L'année rap2016

disques

ScHoolboy Q

Blank Face LP

LK de L'Hôtel Moscou

San Francisco

Oddisee

Alwasta

Chance the Rapper

Coloring Book

Despo Rutti

Majster

Caballero & JeanJass

Double Hélice

On a aussi aimé...

Westside Gunn

Flygod

Le MVP 2016 du rap de crapule sait qu’il va probablement devoir laisser le titre à son frère Conway l’an prochain. Alors il s’est fait plaisir cette année, sortant un projet toutes les deux semaines environ, dont ce premier album très réussi, à la fois flamboyant et cradingue. – Kiko

PNL

Dans la légende

Des trois premiers disques de PNL, le dernier est le plus sophistiqué, le plus fin et le mieux maîtrisé, au point que même avec du flamenco, ils font des miracles. Toujours un peu mieux que la concurrence. – B2, Brice et Diamantaire

Nipsey Hussle

Slauson Boy 2

« Lègue moi l’micro, déjà les accros veulent des bootlegs ». À défaut de sortir son album définitif, Nipsey Hussle a lâché assez de titres bouillants lors de ses Marathon Mondays pour les compiler dans une mixtape sans temps mort, à la fois nerveuse et détendue. – Raphaël

DJ Djel

Rendez-vous

De la casquette au chapeau, avec un hip-hop cosmopolite et universel trempé dans le cagnard marseillais, Djel a transformé son Rendez-Vous en hat trick. – zo.

A Tribe Called Quest

We got it from Here… Thank You 4 for Your Service

Parce que rares sont ceux qui auraient misé sur un album quasi posthume d’ATCQ en 2016, surtout aussi bon. Parfait pour les soirées nostalgie (mais en fait pas tant que ça) au coin du feu avec les copains d’avant. – Greg et David2

Jazzy Bazz

P-Town

Caché dans l’ombre, il débarque pour mettre des baffes : le Batman du rap français. – Brice

Eloquence

Trill makossa

L’ancien du 91 a troqué son flow tout-terrain pour la nonchalance et un univers quasi-Lucazzien. Et ça lui va bien. – Diamantaire

Ka

Honor Killed the Samurai

Pour travailler tes katas sans Splinter ni Yoda. – David2

Gucci Mane

Everybody Lookin

Sorti de prison, bientôt marié, sobre, heureux et même cloné, Gucci est de retour. – David

Rezinsky

Les Hérétiques II

Si Freud était encore vivant, il se convertirait au boom bap raffiné de Rez0, aux phases de Pepso Stavinsky et finirait une bouteille de gin sur le divan en pensant à l’absurdité de toutes ces orgies passées et à venir un soir de nouvelle lune. – zo.

Alpha Wann

Alph Lauren II

Technique mais pas relou. Un exploit. – Brice

Zekwé

Frapp Musiq

Tout est dans le titre. – Diamantaire

Anderson .Paak

Malibu

« C’qui est sûr, l’homme qu’on devient dépend du môme qu’on a été, ces putains d’blessures ». Plutôt que de larmoyer sur les plaies de son enfance, Anderson .Paak y jette un regard souvent tendre, et célèbre sa vie d’adulte avec un album aussi foisonnant qu’un feu d’artifice estival. – Raphaël

D.R.A.M.

Big Baby D.R.A.M.

Un bichon frisé et un sourire de bienheureux sur la pochette. Une bonne illustration de l’album. – David

Nolan The Ninja

He(art)

L’Obamacare a facilité l’accès aux soins pour des millions d’Américains. Mais pas pour Nolan the Ninja, toujours en rade de calmants. – Kiko

Kekra

Freebase vol.2

Mais pourquoi pas Vréel ou Freebase vol.3 ? Kekra a du talent à revendre, et ses trois sorties de l’année valent le coup. – B2

Mr Lif

Don't Look Down

Parce qu’on a retrouvé avec plaisir l’auteur de I Phantom, et que le bougre a récidivé quelques mois plus tard en compagnie de L’Orange. – Greg

A$AP Ferg

Always Strive and Prosper

Pop, electro, rap… ce bon vieux Ferg n’a donc plus de limites. – Brice

Babio le B.A.B

Just 4 You (Amnelife 4)

Ce n’était sans doute pas le meilleur au centre de formation mais il joue aujourd’hui La Ligue des Champions. Le Valère Germain du rap. – Diamantaire

