Suprême NTM Suprême NTM

Suprême NTM Les 20 ans de l'album

À la fin de l'hiver 1997/1998, la voix de Kool Shen succède aux cinq notes de basse qui ouvrent « Laisse pas traîner ton fils ». « À l'aube de l'an 2000, pour les jeunes ce n'est plus le même deal » dit-il sur ce titre qui est le premier single du quatrième album studio de NTM. Sobrement appelé Suprême NTM, le disque s'apprête à succéder à Paris sous les bombes, qui a éparpillé le rap français à coup d'influences new-yorkaises tout en réalisant une OPA sur l'équipe Assassin, DJ Clyde en tête. Trois ans se sont écoulés depuis les succès exponentiels de « Pass pass le oinj », « Tout n'est pas si facile », « Qu'est-ce qu'on attend » et « La Fièvre ». Trois années ponctuées d'un marathon judiciaire, de tournées jamais totalement abouties et de séparations et rapprochements. Mais pendant que le Suprême écumait les salles et la chronique judiciaire des journaux, c'est aussi le rap français qui mutait.


Quand lors de son troisième disque, NTM se vivait pour la dernière fois comme un posse, d'autres s'étaient chargés de redéfinir les contours de ceux qui niquent la musique de France. IAM, en plus de sortir le monumental L'École du micro d'argent mettait en avant la fougueuse Fonky Family. À Paris, La Cliqua cultivait les bases de son Conçu pour durer et Time Bomb redéfinissait toutes les notions de flow à travers un collectif hors-norme. Quant au Minister Amer, il étendait son secteur, touchant aussi bien à la variété autoproclamée du Doc qu'aux entraînements de boxe avec les mots d'Ärsenik. Sans compter sur les DJs de l'hexagone qui faisaient pleuvoir des cargaisons de mixtapes sur les bacs français dans lesquelles tout le monde apparaissait à l'exception d'un seul groupe : NTM. Alors qu'ils mûrissaient le quatrième album de la maison mère, Kool Shen et Joey Starr devaient se rendre à l'évidence : le rap français, ce n'était plus le même deal. Les deux MCs dionysiens étaient face à un virage : soit ils prenaient définitivement un coup de vieux, faisaient partie du passé, soit ils répondait de la plus belle des manières, avec un album hors norme et sans concession à l'air du temps ni à leurs rivaux. Plutôt que de prendre le train en marche, ils choisirent la deuxième option. Elle s'intitula Suprême NTM. Sobriété et suprématie.

Entouré de nouvelles têtes, le Nikomouk s'affiche désormais explicitement comme un duo. La notion d’unité est toujours de mise, mais elle se concentre sur deux visages affichés sur fond bleu et prêts à regarder leurs fondamentaux droit dans les yeux : la fougue, les comptes à régler, le malaise social mais surtout la complémentarité. Il en ressort un disque d'une puissance rare. L’adéquation entre Joey Starr et Kool Shen, deux rappeurs que leurs styles opposent mais que l'histoire rassemble, atteint enfin son paroxysme et devient une constante.

De la constance à la cohérence, il n’y a qu’un pas que le duo maintient enfin intégralement durant seize pistes. Unis dans tous les maux qu'ils décrivent autant que dans les moments de pur freestyle ou même d'entertainement, le duo de Saint-Denis tatoue au fer rouge le rap français et érige le 93 en centre névralgique de la scène hexagonale, jusqu’à lui donner l’image de berceau du hip-hop tricolore. Au point que vingt ans plus tard, Suprême NTM reste l'un des albums de rap français qui a le mieux vieilli. Évidemment, il ne contient pas les codes de 2018. Mais que ce soit à travers son mixage, terriblement moderne et puissant pour l'époque, son format, ses titres ultra calibrés et extrêmement resserrés ou la multiplicité de ses exercices, il reste un disque exemplaire, que le temps commence à peine à marquer. Une madeleine pour celui qui était adolescent en 1998, évidemment. Mais aussi un modèle de tenue de route artistique pour celui qui aujourd'hui, souhaiterait produire un album à la fois varié et soudé, unique et multiple. Alors si Suprême NTM n'est pas le disque qu'il faudrait faire en 2018, il est de ceux qui montrent comment lier en une seule identité un catalogue d'exercices distincts et deux personnalités que rien ne semble pouvoir concilier sans risque de fractures. Retour sur un monument du rap français illustré par sept titres incontournables de sa tracklist.

