant cet album, sorti depuis quelques jours. Je suis tombé sur lui, je lui demande ce qu’il écoute, il me répond que c’est Ärsenik. Je suis resté à côté de lui j’ai fait dix joints, j’étais choqué. Ce n’est pas compliqué, cet album-là m’a choqué à tous les niveaux. Rien que ce petit « Tch-tch », toutes ces choses… Marcher tout en Lacoste, avec des Reebok Classic… On était comme ça aussi, nous. Après quand je fais un morceau avec K.ommando Toxik, T-Killa vient ici et me dit « t’as que des Reebok toi ! » je lui dis « Ouais, parce que ton frère il m’a tué. » Je pense que Lino, à ce moment précis, sur cet album, il m’a choqué. Peut-être que mon grand souhait de compositeur, c’est que Lino pose sur une de mes prods. Mais je ne sais pas, après j’ai peur d’être déçu aussi.

A : Comment t’es-tu développé sur Toulouse, au niveau du réseau, des connexions ? Tu évoquais le magasin Leitmotiv en début d’entretien, peux-tu nous parler de ton ancrage local ?

G : Franchement, Leitmotiv n’a rien à voir avec tout le reste. C’est un monde à part du rap toulousain, et il fallait avoir envie d’y aller, ce qui n’était pas le cas de tout le monde. Ils étaient très à part. Moi, mon développement à Toulouse s’est fait sans que je le veuille, en passant par le groupe phare des quartiers toulousains à ce moment, qui était Sarrazin. Tu travailles avec eux sur Toulouse, automatiquement la quasi-totalité des artistes te voient. Ensuite tu enchaines avec JM Brolik qui est lui aussi une tête assez affichée sur Toulouse à ce moment-là, du coup d’autres viennent vers toi. Puis tu fais trois concerts, tu tombes sur des gens, tu fais une radio, tu tombes sur d’autres gens, tu fais des rencontres normalement. C’est le même phénomène que dans toutes les villes je pense.

A : Parmi tous les rappeurs toulousains, tu affectionnes particulièrement Furax semble-t-il.

G : C’est l’un des meilleurs rappeurs pour moi, on a beaucoup collaboré. C’est un ami, quelqu’un que j’aime beaucoup, et qui n’a jamais eu l’exposition qu’il aurait dû avoir. Je rencontre SCH, il est fan de Furax. Je rencontre YL, il est fan de Furax. C’est un mec qui a une telle écriture… Il faut s’intéresser à l’écriture pour comprendre, et qui mieux qu’un rappeur s’intéresse à l’écriture, à la base ? C’est pour ça que tu te retrouves à le regarder. J’ai remarqué que certaines personnes prenaient la formule de Furax et la façonnaient à deux, trois mots près. T’es obligé de regarder au moins un coup, c’est tellement une bête.

A : Pour rester sur les rappeurs toulousains, tu as aussi bossé avec Billy Bats qui lui est dans un autre registre, un peu américain.

G : Beaucoup, même ! Il fait partie de ces mecs que je qualifierais de petits prodiges, qui sont arrivés avec une couleur, pour qui ça passe ou ça casse. Un mec comme Joke c’est son enfant, et tout le monde le sait. On faisait les concerts de Billy, il venait en première partie, c’est plus tard qu’il a pété. Lui et son frère Dadoo, ce sont des gens qui connaissent extrêmement le rap. Une journée où tu te fais chier, tu appelles Billy, s’il se fait chier aussi, tu fais un morceau dans la demi-heure. En quinze jours on fait quinze titres, c’est quelqu’un qui n’écrit pas, donc à partir de là ça va vite. Ça fait dix ans qu’il n’a pas pris une feuille. Après il n’a jamais eu le succès qu’il « mérite », mais c’est pareil, avec des mots à l’américaine quand tu fais du rap français, que tu as des formules différentes de tout le monde, c’est compliqué. Mais c’est quelqu’un de très talentueux et de très affirmé, depuis bien longtemps. Des gens comme Don Choa ou Soprano ont fait des sons avec lui et l’ont montré, parce que quand tu es rappeur tu es forcé de constater, à une certaine époque, que Billy découpe.