Royce Da 5'9"

Layers

« Quand la justice française s’occupera d’mon cas, j’dirai que c’est la faute à Martin Scorsese et à la vodka. » Pour fêter ses quatre années de sobriété, l’alcoolique repenti Ryan Montgomery paie sa tournée de storytelling et de clairvoyance retrouvée. – Raphaël

YG

Still Brazy

« Mon rap, c’est un signe de paix sans l’index ». Les flics, les rageux, sa meuf, Donald Trump, le succès ? YG, toujours énervé, un poil plus lucide, affranchi de DJ Mustard, envoie tout chier en dansant les doigts croisés sur un G-funk passé par la fontaine de jouvence. – Raphaël, David2 et David

Georgio

Héra

Si Bleu Noir, son précédent projet, avait la couleur des hématomes de ceux qui chutent, Georgio chante désormais les contusions de ceux qui se relèvent, dans un mélange de rap cogneur et d’orchestrations influencées par les canons de la chanson française. – zo.

21 Savage & Metro Boomin

Savage Mode

Pour quand tu prends le RER en semaine une froide nuit de décembre, avec pour seule compagnie la solitude, les regards louches, le crissement glaçant et métallique des rails. – David2

Nekfeu

Cyborg

Moins éparpillé et plus introspectif : un superbe Fenek 2.0. – Brice

M24

Tous les deux

M24, devenu LOSO, lâche un dernier EP élégant sous son ancien blaze pour boucler une décennie d’indépendance active. – Diamantaire

Danny Brown

Atrocity Exhibition

Pour quand tu combats avec tes démons, idéalement sous influence de psychotropes. – David2

DJ Rude One

ONEderful

Fiez-vous au blaze de l’auteur plutôt qu’au titre de l’album. De la vraie musique de sale type, froide et brutale. – Kiko

SCH

Anarchie

SCH est définitivement l’une des plus belles plumes du rap français, et les quelques fautes de goût de l’album ne suffisent pas à gâcher la qualité de l’ensemble. – B2

BROOKZILL !

Throwback to the Future

Parce qu’un quart de siècle plus tard, comme le disait Serch : « no gas face for Professor Prince Pa-ul ! » – Greg

Kanye West

The Life of Pablo

En 2016 plus que jamais, Kanye West a perdu la raison à vouloir tutoyer le divin et la perfection. Un album bordélique, sans forme définitive, construit sur les ruines de Yeezus, dans un patchwork d’outrage et de sacré, d’immaturité et de paternité, où le meilleur côtoie le pire. – Raphaël, David et David2

 

Prince Waly & Myth Syzer

Junior

Un EP de haute qualité, signé du plus à l’ancienne des jeunes rappeurs et du meilleur beatmaker français actuel. – B2

Iris

Magnitude 10

En 2016, Iris a défié l’échelle de Richter en sortant seulement un maxi, alors le jour où il sortira enfin un long format, les cinq continents du rap risqueront de larguer les amarres. – zo.

Meek Mill

4-4 EP

« Tant que j’aurai pas l’respect que j’mérite, j’rapperai comme un Uzi chante, j’ferai de la musique délinquante ». Meek Mill est comme Donnie Creed : les coups reçus le rendent encore plus combatif. Mieux que sur le long format DC4, il concentre toute sa rage dans un EP belliqueux. – Raphaël

Kevin Gates

Islah

Pour les escapades amoureuses et idéalement non catholiques avec ta moitié. – David2

2 Chainz & Lil Wayne

Collegrove

La bromance la plus cool et la plus sincère de ce jeu. – David

Kendrick Lamar

untitled unmastered.

Va-t-il un jour sortir un mauvais disque ? – Brice

Jones Cruipy

Rêve européen

Une énergie brute et un peu bordélique. Du rap quoi. – Diamantaire

Kamaiyah

A Good Night in the Ghetto

Une virée à Oakland comme si t’y étais, du crépuscule à l’aube. – David

The Difference Machine

The 4th Side Of The Eternal Triangle

Des mecs d’Atlanta, de vrais instruments, un titre à faire passer Prodigy de Mobb Deep pour quelqu’un de sain d’esprit. Une combinaison pour le moins surprenante, mais un très bon album. – Kiko

Gros Mo

Les diez de Gros Mo

Les productions d’En’Zoo sont des caviars, et Gros Mo développe un univers sombre, drôle et provocateur. – B2

Eddy Woogie

Tout Eddy

Quand Eddy Woogie, alias Dico de l’Animalerie, sort un EP aux beats minimaux, ça tient en six pistes de sniper remplies de phases aussi absurdes que lapidaires dans lesquelles tout est dit. Tout Eddy quoi. – zo.

