Chronique

Seth Gueko
Michto

EMI France - 2011

Subjectivité folle, foi douteuse ou foie douteux ? En France, en 2011, l’humour qui tâche pourrait tenir sur les trois marches d’un podium. Tout en haut, Dieudonné M’bala M’bala, a.k.a. « Le débat sur l’haï cité » à lui tout seul. A la fois Juif errant et pire desperado de l’histoire du rire désespéré, l’homme n’en a – c’est officiel depuis qu’Anne Frank a pris place sur les genoux de Roman Polanski dans l’intro de Mahmoud – plus rien à foutre. Un guérillero paradoxal, artiste autiste amateur de Sun Tzu, dont les troupes elles-mêmes ne savent plus guère si c’est de l’art ou du travail de cochon… Le deuxième ? Le deuxième s’appellerait… Nicolas Bedos. Plume fine, sèche, mais il existe des milliers de plumes fines et sèches. Une explication au fait que ce « fils de » bute ? Cette façon unique de jongler avec les codes hypocrites autant que -condriaques dans lesquels il baigne depuis le méconium, peut-être. Son emphase complexe et complexée tient du Cyrano d’Edmond Rostand, le cordon ombilical remplaçant l’appendice nasal au rang du roc, du pic, du cap et de la péninsule… Le troisième ? « Nom d’une pipe en bois de Boulogne ! » Le troisième, ce serait Seth Gueko.

Premier constat à l’écoute des dix-neuf pistes de Michto : Seth Gueko n’a toujours pas fait le tour de sa bite, et quelque part c’est heureux. Le chemin semble même encore long, à en juger par les autoportraits sous nandrolone, sculptés façon Fernando Botero, du membre en question. Ecoutez la chute du refrain de « Tapis moquette », délicate ode en macramé au profil bas et à la modestie : « Y’a que mon sexe qui a la grosse tête » s’excuse-t-il presque, malgré un rapport à celles qui incarnent l’avenir de l‘homme de l’ordre du Cro-Magnon (« Chez nous l’amour c’est un trou avec des poils autour« ). Le Seth 2011 en deux mots ? « Le cigare d’Hannibal et la tchatche à Futé« . Difficile de mieux dire.

Dans l’œuvre en gestation du Gueko, Michto occupe un rang périlleux. Il s’agit du second album, avec toutes les mises à plat que l’exercice induit. A trop vouloir embrasser, La chevalière, son premier, avait mal étreint. Nous étions alors en 2009 – « le 4 mai ! », éructait à longueur de trailers Dailymotion l’homme qui a converti la grimace, le borborygme et les postillons en disciplines à part entière de la langue française. Le bouillonnant MC de Saint-Ouen-l’Aumône n’en pouvait plus des années de mixtapes et de street-CD. Remonté comme un coucou, il lui fallait montrer, démontrer et démonter. S’affirmer tel qu’en lui-même, un bric-à-brac fait de bric et de broc, auteur à hauteur de braguette et à odeur de baguette mais pas seulement… Le résultat ? Ambitieux dans l’intention mais mitigé dans la perception, malgré quelques vrais moments de bravoure dedans (« Wé wé wé », « Ça défouraille », « Un couple impair », pour ne citer qu’eux). L’époque était aux étiquettes, pas aux patchworks. Aux écoutes en un clic, pas aux K7 autoreverse non stop. Il faut avoir vu Seth sur scène, ce printemps-là, ouvrir des yeux ronds lorsque AUCUN spectateur de la fosse ne leva la main à la question « Qui ici a acheté mon album ? » L’homme est intelligent, il a compris.

