Sortie

113 - Ni Barreaux, ni barrières, ni frontières

Lorsqu’on a échangé avec Busta Flex sur l’état du rap il y a vingt ans, un groupe lui est venu en tête pour marquer le moment où le rap quittait l’envie de suivre les canons américains pour devenir véritablement “français” : 113. Avant de devenir un trio iconique, introduit au grand public en 504 break un samedi soir de mars 2000 sur France 2, AP, Rim’K et Mokobé (ou plutôt “Huggy”) ont fait leurs gammes sur ce premier EP. Porté par le volontairement provocateur “Truc de fou”, avec Doudou Masta en parrainage, Ni Barreaux, ni barrières, ni frontières montre en effet quelques brèches dans l’idée d’un rap francilien pompé sur New York. Le trio s’évertue à décrire avec des formules directes, sans esbroufe, la réalité de leur jeunesse à Vitry-sur-Seine, où les fantasmes de la voyoucratie chatouillent leur haine de l’autorité. L’état d’esprit festif de “Jackpot” et les rêves de tout niquer de “Truc de fou” sont vite balayés par le constat fataliste de “Le Quartier est agité” et les trajectoires tragiques de “Parti en fumée”. C’est aussi dans la musique qu’une légère inflexion commence à s’opérer. Alors que quelques mois plus tard, ses boucles seront particulièrement mélodieuses sur Le Combat continue d’Ideal J, Mehdi, appuyé par Manu Key, explore des nouvelles pistes sur cet EP. Des boucles courtes, tenant parfois sur une demie mesure (“Jackpot”, “Truc de fou”), opposés au sample de flûte dépouillé de “Parti en fumée” et à la ligne de basse entêtante de “Association”, l’ensemble toujours posé sur les rythmiques sèches de Mehdi, et ses caisses claires en contretemps. Un rap “Renault 11 Lacoste”, porté surtout par la complémentarité de Rim’K et AP, multipliant les pass-pass vocaux sur “Truc de fou”, en mode Xavi-Iniesta. Preuve d’une évolution évidente, Ni Barreaux, ni barrières, ni frontières se clôt sur une piste cachée dont l’instru servira d’intro à Les Princes de la ville l’année d’après. Un album qui explosera les failles.

Rim’K

(MC du 113)

« Ça faisait peut-être un an ou deux que le 113 existait. On était déjà tous une bande de potes, la structure 113 existait, mais ce n’était pas celle-là. Ça a toujours bougé. A l’époque, Mokobé, on l’appelait Huggy. Il a préféré prendre son prénom après. [Rires] Ça venait de Huggy les bons tuyaux. Il savait tout, comme il est aujourd’hui, c’est un mec dans le relationnel, ouvert. Il parlait à tout le monde, savait tout ce qui se passait. On avait dix-huit ou dix-neuf ans, pour nous il n’y avait rien de préparé. Le rap était une passion, on avait un peu de tunes, on s’est associés avec Alariana qui avait déjà sorti Original MC’s sur une mission d’Ideal J, des disques de Different Teep. On tournait autour d’eux. C’est d’ailleurs DJ Mehdi qui a été à l’initiative du projet. Nous, on ne comptait pas forcément sortir de disques ! C’est Mehdi qui nous a motivés à sortir cet EP. On l’a enregistré en douze jours. On enregistrait la journée, et ensuite Jeff Dominguez arrivait à 20 heures, mixait jusqu’à l’aube, au moment où on revenait pour enregistrer. C’était dans un petit studio à Bastille. On était dans notre passion, on ne calculait pas, on n’avait pas de plan de carrière, pas d’objectif. On faisait juste du rap, et voilà. A cette époque, j’avais arrêté l’école, je ne travaillais pas. Cet EP, c’était ma deuxième expérience de studio, après mon couplet sur Original MC’s. Ça m’avait motivé, mais je n’avais pas arrêté l’école pour faire du rap. On faisait du rap comme on peut aller faire un foot à cinq aujourd’hui, entre potes, pour faire autre chose qu’être dans le quartier. Mais on a pris goût à ça, poser sur des disques. Le titre de l’EP nous représentait bien. On est des purs produits de la rue, pour être un peu cliché. On n’avait pas une perception du rap partagée par beaucoup à l’époque. C’était un truc de b-boys ! On avait la passion de la musique, mais pas du hip-hop. Pour nous, le rap parisien, la copie conforme du rap new-yorkais, ce n’était pas notre truc. Ni Barreaux, Ni Barrières, Ni Frontières, c’était un signal, une façon de dire : « on fait la musique comme on a envie de la faire, on ne rentre pas dans les codes ». Et on connaissait très bien le rap US, donc on a eu le recul de se dire « c’est cool, y a de la soul, du jazz, mais on a nos influences aussi.” D’où le fait qu’il y a toujours eu des sonorités funk dans 113, c’est notre histoire, dans les quartiers de France. Pareil avec les musiques orientales ou africaines. « Truc de fou », on l’a écrit en deux ou trois heures avec AP, dans l’état d’esprit de bousculer les codes. On fait beaucoup de pass-pass, on se coupe des phrases, il y a une vrai alchimie entre nous deux. Le thème, c’était de se dire qu’on va tout niquer, et que les gens se disent qu’on est fous. C’est après qu’on a appelé Doudou Masta, qui est venu comme un grand frère. Pour nous, c’était un passage de relais. C’était un honneur pour nous. “Truc de fou” est devenu incontournable. On débitait des vinyles, un truc de malade ! Le buzz est vite monté sur le titre et il s’est retrouvé en radio. C’était un grand pas qu’on venait de faire avec le single de l’EP ! À la radio, t’entendais surtout les singles de Secteur Ä. Donc ça a bousculé le game, et ça nous a confortés dans notre choix artistique. Cet EP a créé le 113, et a permis de créer des vraies entités dans la Mafia K’1 Fry. Avant on s’influençait les uns les autres, mais avec le succès d’Ideal J et notre buzz ça a suivi, d’autres artistes de la Mafia K’1Fry se sont affirmés. » – Propos recueillis par L’Abcdr du Son en décembre 2018.

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