Chronique

Bronson Supplies
Blue Chips

2012

« Don’t ever say my music sounds like Ghost shit. » (« Ron Simmons. »)

Évidemment, ils ont un timbre de voix assez proche, mais (trop) rapprocher Ghostface et Action Bronson, ce serait un peu comme (trop) comparer Julia Channel et Julia Roberts. Elles ont quelques points en commun mais pas assez pour prolonger trop longtemps le parallèle. Et si l’univers de Tony Starks ne manque pas de références et de récits marquants, la figure forte du collectif tentaculaire des Outdoorsmen évolue dans un tout autre registre. Bronsolino est un épicurien, un ancien cuistot à l’humour un peu gras. Mais aussi un esthète affublé d’une toque de chef, porté sur les opiacés, les plats épicés et les femmes généreuses. Avec une épaisse barbe rousse et la carrure d’un garagiste indépendant, Arian Asslani ne ferait pas tâche dans un combat de la WWE. À défaut de monter sur la troisième corde, le natif du Queens distribue quelques références au catch. Il citait Barrow Horowitz sur Dr. Lecter, sur Blue Chips il donne de l’amour à Owen Hart, Paul Orndorff (Mr. Wonderful) et Ron Simmons. Rappeur quatre roues motrices, Action Bronson est aussi une encyclopédie du sport professionnel, du genre à évoquer sans sourciller Steve Francis, Charles Oakley ou Harold Miner : trois basketteurs aux fortunes diverses.

La balle orange sert d’obscure et dispensable toile de fond au projet Blue ChipsBlue Chips comme le gentil nanar de Ron Shelton et William Friedkin – un film sur le basket universitaire où un Shaquille O’Neal en pleine forme fracassait des cercles dans un gymnase de Louisiane. Le poids lourd se retrouvait à faire équipe avec Anfernee « Penny » Hardaway, meneur agile, aux inspirations fluides et habiles. Une association qui résonne comme une métaphore grossière pour qualifier le duo Bronson Supplies, soit Action Bronson et Party Supplies. Une minuscule référence au film en introduction de « Blue Chips » fait à peine illusion : Blue Chips, c’est avant tout une entrée fracassante dans la galerie de portraits d’un illuminé. Une personnalité extra-large qui flirte régulièrement entre premier et second degré, distribue les bons mots et les références aussi imagées qu’éparses autour d’un immense banquet. Sur son premier projet, le bordélique Bon Appétit… Bitch!!!, le message était aussi clair que sur « Tapas » : « I am on the art and the food scene« . Thierry Marx et Cyril Lignac sauront apprécier.

Une des richesses de Blue Chips c’est ce patchwork d’influences, et un sens de la formule choc. Avec un œil sur les tapins du coin, un autre sur un saladier de baklava, Bronsolino semble rapper à livre ouvert en tordant ses joints comme un contorsionniste, où en évoquant la pâte à choux pour évoquer une belle liasse (« trying to make this french dough like a Pâte à choux« ). Au-delà de ces inspirations éclairs et furtives, le chef sert quelques récits sérieusement bien ficelés – « Thug love story 2012 » en tête – en envoyant sur le même plateau fromage et dessert.  Quelques touches salvatrices d’humour viennent affiner un portrait saisissant, comme cette fulgurance : « Facially I’m like a young John Kennedy » (« Steve Wynn »). Annoncée comme une mixtape, un projet offert gracieusement et financé en sous-main par Reebok, Blue Chips sonne comme une démonstration. Un véritable album, cohérent et consistant, une forme de prolongation inattendue de Dr. Lecter. Plus inspiré, plus abouti dans sa production, il célèbre l’alchimie d’un duo complice, où les mesures des compositions tombent naturellement comme le sur-mesure d’un artisan sans égal pour tailler des costards.

Omniprésent, Bronsolino éclipse les invités de passage (Roc Marciano, Meyhem Lauren, Kool AD) reclus au troisième plan – ou au fin fond du banc. Et si Bam Bam Bigalow bouffe tout l’espace, c’est aussi parce que Party Supplies est un jeune homme discret, voire mutique. Un artificier à frange qui compose au compte-gouttes dans sa chambre à Brooklyn. Pas franchement du genre à cachetonner sur tous les projets, le garçon est fidèle et entièrement dédié à notre gros rouquemoute. Beaucoup plus volage, notre infatigable rimeur nous avait décrit son comparse comme : « un vrai musicien, dont la musique n’a pas grand-chose à voir avec le rap. Il voudrait être une star de pop anglaise des années quatre-vingt. » Duran Duran et Simple Minds affichant complet, Justin Nealis officie du coup dans la boucle chiadée. Affranchi de la plupart des emmerdes juridiques autour du sample – Blue Chips reste un projet gratuit – notre beatmaker a su se faire plaisir, piochant à la volée dans quelques classiques. À l’image du mystique « Steve Wynn » qui emprunte la ligne de basse du « Hercules » d’Aaron Neville.

Une petite année et demie s’est écoulée depuis la sortie de Blue Chips. Une petite vingtaine de mois où notre roux préféré n’a cessé de prendre de l’épaisseur, empilant les projets (Rare ChandeliersSAAAB StoriesBlue Chips 2), apparitions annexes et concerts comme des crêpes Suzette. Un rythme de stakhanoviste qui a permis à l’ancien chef de prendre du galon. Néanmoins, une vérité demeure : Blue Chips reste à ce jour l’album le plus abouti d’Action Bronson, ce rappeur multi-facettes, cet homme-orchestre 4XL. Vraiment, sa musique n’a rien à voir avec celle de Ghostface.

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