A : Côté producteurs, tu ne caches pas ton respect pour DJ Djel. C’est quelqu’un d’important pour toi ?

G : DJ Djel c’est mon frangin, c’est quelqu’un que j’apprécie. Déjà il fait partie d’un groupe incontournable quand tu es sudiste. Je n’ai pas la chance de connaître tout le monde dans cette équipe, mais je connais quand-même plus de la moitié de la Fonky Family, et ce sont des gens que j’apprécie, humainement comme artistiquement. DJ Djel est une grande figure, que dire de plus ? Mais localement, s’il y a un beatmaker dont il faut citer le nom, c’est Toxine, à qui j’ai envie de donner encore une fois toute mon admiration et toute mon amitié. C’est le beatmaker de Furax, un grand monsieur et beaucoup de gens ont oublié de parler de cet homme, de sa façon de découper les samples, de sa façon d’avoir amené tout l’univers de Furax. Il a placé sur des disques d’or avec LIM sans que personne n’en parle. Un grand monsieur, ce n’est pas la moitié de Furax, c’est le X de Furax ! Il ne prend pas la moitié, mais il prend la grosse lettre du fond ! [Rires]

« Furax est l’un des meilleurs rappeurs pour moi, c’est quelqu’un qui n’a jamais eu l’exposition qu’il aurait dû avoir. »

A : Nous évoquions la FF, et au-delà de ce groupe, tu as beaucoup de connexions avec Marseille, que ce soit Kalash l’Afro, Veazy, Numbers, et d’autres encore. Comment est-ce que ça se fait ? 

G : En premier, il y a Stone Black de Carré Rouge. On a bossé de bons morceaux ensemble, même si c’était sur la fin de sa carrière, en tous cas c’est un grand MC aussi, un grand écrivain, un grand monsieur, je peux le dire. Mais oui, j’aime beaucoup Marseille, puis on sait très bien qu’un Toulousain aime Marseille. On ne dira pas qu’un Marseillais aime Toulouse, mais l’inverse est vrai. La plupart du temps quand tu viens du sud tu aimes Marseille, que ce soit en raison du foot ou de la musique, tu as de l’amour pour cette ville.

A : Tu t’es installé là-bas pendant un temps ? D’ailleurs généralement tu travailles à distance avec les rappeurs ou en studio, ensemble ?

G : J’ai beaucoup bougé. Je travaille des deux façons. En premier, ce que j’aime, c’est le rapport humain, c’est ce qui va me permettre de travailler. Envoyer des beats pour envoyer des beats, ça ne m’intéresse pas. C’est très rare, il faut vraiment que je sois en kiffe sur ce que fait la personne, sur son travail, pour tenter le coup. Je ne l’ai pas fait souvent.

A : Lorsque tu collabores avec un artiste, tu procèdes de quelle façon ? Tu réponds à une demande, tu proposes de toi-même des beats ?

G : Katrina Squad a tout le temps une palette de prods, on travaille nos sons à nous, selon notre inspiration, dans notre couleur. On n’a jamais voulu faire des tubes de l’été ou des trucs qui vont faire danser, on travaille selon notre inspi. Après bien sûr, la rencontre entre deux artistes va parfois t’amener une inspiration différente, et on est ouverts à toute forme de travail. C’est-à-dire qu’on peut présenter la palette que l’on a déjà, comme écouter les idées de l’artiste. Par exemple YL, qui nous a montré beaucoup d’amour pour notre travail, tu te rends compte qu’en ayant une idée sur sa musique, il a aussi une idée sur nous et sur ce que l’on peut lui amener. Et ça, c’est très agréable.

A : C’est aussi dû à votre identité forte.

G : Exactement, c’est dû à notre identité, à notre façon de composer. Lui du coup a sa façon de voir les choses, et veut mélanger les deux. C’est ça qui est très intéressant en fait, et c’est là où j’ai quasiment le plus de respect pour les artistes. Quand quelqu’un vient nous chercher pour quelque chose de très précis. Ça me montre qu’il connaît mon monde, et qu’il l’aime.

A : Par rapport à Katrina, il n’est pas forcément simple de s’y retrouver, est-ce seulement un pôle de beatmakers ou est-ce un label ?

