Sortie

Freeman

L’Palais de justice

L’Palais de justice, c’est la tentative réussie d’un apprenti pour se frayer une place parmi ses pairs. Un scénario digne des pires shōnen avec Freeman dans le rôle du fils du dragon, ninja dans l’ombre de ses collègues précoces au sein d’un clan prestigieux. Freeman part avec du retard. Au départ du chemin qui conduit IAM vers le succès, il est danseur sous l’identité de Malek Sultan. Puis il ambiance les interludes parodiques des premiers albums. Ensuite, après quelques morceaux solos réussis (sur Sad Hill ou Hostile Hip-Hop 2 notamment), il enregistre un couplet souvent raillé sur L’École du micro d’argent (« Un bon son brut pour les truands »). Freeman est né, à la fois au pire et au meilleur moment. En 1999, IAM est au sommet. L’École est sorti deux ans plus tôt, avec le succès que l’on connaît, et Shurik’n a succédé à Akhenaton en élaborant son premier solo, le très bon Où je vis (sur lequel notre héros fait des apparitions remarquées). Le rap marseillais, dont les normes sont désormais clairement établies, est une valeur sûre. Mais, après les franches réussites de ses camarades, Freeman n’a pas le droit de décevoir. A l’écoute, on sent que L’Palais de justice, premier opus d’un rappeur qui a fréquemment avoué avoir souffert d’un manque de reconnaissance, est l’aboutissement d’un processus laborieux. Freeman rappe depuis peu, et ça s’entend. Mais cette fragilité affichée devient une force tant elle est touchante. On entend la persévérance et la détermination derrière une écriture souvent hésitante mais servie par une interprétation touchante. Les comparaisons hasardeuses deviennent alors des prétextes pour se laisser porter par les intonations d’une voix devenue la parfaite incarnation (jusqu’à la caricature) du rap sudiste (parfaite illustration : la manière dont il tire son épingle du jeu sur l’excellent « Le passé reste » avec Oxmo Puccino et Pit Baccardi). Paradoxalement, pour un disque qui vise une certaine forme d’émancipation, l’aura des illustres compagnons d’IAM plane tout au long des 19 morceaux. Shurik’n et Akhenaton sont présents en personne sur le posse cut « C’est notre Hip Hop ». Ce dernier s’occupe aussi, pour une large part, des productions, avec Imhotep. Enfin, les Turntables Dragunz parsèment les couplets de scratchs ressassant certains des passages  les plus fameux d’Ombre est lumière ou Métèque et mat. Un écrin rassurant, à la fois pour Freeman et pour l’auditeur, qui contemple avec plaisir un édifice bien exécuté même si sans surprise. C’est la magie de L’Palais de justice : au milieu des poncifs du rap français de l’époque (un rap volontiers plaintif, qui dégueule en cascade sa mélancolie au milieu des pianos-violons), il se passe quelque chose. Une fêlure, une brèche ouverte à force de sincérité, et qui inaugure une filiation qui court jusqu’à Jul, dont chaque auditeur devrait écouter L’Palais de Justice et rendre hommage à l’une des pierres angulaires de l’Ecole du Cœur-Pur.

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1999, une année de rap français - le mix
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