Sortie

Bams

Vivre ou mourir

Désabusée, effrontée, révoltée, inquiète : sur Vivre ou mourir, son premier album, Bams déroule un carnet d’humeurs. Celui d’une jeune femme qui s’affirme « différente » sur l’un des titres de son disque, et qui l’est de fait dans le rap français de l’époque, issue d’une banlieue plutôt verte des Yvelines (La Celle Saint-Cloud), diplômée d’une licence de mathématiques, et ayant fréquenté les milieux rock du milieu des années 1990. Pourtant, dans la forme, Bams livre un véritable album ancré dans son époque, naviguant entre de longs violons et des pianos mélodieux d’inspirations Queensbridge et quelques sursauts rappelant le funk rugueux d’EPMD (« Zonzon », « Pas Merci », « Underground Style », « Moi Ma Violence »). Malgré tout, c’est son style de rap qui la détache, sa voix légèrement âpre, son ton monocorde s’adaptant à palette d’émotions de son album et, surtout, son écriture au lexique riche, sans ratures ou grossièretés – un style, au fond, pas si éloigné aujourd’hui d’un Nekfeu. Dans ses paroles, Bams défend son droit à s’affirmer comme femme noire irrévérencieuse et sensible, sans pathos ni posture. Un refus de respecter certains codes qui éloignera sa musique des ondes, mais lui permettra de la défendre sur scène.

Junkaz Lou

(Producteur, DJ et coréalisateur de l’album)

« Ma rencontre avec Bams date de 1996, à l’époque où on enregistrait le premier maxi de la Malédiction du Nord. [Groupe de Saint-Denis composé des rappeurs Done, Ramso et Sinistre, NDLR] Bams avait organisé une soirée dan sa ville, La Celle Saint-Cloud, pour laquelle elle avait invité quelques rappeurs français, dont nous. Je l’avais ensuite recroisée à la soirée de lancement de la première compilation Hostile, car j’étais aussi le DJ du groupe Aktivist. Solo présentait la soirée, et Bams était montée sur scène pour montrer à Sté que c’était pas la seule meuf qui rappait. Solo l’a lancée en impro, devant tout le petit monde du hip-hop parisien : c’était clash, assez marrant. Elle s’est faite son nom ce soir-là, c’est là que beaucoup de choses ont démarré. Petit à petit, on s’est fréquenté, elle venait aux concerts de la Malédiction et moi je devenais sensible à ce qu’elle écrivait. Elle racontait des choses. Vers 1997, elle m’a demandé que je sois son DJ pour certains de ses concerts. Elle avait quelques morceaux produits par Ziko de La Brigade, sur DAT, même pas sur vinyle. Avant d’arriver sur la compilation Hostile Hip-Hop 2, elle avait plein de morceaux. Et pour elle « Fais tourner » la représentait assez bien. Elle voulait du coup voir avec Hostile pour un deal. Mais ils avaient d’autres artistes à développer. D’autres maisons de disques s’intéressaient à elle. Avant la sortie de Vivre ou mourir, on a participé à un concerts des Découvertes du Printemps de Bourges, un concours régional qui permettait à des artistes de différentes régions de se retrouver ensuite au festival. Le label Trema l’a découverte à ce concert. Comme Trema était un label indépendant, qui produisait aussi bien K-Reen que des groupes comme Matmatah, Louise Attaque, ça parlait à Bams, qui venait elle aussi du rock. La signature s’est faite fin 1998. On a dû enregistrer l’album dans la foulée en un mois. On a enregistré dans quelques studios sur Paris, dont Davout, puis on est parti au studio Polygone de Toulouse. Dès qu’on enregistrait un morceau dans le studio B, il partait au mix dans le studio A, pour gagner du temps. Tous les featurings sont descendus à Toulouse, comme Nakk et Nysay – Salif s’appelait Cash à l’époque. [Sourire] À part certains comme Solo, qui avait donné les pistes séparées, tous les producteurs étaient conviés : Mysta D, Djimi Finger… J’y ai produit deux morceaux : « Bol d’air », avec Sinistre, et « Underground Style ». J’avais surtout un rôle de coréalisateur : j’aidais Bams sur le choix des instrus, sur la correspondance entre l’instru et le texte, on débattait beaucoup. On avait notamment discuté de l’éventualité d’une élection de Le Pen : ça a donné le morceau « 2010 », avec le groupe MIIO. Bams avait une manière d’écrire différente – c’est pour ça qu’on a sorti « Différente » en premier maxi, en février. J’ai réécouté l’album cette année, je trouve qu’il a bien traversé le temps : il est cohérent. Bams y exprimait des choses encore valables aujourd’hui, on a fait intervenir des musiciens – un Rhodes, un bassiste… Même si la musique a évolué, il est toujours d’actualité. Surtout, elle avait une vision alternative des choses, du fait de son parcours. Ça a pu la desservir, notamment en termes de promo. À cette époque, les femmes étaient surtout vues comme des chanteuses de r’n’b. C’était avant que Diam’s ne cartonne. Les radios ne voulaient pas la diffuser : Skyrock trouvait ça trop intellectuel et les autres, type France Inter, trouvait ça génial mais ne la jouait pas parce que c’était du rap. Mais on s’est battu : l’album sort en juin, alors qu’on vient de gagner le concours du Printemps de Bourges en avril. Du coup, on bénéficie d’une tournée dans tout le réseau de salles du Printemps de Bourges, en France. Sinistre faisait les backs, j’étais DJ. Pendant cette tournée, d’autres programmateurs nous voient, aiment ce qu’on fait, et nous programment dans d’autres festivals ou salles de concerts. Puis on a signé avec un tourneur allemand, ce qui nous a permis de jouer en Allemagne, puis en Italie, en Tunisie… et même au Canada. On a tourné pendant trois ans. D’autant que Bams, la scène, c’est son champ de bataille, c’est là où elle est la plus expressive. La scène était le seul endroit où on défendait notre musique. Ça a changé ma vie. »

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1999, une année de rap français - le mix
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