G : Alors, il y a Katrina Music qui contient tout le monde : les rappeurs Kino et Fello, le groupe de compositeurs Katrina Squad, Arnaud notre ingé son, et Renaud pour la communication notamment. Il y a donc Katrina Music et Katrina Squad, qui sont deux choses. Katrina Squad, on est quatre, il y a DJ Ritmin, Ace Looky, Farid, et moi-même.

A : Donc Mr Punisher n’appartient pas à l’équipe ? Il y a un flou, beaucoup l’assimilent à Katrina.

G : En fait, Punisher c’est quelqu’un qui ne peut pas venir dans l’équipe. Parce que c’est Monsieur Punisher, il a son développement, des petits derrière lui et une team aussi. Sinon, il vient de suite. Il y a une assimilation qui est floue, c’est-à-dire que des fois on peut travailler ensemble et d’autres fois chacun de son côté, sans se calculer. C’est juste qu’on aime chacun notre couleur, on s’apprécie en trant que personnes, on a du respect pour notre travail et notre univers. Et on avait le même éditeur à la base, Because.

A : Katrina Squad a une identité sonore, vos productions sont reconnaissables. Comment se fait-il que vous vous soyez rejoints à un moment, tous les quatre, pour construire cette identité ?

G : On s’est choisis, tout simplement. Je pense que c’est comme ça que la musique se fait, avec une couleur, une idée. Ça se construit sur des choses comme ça. Puis je n’ai jamais fait un appel à la recherche de beatmakers, je n’en cherche pas. Les deux avec qui je bosse le plus sont Ace Looky et DJ Ritmin, on est tous les trois de Toulouse, je bossais en manutention avec Ace Looky avant de faire de la musique ensemble.

A : Et la formation Katrina Squad telle qu’on la connaît aujourd’hui est définitive, ou de nouveaux beatmakers pourraient s’y greffer ? 

G : Si je m’entends bien avec toi, qu’il y a un feeling musical, que tu as des idées… Si quand tu montes dans le wagon, tu pédales, déjà tu m’intéresseras. Si tu crois que moi je vais tirer le wagon… Là automatiquement, ça ne va pas se passer comme ça. C’est juste ça.

A : Avant Katrina Squad, tu avais déjà une structure, 6clones Music, c’est ça ?

G : Non, pas du tout. Ce n’était pas ma structure, c’était un truc où on a beaucoup bossé avec Colt [rappeur toulousain, NDLR] et d’autres à l’époque. On se mettait tous dedans, avec le cœur. C’était pour montrer que tu avais une petite équipe, tout ça. Après c’est pareil j’ai monté Crapulerie Industry avec Coco Skilatchi, mais voilà, c’était des trucs sans administratif, c’était juste des « je suis, on est » mais il n’y avait pas de vraie structure. Là, avec Katrina Music on est vraiment sur un label en création où tout le monde existe sur les papiers.

A : Un album de Fello devait arriver à l’automne 2016, or il n’a pas encore vu le jour, qu’en est-il de lui et de Kino, des choses se préparent ?

G : Fello a dû mettre la création de musique de côté pendant un petit moment, à cause de problèmes personnels. On a pu jongler un peu avec des sons que l’on avait déjà faits, mais il y a eu un petit moment de latence, dû à sa vie personnelle. Là, ça va mieux, il a un peu plus de motivation, un peu plus envie d’aller faire des morceaux. Mais ça reste du « un jour oui, un jour non. » C’est normal je pense… Il fait partie de ces gens que le rap ne fait pas rêver, il a les pieds sur terre. Avec Kino on est sur sa première mixtape, pour le présenter. Elle sortira avant l’été je pense.

A : Tu collabores aussi étroitement avec CLD, non ?

