Sortie

Disiz la Peste

C'que les gens veulent entendre (Bête de Bombe)

Jusqu’à 1999, Disiz avait peu eu l’occasion de briller que ce soit en solo ou en groupe. Il y avait eu « Plukemoi » en 1995 sur la compilation Indépendant 91-93-13 où Sérigne M’Baye Gueye signait ses débuts avec un storytelling au style joyeusement oldschool. Il y avait également eu l’association, principalement avec Fdy Phenomen, sous la bannière Rimeurs à gages, puis quelques featurings et apparitions en 1998 et en 1999. Sur l’album du Troisième Œil, une mixtape de DJ James, ou encore les compilations Sachons dire non et Homecore. Mais c’est avec C’que les gens veulent entendre que La Peste lance sa carrière. Difficile ici de parler de carrière solo d’ailleurs, tant le rôle de JMDee est essentiel sur ce maxi. Producteur attitré de Disiz qu’il avait accueilli sur sa mixtape Illegal mix, le beatmaker réalise un sacré coup malgré-lui puisque c’est le rappeur d’Évry, en concurrence avec son ancien compère de Rimeurs à Gages, qui le force à lui offrir l’instru du premier « Bête de bombe ». Le titre deviendra plus que la signature sonore fondatrice de Disiz, il lancera carrément sa carrière et l’un de ses concepts fondateurs (à ce jour, « Bête de bombe » connaît 6 épisodes). Joey Starr repère le morceau, et toutes les portes s’ouvrent pour le futur auteur du Poisson Rouge qui excelle déjà dans tout ce qui fera son identité. Le flair pour les instrus novatrices, bien aidé par la patte de JMDee bien sûr, motorisent Disiz façon Turbo Injection. Mais il y a aussi dans ce premier maxi de La Peste cet art du storytelling mi-humoristique, mi-arrogant qu’il cultivera au moins durant les toutes premières années de son parcours solo. « Pas besoin d’un sample grillé pour parler des rates » dit-il dans une histoire de séductions hasardeuses qu’il produit lui-même entre les deux instrus signés JMDee : « X.I.T, mon crew te troue. » Conscience des limites du milieu rap, amateur de sons qui tabassent et ne s’interdisent rien, concepts farfelus et histoires tordues, flows et instrumentaux versatiles d’une piste à l’autre, tout Disiz était finalement à saisir dès C’que les gens veulent entendre. Ça durait trois titres, et c’était clairement de la bête de bombe.

Disiz la Peste

(Rappeur)

« Je n’étais plus avec Rimeur à Gages parce que Fdy avait été approché par BOSS pour qu’il signe avec eux. J’étais un artiste solo à la base donc ce n’était pas la fin de quelque chose pour moi la fin du groupe. JMdee faisait les sons pour Rimeurs à Gages, et c’était extraordinaire ses instrus pour moi. Ça sonnait comme les Américains, il avait une vraie culture musicale. Quand on a splitté il préparait une mixtape avec des instrus de ouf, et moi je voulais ces instrus. Dans la mixtape il y avait la prod de « C’que les gens veulent entendre » et « TDI ». À la base il ne voulait pas vraiment me les donner, pour favoriser FDY il me semble. Je m’en rappellerais toute ma vie : je l’ai appelé déterminé en lui disant : « Donne moi les instrus, Rimeur à Gages c’est terminé, j’ai toujours été loyal, tu peux… ». Ce qui est ouf c’est que lorsque j’ai écris “C’que les gens veulent entendre”, je l’ai écris en imaginant et en espérant de tout mon cœur que le morceau passerait à la radio, dans l’émission de Joey Starr, SkyBoss. C’était le rendez vous, un des seuls moyens de se faire connaître. Deux semaines après la sortie du maxi, je suis chez moi un jeudi soir et j’entends Joey Starr passer mon morceau. Dans ce genre de moment, ton cœur explose. C’était JoeyStarr qui criait sur mon son, j’avais 19 ans ! Avant quand j’allais en radio il y avait une émission et je freestylais, mais ce n’était pas un son à moi qu’on écoutait. C’était extraordinaire. On était en pleine période des freestyles sur Générations, il y avait Time Bomb, on voulait la reconnaissance de ces gens là, on ne se demandait pas si ça allait marcher dans le rap. Il y avait dix ou quinze groupes maximum qui avaient percé, IAM, NTM, Solaar, Minister AMER, c’était plus compliqué pour les autres. Les records qui nous fascinaient étaient une dédicace à la FNAC qui faisait une émeute, pas les chiffres de ventes, ça nous paraissait trop loin. Ce passage radio a été un point hyper important dans ma carrière, j’ai senti un avant et un après ce disque. Après ça a été un alignement de planètes de fou. J’avais fait un couplet sur la compil’ Troisième Oeil avec la FF, et Akhenaton m’avait entendu dessus. J’écrivais toute la nuit tout seul en me disant qu’il fallait qu’ils pètent un câble sur mon couplet, c’était comme ça que ça fonctionnait. IAM m’a ensuite invité pour la B.O de Taxi 2. Donc je me suis dit que j’ai bien fait de forcer. Le fait que JoeyStarr me mette bien en criant son nom sur le morceau, ça a peut être aussi incité les DJs à plébisciter « J’péte les plombs ». C’est vrai qu’il y a certaines choses précurseures par rapport à ma musique dans ce maxi. Je disais « Hip-hop ou pas Hip-hop peu importe, je ferai mon trucs » mais en vrai j’étais vraiment à la merci du jugement de la communauté hip-hop, alors qu’aujourd’hui je m’en fous. Il fallait qu’on ne pense pas que j’étais un mec chelou, mais c’est vrai que quand je fais « X.I.T », ça sonne bizarre pour le rap français de l’époque. Ce sont les influences du carnaval jamaïcain à Londres ou j’allais souvent durant ces années. A part le “MIA” ce n’était pas à la mode de mettre du rap français en soirée. Moi j’essayais de faire des morceaux dansants à la Puff Daddy, et c’est ce que je voulais faire avec « X.I.T », mais vu que je n’y arrivais pas ça sonnait expérimental. [Rires] J’ai fait ce titre avec un mec qui s’appelle Samba, c’était la première fois que j’essayais de produire. Le fait de choisir la rythmique, d’être dans le processus de création, ça s’est fait parce que j’avais envie d’essayer. Mais en vrai je n’ai ni la patience ni la science pour me mettre aux machines. La bonne caisse claire, les équalisations… j’ai vu que ce n’était pas pour moi. JMDee ne m’avait pas formé techniquement. Pour la culture musicale par contre, c’est sur que oui, je n’existerai pas sans lui, tout comme DJ Bomb de 3eme Oeil. J’étais juste un rappeur caillera qui rappais sur des Faces B, ils m’ont apporté de l’ouverture musicale et ça m’a donné d’autres skills par rapport à ma manière de faire de la musique. Triptik que je cite dans « C’que les gens veulent entendre » c’était ça aussi : ils avaient compris les cainris sans faire les cainris, mais ils voulaient être aussi bons qu’eux. C’est cette forme de recherche de qualité qui me parlait. Je ne voulais pas mettre en avant un truc caillera, je voulais juste être le meilleur rappeur. » – Propos recueillis par l’Abcdr du Son en décembre 2019.

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1999, une année de rap français - le mix
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