Exit la chevalière, donc, au propre comme au figuré. La bague a sauté, laissant place à un gigantesque majeur à huit phalanges tatoué S.E.T.H G.U.E.X. « C’est le retour du forain » lâche-t-il dès l’intro de Michto, furax comme un Mourinho au fond de sa cantine – mais non sans un doigt de saudade pour la patate qui fit jadis son renom. L’aveu est touchant. En 2009, le marteau-pilon buccal avait essayé de s’affranchir de son personnage de bourrin patenté, alternant l’intime (« Barre de fer ») et la gaudriole (« Bistouflex »), tentant ainsi en vain de se hisser à hauteur de ce que Vîrus appellera plus tard – et joliment – le rang de « maboul à facettes ». En 2011, « marche avant, marche arrière« , la créature est de nouveau aux commandes du créateur. Créature, créateur… Constat d’échec ? Au contraire. « Ni vu, ni cuni », « chasse le naturel, il revient te galoche ». Seth ne se fuit plus. Il libère la bête tel Casey en 2010, envoie du gras comme d’autres des billes de paintball et tant mieux si ça éclabousse. « Laisse-moi Julie de Secret Story juste une p’tite heure, elle va kiffer comme Dutroux au concert de Justin Bieber« . Son hyperthymésie télescope sa mémoire eidétique, rendant son vocabulaire plus riche que celui d’un académicien repu et plus abscons que celui d’un hall de crèche à 17 h 30. Nous parlons tout de même ici d’un MC francophone qui intitule l’un de ses morceaux « Zdedededex » et un autre « Zoogatazblex », tout en casant de-ci de-là « progéria », « Bang & Olufsen » et « Husqvarna Music ». Ce qui n’est pas rien.

« Zoogatazblex », justement. Sous-titré « 30 juin 2010 » et accompagné de son compagnon d’écrou Mister You, le morceau narre le passage estival de Seth par la case prison. Le motif ? « Une histoire tirée par les cheveux » confie-t-il pudiquement dans « Walou garou ». Pour le citoyen, une histoire de bouteilles et d’embrouille de trop. Pour l’artiste en ébullition, une pause à l’ombre qui régénère. Au placard les envies de bidons d’essence, voici venue l’heure du tri. Au revoir le bidon donc, et place à l’essence… Au commencement il y avait le Verbe, OK, et après ? Après vient le temps de « l’anglouche, l’anglais manouche« . En 2011, Seth a retrouvé son sachet de Vico. Sitôt dehors, il ne songe plus qu’à une chose : envoyer la purée.

Côté prod, c’est à jurer que le papa précoce, bientôt trentenaire, a passé son enfance sur un Amstrad 6128 Plus ou devant Charly Oleg. Haies d’honneur à soi-même, lointaines réminiscences de Giorgio Moroder ou de Miami Vice période Don Johnson, chaque note pèse deux tonnes et creuse l’oreille en s’écrasant – l’écrin ad hoc pour cet univers archi-visuel. Mention spéciale à l’ouverture d’ »Emile LV », mélange de Stanley lubrique et des scrollings latéraux de Double Dragon II sur Nintendo 8 bits – huit, carrément… Côté invités, si les habitués Al K-Pote, 25G ou Farage brillent par leur absence, la prestation de Sakio sur ‘Avocat libre’ et son jeu de mot caché constitue une agréable surprise. Surtout, deux clients retiennent l’attention, mais pas pour les mêmes raisons. Le premier, Booba, parce qu’il prend un sérieux coup de Botox par contraste avec le Michel Courtemanche qui l’invite. Le second, Despo Rutti, parce que lui aussi sort d’un été 2010 compliqué et qu’il croque désormais chaque micro à pleine dents, et cela s’entend.

Entre « Chanson pour l’Auvergnat » mâtinée des « Copains d’abord » (« Michto », « Materfuck ») et déambulations houellebecquiennes sur Bangla Road (de « Bad cowboy » à « Lunettes noires », ferraresques), appels du pied aux rotations FM (« Toucher le ciel » avec La Fouine) ou aux concerts Touche pas à mon pote (« Salam shalom salut »), le second album du voisin le plus bruyant de France contient plus que son lot de matière à humer l’air d’une époque qui cogne. « La p’tite catin, elle veut déjà la vie de rêve alors que mon sexe ne la connaît ni des dents, ni des lèvres« … Que faire de tant de pirouettes, d’agilité verbale et de clins d’œil au MLF ? En rire de bon coeur, mais après ? Depuis la larme silencieuse de Fernandel dans Naïs, les cinéphiles savent que derrière chaque artiste qui rit se cache un homme qui crie, et qu’ »un homme qui crie n’est pas un ours qui danse » (Aimé Césaire)… Une fois le déluge achevé – sur une ultime talonnade en santiags des Gipsy Kings -, ne subsiste peut-être à l’oreille que l’écho d’une seule réplique, métaphysique en diable comme une épitaphe à la lueur d’un soleil de Toussaint : « Ta meuf a la voix de Garou ? » Une question de la plus haute importance, simple, sèche, « zblex »… Ainsi parlait Zarathoustra Seth Gueko.

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