The Psycho-Social LP et ses scratches
Rap méta

The Psycho-Social LP et ses scratches

Sorti en 1997, The Psycho-Social, Chemical, Biological, and Electro-Magnetic Manipulation of Human Consciousness (plus communément appellé The Psycho-Social LP) de Jedi Mind Tricks est, comme son nom l’indiquerait presque, un OVNI sonore et textuel. Stoupe y propose des beats lents et étranges, plantant une atmosphère oppressante et lugubre à souhait. Ikon the Verbal Hologram, lui, jongle avec conviction entre toute une panoplie de sujets ésotériques, paraissant totalement habité par ses délires hallucinés et hallucinants.

Dans le livret de la réédition CD de l’album, les différentes influences du groupe sont citées (de Mao à EPMD en passant par Charles Bukowski), et on apprend que le disque a été enregistré sous l’influence d’immenses quantités d’alcool. Les principaux acteurs rechignant aujourd’hui à revenir sur la conception de cette œuvre et sur cette époque, il est dur d’en savoir plus sur la genèse de ce véritable classique de la scène Hip-Hop indépendante. On aurait pourtant aimé en savoir plus sur le processus de création de morceaux aussi atypiques, et, par rebond, sur la mutation qui s’opérera dans le groupe à la fin des années 1990, avant la sortie de « Violent By Design ».

.A défaut de disposer de la parole des protagonistes, l’analyse d’un élément mésestimé du travail du groupe peut fournir un nouvel éclairage. On a beaucoup dit sur les paroles brumeuses d’Ikon et sur les productions baroques de Stoupe. Les scratchs de l’album et de ses bonus tracks ont en revanche été bien moins évoqués. Pourtant, ils s’avèrent révélateurs et constituent de véritables actes de filiation. Avec les ténors du rap hardcore new-yorkais d’alors (Wu-Tang Clan, Boot Camp Click), les aînés de Philadelphie (The Roots, Bahamadia), et les tenants d’un rap plus complexe (Organized Konfusion, The Pharcyde). Ce tryptique résume parfaitement l’essence du « Pyscho-Social LP » et des morceaux du groupe antérieurs à celui-ci, baladant l’auditeur entre les rues glaciales de Philadelphie et l’esprit mystique torturé de Vinnie Paz. Retour donc sur les titres d’où sont tirées les phrases scratchées.

« I use Jedi mind tricks to find tricks »

Del The Funky Homosapien - « No More Worries » (1993)

Posse-cut tiré du second album de Del The Funky Homosapien, et l’une des premières apparitions du collectif Hieroglyphics en tant que tel. Le lien entre Del et Jedi Mind Tricks paraît relativement évident : le goût pour la science-fiction. La phrase scratchée et le blaze même de JMT ne laissent planer aucun doute. Le cousin d’Ice Cube associera d’ailleurs cette passion avec le rap, pour le fabuleux et futuriste « Deltron 3030 », en collaboration avec Dan The Automator et Kid Koala.

« Giving sight to the blind, the dumb are mostly intrigued by the drum »

Wu-Tang Clan - « Triumph » (1997)

Début 1997, le Wu sort d’un parcours sans faute, et veut bouffer la planète entière toute crue. RZA raconte à qui veut l’entendre qu’à terme, tous les groupes de rap se revendiqueront du Wu-Tang Clan. Symbole de cette époque dorée, ‘Triumph’ respire la démesure à plein nez : un clip magnifique, un instru monumental, des paroles grandiloquentes. Et l’un des meilleurs couplets de l’histoire du rap, posé par Inspectah Deck. JMT a pourtant fait le choix de s’arrêter sur des mots prononcés par Masta Killah, pleins d’un mysticisme parfaitement dans le prolongement des textes d’Ikon.