Back dans les bacs Back dans les bacs

Back dans les bacs

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Le rap français de 1998 est bien différent de celui de 1995. Ill, Lino et Oxmo sont sur un piédestal, IAM a mis tout le monde d'accord avec un album tout en maîtrise. Les mots sont pesés, les flows affûtés et sans faille. Joey Starr et Kool Shen n'ont jamais été des virtuoses, ni de l'écriture ni de la technique. Il y a une certaine nécessité pour NTM d'amener son quatrième long format sur un autre terrain que celui pratiqué par les autres grands noms du moment. Depuis quelques années, Didier Morville et Bruno Lopes trainent la réputation d'être totalement ingérables, côté pile, mais de pouvoir se muer en véritables bêtes de scène côté face. Le crédo est donc évident : Suprême NTM, l'album, sera la transposition sur disque de cette énergie folle et pour le moins débordante, mise en valeur par la puissance de feu accordée au duo par Epic. Là où Paris sous les bombes et même J'appuie sur la gâchette possédaient une couleur et une ambiance propres, cette sortie éponyme est plus une collection de bangers, de morceaux qui frappent dur même quand ils se veulent réfléchis. Un disque né de la scène, en quelque sorte, et fait pour la scène. « Back dans les bacs », qui succèdent à une intro toute en ricanements hystériques, plante parfaitement le décor et annonce le retour du posse Nikoumouk de façon suffisamment bruyante pour qu'il n'échappe à personne.

Pendant trois minutes, les Dionysiens ne disent pas grand chose, en tout cas sur les passages intelligibles (ceux de Kool Shen donc). Mais leur fougue et leur conviction valent tous les discours. Le breakbeat cogne, la basse est âpre. Ils ne sont couplés qu'à quelques notes de cuivre et à une sirène discrète en fond, pourtant l'espace sonore apparaît rempli à ras bord. Clairement, « Back dans les bacs » n'est pas de ces titres, nombreux dans le rap hexagonal d'alors, qui s'écoutent au casque, calé au fond d'un bus. Il ne s'apprécie pleinement qu'avec le volume à fond et les fenêtres grandes ouvertes. Il nous apprend beaucoup sur ce qu'il convient d'attendre des quatorze pistes qui vont suivre, mais aussi sur les alliances du moment : la moitié du second couplet est ainsi consacrée à dédicacer les « collègues du tatami », Afro Jazz, Psykopat, ou Busta Flex, mais aussi, de façon plus surprenante, Casey et Lunatic. Histoire de montrer que si NTM a décidé de miser sur ses fondamentaux, le duo n'est pas non plus en rupture avec la nouvelle école, qu'elle évolue dans son style ou non.

- Kiko


Made in USA

« Back dans les bacs » est produit par The LG Experience, un gros poisson du beatmaking : frère d'Easy Mo Bee, il a été choisi en 1994 par Nas pour remixer « One Love » et par Big L afin d'en faire de même pour « Put It On », deux morceaux emblématiques s'il en est. Patrick Harvey, de son vrai nom, a également fourni en instrus entre autres GZA, Big Daddy Kane, Canibus et même Tupac. Fait d'armes un peu plus cocasse, LG a coproduit trois beats sur le second album de Shaquille O'Neal, à l'époque où le Shaq tâtait le micro entre deux paniers fracassés. Le New-yorkais avait déjà collaboré avec NTM sur J'appuie sur la gâchette (« Pour un nouveau massacre ») et sur Paris sous les bombes (« Qu'est ce qu'on attend », « Nouvelle école », « Pass pass le oinj »). Il garde d'ailleurs un souvenir apparemment plutôt bon de Joey Starr et Kool Shen : « I don’t know what they was saying (they rhyme in French) but I could tell they had a flow. » - Kiko

