Sortie

La Rumeur - Le Franc-tireur

Certains disques parlent de ce qu’ils sont avant même de les avoir écoutés. Cela peut venir de tout un tas d’éléments : une date de sortie savamment choisie ou encore une pochette ou un titre d’album qui ne laissent aucune ambiguïté. Dans le genre à ne pas laisser d’ambiguïté, il y a d’ailleurs La Rumeur. Mais lors de leur second volet, Hamé est un inconnu aux yeux du public. Quant au groupe, il n’est pas beaucoup mieux identifié, il n’a pas encore l’image ni le passif qui permet de l’analyser à l’aune d’une œuvre aussi rare que singulière dans le rap français. Pour l’auditeur avide de détail, il y en avait pourtant un qui laissait présager de ce que serait La Rumeur : une œuvre froide, chirurgicale et lapidaire. La chromie du macaron du disque vinyle est en effet d’un bleu froid, presque chrome. Cette couleur, elle n’a pu qu’être choisie sciemment par un groupe qui ne laisse rien au hasard puisque chaque EP de la trilogie précédant L’Ombre sur la mesure avait son code graphique. Pour Hamé, ça a été la froideur, thème récurrent de ce deuxième volet qui vient percuter de plein fouet la bien-pensance de l’époque. Le Franc-tireur plonge sa plume plébéienne dans l’encre bleu nuit, dans les méandres de ses réflexions, ses doutes, ses questions, qui ne sont au fond qu’à l’image du monde qu’il a face à lui. À la vue des revendications de mémoires, de luttes et de souffrance actuelles, ce disque reste plus que jamais d’actualité. Certains ont pensé qu’il enfermerait La Rumeur dans un rap d’intello. Il a au contraire donné le ton de l’une des lignes artistiques qui a tracé la discographie d’un groupe qui a déjoué tous les pièges de la politique et de l’Histoire. Toujours franc-tireur, vingt ans plus tard.

Kool M

(Beatmaker de la Rumeur)

« Quand on sort le second volet, il y a forcément encore un peu l’écho du premier signé Ekoué. Mais les gens ne savaient pas qu’il y allait avoir un deuxième, puis un troisième volet. On était dans une époque où chaque crew commençait à faire son skeud, où un disque de rap français sortait toutes les semaines. Les quelques mois qui ont séparé les deux volets, il s’en est passé des choses dans le rap français ! Et ça a été un peu plus dur quelque part, car Hamé est arrivé avec son style, sa culture, ses concepts, il n’était pas du tout dans les codes de l’époque. Ni dans l’écriture, ni dans le concept. Là, on a vraiment sorti un OVNI. Dans cet EP, Hamé affirme son identité de rap de fils d’immigré, mais c’est simplement car c’est son propos. Il lâche toute cette rage qu’il a en lui. Il était récemment arrivé sur Paris. Il avait quitté la périphérie de Perpignan, c’est un fils d’immigré algérien dont le père est ouvrier agricole et la mère au foyer, il se retrouve en chambre d’étudiant. Et même si c’est un vrai hip-hopper, il avait aussi déjà cette culture politique et militante. Du coup, ce second volet est beaucoup plus sombre que le premier. Quelque part, Hamé a sûrement voulu des instrus qui privilégient des atmosphères et on était tous d’accord pour partir là-dessus. Mais quand je le réécoute aujourd’hui, je me dis : on était barrés ! Comment les mecs pouvaient aimer ça ! [Rires] Avec le recul, c’est facile de faire son autocritique, mais quand je compare « Le Coup monté » et « Les Perdants ont une voix », les deux posse cut des deux premiers volets, je sens une différence. Dans Le Franc-tireur, on est beaucoup plus sur quelque chose d’abstrait. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en avril 2017.

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