2013 : l’année Wu-Tang ?
Influence

2013 : l’année Wu-Tang ?

Vingt ans après Enter the Wu-Tang (36 Chambers), le Wu-Tang est devenu un véritable artefact de culture pop, cité et célébré un peu partout. Revue de détails d’une année 2013 très Wu.

La légende raconte que RZA s’était donné cinq ans pour amener le Wu-Tang Clan au sommet. C’était en 1992, à la sortie du maxi Protect Ya Neck. Un an plus tard sortait le classique Enter The Wu-Tang (36 Chambers). Et en 1997, la prophétie se réalisait : Wu-Tang Forever, le deuxième album du groupe, s’écoulait à 4 millions d’exemplaires, le point d’orgue de cinq années de conquêtes.
RZA voyait-il encore plus loin ? Récemment, le cerveau du Wu confiait avoir assuré son équipe qu’ils pourraient même viser la pérennité sur vingt ans. Mythologie de circonstance ou réalité ? Toujours est-il que nous sommes en 2013, Enter The Wu-Tang aura 20 ans demain, et le Wu-Tang est partout. Ou en tout cas, une certaine idée du Wu-Tang. 2013 a été l’année des clins d’œil au folklore shaolin, comme si le symbole Wu-Tang avait progressivement infusé dans l’inconscient collectif du rap et de la pop culture. Le groupe peut bien péricliter, son ombre n’a jamais été aussi nette. La preuve.

RZA dans Pacific Rim

Pacific Rim a l’ADN d’un film Wu-Tang. De la même façon que le Wu téléscope les folklores (rap, kung-fu, mafia…), le cinéaste Guillermo Del Toro a célébré dans ce gros blockbuster deux obsessions d’enfance : les films de monstres japonais et la culture du catch amateur au Mexique. La présence de RZA au générique est donc synchro avec son goût pour les assemblages d’influences et le cinéma de genre. Dans la grande lignée des superproductions-avec-un-morceau-de-rap-à-la-fin, le mentor du Wu rappe un couplet sur la chanson du générique, signée par une certaine Blake Perlman (accessoirement fille de Ron Perlman, acteur fétiche de Del Toro). Rien de bien mémorable, on vous l’accorde, mais cette apparition marque une continuité sympathique pour RZA : comme dans Ghost Dog ou Kill Bill, il semble créer un dialogue entre le Wu-Tang et Hollywood dans tous les films où il passe. — JB

Jay Z et RZA connectent (encore)

Question : parmi les nouveaux amis de Jay Z, qui a écouté Iron Flag ?

La relation entre Jay Z et le Wu-Tang a longtemps relevé de l’entente cordiale. Leur collaboration la plus concrète était restée la signature funeste d’ODB sur le label Roc-A-Fella en 2004, signature initiée par Damon Dash malgré les réticences de Jay Z. Tout arrive : depuis deux ans, la présence de RZA autour de Jay Z est plus apparente que jamais. Grâce à Kanye West, les deux s’étaient déjà croisés lors des sessions My Beautiful Dark Twisted Fantasy et Watch The Throne. Cette année, c’est un clin d’œil rare et explicite que Jay Z a adressé à RZA dans Magna Carta… Holy Grail. A croire que Shawn Carter écoutait Birth of a Prince en boucle avant d’entrer en studio, son premier couplet dans « Heaven » semble être tout droit sorti du bloc-notes de Robert Diggs : « Arm, leg, leg, arm, head – this is God body / Knowledge, wisdom, freedom, understanding, we just want our equality ». Le tout sur un instrumental plus Wu-Tang que le Wu, un sample-de-sample repris au producteur Adrian Younge, très influencé par RZA, qui a réalisé cette l’album Twelve Reasons to Die de Ghostface. « Heaven » fait donc office de mash up complétement improbable : Timbaland aux manettes, Justin Timberlake au refrain, Jay Z qui cite REM… et l’ombre tentaculaire du Wu-Tang sur chaque mesure. — JB

