Chronique

Disiz
Disiz the end

Naive - 2009

« Disiz the end » est donc le testament rapologique de Disiz avant que celui-ci ne raccroche officiellement le micro. Ou s’envole tout du moins vers d’autres cieux comme il le laissait présager il y a quelques semaines sur son blog, abandonnant Disiz la Peste pour un autre alias aux sonorités beaucoup plus rock’n’roll : Peter Punk. Toujours prompt à expérimenter de nouvelles choses, on l’avait récemment vu aux côtés de Grems pour quelques collaborations fructueuses, assez largement différentes de ce qu’on était habitué à entendre de sa part.
Rien de tout cela sur Disiz the end. Ce dernier album a deux fonctions apparentes. D’abord, effectuer une sorte de retour aux sources en revenant à un rap beaucoup plus épuré où le flow et la technique prendraient davantage de place. Ensuite, livrer son disque le plus personnel. Sans obligations contractuelles, sans directeur artistique ou beatmaker associé, Disiz est seul maître à bord et peut organiser sa sortie de scène comme il l’entend. Prêt à assumer chacun de ses choix, il explique d’ailleurs tous les morceaux dans le livret exactement comme il l’avait fait pour Le poisson rouge.

« Une page se tourne sur le rap français, je dois avouer que ça finit pas comme je l’aurais pensé »

Disiz the end marque aussi les désillusions d’un homme qui s’est vu en haut de l’affiche et qui, dos au mur, est presque contraint aujourd’hui de balancer ses dernières cartouches. Au début des années 2000, Disiz La Peste était l’étoile montante du rap français. Bénéficiant du parrainage collectif de Joey Starr, via son émission sur Skyrock, et d’Akhenaton, qui l’avait convié à participer à la B.O de Taxi, tous deux présents sur son premier album, Disiz était le premier de la classe, celui dont le parcours était fléché. Programmé pour exploser, il réussit d’ailleurs son coup avec un premier opus équilibré et porté par les tubes ‘Je pète les plombs’ et ‘Ghetto sitcom’. Dix ans plus tard, force est de constater que Disiz n’est pas là où on était en droit de l’imaginer. Le rappeur en est bien conscient et laisse de côté la naïveté qui l’a si souvent caractérisé lorsqu’il fait le bilan de sa carrière. Partagé entre la nostalgie d’une époque où il avait tout à prouver et l’amertume envers un milieu qui n’a jamais véritablement su comment le considérer. Rappeur à single trop propre sur lui, récupéré par le Parti socialiste, acteur de seconde zone, « Grand-frère » préféré des médias pendant les émeutes de 2005…On a tout entendu sur Disiz.

Finalement, il n’y a qu’une question qui importe vraiment quand on s’apprête à écouter l’album. Disiz the end est-il l’album référence après lequel il n’a eu de cesse de courir ? Si suspense il y a, autant couper court. Non, le dernier album de rap de Disiz n’est pas meilleur que ses précédents. En réalité, il se situe exactement dans leur lignée, partageant avec eux les mêmes défauts et qualités. Au rayon des défauts, on retrouve évidemment cette propension à se muer maladroitement en une sorte de professeur/chef politique/éducateur des masses dès que l’occasion se présente. ‘Quand le peuple va se lever’ résume assez bien la question. Alors que Disiz se défend de faire une « chanson pseudo-militante », il prophétise la révolte des plus faibles de la manière la plus simpliste et manichéenne possible. Pire, il est coupable sur ‘Odyssée » de quelques facilités d’écriture indignes de lui (« On nous a carrément carotte, ils augmentent le CAC 40, exportent la coca de la côte, en échange chez nous le caca rentre ») gâchant l’effet du morceau pourtant parfaitement porté par le beat léché de Proof, collaborateur fétiche de Médine.

L’autre récurrence agaçante est la propension du MC à se complaire dans une certaine forme d’autosatisfaction. Le meilleur exemple est sûrement ‘Papa lova’, titre symptomatique du malaise ambiant qui habite une partie des textes de Disiz. Là où Oxmo écrivait une lettre d’amour aux mères du monde entier, Disiz se rend directement hommage ainsi qu’à tous ses confrères papas qui gardent la face malgré les difficultés liées à la paternité. Car, il n’y a pas de doute. Entre deux mots gentils pour ses enfants, c’est bien les félicitations du public pour ses efforts rendus que Disiz semble chercher, l’air de dire « regardez nous, c’est dur mais on y arrive ». Rien de nouveau finalement puisque des reproches du même acabit pouvaient déjà lui être adressés sur ses précédentes galettes. Alors pourquoi continuer à s’intéresser à un MC habitué des promesses non tenues ?

Déjà parce que malgré ces réticences liminaires, Disiz the end n’en demeure pas moins un des albums de rap français les mieux produits de ces dernières années. Composant avec des valeurs sûres (Street Fabolous, Proof), beatmakers locaux habitués à squater les tracklistings du 91 (Dave Davery) et valeurs montantes qui ne demandent qu’à exploser (Canardo, Astronote), l’album se tient remarquablement bien, oscillant entre hits potentiels (‘Bête de bombe 4′), instrumentaux mélancoliques (’27 octobre’), et beats terriblement incisifs (‘Il est déjà trop tard’). Les deux sommets de l’album étant évidemment l’exceptionnel ‘Alors tu veux rapper/Flowmatic’ et ‘L.O.V.E’, morceaux ayant tous deux la particularité de présenter une alchimie parfaite entre Disiz et le beat. Le premier car, outre le minimalisme bien senti d’Astronote et la trouvaille volontairement poussiéreuse de Dave Davery, Disiz réalise simplement le genre de morceau qu’il ne se décide que trop rarement à faire. Pas d’amertume revancharde ou de morale mal sentie. Simplement de la déception superbement rappée. En un morceau, il fait mieux qu’en un film entier lorsqu’il avait campé le personnage de Ixe au cinéma : nous faire ressentir cette passion des premiers jours quand il ne kickait que par plaisir. Dans un autre registre, ‘L.O.V.E’ et sa soul chaude et voluptueuse très Soulquarians sublime la naïveté si souvent reprochée à Disiz qui, le temps d’un morceau, prend tout son sens. Jolie chanson d’amour avant tout, pendant laquelle Disiz n’essaye pas d’enfiler un costume trop large pour ses épaules. Ton enfantin et sourire au coin des lèvres, il redevient Sérigne.

« Plus je suis mature, plus je regrette l’enfance »

L’album est donc constamment entre deux eaux et ne doit son salut qu’à d’indéniables moments de sincérité (‘Le temps précieux’) qui rendent l’ensemble un peu moins lassant et, surtout, plus personnel – ce qui était un des objectifs initiaux de l’album. Comme cette déclaration finale (« La fin de l’enfance, la fin des rêves, la fin des temps, adieu ma jolie reine, ma jolie zik que j’aimais tant… Que je le veuille ou non je suis passé dans le camp des grands… J’avais pas le cran de crever, je voulais crever l’écran ») qui nous pousse à assimiler Disiz à une sorte de Peter Pan en baggy malgré lui. Peu importe ses éternels efforts pour développer un discours « adulte », il n’est jamais aussi plaisant à écouter que quand il s’amuse au micro et qu’il nous raconte des anecdotes passées. Demain, il devrait se lancer dans un nouveau genre musical, dans lequel il s’y présentera en tant que novice ayant tout à prouver. De bon augure ?

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