G : Bien sûr, Claude c’est d’abord un ami, quelqu’un que j’aime beaucoup, et après on a essayé de faire de la musique. Mais lui, c’est pareil il a son rythme… Et moi, le mien. On a récemment sorti « Elle », que je trouve très très bien, qui colle à son monde. Mais lui aussi il est de la gamme des gens comme Fello, il est plus sur la vraie vie. Les deux ont envie, mais sont rattrapés par leur vie. Après ce sont deux personnes différentes, Fello c’est la street. CLD est beaucoup plus ouvert d’esprit, c’est quelqu’un qui va écouter du rap, qui va te faire découvrir un artiste américain. Fello non, il est dans le porche, il est sous le porche ! [Rires]

A : Aujourd’hui, développer des jeunes artistes est un exercice qui te séduit ?

G : J’aime faire de la musique, tout court. Donc ça peut aussi bien être réaliser un petit rêve de musicien comme faire un son avec Lino, que faire du développement avec un artiste que personne ne connaît. Ou faire la réalisation du projet de Leto pour essayer de le faire sortir du monde où il était et de l’ouvrir un peu plus à d’autres choses. J’aime le rap en général, autant faire de la réa’ que faire une compo, que faire un yaourt pour un rappeur.

A : Revenons sur ta rencontre avec SCH, et sur votre travail commun pour sa mixtape A7.

G : Alors, le S, j’ai vu des freestyles de lui et à ce moment-là, il m’a beaucoup fait penser au monde de Furax. Du coup on a déclenché une petite conversation, quand il a su que je travaillais avec Furax ça lui a fait plaisir. On s’est mis à faire des morceaux, puis un jour il m’a fait écouter un morceau où il tentait l’autotune. Je lui ai dit « tu sais, si tu te concentres un peu plus dessus, tu pourras peut-être essayer d’ouvrir quelque chose » parce qu’il avait une façon de l’utiliser différente de tous les autres. Il avait une voix, et autre chose, donc on a poussé là-dessus.

A : Plus tard, lui signe chez Def Jam et se met à travailler avec Kore, ce qui vous éloigne l’un de l’autre, au point que l’on ne te retrouve pas sur Anarchie. C’est quelque chose qui t’a frustré ?

G : Ça m’a frustré, bien entendu ! Tu sais, SCH, quand je fais de la musique avec lui, personne ne le connait, et je suis persuadé que l’on va tout baiser. Donc à partir de là, l’histoire est close… Quand on te l’enlève, que tu aies gagné ou pas, on te l’enlève. La création de musique, le plaisir de faire de la musique avec un artiste avec qui tu aimes faire de la musique. Celui qui te dit « non, je m’en fous », c’est un menteur, ou un trou du cul. Bien sûr que ça me casse les couilles que l’on m’enlève la cohésion avec un artiste, avec qui je m’entends bien humainement et musicalement.

A : Le morceau « Gomorra » avait fuité avant sa sortie. C’était une vidéo en studio qui annonçait Katrina à la production. Or quand le titre sort, Kore est crédité sur Youtube. Sur le livret de l’album, il est crédité comme réalisateur, et toi comme beatmaker.

G : Il a fait des arrangements… C’est un réalisateur, donc automatiquement il est crédité comme tel. Mais la prod est de DJ Ritmin. Et il y a des gens, tu as beau leur dire de créditer Katrina Squad, ils vont quand même mettre Guilty. Ils te font passer pour un con même avec tes compositeurs. Il faut se mettre en phase avec le temps, c’est-à-dire que les gens, aujourd’hui, ont quand même envie de savoir d’où ça vient, comment c’est fait, et c’est bien d’être clairs. Prenons « A7 » et « Gomorra », la base de la composition, c’est DJ Ritmin, et peu de choses ont changé. A un moment dans « Gomorra » il y a un break avec des trompettes, ce n’est pas nous qui l’avons fait. Et DJ Ritmin râle à ce moment-là, parce qu’à la base, si on nous demande de le faire, on le fait, et DJ Ritmin le fait plus en accord avec sa composition je pense. Je ne sais pas comment il faut le prendre, mais en tous cas ça a été fait.

A : Lorsque tu composes pour un rappeur, il est rare que ce soit un one-shot, généralement la collaboration va plus loin. Tu aimes bien cette idée d’accompagner l’artiste ?