« And my basement’s an arrangement of different torture devices »

Street Smartz - « Metal Thangz » (1996)

Les aficionados de “Faites entrer l’Accusé” se redresseront dans leur fauteuil : la sample utilisé dans le morceau est également employé comme musique d’ambiance dans le show de Christophe Hondelatte. Du reste, on sait peu de chose de Street Smartz. Tout juste que F.T., son MC principal n’avait même pas 17 ans à l’époque de ‘Metal Thangz’, et qu’il poursuit aujourd’hui une carrière tout à fait décente. JMT s’attarde plutôt sur le couplet de Pharaohe Monch, influence visiblement importante pour le groupe, qui lâche une phrase tout à fait dans l’esprit du titre « Chinese Water Torture ».

« Suffer Chinese water torture, my word is water »

Jedi Mind Tricks - « Neva Antiquated » (1996)

On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Le scratché ici est Ikon lui-même, sur « The Amber Probe EP », toute première sortie du groupe. On y trouve la version originale de ‘Neva Antiquated’ : du Jedi Mind Tricks première époque, dans toute son étrangeté. Le sample ressemble un peu à la musique pour entrer en contact avec les extra-terrestres dans « Rencontre du troisième type », les backs sont déformés, et Ikon lâche un texte difficilement compréhensible, criblé de référence en tous genres : à « WarGames », à la mythologie égyptienne, à la physique nucléaire. Et donc à ce procédé de torture chinois, dont le principe était de laisser tomber de l’eau, une goutte à la fois et de façon régulière, sur le front d’un supplicié, conduisant lentement celui-ci à la folie.

« I am in fact lacking confusion as to what’s real, and what’s illusion »

DJ Krush ft. Black Thought - « Meiso » (1996)

‘Meiso’, un morceau comme on n’en fait plus vraiment. Un break de batterie, deux notes de piano et une ligne de basse. Finalement, une bonne prod ne tient pas à tant que ça. Avant de pencher vers une musique Hip-Hop beaucoup plus expérimentale, le Japonais DJ Krush l’avait parfaitement compris. Et puisqu’il ne s’entourait pas des plus mauvais, ses œuvres de l’époque méritent vraiment attention. Ici, ce sont Black Thought de The Roots et Malik B. qui sont conviés. Jedi Mind Tricks utilise ici une phrase obscure et mystique du premier, bien dans le ton de ‘The Three Immortals’.

« My perception of poetical injection is ejaculation, the Immaculate Conception »

Organized Konfusion - « Stress » (1994)

A l’écoute de « The Psycho-Social LP », Pharaohe Monch apparaît un peu comme l’aîné naturel et spirituel d’Ikon the Verbal Hologram. Par la richesse de son vocabulaire, la complexité des structures utilisées (dont la phrase scratchée ici est un exemple), les thématiques et les références audacieuses pour un rap des années 1990 finalement assez frileux dans ce domaine. Monch (époque Organized Konfusion) était également un adepte des allers-retours textuels entre la réalité de la rue et ses pensées les plus torturées ou profondes, point qui contribuera grandement au succès d’Ikon, puis de Vinnie Paz.

« Non-conceptional, non-exceptional (…) ya whole aura is plexi-glass »

O.C. - « Time’s Up » (1994)

A l’instar de ‘Shook Ones pt.II’, une part non-négligeable des rimes de ‘Time’s Up’ ont été scratchées, même si ce fut par des artistes moins célèbres que ceux ayant fait référence aux mots d’Havoc et de Prodigy. Les formules chocs se succèdent, et le discours, volontiers moralisateur, prend vite l’allure d’un manifeste underground. Le morceau peut à bien des égards être vu comme le point culminant de la carrière d’O.C., qui, de par la qualité de ses premiers albums et ses affiliations (Organized Konfusion, D.I.T.C.), reste considéré comme un artiste majeur des mid-1990’s. Pas étonnant à ce titre que JMT fasse référence à son travail.

« There comes a time in every man’s life, when he’s gotta handle shit up on his own »

The Pharcyde - « Runnin » (1995)

‘Runnin’ est un titre phare des années 1990, auquel beaucoup d’entre nous associent des souvenirs inoubliables. Si à l’époque c’était surtout la prod de Jay Dee qui retenait notre attention, le message du morceau a depuis pris tout son sens : arrivé à l’âge adulte, on se doit de faire face à ses problèmes et d’arrêter de fuir la réalité. Du grown-man rap avant l’heure. La phrase scratchée intervient au terme du morceau ‘I Who Have Nothing’, comme un conseil à Ikon pour affronter les démons évoqués dans son texte.