People Under the Stairs

The Gettin' Off Stage (1 & 2)

Parce que même si la trilogie n’est pas encore achevée, ça vaut déjà le détour, dans l’esprit comme dans le son. – Greg

Sadek

Nique le casino

Sadek a pris de l’assurance, et livre avec Nique le Casino son meilleur projet à ce jour. – B2

Ab-Soul

Do What Thou Wilt

« J’suis pas un rappeur conscient, libre, j’suis raide, j’rappe dans un semi-coma ». Étouffant ses accès de paranoïa et de lucidité par une consommation élevée de drogues, Ab-Soul disserte sur Dieu et sur les femmes dans un album aux ambiances aussi groggy qu’ésotériques. – Raphaël & David2

Bisk

Raw sh!t

En 1702, Guillaume Amontons invente la notion de zéro absolu, température la plus basse qui puisse exister. En 2016, Bisk décide avec succès d’adapter le principe à la musique Hip-Hop. – Kiko

Andy Cooper

Room to Breathe

Dans tous les fondamentaux du golden-age et de son groupe Ugly Duckling, Andy Cooper offre un ballon d’oxygène de vieux puriste, teinté de bien-être et de sérénité. Comme quoi l’air n’a pas toujours besoin d’être frais pour être pur. – zo.

Rae Sremmurd

SremmLife 2

Les sales gosses ne s’essoufflent pas. – David

Grems

Green Pisse

Toujours là, toujours bien, toujours Grems. – Brice

Ryu

Tanks for the Memories

Pour son premier album solo le Demigod ne l’a pas joué petite bite, payant sa tournée de hadoukens. Loin du panzer rap auquel on pouvait s’attendre, Tanks for the Memories a une vraie saveur old-school et festive, sans jamais tomber dans le gimmick caricatural. – Kiko

Alkpote & Dj Weedim

Sadisme et Perversion

S’il a parfois le défaut de livrer des prods assez génériques, la versatilité de Weedim permet ici à Alkpote de s’amuser de bout en bout d’un album sans aucun invité. Savoureux. – B2

Constant Deviants

Omerta

Parce que sur le papier l’exercice de style paraissait bien convenu et que, pourtant, on se laisse volontiers prendre au jeu. – Greg

V.A

S.W:Six présents Convergence

Quand le label Suisse SWC Records s’allie à la clique de Baltimore Six2Six, cela donne huit titres dignes d’un alignement des planètes dans la galaxie boom bap.- zo.

Apathy

Handshakes with Snakes

Parce que, bon d’accord c’est bourrin, mais bordel qu’est-ce que ça défoule. – Greg

G Perico

Shit Don't Stop

Belle tentative pour remettre le jheri curl à la mode. – David

Isaiah Rashad

The Sun's Tirade

Pour tes petites virées à la campagne le week-end avec la famille décomposée. – David2

Myka 9 & Abnorml Injustice

Long Ago XXMMXVI

Sur des productions en forme de bande originale nappées d’un piano et de violons grandiloquents, Myka 9 est un griot céleste qui effleure l’infiniment petit comme l’infiniment grand et donne vie à la table de Mendeleïv en survolant la cité des Anges. – zo.

De La Soul

And the Anonymous Nobody

Parce que certes, tout ça est un peu inégal, mais quelle démonstration d’indépendance et pas seulement de longévité ! – Greg

Tha God Fahim

TGIF

La septième génération du Wu-Tang Clan se porte bien, merci pour elle. – Kiko

Apollo Brown & Skyzoo

The Easy Truth

« J’aime les gros BM, mais j’oublie pas qu’la liberté, ça marche à pied ». Inspiré par les boucles méditatives et automnales d’Apollo Brown, Skyzoo revient sur les fantasmes matérialistes qui ont nourri sa jeunesse et les parcours de ses pairs. – Raphaël

Lee Scott

Nice Swan

De longs cheveux roux, une dentition aléatoire, une barbe anarchique. Voici le portrait-robot du rappeur le plus enthousiasmant de ces dernières années.- Kiko