Les hommages de Drake

Depuis So Far Gone et ses hommages répétés à la scène texane en passant par sa déclaration d’amour faite à la Bay Area sur « The Motto », Drake s’est fait comme spécialité de rendre des hommages bien sentis à ses aînés. Nothing Was The Same, troisième album solo du Canadien, le voit lorgner du côté de Staten Island sur l’évident « Wu Tang Forever ». Plutôt romance que menace, le morceau est a priori à des kilomètres des légendaires productions rugueuses et désaccordées de RZA. C’est en fait au sample qu’il faut s’intéresser pour se rendre compte que Noah « 40 » Shebib, producteur du morceau et collaborateur privilégié de Drake, est allé piocher dans la dernière piste du premier CD issu du fameux double album du Wu-Tang, le bien nommé « Wu-Tang Forever ». Souvent jugé en comparaison d’Enter The Wu-Tang (36 chambers), Wu-Tang Forever est au groupe ce que It Was Written est à Nas. Et, à la manière de la deuxième galette de Nasir Jones, le disque est aujourd’hui en train de vivre une deuxième jeunesse. Tant mieux si Drake y est pour quelque chose. — Mehdi

The Man with the Iron Fists

Entre gros nanar et chef d’oeuvre.

Difficile d’avoir un avis franchement tranché sur The Man with the Iron fists, le premier long métrage réalisé par RZA. Accouché dans la douleur, il flirte parfois de près avec l’énorme nanar. Mais il faut prendre un peu de recul, le voir comme un hommage à ces films d’arts martiaux des années soixante-dix, aux sorties des Shaw Brothers et à cette esthétique hongkongaise régulièrement infusée dans la dynastie Wu-Tang Clan. Les personnages, les dialogues et la bande-son regorgent de clins d’œil plus ou moins explicites à cet héritage. Voir et revoir RZA en forgeron vengeur, c’est aussi se reprendre en pleine gueule Bobby Digital, « Shame on a nigga » et les parallèles entre les échecs et le combat au sabre. Forcément, quand on a eu le cerveau bouffé par l’équipée Shaolin, ça ressuscite des souvenirs. On porte du coup un regard à part sur un film pas franchement original… et pourtant tout sauf anodin. — Nicobbl

Danny Brown et le fantôme d’ODB

« Ol’ Dirty Bastard est la plus grande rock star de ces vingt dernières années ». Abcdrduson, 2007.
« I’mma die like a rockstar ». Danny Brown, 2011.
Dans un syllogisme foireux, la conclusion pourrait être : « Donc Danny Brown est Ol’Dirty Bastard ». Un rapprochement avec Russell Jones qu’a pourtant fait Brown lui-même sur « ODB », titre perché et finalement écarté de Old pour cause de droits sur le sample. S’il y a un rappeur qui rappelle Dirt McGirt, c’est bien Danny Brown : grimaces, dégaine d’épave sur une plage de cachetons, regard hagard, dentition hasardeuse, description étrange de leurs orgies sexuelles. Macklemore et Drake ont retenu de l’esprit Wu-Tang la débrouille pour fonder un empire ; Danny Brown, d’ODB, la capacité d’injecter dans l’énergie du rap une grosse dose d’absurde. « But in the end I’m just a dirty old man, with a pill in my mouth and my dick in my hand ». Le sale vieux bâtard n’aurait pas mieux postillonné. — Raphaël

RZA et Earl : le père et le fils

Ils n’ont aucun lien de parenté. Pourtant, Earl pourrait être le rejeton de RZA. Au moins son Jon Snow : un bâtard mis à l’écart, loin de tous, et revenu pour mieux récupérer son dû. Même timbre de voix rauque, mêmes affinités pour la boucle crade et brute, même vision sombre et embrumée. Doris, le premier album du sale gosse revenu des îles Samoa sonne comme une confirmation. La confirmation du test de paternité. Et si seul « Molasses » rassemble physiquement le père et le fils (caché), Doris porte le sceau de Prince Rakeem, avec un empilement lugubre et bordélique. Doris, c’est un appartement dévoré par les cafards, éclairé avec une minuscule bougie. Une succursale du Tical de Method Man – entièrement produit par RZA – avec une porte défoncée qui mène vers la trente-septième chambre. — Nicobbl