NTM - Laisse pas trainer ton fils NTM - Laisse pas trainer ton fils

Laisse pas trainer ton fils

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En 1998, NTM n’a plus grand-chose du posse qu’il fut. Le temps a fait des ravages, et le Suprême n’est plus qu’un duo, Joey Starr - Kool Shen. Pire, ce n’est plus que la somme de deux unités, Joey Starr + Kool Shen. Le groupe approche de sa fin, et la dichotomie qui le régit se camoufle difficilement. L’aspect double-face du binôme est une force, mais Suprême NTM marque l’ultime conciliation de deux tempéraments, humains et artistiques. «Laisse pas traîner ton fils» est un exemple flagrant. Le temps d’un seul couplet, Joey Starr sort ses tripes, puisant dans une enfance douloureuse la force de rugir sa rancœur contre la figure paternelle. Personnel, violent, fragile, c’est un cri du cœur que laisse entendre le Jaguarr. A contrario, Kool Shen, disposant de deux couplets sur les magnifiques violons de Sulee B, fait montre d’un style très scolaire, tout à la seconde personne du singulier, à la limite du discours moralisateur. Quand Shen dépeint un anonyme qui « joue de mieux en mieux [son] rôle de caille-ra », Joey écrit sur un père méprisant et violent, l’ayant livré à la rue. Ce sont là deux approches distinctes voire antagonistes, pour une même alerte « à l’aube de l’an 2000 ». Alerte qui par la grâce d’un refrain inoubliable, et d’une production inaltérable sera un tube immédiat, puis un classique définitif. Le morceau, premier single de ce jubilé discographique, se vend par palettes entières à sa sortie, et demeure pertinent vingt ans plus tard. C’est non seulement vrai de par les acrobaties verbales de Bruno Lopes –spécialement la fin de son second couplet- et la justesse d’un Didier Morville à fleur de peau, mais c’est aussi aux chœurs d’Angie Berthias Cazaux que « Laisse pas traîner ton fils » doit son statut.

– B2

L'autobiographie

Jusqu’à ce couplet sur « Laisse pas traîner ton fils », Joey Starr ne dit rien de Didier Morville. Dans une recherche permanente de performance, le Jaguarr se défoule sans cesse et ne se dévoile jamais. Il extériorise une rage sans dire laquelle, crache une rancœur dont on ne sait rien. Ici, pour la première fois Joey puise dans son histoire pour donner à voir un peu de sa personne. Il ne campe plus un personnage. Le début d’une mue ? Pas franchement… La suite de sa carrière musicale ne donnera guère à entendre pareille plongée intimiste. Il y a bien la fin de « Métèque » : « Tout m’éloigne de mon père grâce à qui j’ai ce goût amer » mais le titre est anecdotique. C’est finalement à travers son premier livre, Mauvaise réputation, que Didier dira qui il est. Cet ouvrage constitue l’unique regard à froid que l’artiste porte sur sa vie. Il y revient d’ailleurs sur son père, éclairant ainsi le fameux couplet. Suffisant pour transformer un rappeur violent et incontrôlable en acteur dur au cœur tendre, puisqu’à partir de Polisse, l’image publique de Joey Starr change peu à peu. - B2