G : Oui, moi j’aime le relationnel, et travailler un peu plus en profondeur. Le premier morceau que tu fais avec un artiste n’est pas souvent le meilleur, donc je ne vais pas m’arrêter comme certains le font, à dire « si on bosse avec toi on fait deux tracks sur l’album, et c’est fini. » J’en fais… Et s’il faut en faire un on en fait un, s’il faut en faire quatre on en fait quatre. Je ne me mets pas de frein. Après, des mecs comme Numbers, ce sont des petits frères maintenant. Eux, c’est pareil ils ne sont pas dans un état d’esprit où il faut tout niquer dans le rap. Du coup, c’est quand ils ont envie de rapper, leur réflexe est de m’appeler et de me demander une prod. On sort un projet incessamment sous peu, et je crois qu’à quatre-vingt-dix-huit pourcent c’est Katrina. Comme depuis que Numbers existe en fait.

A : Comment en viens-tu à découvrir de jeunes rappeurs ? Tu traines beaucoup sur les blogs, ou ce sont plutôt des mecs de dehors qui te font écouter ?

G : Moi, je ne regarde que les choses que je ne connais pas en fait. C’est-à-dire que si je vais sur un site, que je tombe sur le nouveau morceau de Nekfeu, de Niro ou d’un autre, je ne vais pas cliquer. Je vais plutôt aller voir ce que cette tête fait là, qu’est-ce qu’elle me dit ? Qu’est-ce qu’elle ne me dit pas ? J’aime bien faire ça, je suis plus à la découverte de nouvelles choses qu’à attendre la confirmation d’un artiste dans son truc. Parce qu’il y a très peu d’artistes que je vais écouter tous les jours, que je vais mettre dans mon… J’allais dire dans mon walkman, mais c’est un peu cuit aujourd’hui! [Rires]

A : Tu écoutes aussi pas mal de rap italien, non ? Tu partages depuis longtemps la musique de Sfera Ebbasta et d’autres, quels sont tes rapports avec cette scène ?

G : Je suis Sicilien, donc ça m’intéresse ce qui se passe là-bas. Ce sont des tueurs, ils sont trop loin ! Ils sont beaucoup plus loin que nous dans leur façon de penser, dans leur façon d’amener la musique. Là-bas, ils sont en permanence en tournée, pour eux ça marche à mort. Ils aiment trop ça, ils sont dans la culture eux. Les Italiens aujourd’hui, ils veulent du concert, ils veulent se déplacer en concert, pas comme ces Français, là… En Italie le public est réceptif à mort. Sfera il vient, tu as cinq milles personnes au concert, bam ! En deux chansons le public est fou ! Ici, tu as des murs, ça craint.

A : Puisqu’on est à l’étranger, parlons des prods que Katrina a placées pour Boosie Badazz et Peewee Longway, c’est Farid qui est à l’origine de ces connexions ?

G : Oui, Farid il parle avec les Américains, il est fou ce mec ! [Rires] Il parle avec les ricains, il se régale. Le rap français il s’en contrefout. Les seuls avec qui il se régale ici, c’est Numbers, d’ailleurs il fait beaucoup de prods sur leur prochain projet.

A : Quand lui ou un autre de vous quatre à une opportunité de placement X ou Y, vous vous concertez ? 

G : Chacun fait ce qu’il veut, mais tout passe par moi pour que je finisse le truc, mis à part sur les cainris où c’est Farid qui finalise, parce que je ne parle pas anglais, et que je n’ai pas envie de leur parler. Je leur demande trop d’argent, ils ne comprennent pas. [Rires]

« Tu as beau dire de créditer Katrina Squad, certains vont quand même mettre Guilty. Le public a envie de savoir d’où ça vient, c’est bien d’être clairs. »

A : Tu composes essentiellement sur ordinateur, n’est-ce pas ? Explique-nous la façon dont tu procèdes à la création d’un beat, et comment est-ce que tu trouves et travailles tes samples ?