« 1-2-3, let me know if you’re ready for me, lawd »

Black Moon - « U da Man » (1993)

Le posse-cut légendaire qui clôt le classique de Black Moon, « Enta da Stage ». Un morceau purement dans le style de la future-Boot Camp Click : break de batterie lourdissime, ligne de basse à faire se fissurer les murs les plus épais, quelques petits effets ça et là. Et bien évidemment, des MCs efficaces et menaçants. Smif’n’Wessun apparaissent pour l’une des premières fois, Dru Ha lâche l’unique couplet de sa carrière de MC. Et Buckshot achève la démonstration par une prestation très empreinte de ragga, au sein de laquelle JMT piochera la phrase faisant office de refrain dans ‘Onetwothree’.

« Soul’s from the streets of the Ill-a-delphiadaic insane »

The Roots - « The Lesson Part I » (1995)

Au milieu des années 1990, Schoolly D avait ses plus belles années derrière lui, et Jazzy Jeff & The Fresh Prince étaient passés à d’autres activités, plus rémunératrices que le rap. The Roots constituaient donc plus que jamais la figure de proue du rap de Philadelphie. Pas étonnant donc que Jedi Mind Tricks, à l’époque de ses balbutiements, ait tant fait référence à la discographie de la bande à Black Thought. Celui-ci a même collaboré avec Jus Allah et Vinnie Paz, pour l’un des tous premiers titres de JMT, ‘Get This Low’.

« Rhyme be coming from an illadelph state of mind »

The Roots ft. Bahamadia - « Proceed III » (1994)

Un titre jazzy, laid-back et agréable, comme The Roots en ont tant produit au cours de leur brillante carrière. Y apparaît Bahamadia, autre citoyenne de Philly, alors en passe d’être adoubée par la Gang Starr Foundation, et devenir ainsi l’une des female MCs les plus respectées du milieu. Quelques années plus tard, une fois la vague du succès passée, Bahamadia intégrera le premier roster de Army of the Pharaohs, pour le premier single du crew créé par Vinnie Paz. Comme pour The Roots, Jedi Mind Tricks a cherché dans le répertoire de la BB Queen une référence à Philadelphie, pour constituer le refrain de ‘Souls from the Streets’, hymne à la ville de l’amour fraternel.

« Yes yes y’all and you don’t stop, to the beat y’all and ya don’t stop »

Common Sense - « I Used to Love H.E.R. » (1994)

Le titre par lequel le scandale arrive. Sous couvert d’une personnification du Hip-Hop, Common y dénonce de façon plutôt subtile les dérives du rap et attaque le gangsta-rap. Ce qui lui vaudra des réponses plus frontales, notamment de la part de la Westside Connection. Ce beef aura toutefois beaucoup fait pour la popularité et la suite de la carrière du rappeur de Chicago. Jedi Mind Tricks utilisera les phrases d’ambiance de début et de fin de morceau, pour le refrain de ‘Last Straw’.

« And I get busy over unknown traps »

Main Source - « Just Hangin’ Out » (1991)

L’ancien groupe de Large Pro’ reste surtout dans les mémoires pour avoir permis à Nas de faire sa première apparition sur disque. Mais avec son premier album, « Breaking Atoms », Main Source a également influencé une bonne partie de ceux qui allaient devenir les plus grands artistes Hip-Hop des années 1990. Jedi Mind Tricks pioche ici dans ‘Just Hangin’ Out’, l’un des singles de « Breaking Atoms », dont le sample principal (Sister Nancy – ‘Bam Bam’) sera également utilisé par NTM et Raggasonic (‘Aiguisé comme une lame’).