Arm & Tepr

Psaumes

Les livres sacrés ne sont jamais meilleurs que lorsqu’ils ne sont pas commentés, et le baroque électro-rap incantatoire et cogneur d’Arm et Tepr n’échappe pas à la règle. Deux Bretons ? Un voyage. Ainsi soit-il. – zo. et Diamantaire

 

Gilead7 & Subtrax

Peaces of War

Pour « Bomb Literal », et parce que ça fait du bien d’aller y voir du côté de l’underground californien. – Greg

Payroll Giovanni

Big Bossin vol. 1

Sortez les Fila, Payroll Giovanni et Cardo s’offrent un voyage dans le temps. – David

Noname

Telefone

On appelle ça comment en 2016, du rap, du « R&B », de la « Nu nu soul », de la « musique urbaine » ? Question rhétorique. Retenons juste que c’est sublime et touchant. – Kiko

Dillon & Paten Locke

Food Chain

Parce qu’il vérifie une règle d’or en matière de rap : toujours suivre les conseils de Kiko. – Greg

V.A

Abcdrduson présente Jukebox Volume 1

Comme dirait ZA : « Ça, c’est nous ça ! » – Diamantaire

morceaux

Ab-Soul - "D.R.U.G.S."

Tiers Monde - "Le Mal par le mal"

Danny Brown - "When it Rain"

Isaiah Rashad ft. Zacari & Kendrick Lamar - "Wat's Wrong"

Damso - "Amnésie"

J. Cole - "4 Your Eyez Only"

Seth Gueko - "Maître de Cérémonie"

JP Manova - "Le stress"

Za - "Rosa Gallica"

Westside Gunn - "The Cow" feat. Conway

Le Téléphone Arabe - "Salam"

Atmosphere - "Besos"

Arm & Tepr - "La nuit"

YG - "Still Brazy"

Young Thug, Travis Scott & Quavo - "Pick up the Phone"

Eloquence - "Codeine Dream"

Jazz Cartier - "Opera"

PNL - "J'suis QLF"

Chance the Rapper - "Same Drugs"

D.R.A.M. - "Broccoli" feat. Lil Yachty

MZ - "Noir c'est noir"

Rae Sremmurd - "Set the Roof" feat. Lil Jon

Benash - "Larmes"

Zippo - "Palme d'or"

DJ Shadow - "Nobody Speaks" feat. Run the Jewels

Beneficence - "Vibrate the Streets"

I2H - "Sang mesure"

Gros Mo & Némir - "Malsain"

Danny Brown - "Really Doe" feat. Kendrick Lamar, Ab-Soul & Earl Sweatshirt

Slaine - "Just the Way You Are" feat. Termanology

Hugo - "Là-Haut"

Little Bram's - "Génocide"

ScHoolboy Q - "Groovy Tony"

Nivek - Vie d'alloca

Casey - "Places gratuites"

Mani Deïz - "Une éponge"

Vinnie Paz - "Writings on Disobedience and Democracy"

Onry Ozzborn - "Figure It Out" feat. Dem Atlas

Jones Cruipy - "Oh la" feat. Jessy Gunz

Skepta - Man

Kalash - "E.T"

Kaaris - "Blow"

Despo Rutti - "Bataclan Paranoïa" feat. Niska

ScHoolboy Q - "Tookie Knows II"

Mac Miller - "Dang !" feat. Anderson .Paak

Noname - "Reality Check" feat. Erin Allen Kane & Akenya

LK de l'Hôtel Moscou - "Les hommes"

French Montana - "Lockjaw" feat. Kodak Black

Common - "Black America Again"

Chance the Rapper - "Blessings" (Reprise)

Rezinsky - "La Nuit s'arrête" feat. Ourdia

Atmosphere - "Won't Look Back" feat. Kim Manning

A$AP FERG - "Let You Go"

Babio le B.A.B - "La magie"

Smokey Joe & the Kid - "Smokid All Stars"

Caballero & JeanJass - "Merci beaucoup"

Ichon - "Marche ou crève"

Lomepal - "Oyasumi"

Mongrels - "Full Moon / Half Moon"

Jazzy Bazz - "P-Town"

Czarface - "Czar Wars"

Vince Staples - "Smile"

The Natural Curriculum - "We Are Transparent"

Mac Miller - "Stay"

