Chronique

J. Stalin
Prenuptial Agreement

Livewire Entertainment - 2010

La Bay est un vivier extraordinaire de talents fous, de MCs qui crèvent la dalle et qui tracent leur chemin avec créativité et persévérance. En plein milieu de cette place grouillante, certaines têtes reviennent plus que d’autres, des personnages atypiques qui ne lâchent rien, des univers complets et omniprésents. J-Stalin et son label Livewire sont de ceux-là.

Acharné, productif et fédérateur, ce jeune rappeur de petite corpulence, au visage de poupon mais au nom de dictateur, a les dents longues. Adoubé par Richie Rich et Mac Dre, présenté comme la relève par E-40, The Jacka ou Too $hort, son sujet n’est pourtant pas d’une originalité à toute épreuve. Stalin, c’est du rap de rue, forgé par une jeunesse passée à vendre du crack dans une famille dévastée par le crack. Stalin, c’est de la musique de dealer, de vendeur de poudre ou de cailloux, de vie traversée à la vitesse du son, de centre pour délinquants juvéniles, de flingue calé dans le caleçon et de poursuites incessantes avec les Five-O dans les impasses de West Oakland. Rien qui n’ait vraiment jamais été traité bien sûr mais ce qui importe ici, c’est la forme, cette façon arrogante de cracher ses rimes, cette énergie dévastatrice couplée à son apparence sans âge, presque adolescente, avec cet air de toujours flotter dans ses vêtements. Quand on le voit vociférer avec force, un rictus énervé sur sa face de jeunot, J-Stalin fait penser à un Baby Hermann sous acides, fumant des blunts de cocaïne en couche culotte, soufflant la fumée blanche à la gueule de Roger Rabbit, désabusé. On a l’impression tout d’un coup que toute la jeunesse du monde entier veut nous voir disparaître dans un trou noir, que la nouvelle génération prend le pouvoir maintenant et tout de suite, la violence ultime cachée derrière un visage d’ange.

Pourtant J-Stalin est presque trentenaire, il a déjà 3 albums solos à son actif et plusieurs dizaines de mixtapes, compilations et albums en duo. Depuis quelques années, le rendement est quasi industriel aux côtés de ses associés Philthy Rich, Shady Nate, Beeda Weeda ou Dj Fresh. Livewire prend du poids au niveau régional, devient un repaire important de fines lames aiguisées, reconnues pour leur présence, leur charisme et leur production. Prenuptial Agreement est le point d’orgue de cet univers. La couverture annonce un mariage en noir, une union dévastatrice, un accord à la vie, à la mort, une existence sans concession. Album travaillé, aux sonorités résolument 80’s, de la boite à rythmes aux nappes de clavier atmosphériques, le contenu présente un panorama complet de l’univers du rappeur, plutôt sombre. Livewire a vraiment un son propre, reconnaissable dès la première écoute, sain rapprochement entre le hyphy et le style mob. Cet album en est la formule la plus aboutie, suite de morceaux puant le bitume, menés de sa voix éraillée, faisant quelquefois penser à une version west de Freeway dans ses intonations et cette façon de chercher la rupture à tout prix . Invitant les plus grands noms de la Bay, d’E-40 à Too $hort en passant par Mistah F.A.B et San Quinn, Prenuptial Agreement est la rampe de lancement efficace avec son lot de singles potentiels.

En plus d’une vérité et d’une sincérité de chaque instant dans les textes, les refrains sont sa force principale, précis et entraînants comme sur ‘Birthday’ ou ‘Rock Day’. Ce qui tranche avec les précédentes sorties de Stalin, c’est ce penchant pop sur quelques tracks plus sucrés, inspirés du R&B/ElectroFunk des années 80. Malgré cette légèreté destinée à un public plus large et quelques fautes de parties chantées un peu agaçantes, ces petits bonbons restent cohérents avec le reste, extrêmement brutal, grâce à une très bonne production générale. Da Mekanix sont sûrement les producteurs qui se démarquent avec notamment le frontal ‘H.N.I.C’ où on retrouve un Messy Marv en très grande forme et surtout le parfait ‘Red & Blue Nights’ accompagné de The Jacka et d’une ambiance apocalyptique, véritable hymne désenchanté sur le milieu paranoïaque de la drogue, d’une introspection rare. A noter aussi le très bon ‘D-Boy Blues’ produit par Traxamillion, single ultime qui condense en 3’44 » toutes les qualités de J-Stalin, la précision, la musicalité et l’émotion sans artifices. Ce mélange d’une vision pointue sur le milieu urbain, d’une esthétique sonore singulière loin des carcans habituels et d’une nonchalance mesurée dans les espaces plus tranquilles assure à Prenuptial Agreement un haut rang pour ce début d’année 2010.

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