Chronique

Danny Watts
Black Boy Meets World

Authors Recording Company - 2017

Photo de couverture par Robb Klassen

Il y a des rappeurs qui multiplient les coups d’essai avant de passer le cap de l’album – quand ils le passent. Danny Watts, lui, a suivi la trajectoire inverse. Une petite réputation locale tout au plus, une seule apparition publique notable sur le Rap Album Two de Jonwayne il y a un an et, quelques mois plus tard, cet album en bonne et due forme. Un album produit par le même Jonwayne et accueilli sur son label (une première), avant d’emmener son poulain en tournée. Et pas la petite tournée : une cinquantaine de dates à travers le pays sur moins de deux mois. Tout ceci sans s’imposer outre mesure : étonnamment, l’homme de La Habra, entendu tout récemment sur le Weather or Not d’Evidence, ne pose pas de couplet sur Black Boy Meets World.

La relation entre les deux hommes semble aussi solide qu’elle est récente. Il faut dire que, récemment encore, Danny Watts était tout sauf un rappeur. Originaire de Houston, il travaillait comme employé au rayon optique d’une chaîne de grande distribution – pas vraiment le monde trépidant du rap game. Et puis un jour, remarquant qu’il était suivi sur une célèbre plate-forme de distribution audio par Jonwayne, il s’est décidé à lui envoyer un message… avant de recevoir tout étonné une réponse de l’intéressé, lui proposant une rencontre en chair et en os. Problème : Danny n’avait pas prévu, y compris financièrement, d’aller à Los Angeles. Après avoir fait raquer ses proches, il a néanmoins débarqué sur la côte ouest ; d’où son couplet sur « Rainbow ». Pour l’album, il a fallu faire encore plus vite afin de coller avec la tournée prévue : boucler l’affaire en une semaine. Et ce en incluant un remaniement de dernière minute, Jonwayne trouvant que trois morceaux n’avaient pas vraiment leur place et qu’il fallait in extremis les remplacer…

Boucler, pas bâcler. Difficile voire impossible de deviner à l’écoute que Black Boy Meets World a été réalisé dans l’urgence. Ce n’est pas une impression d’improvisation mais de maîtrise et qui se dégage du LP. Avec son timbre de voix grave et sa diction précise, qu’il sait rendre anguleuse (« Young & Reckless ») ou au contraire chantante (« A Lullaby for You ») d’une manière qui n’est pas sans rappeler parfois Mick Jenkins à ses débuts, Danny Watts se révèle un rappeur talentueux, qui capte facilement l’attention. À l’entendre, on comprend ce qui l’unit à son mentor, effaçant la distance et le couleur de peau (car le titre le dit : c’est un jeune homme noir, et pas seulement un jeune homme, qui rencontre/affronte le monde). Lui aussi évoque la crainte permanente de l’échec, la peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur, de fuir plutôt que d’affronter, la peur de la violence et de la mort. Lui aussi cultive le goût de l’introspection sans complaisance (la brève introduction, « I Don’t Trust Myself », est déjà en soi tout un programme) et n’hésite pas à déballer son sac à dos familial, voix maternelle à l’appui en bout de course.

On savait Jonwayne producteur accompli et Black Boy Meets World en apporte une nouvelle confirmation. On retrouve ici son souci du détail, aussi bien dans la construction des morceaux eux-mêmes (la touche jazz qui accompagne le monologue introductif de « Cards With the Devil », l’intégration du couplet de Ray Wright, la guitare qui clôt le morceau) que dans leur enchaînement. Il s’évertue toujours à brouiller les pistes entre ce qui est samplé ou joué : sur le superbe et poignant « Pill », par exemple, il semble que le clavier soit joué, mais pas la trompette. Ce faisant, il joue volontiers sur la spatialisation sonore, aidé d’une brochette de musiciens dont certains apparaissent plusieurs fois (le claviériste Kiefer Schakelford, le saxophoniste Aaron Shaw, le bassiste Juan Alderete de la Pena).

La première partie de l’album étant particulièrement réussie, il n’était pas facile de tenir la barre aussi haute jusqu’au bout, d’autant qu’il n’y pas tellement de rupture de ton au sein d’un album essentiellement morose, avec le tempo qui va avec. Un fléchissement se fait donc sentir dans sa seconde moitié, mais léger, car l’affaire est menée en moins de trente-cinq minutes. Et si le dernier morceau, le morceau-titre, est de loin le plus long du disque (un peu plus de sept minutes), il le conclut, comme c’était déjà le cas avec « These Words are Everything » sur Rap Album Two, d’une belle manière.

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