G : Comme tous mes compositeurs, c’est-à-dire que nous avons cette façon d’utiliser un ordinateur, un clavier maître et des banques de sons. Clavier maître, ou synthétiseur, disons. Je suis de l’école du sample. Je ne rippe rien sur vinyle, ça y est, c’est cuit ça, après bien sûr si j’ai un gars qui me dit qu’il part en Inde je vais lui donner vingt balles pour qu’il ramène quatre ou cinq disques qu’il va trouver là-bas, avec les pochettes les plus pourries du monde. Mais après, je ne vais pas me payer un voyage aux Etats-Unis pour aller chercher des samples… Et en France, quels magasins font du vinyle ? On en a fait le tour ! À un moment, quand tu deviens trop précis, tu as tout fumé… Tu vas trouver un sample ? « Ah mais lui, il l’a tué ! » Et à ce compte-là 9th Wonder ou Alchemist les ont tous tués, t’es au chômage. Il y a des patrons dans ce domaine, des papas, et ces papas avaient déjà vingt-cinq personnes qu’ils envoyaient aux quatre coins du monde pour leur rapporter des trucs. Qu’est-ce que tu veux faire ? T’es tout seul à Toulouse ! [Rires] Mais quelque part, ça te permet d’aller refaire une nouvelle création, au lieu de rester sur du sampling de base. Si tu devais sampler du vinyle aujourd’hui, tu ne peux pas sampler d’électro, tu ne sampleras pas de musique hindou, tu ne sampleras pas Renaud… Tu deviens moins riche. Donc on rippe du mp3, du wav, ce que l’on peut, là où on peut. Tu Shazam un son que tu as entendu et c’est parti. Récemment j’étais chez un collègue compositeur qui me faisait écouter une prod. En trente secondes j’ai dit « ce son je le connais », et il tuait… Lui venait de le composer, et d’un seul coup j’ai trouvé, c’était la même chose que dans le film Un Indien dans la ville. Le mec il avait composé la même chose, sans y penser, sans revoir le film, rien du tout. Un truc de fou. Je pense qu’aujourd’hui celui qui te compose une mélodie que tu n’as jamais entendue de ta vie, il n’existe pas !

A : Du coup il faut jouer sur les textures, ruser…

G : C’est ça, tu rejoues une mélodie mais il faut la tordre dans tous les sens pour faire comme si tu ne l’avais pas entendue. C’est le système de Travis Scott et tous ces mecs-là. C’est comme ça aujourd’hui, il y a du changement, et certains y arrivent plus vite que d’autres. Tout le monde n’a pas réussi d’entrée à mettre un pantalon slim, mais tu te rends comptes que là tout le monde le met plus ou moins. C’est comme ça ! Celui qui me dit qu’il n’en a pas mis du tout, c’est un trou du cul, il ne peut pas gagner lui, il est encore en baggy.

A : Et y a-t-il des beatmakers, notamment parmi les jeunes, qui te plaisent aujourd’hui en France ?

G : Ouais, il y a Ghost Killer Track, qui produit pour XV Barbar, PSO Thug, toutes ces choses-là. C’est un jeune, il a vingt ans et s’est développé avec eux. J’aime ce qu’il fait en prod, puis j’aime son personnage. Je l’aime beaucoup parce que c’est quelqu’un qui a le même état d’esprit que nous. C’est-à-dire qu’il s’est fait avec ces rappeurs du XVIIe arrondissement, il s’en bat les couilles de ce que tout le monde pense, si c’est bien ou si c’est pas bien. Il fait sa musique, il aime cette trap-là, où tu vas aller avec des Treize Block, des trucs comme ça. J’aime son état d’esprit. Sinon, les gens qui me font quelque chose, ce sont des gens très affirmés musicalement parlant, et je pense au niveau du personnage aussi, même si je ne les connais pas. Je pense à Myth Syzer, c’est un génie. Il arrive avec sa couleur, il arrive avec tout, il sait avec qui il bosse, il sait ce qu’il fait. C’est vraiment un des mecs à qui aujourd’hui je tire mon chapeau, c’est clair et net. C’est un monsieur, attention, là c’est sérieux !

A : Il peut un peu faire penser à Harry Fraud.

G : Houla non ! Myth Syzer est meilleur. Techniquement et tout, il est meilleur. Harry Fraud il a trop tourné sur le même truc, je la pète en quatre sa formule. Alors que… Vas chercher la formule de Myth Syzer… Avant de la tomber celle-là ! Ce n’est pas la même, je te le dis, il est fort, très très fort. Il a un jeu de basse, comment il joue les subs, tout ! Et sinon, un deuxième que j’aime énormément aussi : En’Zoo. Il est chaud ! Je te parle de vrais mecs. En’Zoo c’est un tueur.