That's my people That's my people

That's my people

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Quand la musique de chambre devient la quintessence de la musique de rue, c'est un peu l'histoire de « That's my people ». Un jour, Sully Sefil récupère quelques notes du Prélude numéro 4 de Chopin. Il n'y touche qu'à peine, se contentant d'y poser un beat à la va-vite, un poum-poum-tchak d'un classicisme mobb deepien. La magie opère lorsque Kool Shen, assis à côté d'un Busta Flex en train de préparer son premier album au studio Planète Sun, entend cette production. Conscient que la musique est une histoire d'équilibre, la moitié du Suprême NTM voit dans ce sample la parfaite osmose entre fragilité et puissance mélancolique. C'est l'écrin qu'il attendait pour un texte alternant réminiscences de scènes de rue, errance et auto-portrait intimiste. Souhaitant que l'instrumental reste dépouillé de tout artifice, si ce n'est les voix scratchées de Method Man et Keith Murray en guise de refrain, Kool Shen transcende la rue et prouve qu'on ne réfléchit jamais mieux que debout, en marchant. Le rap français tient ici sa balade, au sens propre comme au sens figuré. Et puisqu'elle vient de Bruno Lopes, elle est froide et hivernale, délivrée de l'érotisme brutal porté par Lord Kossity et Joey Starr (« Ma Benz »). La définition ultime du rap français façon « violon piano », portée par un MC seul face à sa feuille et laissant la ponctuation de son texte aux backs d'un Busta Flex à la précision chirurgicale. "Trop sophistiqué c'est pêché". Définitivement.

– zo.

Le piano

En 2005, Kery James ou Sinik étaient invités par Kool Shen à reprendre « That's my people » sur scène. Passée la chair de poule que la collaboration de ce « All Stars » du rap conscient procurait, ce double featuring ne réussissait pourtant pas à ressusciter la frisson originel de « Thats my people ». Idem lorsque Sinik, toujours, avait convoqué le même sample de Chopin et fait intervenir Kool Shen sur « Si Proche des miens ». Si l'intention est la même que celle de la quatrième piste de Suprême NTM, le résultat ressemble à la coulée de krylon d'un graffiti bien inspiré mais pas tout à fait abouti, malgré une dédicace glaçante d'amour à Lady V. Alors quand en 2016, Kool Shen sort son dernier album solo, Le Fil du rasoir, il convoque peut-être le beatmaker le plus apte à reproduire la magie de la boucle de Sully Sefil : Mani Deïz. Certes, ses caisses claires sont plus étouffées que celles utilisées par l'auteur de « J'Voulais ». Le beat est également plus rapide. Mais de toute façon, l'intention n'était pas de reproduire le plus beau titre solo que Kool Shen ait jamais pondu, puisque ce n'était (encore une fois) pas une commande. Malgré tout, « Debout » est une nouvelle leçon de piano qui répète les gammes de « That's my people » sans tout à fait les atteindre. – zo.

Seine St Denis Style Seine St Denis Style

Seine St-Denis Style

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Alors que dans « La Fièvre », Kool Shen et Joey Starr n’hésitaient pas à faire un détour par Paris et le quartier des Abbesses, Suprême NTM est un album que l’inconscient collectif a solidement ancré dans son département, le 93. « Seine Saint-Denis Style » y est pour beaucoup. Le Babtou de retour et L’expert de la maison mère créent ici un hymne élevant le statut d’exception territoriale de leur département au rang d’universalité hexagonale. Qu’est-ce qui fait que « Seine Saint-Denis Style » ait autant explosé les frontières du nord de Paris ? D’abord, que le Nikomouk avait depuis longtemps touché du doigt cette universalité. « Pass Pass le oinj », « Tout n'est pas si facile », « Qu'est-ce qu'on attend » et « La Fièvre » avaient étendu à un niveau national ce que Paco Rabane ou les médias parisiens trouvaient déjà d'une justesse sulfureuse cinq ans plus tôt. Les codes et la puissance du groupe étaient intégrés par le public, le terrain était défriché. La différence avec tous les autres titres du catalogue de NTM alors ? Comme le disent ses deux interprètes, « Seine Saint-Denis Style » se « reconnaît aux db » tant il est une déflagration sonore d’une construction remarquable. L’instrumental de Daddy Jockno (Afro Jazz) est doté de deux ponts qui sont de véritables ressorts « fonky fresh », doublé par les scratches de Naughty J, le tout est porté par un refrain facile à backer, à l’onomatopée qui montre les muscles et au slogan fédérateur. Scandées en cœur de Lorient à Strasbourg, la voix inénarrable de Joey et les furieux warning dont Kool Shen parsème son texte peuvent se résumer ainsi : ce qui compte, ce n'est pas le look mais l'attitude. Elle est ici estampillée neuf-trois et s'apprête à devenir nationale. Entre egotrip déchaîné et rafales de gardiens du temple hip-hop (le « trop de merde sont étiquetées pera », faisant écho à la pique adressée à Ménélik trois pistes plus tôt sur « Back dans les bacs »), NTM rappelle avec « Seine Saint-Denis Style » qui est le patron et érige son propre trône. Ça vient de Saint-Denis, basilique hip-hop, et ça n'a jamais été cloné. Définitivement Suprême.