Young M.A. - "Ooouuu" Remix feat. 50 Cent

DJ Khaled - "Jermaine's Interlude" feat. J. Cole

Revolutionnary Rythm - "The Sky"

Andy Cooper - "Ashes to Ashes"

Iris - "Magnitude 10"

Bisk - "Glass Jaw"

Bisk - "Uno"

Westside Gunn - "Omar's Coming" feat. Conway & Roc Marciano

Hifi - "Babylone Système"

The Difference Machine - "Reel World"

Caleborate - "Consequences"

A$AP Mob - "Yamborghini High" feat. Juicy J

Young Thug - "Kanye West" feat. Wyclef Jean

ScHoolboy Q - "THat Part" feat. Kanye West

Tunji Ige - "Bring Yo Friends"

Green Money - "Pouvoir au peuple"

Despo Rutti - "Jewstice"

Rochdi - "Le Martyr d'Osiris"

Gros Mo - "Magie Noire"

DJ Djel - "21 DJ's" featuring DJ Boulaone, DJ Creestal, DJ Akor, DJ Brasox, DJ Daz, DJ Duke, DJ K-Lead, DJ Kartez, DJ Modesty, DJ Nelson, DJ Nor, DJ Oli G, DJ R-Ash, DJ Rebel, DJ Suspect, DJ Yas, Dee Nasty, Dj Babtou, Dj Keshkoon, DJ Kortez

Mick Jenkins - "Drowning" feat. BADBADNOTGOOD

focus

Vers une repolitisation du rap US ?

En 2016, les États-Unis sont encore loin d’en avoir fini avec la question raciale. Les deux mandats d’un président noir n’y auront rien changé. Alors que les bavures policières sur des citoyens de couleur se succèdent à un rythme effarant depuis deux ans, les manifestations et parfois les émeutes qui s’ensuivent, ainsi que l’émergence et la médiatisation du mouvement Black Lives Matter, ont mis en lumière les failles profondes qui clivent toujours la société américaine. En écho à ces troubles, le rap a vu ces thèmes jusque-là cantonnés à des albums de niche revenir sur le devant de la scène. To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar, sorti l’an dernier, est le disque qui a montré la voie en cristallisant ces réflexions tout en les associant à une esthétique de « retour aux racines » de la musique noire. Et s’il n’est pas si surprenant de retrouver ces questions abordées dans un disque de Kendrick, il n’est pas anodin en revanche de les rencontrer, même diluées, sur un album comme Still Brazy de YG. Même si cela passe par des invectives à Donald Trump et que le propos peut paraître parfois naïf, la teneur politique est bien là. Les thématiques identitaires et sociales infusent même jusque dans le R’n’B et la pop, avec au premier rang les deux sœurs Knowles (« Formation » de Beyoncé et tout l’album A Seat at The Table de Solange). La question de l’opportunisme et d’un certain effet de mode peut se poser, mais cette tendance a toutes les chances de s’inscrire dans la durée avec la fin des années Obama et le début de l’ère Trump. – David

Du rap en série

Spoiler alert : le rap est partout, même dans les séries. Des génériques de fin d’épisode de Silicon Valley à la passion pour le rap d’Eddie Huang de Fresh Off the Boat, du soap hip-hopera Empire aux cameos de 2Chainz dans 2 Broke Girls, le genre a définitivement infiltré les productions du petit écran. Cette année, trois nouvelles séries événements ont pris le pari d’en faire une toile de fond majeure (et un argument de vente). Ce sont même presque des cas d’école, si l’on grossit le trait. Le rap est dans l’ADN de Luke Cage, série narrant en plein Harlem les aventures du héros indestructible de Marvel. En multipliant les clins d’œil au rap new-yorkais, le show donne l’impression d’un marketing parfois trop forcé autour de la musique, avec des apparitions de Method Man ou Sharon Jones (RIP), et une bande son signée Adrian Younge et Ali Shaheed Muhammad. Mais la première saison réussit à installer Luke Cage en super héros profondément rap, mal vu par les institutions, devenant un champion du peuple avec son hoodie troué de balle. The Get Down choisit, elle, de revenir sur la naissance du hip-hop dans le New York des années 1970. Si la mise en scène façon comédie musicale romance un récit qui n’oublie pourtant pas le contexte social de l’époque, le scénario mêle finement fougue juvénile et pédagogie historique, alors que des jeunes rappeurs bousculent de plus en plus l’esprit (prétendument) fondateur du hip-hop. Une prétention absente de l’humour sarcastique d’Atlanta, créée par Donald Glover et Hiro Murai, où l’on suit les rêves de réussite d’Earn, manager de son cousin de rappeur Paper Boy. Totalement ancrée dans son époque, entre séquences Snapchat et débats de société poussés à l’absurde, Atlanta présente aussi bien le miroir déformant du rap système qu’elle épouse le rôle premier de cette musique, en peignant, peut-être, un portrait lucide et parfois désabusé de l’Amérique noire de l’après-Obama. En 1989, Chuck D de Public Enemy se plaignait que ses héros n’apparaissaient sur aucun timbre. Vingt-sept ans plus tard, le petit écran (et le grand) souligne comment de nouvelles icônes, fictives ou historiques, inscrivent définitivement le rap comme le genre musical le plus influent de la culture pop. – Raphaël