A : Et si on part aux Etats-Unis, en termes d’influences tu citerais qui ?

G : On est dans le truc depuis tellement longtemps que je vais sortir trop de noms que tout le monde a toujours sortis de toute façon… Puis après on suit l’actualité, les mecs arrivent à chaque fois avec une couleur, avec quelque chose. Je peux parler de Timbaland, qui a terrorisé les gens, de par ses bruitages, de par ses rythmiques. Il est passé de l’underground au plus grand des publics comme ça ! Metro Boomin, ce gamin, il arrive c’est pareil, il a un truc. Southside c’est pareil, c’est lui qui monte l’équipe, c’est lui la terreur. Il y a plein de gars qui ressortent, et je pense que dans les beatmakers c’est beaucoup plus facile de faire un choix et de citer les grands, ils ne sont pas quarante mille. Dans le rap, l’image joue un peu plus, il y a toutes ces choses dont on se tamponne chez un beatmaker en vérité. Tu as beau être grand, costaud, solide, maigrichon, ce que tu veux… Si tu terrorises, tu terrorises !

A : Lorsque Black Poet de Screwball avait liké ta page artiste sur Facebook, tu n’avais pas caché ta joie.

G : Attends, c’est très simple, quand tu es éduqué dans la musique par un mec comme DJ Premier et qu’ensuite tu vas mettre « j’aime » sur un gars comme moi… Je fais quoi ? [Long silence dans la pièce, puis des rires] Tu joues au foot et Maradona vient aimer ta page, pour moi c’est pareil. Enfin pas Maradona, mais son enfant qui vient te dire qu’il aime ce que tu fais, t’as déjà gagné quelque chose. Black Po pour moi c’est quelqu’un qui représente le vrai rap, à tous les niveaux possibles et imaginables, et la rue aussi. C’étaient des gars qui mettaient des gifles partout où ils passaient… Qu’un mec comme ça vienne mettre « j’aime » sur ta page ça fait très plaisir. Pareil quand Agallah me suit sur Instagram.

A : Tu n’as jamais essayé de les contacter ensuite ?

G : Non, même pas. La seule personne avec qui j’avais vraiment un contact et avec laquelle des choses allaient normalement se faire, c’était Chinx Drugz. Paix à son âme. On était en contact avant qu’il commence brillamment à mettre sa tête à côté de French Montana. Il avait déjà trois projets de prêts avant même qu’on le connaisse. Il faisait les choses dans l’ordre, et c’est pour ça que son dernier projet est sorti après sa mort d’ailleurs, parce qu’il avait déjà plein de trucs enregistrés. Mais sinon, non, je ne me suis jamais trop pris la tête pour les cainris, ça n’a jamais été ma priorité.

A : Que penses-tu du phénomène des type-beats, et du business qu’il y a autour de ça ?

G : Personnellement, je trouve que c’est une imposture, dans le sens où aller reprendre la couleur de quelqu’un, se l’approprier et faire de l’oseille… J’ai envie de te dire, tu es un peu comme le mec qui va faire une virgule et va vendre des sweats sur le marché en disant que c’est du Nike moins cher. C’est exactement la même chose.

A : Et pourtant ça fonctionne, des rappeurs cherchent des type-beats.

G : Chacun a son éthique. Quand un mec va te proposer un Travis Scott type-beat, automatiquement tu as cette mélodie de Travis Scott que tu as écoutée, et tu t’en vas dedans… Je ne pense pas que S.Pri Noir cherche de type-beat, je pense que Djadja & Dinaz peuvent chercher des type-beats. Je pense qu’Ichon n’ira pas sur un type-beat. Et vu comme il est dans l’image, je ne pense pas non plus qu’il aille cherche une sape à Clicli. Il ira plus sur un Tommy vintage. Voilà, c’est tout. Aujourd’hui je porte une veste Naf Naf d’il y a trente ans… D’autres vont chez Zara chercher leur veste. Chacun son choix.

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