– zo.

L'anthem

Les clins d'œil à un quartier, à une ville ou à un département sont monnaie courante et ce depuis bien longtemps dans le rap hexagonal. Dès 1991, IAM choisit d'appeler son premier album ... De la planète Mars en référence à la cité phocéenne. Quelques années plus tard du côté de Paris et de sa banlieue, Sarcelles, Boulogne ou encore le quartier de la Fourche(-lynn Zoo) dans le 18ème sont rapidement posés sur la carte du rap français. Mais en 1998, le Suprême NTM instaure une petite révolution avec « Seine Saint-Denis Style ». Il n'est plus question de citer sa ville ou son département d'origine au détour d'une rime ou sur la pochette d'un album : il s'agit de le porter aux nues, d'en faire l'éloge le temps d'un morceau qui lui est dédié. Et si toute l'Ile-de-France ne manquera alors pas de se soumettre rapidement à cet exercice (comment oublier « Panam All Starz » et ces rappeurs qui viennent tour à tour représenter leur département) devenu presque obligatoire, c'est bien dans le 93 que la tradition se perpétue le mieux. Avec notamment le duo Tandem, et un « 93 Hardcore » mémorable qui à sa sortie en 2003 était régulièrement cité comme le nouvel hymne de la Seine Saint-Denis. Mais d'autres rappeurs se feront également le porte étendard du Nord parisien. Casey, rappeuse du Blanc-Mesnil, en dresse un portrait à la fois acerbe et bienveillant dans « Banlieue Nord ». Sefyu, originaire d’Aulnay-sous-Bois, donnera une suite au morceau original (« Seine Saint-Denis Style : nouvelle série » en compagnie de Joey Starr). Aujourd'hui, c'est sans doute Kaaris qui en est le plus fier représentant avec des morceaux comme « 80 Zetrei » ou ses nombreux hommages à sa ville de Sevran. Gardez vos gilets pare-balles, la génération n'est peut-être plus Fonky-Tacchini mais elle te fout toujours des coups de pe-pom, si tu respectes pas les règles mec du béton.– David2

Ma benz Ma benz

Ma Benz

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« Ma benz » est un morceau à part dans le parcours du groupe dionysien, qui n’a jamais autant mis de côté toute préoccupation socio-politique. Si « La Fièvre » avait quelque chose de léger, il y avait toujours un poids pour faire exploser la bulle au sol –c’était en l’occurrence le poids du harcèlement policier narré par Kool Shen. Avec « Ma Benz », rien ne perturbe l’amusement ; la tension n’est plus la même. À l’arrière de la berline allemande, tout n’est plus que corps chauds, échange de fluides et banquette humide. DJ Spank et Joey Starr sont à la confection d’un beat laid-back dont seul Kool Shen semble se préoccuper, ralentissant le rythme vocal tonitruant donné par Joey Starr et Lord Kossity au morceau. Il faut dire que c’est Shen qui décida de conserver cette production initialement destinée à des raggamen proches de Lord Ko’, et sans laquelle le Suprême n’aurait probablement jamais livré son incontournable des dancefloors. Tout en bestialité, le trio souffle un air à cinquante degrés, humide à quatre-vingt-dix pourcents, qui par la suite se retrouvera bien davantage dans le son B.O.S.S que dans la production IV My People. C’est une approche ultra sensorielle des rapports femme-homme, empruntant davantage à l’outrance du Journal du Hard qu’à l’érotisme suggestif consenti par la bonne morale, dont NTM n’a jamais rien eu à faire. De cette insolence naîtra (encore) une polémique, menant à la censure partielle du morceau en télévision. Et à vouloir cacher ces seins que le CSA ne saurait voir, il les aura rendus immanquables, conférant une dimension nouvelle à « Ma Benz », celle de l’interdit, qui comme chacun sait est le meilleur moyen d’attirer la jeunesse.