Mon rap est un slogan

2016 a été une année animée, marquée par des saillies violentes et autoritaires, notamment sur le plan social et politique. Loi imposée à coup de 49.3, état d’urgence et concept « d’arrestations préventives » utilisés à de multiples fins, recours frénétique aux comparutions immédiates et aux grenades de désencerclement, la liste est longue. Et si en participant à leurs premières manifestations, certains ont semblé découvrir que les méthodes musclées de l’État n’existent pas qu’en banlieue ou dans les paroles des MCs, le rap, lui, s’est retrouvé jusqu’en tête des cortèges. Si, de Nekfeu à Black M, plusieurs rappeurs ont multiplié les prises de parole – jusqu’à se produire dans l’étrange agglomérat qu’étaient les Nuits Debout -, si la presse s’est retrouvée à produire de grandes éditions spéciales de riot porn, ce sont surtout des punchlines qui sont devenues de véritables slogans. Et ce ne sont pas que les lignes écrites par la génération Assassin, Cercle Rouge et NTM qui ont été brandies ou scandées en cœur dans les nasses. Car les phases qui relèvent plus – en apparence – de l’anti-rappeur militant ont également eu un certain succès. Parmi les situations les plus savoureuses ? Le « se lever pour 1200, c’est insultant » de SCH, le flow de Gradur ou la Champion’s League de MHD utilisés comme des hakas, les repost par Booba de ses propres paroles brandies dans les rues de Paris, le savoureux « Bonjour » de Vald adressé à un premier ministre, et, évidemment, « le monde ou rien » de PNL. Avec là-dedans une constance : un rap populaire, au premier abord loin de la politisation, parfois trempé dans l’hyper-réalisme, parfois dans la provocation à outrance, mais toujours énergique, cru ou rentre-dedans. Au point qu’il y a même parfois dans ce détournement de son un détournement de fond, adressé à tous les spécialistes du genre. Assez pour intriguer jusqu’aux médias les plus généralistes.  – zo.

Comment le syndrome George Lucas a fini par toucher la musique

On vous l’accorde, Kanye West est un phénomène à peu près tous les ans. Mais en 2016, l’empreinte qu’il va laisser sera peut-être la plus importante – la plus révolutionnaire aussi. Non pas que The Life of Pablo soit son meilleur projet (encore que la question reste entière). Non, ce qui rend le septième bébé de Kanye si important, c’est la façon assez surréaliste qu’il a eu de voir le jour et de grandir, en faisant fi de toutes les conventions et idées fixes que l’on pouvait avoir sur l’album en tant qu’objet. Hybride, instable, immatériel, se refusant même à son public (la bonne blague Tidal), The Life of Pablo est un morceau d’art en perpétuelle évolution, « a living breathing changing creative expression » d’après les mots de son auteur. C’est ainsi que plusieurs titres seront retouchés, des couplets ajoutés, déplacés ou supprimés au fil du temps et des sorties sur les diverses plateformes digitales. « Wolves », pour ne citer que lui, connaîtra pas moins de quatre versions différentes. Et il doit en exister une bonne dizaine pour le disque (si tant est qu’on puisse encore parler de disque), dont certaines incomplètes ou disparues. En faisant de The Life of Pablo sa toile de Pénélope, Kanye fait plus que réinventer le concept d’album, il lui retire sa notion inhérente et physique de finalité. Mais il pose aussi la question, un peu comme Georges Lucas qui n’en finit plus de retoucher ses Star Wars pour mieux créer une œuvre globale tout en rendant impossible l’accès aux films originaux, de la substantifique moelle de la production artistique. Cette course sans fin vers la perfection, ce trop-plein de retouches, n’est-il pas aussi le meilleur moyen de détruire l’œuvre elle-même et de la ramener au niveau zéro de la création, celui où tout est encore à penser ? – David2