« Jacques Cousteau could never get this low »

Wu-Tang Clan - « Da Mystery of Chessboxin’ » (1993)

Les ambiances poisseuses et hypnotiques de « The Psycho-Social LP » rappellent inévitablement certains aspects du travail de RZA, en particulier sur des albums comme « Liquid Swords » ou « Ironman ». On peut affirmer sans prendre trop de risques que le Wu a été l’une des influences majeures de Jedi Mind Tricks. GZA collaborera d’ailleurs avec Vinnie Paz et Stoupe à l’occasion de « Legacy of Blood ». Là, la phrase est empruntée au regretté O.D.B., et donne son titre au morceau ‘Get This Low ‘, collaboration entre Black Thought et des MCs de Jedi Mind Tricks encore adolescents.

« And I’ma get mad deep like a threat »

Wu-Tang Clan - « Protect Ya Neck » (1993)

Le morceau qui lancera la carrière du Wu-Tang Clan. Instru nerveuse et lo-fi, flows déchaînés, paroles acérées. Un clip mythique en noir et blanc, complètement cheap, qui posera les bases de l’imagerie du crew de Staten Island. Le Wu époque rap des caves, dans toute sa splendeur. Il n’y avait vraiment que RZA pour voir en cette formule complètement archaïque la clé du succès commercial. En tout cas, près de vingt ans après, le pouvoir de fascination est intact.

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17 commentaires

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  • Pedro,

    Kiko – En fait je pensais plus à une décortication en règle de ces albums, pas forcément seulement les samples vocaux. Par exemple les morceaux originaux samplés par El-P pour les instrus… Bien sûr c’est un taf énorme ! Bref, en tout cas c’est un job qui fait plaisir et ça commence par le choix du sujet : The Psycho-Logical ça fait zizir !

  • Enemy Of Mankind,

    bien vu l’article en tout cas un des plus grand album hiphop y’a pas a dire

  • Kiko,

    Y’en a un autre de prévu dans le même esprit, mais c’est pas pour tout de suite, ça prend quand même pas mal de temps à faire tout ça.

  • NLX,

    Tout juste quand je me mets à JDM, timing parfait ! Super article, je trouve le principe bien cool et intéressant.

    On en aura des autres comme ça ? =)

  • Kiko,

    Bien vu Béquilleur, je vais corriger ça.

    Sinon « Funcrusher + » et « Cold Vein » ça se prête un peu moins à l’exercice je pense, c’est moins riche niveau morceaux de rap scratchés.

  • Pedro,

    Vous faites trop plez avec vos choix thématiques ! Le gros plan sur The Psycho-Logical LP c’est que du bonheur ! A quand un retour du même genre sur The Cold Vein & Funcruscher Plus ? Continuez le bon taf les gars, merci !

  • Béquilleur,

    Petite erreur. GZA a participé à l’album « Legacy of Blood » des JMT, et non Visions of Gandhi.

  • Béquilleur,

    Excellent billet ! Ca fait plaisir !

  • borsalino,

    R.I.P Guru !

  • Kiko,

    Merci pour les retours les gars 😉

  • flo,

    Encore un gros travail de fond mené par l’équipe. Good job à l’abcdaire!
    Par ailleurs cet album est juste une grosse bombe.

  • Billy Chong Boz,

    Thanks. Putain d’article.

  • Nicobbl,

    Real shit ! Big up la famille !

  • Greg,

    Excellent, big up à Kiko (mine de rien y a du boulot derrière!). Vrai que cet album est complètement barré et que les suivants n’ont pas grand chose à voir, faut savoir que c’est le même groupe.

    Au passage, j’suis fan de la locution « par rebond » 😉

    La collaboration JMT/Black Thought :
    http://www.youtube.com/watch?v=PK4bSfjJDLk

  • Zetray,

    Très bon boulot, vraiment. Ce billet va encore me pousser à réécouter l’album. A chaque nouvelle écoute on découvre de nouveaux trucs, des nouveaux détails…

  • Breizhpun,

    Génial! Merci!

  • Bachir,

    Good Work, je dis bravo!