–  B2

La reprise

NTM apeurait avant l’an 2000 ? Désormais NTM inspire, et le groupe fait figure de monstre sacré. Le temps a fait son travail et les générations nouvelles des mondes culturels sont celles ayant grandi avec les voix de Kool Shen et Joey Starr. En toute logique, on reprend donc NTM, et tout aussi logiquement, c’est sur « Ma Benz » que les artistes jettent leur dévolu. Philippe Katerine le fait avec le groupe Francis et ses peintres, entre une reprise de Pink Martini et une de Yannick Noah sur l’album 52 Reprises dans l’espace. Mais c’est surtout au duo Brigitte que le morceau doit son second souffle, un peu moins chaud et humide. Les paroles sont chantées en l’état par deux femmes, ce qui change tout au titre et transforme sa réception. Du porno à peine choc de 1998, « Ma Benz » arrive dans l’éros tout juste chic en 2010. L’interprétation est plus langoureuse, le visuel est plus arty, et si la version originale n’avait rien demandé, il faut bien admettre que cette réappropriation la dépoussière. Elle est respectueuse et participe probablement du basculement institutionnel de NTM. – B2

Ma benz Ma benz

On est encore là(II)

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Sur l'intro de Suprême NTM, Joey Starr et Kool Shen se la jouent cauchemar de la police, tourmentant un jeune agent à base de hurlements et de rires sadiques. Sur « On est encore là » il y a toujours des hurlements et des rires sur le refrain, mais le registre tient moins du cinéma horrifique que du film de société. L'instru lancinant évoque une certaine pesanteur. Et les Dionysiens vident leur sac : leurs déboires avec la justice, les atteintes à la liberté d'expression, le climat social délétère... L'humeur n'est plus vraiment à la provocation, le duo en a gros sur la patate. Comme souvent avec NTM, le discours n'est pas particulièrement profond ou nuancé. Mais cette seconde version de « On est encore là » brille surtout par la complémentarité entre la production et l'interprétation qui laisse transparaître une certaine lassitude. Là où « On est encore là (I) » est plus offensif, plus déterminé et, d'une certaine manière, plus convenu, ici Kool Shen et Joey Starr s'illustrent dans un style presque plaintif plutôt inhabituel pour eux. « Deux mois de sursis, cinq barres d'amende », une interdiction de faire leur taf, quelques procès dans un Sud en proie à la peste brune... Tel un boxeur au douzième round d'un combat bien brutal, le Suprême a morflé mais il est encore là, debout, la tête haute, n'en déplaise aux censeurs supposés. Au rayon des détails, saluons le bon goût de Madizm qui sur le refrain scratche « Whayback » d'Artifacts, tiré du génialissime Between a Rock and a Hard Place.

–  Kiko

La justice

Lorsque NTM se retrouve poursuivi et condamné en première instance en 1995, c’est le juge Claude Boulanger qui tient le glaive de la justice. Réputé pour sa célérité, cet ancien inspecteur des Renseignements Généraux, en phase avec le préfet Jean-Charles Marchiani, est la synthèse complète de ce que NTM dénonce dans sa musique depuis désormais dix ans : la porosité entre police, justice et extrême-droite. Un discours déployé d’album en album. D’abord comme une ombre menaçante planant au-dessus des forces de l’ordre, depuis « Police » en 1993 et l’apparition du Petit Pujol, auquel revient d'ailleurs l’honneur d’ouvrir Suprême NTM en 1998. Le plaidoyer anti FN de « Plus Jamais ça » avait quant à lui lancé Paris sous les Bombes, Il ne manquait plus qu’au duo d’amalgamer le tout dans une chanson, puisque le tribunal de Toulon et les syndicats de police ne s'en étaient pas privés. C’est le rôle des deux versions de « On est encore là », qui entérinent définitivement la volonté du Suprême de dresser des constats. Certains parleront de porte-voix de la jeunesse, d'autres d'incitation à l'émeute et à la haine. Le Nikomouk n'en a que faire et continue de parler de lucidité, d’urgence de dire et de virulence. Pas vraiment une plaidoirie, mais une véritable justification de la récidive. Et peut-être même le moteur précis de la notion de rap conscient. - zo.