Ce que le rap a fait au jazz d'aujourd'hui

Plusieurs articles récents du Guardian, notamment celui-ci, ont mis en relief ce qu’on pourrait appeler le devenir jazz du rap. Autrement dit : l’inspiration qu’une partie de la scène jazz actuelle, celle qui a grandi avec aussi du rap dans les oreilles, puise dans ce dernier. Depuis quelque temps déjà, un retournement s’est opéré : c’est désormais moins le jazz qui influence le rap que l’inverse. En tout cas, l’influence s’exerce dans les deux sens. Cette année a encore donné de belles illustrations de ce croisement. C’est le pianiste Robert Glasper et le batteur Karriem Riggins qui participent au dernier album de Common, le saxophoniste Rodolphe Lauretta qui réinterprète Madlib au sein d’un projet nommé « the Jazz Side of Madlib », le saxophoniste Steve Lehman qui, sur/avec Sélébéyoné, croise le cuivre avec le rappeur sénégalais Gaston Bandimic et Hprizm alias High Priest d’Antipop Consortium, ou la sortie de l’album de Josef Leimberg, trompettiste qui a bossé avec Kendrick Lamar, Freestyle Fellowship ou Snoop Dogg et qui, sur Astral Progressions, convie Kurupt… Mais c’est aussi le guitariste Pierre Durand qui relève des rappeurs comme Eminem, Yelawolf ou Chance the Rapper pour trouver le scansion qu’il souhaite donner aux instruments dans l’un des morceaux de son dernier album. Et ce ne sont là que quelques exemples. Il paraît même que le batteur Roy Haynes fredonne à l’occasion un tube de Missy Elliott ! (Spéciale dédicace à Fanch, l’homme capable de jouer le Friday Night in San Francisco à lui seul.) – Greg

Donald Glover braque 2016

Pendant longtemps, Donald Glover était la représentation parfaite de l’expression “le cul entre deux chaises”. Plutôt bon acteur, plutôt bon rappeur, il s’était fait sa place dans le monde de la comédie ainsi que dans celui de la musique, sans jamais vraiment s’imposer. Soyons francs : si sa série Community et son album Because the Internet faisaient figure de petits bijoux mettant en avant tout son potentiel et son talent, on peinait à voir le nom de Donald Glover s’imposer en haut de l’affiche. Et puis il y a eu quelques mois de silence au début 2016. Donald Glover mijote quelque chose, sans qu’on ne sache trop quoi. Et voilà qu’on découvre Atlanta, sa première série TV qu’il a écrite lui-même : sans doute une des meilleures surprises télévisuelles de cette année, tant le show – qui raconte les galères d’un jeune homme noir en quête de succès dans l’industrie rap d’Atlanta –  sonne juste, entre comédie et réflexions sur le racisme aux États-Unis. Et quelques semaines plus tard, il y a eu cet album, Awaken My Love!, qui délaisse le rap pour rendre hommage à la funk et à la soul du siècle dernier avec maestria. Deux baffes de fin d’année qui nous sont arrivées à la suite au dernier trimestre 2016. Avant de voir Glover apparaître dans le prochain Star Wars en 2017. On y est : Donald Glover est un type qui compte. – Brice

Hifi, génie sacrifié ?

