Chronique

Doc Gyneco
Quality Street

Virgin - 2001

Avec son Menu Best Of sorti il y a quelques semaines, Doc Gynéco continue son petit bonhomme de chemin, entre apparitions médiatiques futiles et nouvelles galettes sortant à intervalles réguliers. Reste que le côté mercantile et peu intéressant d’un best of en agacera sûrement certains, d’autant que les trois morceaux inédits qu’il contient font pâles figures et n’ont vraiment rien d’exceptionnels. Mais ce nouveau disque a au moins pour mérite de retracer chronologiquement la carrière du docteur, même si la sélection s’attarde évidemment plus sur les singles que sur les morceaux les plus réussis artistiquement. Les quelques titres extraits de Quality Street, le deuxième album du Doc, paru en 2001, après Première Consultation (1996) et la compilation Liaisons Dangereuses (1998), confirment l’impression étrange que cet album avait un parfum particulier, qu’il marquait une évolution sensible dans la musique de Doc Gynéco. Dès lors, un retour plus approfondi sur cet album mésestimé, pourtant une pièce majeure et charnière de la carrière du Doc, n’en sera que plus intéressant.

En prenant encore plus de recul par rapport au monde du hip-hop et en s’offrant une grande liberté artistique, Doc Gynéco apparaît sous un nouveau jour dans cet album introspectif et personnel qui s’écarte volontairement de la masse des rappeurs en vogue du moment pour venir se placer entre chanson française et effluves de hip-hop. Ainsi le Doc nous laisse entrevoir une personnalité parfois confuse, souvent touchante et sensible. Celui qui fut tour à tour adulé puis conspué – souvent par les mêmes personnes – se livre ici tout en douceur et en naïveté : « Personne n’a jamais su qui j’étais, ni quel était mon secret…le principal c’est que le message passait : la voix du coeur et le message de paix« .

A partir de là, Bruno Beausire se laisse aller sur 13 pistes, posant sa voix nonchalante au fil de chansons ironiques, provocatrices (‘Rue Mazarine’ et ‘J’sais pas remplir ma feuille d’impôt’), ou sensuelles, comme à son habitude (‘LOVE Story’, ‘Souveraine’). ‘Secrets sucrées’, dans le registre déjà surexploité par le Doc des métaphores sexuelles et des allusions coquines, est sans conteste le morceau le plus faible de l’album, talonné par ‘Souveraine’ dont on trouve en outre une deuxième version à la fin de l’album, qui n’aura pour effet que d’accroître notre agacement. Mais l’homme qui ne valait pas 10 centimes se livre aussi à des chansons-poèmes tout en nuances, avec ‘Trop jeune’ ou encore ‘Noirs et Blancs’. De toute évidence, il se laisse aller, en artiste intuitif, au gré de son inspiration.

S’il s’affranchit dans cet album de l’étiquette pesante héritée de son premier album, il n’hésite pas à décliner une nouvelle fois son célèbre ‘Dans ma rue’ pour le morceau éponyme, ‘Quality Street’ dans lequel les accents de sa plume se révèlent jouissif : « Jouer au rebelle rue la Chapelle, mais obligé de faire la vaisselle« . Sans prétendre à de la haute littérature, les formules sont limpides et les intonations chaleureuses du rappeurs coulent dessus en douceur. L’occasion de noter que les progrès dans l’écriture, déjà perceptibles depuis ‘L’homme qui ne valait pas dix centimes’, sont à nouveau au rendez-vous pour une bonne partie des titres, ce qui contribue à donner un parfum particulier à cet album.

Et même si son écriture l’oblige parfois à s’écarter des canons de la rythmique, ‘Cousins’ mettra tout le monde d’accord sur une instru étincelante où la tête du Wu-tang, RZA, vient poser au micro accompagné d’un des rappeurs satellites du Wu, Cilvaringz. Au chapitre des featurings pourtant, là où certains cherchent à se donner une contenance en multipliant les duos entre rappeurs, le Doc n’hésite pas à mélanger différentes influences pour se forger son propre monde. Certains y verront de l’opportunisme, mais accordons-lui que le choix de tels invités n’avaient rien de forcément évident et témoigne moins d’un calcul commercial que d’une réelle volonté d’échange. Sans complexe, il mêle ainsi sa voix à celle du reggae-man Gregory Isaacs pour un ‘Thief a man’ très réussi. La participation de Chiara Mastroiani n’annonçait rien de bon a priori. Pourtant celle-ci vient murmurer quelques mots sur ‘Trop jeune’, entre les phases d’un Doc Gynéco qui ne force pas non plus sa voix, pour une atmosphère très agréable qui se dégage au final et une conclusion propre à son auteur : « je ne suis pas trop jeune pour rêver ».

Et c’est ce qu’il fait, il rêve, il flotte et divague dans un monde qu’il s’est créé et qui est loin d’être déplaisant. Il se révèle ainsi plus mélancolique, et arrive encore à nous surprendre, comme pour mieux nous perdre… La fausse piste west-coast du premier single, ‘Caramel’, en offre d’ailleurs un nouvel exemple pour celui qui se refuse pourtant à nous servir ‘La poudre au yeux’. Tout est dans le paradoxe, c’est aussi un des charmes de cet album, dont les gros points faibles trouvent toujours un contrepoint à leur mesure. La candeur parfois excessive ou la tendance à la provocation facile nous auraient fait pester chez quelqu’un d’autre, mais chez Doc Gynéco, cela rajoute seulement un peu de sel à un personnage d’autant plus touchant qu’il semble sincère.

A l’instar de son image médiatique dont il ne fait rien pour se détacher – au contraire – on peut tout reprocher à cet électron libre qui ne manque jamais une occasion de nous décevoir lors de titres isolés d’une platitude et d’une facilité affligeante. Mais c’est en se laissant transporter dans son univers qu’on en apprécie d’autant plus le personnage. Tout le monde n’accrochera pas avec l’utopie folle et rêveuse de cet homme-enfant en quête d’identité, de ce naïf espiègle à la fois manipulé et manipulateur, mais dans la lente et chaotique évolution artistique du Doc, cet album mérite qu’on s’y attarde avec un regard neuf, sans s’arrêter à ses prestations récentes ou passées.

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