Pose ton gun Pose ton gun

Pose ton gun

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Comme beaucoup de grands duos de l'histoire de la musique, le Suprême NTM est une affaire de complémentarité. Et si celle de Kool Shen et Joey Starr n'a pas attendu 1998 pour faire des étincelles, elle n'a sans doute jamais été aussi éclatante que sur ce morceau. Bestiale, brutale, agressive, animale, les mots manquent de force pour évoquer l'interprétation habitée, jamais imitée, d'un Joey Starr qui ne s'était jamais autant approché de l'inintelligible. Une prestation à la limite de l'abstrait et de la saturation, peu aidée par un franglais omniprésent, mais toujours suffisamment distincte pour laisser comprendre l'essentiel : bad boy pose ton gun avant qu'il y ait maldonne. Et lorsque sa voix aboyeuse et caverneuse s'éteint à la fin de la deuxième occurrence du refrain, celle de Kool Shen apparaît claire et limpide comme la lumière au bout du tunnel. La force de son couplet s'en trouve décuplée, bien aidé également par Willie Gunz à la production, qui a la bonne idée de laisser tourner le sample de Bobby Womack durant toute sa prestation pour en renforcer la tournure sentencieuse. Message louable un brin moralisateur dans sa formulation à l'impératif, « Pose ton gun », avec « Laisse pas trainer ton fils », est un peu la caution « bien pensante » (entre de gros guillemets puisqu'on y invite quand même l'auditeur à braquer la Brinks) du binôme étiqueté hardcore de Saint-Denis. Sans ce détail et sans la performance sauvage du Jaguarr, il aurait pu devenir l'autre titre à faire écouter à ses parents, celui pour leur expliquer que non, les Nique Ta Mère ne sont pas si méchants que ça. En l'état il est plutôt une espèce de brûlot pacifiste, pas une bastos mais un drapeau blanc balancé fort en pleine gueule, juste pour être sûr qu'il s'y plante bien.

– David2

Les images

À sa sortie, Suprême NTM a été accompagné par une série de clips. Les deux premiers, « Laisse pas traîner ton fils » et « Seine Saint-Denis Style » se répondent et se suivent. Deux clips qui devaient leur unité à leur mise en scène, mais aussi à la complémentarité entre Joey Jo’ et Kool Shen. Habillés comme à la ville, les deux rappeurs y multiplient les plans face caméra, tantôt l’air pénétré, tantôt le moulinet sauvage, front contre une vitre type hygiaphone que Joey fera même tomber d’un coup de tête. Pour « Pose ton Gun », les mêmes fondamentaux sont repris : ces postures de danseurs, à la fois fluides mais au mouvement saccadés, tout en puissance et en style. Sauf que cette fois, dans une narration elliptique d’un décès par balle, le duo se retrouve en fringues street wear d'époque dans une morgue, debout sur les tables funéraires. Les casiers mortuaires au fond de la salle, filmée encore une fois sur toute sa longueur. Le dernier couloir de la vie, celui avant le tunnel de l'au-delà, avec le feu pour les couplets de Joey, la froideur de l’inox pour ceux de Kool Shen. La complémentarité du duo dans toute sa quintessence et peut-être avec « Seine Saint Denis Style » la mise en image la plus proche de ses performances live, véritable savoir-faire du groupe. Des impacts de balle forment mon logo comme disait l’autre. – zo.