« Il ne se passe pas un jour sans que je croise un mec dans la rue qui me dise : Hif’, l’album est où !? » Au printemps dernier, nous allions prendre des nouvelles d’Hifi dans un bar jazz du XVIIIe arrondissement de la capitale. Une interview dans le plus pur style du bonhomme : avare sur l’anecdotique, riche sur l’essentiel. Capable, contrairement à beaucoup d’artistes, de faire cohabiter l’instinct créatif et l’instant d’analyse, le rappeur antillais avait donné un point de départ officiel à son second album en décembre 2015 avec l’encourageant « Babylone Système », neuf ans après une première promesse livrée au sein de la mixtape rétrospective HistorHifique : « Prochain album septembre 2007 ». Entre les deux, pas grand-chose si ce n’est quelques annonces isolées (notamment un visuel du titre « Babylone Système »), une interview pour l’Abcdr début 2012, un freestyle au Planète Rap d’Ali où il met ses challengers en PLS (sans doute vexé que Fred de Sky ne l’ait pas reconnu), de rares apparitions au micro ici et là et l’espoir intact de l’entendre de nouveau sur un long format. C’était pour 2016, sûr et certain. Il nous avait déjà fait le coup en 2012 mais on y croyait sincèrement : l’album d’Hifi, c’est maintenant ! Eh bien non, Plus rien à perdre, plus le temps de prouver n’est pas sorti, l’interview est restée dans les cartons et les nouvelles coqueluches du rap français sortent, elles, un projet tous les six mois. Nous pourrions aisément tirer un trait sur cette histoire, il y en a mille autres à écouter mais l’enjeu est symbolique. Qui d’autre qu’Hifi pour clore dignement le chapitre d’une génération de rappeurs aux destins éparpillés entre les cimes et les abysses ? À l’exception d’Ali, le temps a dicté le sort de tous les autres, ils s’y sont conformés ou alors ils l’ont subi mais chacun en a été le prisonnier. Hifi, lui, semble n’avoir que faire du temps et de l’époque. Quel autre rappeur avouerait sans gêne ni fierté qu’il a parsemé son album de couplets ayant parfois jusqu’à dix ans d’âge ? Ill, dans un bon mot débordant de sens, digne de Picasso, nous avait lancé un jour qu’il avait mis dix-huit ans à écrire ses premiers textes. Hifi en mettra peut-être quinze à faire naître son second album. Mais s’il est cap’ d’y aller, nous sommes prêts à l’attendre. – Diamantaire

La scène trap antillaise

En 2015, alors qu’il se dirigeait de plus en plus vers des sonorités trap, le Martiniquais Kalash signait en maison de disques et se voyait obligé d’émigrer en métropole. Sa métamorphose progressive, vers un style mêlant reggae, dancehall et rap, et sa proximité nouvelle avec Booba lui permettaient d’enfin se faire connaître du public européen. Dans le sillon de Kalash, qui n’est que l’infime partie émergée d’un monstrueux iceberg, la très riche scène caribéenne a fourni en 2016, comme l’année précédente, une production dense de trap music. Ceux qui l’incarnent ? Lyrrix, Railfé, Keros-N, Ed Style, ou encore Bruce Little et ils sont les nouvelles vedettes de la Martinique et de la Guadeloupe. Plus proches géographiquement du sud des États-Unis que de Paris, ils le sont aussi dans l’attitude et le mode de vie, ce qui confère à la trap antillaise un intérêt que son équivalent métropolitain n’aura probablement jamais. À cela s’ajoutent les influences locales et l’usage du créole, grâce à quoi cette année aura été riche en hits du côté des West-Indies. Reste à espérer que Kalash ne sera pas le seul à bénéficier de l’intérêt du public métropolitain. – B2

La planche de salut de Tha God Fahim

C’est l’occasion ou jamais de parler de Tha God Fahim puisqu’il nous aura probablement saoulés en décembre prochain. 2016 a été chargée pour le jeune rappeur/producteur d’Atlanta : quatre albums, deux EPs, une mise à l’écart douloureuse par les grands frères de Griselda Records, un départ en retraite puis un retour aux affaires sans explications, façon Murdoc dans MacGyver. Fahim a donc contribué à animer l’année rap à son échelle et avec ses atouts. Le garçon n’a rien d’un virtuose du micro, il raconte des choses qu’on a déjà entendues mille fois mais il a quelques particularités qui font la différence, même au-delà de son melon transgénique. À commencer par un sens implacable de la mélodie, qui donne une vraie couleur à ses productions et par ricochet à ses projets, qu’on sent réalisés avec le cœur et les moyens du bord. Ainsi, TGIF (sorti en juillet), par exemple, est un très bon album, dense, sombre et mélancolique, qui brille par ses instrumentaux simples et efficaces (« Rap’s Mahdi », « Fort Knox », « Slow Motion »). Le salut pour Fahim passera peut-être par le fait de se mettre en retrait et de produire pour les autres. Avec une seconde année comme celle-ci en tout cas, ça sentirait le burn-out. – Kiko