RZA, citoyen d’honneur britannique

En musique, il y a les collaborations dispensables, les collaborations un peu forcées, les collaborations prévisibles. Et puis, parfois, il y a une collaboration inattendue mais évidente, comme un petit miracle. La rencontre James Blake / RZA appartient à cette catégorie. RZA joue ici à la perfection son rôle d’ambassadeur mondial du Wu, à la croisée des genres et des continents. Lui et Blake n’ont ni le même âge, ni le même parcours, mais ils partagent un point commun : celui de célébrer la soul en la réduisant à une expression brute. Avec son clavier désaccordé et ce sample vocal transformé en cri, « Take A Fall for Me » fait une synthèse du son Wu-Tang tout en restant parfaitement cohérent avec le style James Blake. Si Danny Boyle décidait de faire un remake british de Ghost Dog, il saurait qui appeler pour la bande originale. — JB

RZA et Kid Cudi chassent les abeilles

Kid Cudi, probablement après que RZA lui ait proposé un polo Wu Wear

Indicud, troisième album solo de Kid Cudi, était un disque inégal. Dévoré par son ambition, Cudi ne parvenait pas à aller au bout de ses objectifs et à porter sur ses seules épaules – il a produit la totalité du disque – un projet qui, par ailleurs, ne manquait pas de belles idées. Laisser la part belle à RZA sur « Beez » en était évidemment une. Comme ce que fera Drake (décidément) un peu plus tard avec Jay Z sur « Pound Cake », Kid Cudi laisse deux couplets entiers au fondateur du Wu et n’intervient que pour un bref refrain. RZA, lui, rappe comme s’il était encore Prince Rakeem, avec la fougue et l’insolence d’un jeune rookie qui souhaite conquérir le monde et foutre la merde partout où il passe (« I does what the fuck I wanna do here, I splash that Gucci shit from the shirt to the shoewear »). Il est en tout cas rassurant de constater qu’entre deux projets audiovisuels, Robert Diggs prend le micro avec toujours autant de plaisir quand l’occasion se présente. Et qu’il n’hésite pas, à chaque fois, à brandir bien haut l’étendard du groupe new-yorkais.  — Mehdi

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8 commentaires

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  • […] The Mecca (Complex) • Portrait de l'ex-next big thing du rap new-yorkais : Max B (Fluctuat) • 2013 : l'année Wu-Tang ? (Abcdr du Son) • Un docu de 1994 sur le Wu (YouTube) • Demo tape du Wu en 1992 (YouTube) […]

  • […] The Mecca (Complex) • Portrait de l'ex-next big thing du rap new-yorkais : Max B (Fluctuat) • 2013 : l'année Wu-Tang ? (Abcdr du Son) • Trois docus sur le Wu, un de 1993, un de 1994 et un de 2008 (YouTube) • Demo […]

  • […] (Complex) • Portrait de l’ex-next big thing du rap new-yorkais : Max B (Fluctuat) • 2013 : l’année Wu-Tang ? (Abcdr du Son) • Trois docus sur le Wu, un de 1993, un de 1994 et un de 2008 (YouTube) • Demo […]

  • tuntun,

    Sur l’album de Earl y a Knight aussi qui sample I’ve Changed de The Magictones, comme le New Wu de Raekwon sur OB4CL2.

  • yacine_,

    Il y a deux autres références au Wu-Tang dans l’album de Drake : une dédicace à Cappadonna et un sample d’ODB, je crois.

  • DOS SANTOS,

    Superbe article qui nous confirme que : WU-TANG FOREVER !!!

    David aka Wuzzidy

  • Olivier F.,

    Ah ouais, en fait le Wu-Tang c’est juste RZA et puis aussi un petit peu ODB quoi … Dommage l’article aurait pu être vraiment super intéressant !

  • Dayinho,

    C’est surtout l’année de Rza à en croire l’article…!