Xtrm Boyz, le choc des énergies
Interview

Xtrm Boyz, le choc des énergies

Di-Meh, Slimka et Makala sont de vraies piles électriques. À la confluence des styles, à la jonction des genres, ils retrouvent chaque semaine ou presque leur public à travers les salles de la francophonie. Point d’orgue de leur tournée actuelle, ils seront ce 15 novembre à la Machine du Moulin Rouge, l’occasion de revenir avec les trois Genevois sur leur conception du rap et de la scène.

Photographie : Coralie Waterlot
Une interview réalisée au festival En Vie Urbaine

Abcdrduson : Vous n’avez pas commencé la musique ensemble à proprement parler, si ? 

Di-Meh : Makala était là avant Slimka et moi.

Makala : [Rires] Tu m’étonnes !

A : Tu as commencé à quelle époque ?

Makala : Je n’arrive pas trop à voir en termes d’années, mais j’étais là avant Di-Meh c’est sûr. C’était avant 2010, je pense.

A : Slimka, toi à ce moment-là, tu n’étais pas du tout dans la musique ?

Slimka : J’étais plutôt dans la danse. J’ai fait du son à la maison de quartier, mais ce n’était pas quelque chose de concret.

A : La maison de quartier… Vous venez du même coin de Genève tous les trois ?

Di-Meh : Genève c’est un quartier…

Makala : Oui, la ville est petite. Je dirais que le centre c’est le quartier des Pâquis. C’est là que l’on a tous traîné. J’ai rencontré Di-Meh là-bas, Slimka habitait là-bas aussi.

A : Y a-t-il un moment où vous vous dites « on a une affinité particulière, faisons de la musique ensemble, c’est une bonne opportunité » 

Slimka : Ça s’est fait assez naturellement, par la force des choses. Mais on n’a jamais vu ça comme une « opportunité ».

Di-Meh : Les grands esprits se rencontrent !

Makala : Comme les Avengers.

A : En tant qu’auditeurs de rap, aviez-vous les mêmes goûts qui pourraient justifier votre affinité musicale actuelle ?

Di-Meh : Franchement, je pense que l’on a chacun ses inspirations. C’est vrai que l’on se rejoint sur des sons, c’est normal, mais chacun a toujours eu ses propres goûts. Moi, petit, j’écoutais surtout le rap de New York. Aujourd’hui je suis plus sur le Sud, sur Atlanta, et puis sur Chicago.

Slimka : Moi j’aime Los Angeles, depuis toujours.

Makala : En fait on peut citer tous les States, chacun à des époques différentes…  Et les histoires de villes ne veulent plus vraiment dire grand-chose, il y a des rappeurs qui ont bougé et les sons ne sont plus forcément propres à leur région.

A : Actuellement, vous tournez en tant que XTRM Boys, une formation émanant de SuperWak Clique, votre groupe. Mais au sein de ce groupe, vous n’êtes pas que trois, rien qu’autour de cette table vous êtes cinq. Pouvez-vous préciser un peu la composition de cette entité ?

Makala : Selon ton état d’esprit on peut même être six. Nous cinq et toi.

Slimka : Même dix je pense. Ce n’est qu’une question d’état d’esprit. Sinon, on est juste un collectif fixé par un groupe WhatsApp !

Thibault Eigenmann (DJ et Manager du groupe) : Et encore, tout le monde n’est pas dans le groupe WhatsApp !

A : Si en termes de personnalités,  votre « formation » ne se limite pas à vous, en termes d’activités, elle ne se limite pas à la musique non plus ? 

Makala : La base de notre groupe c’est la musique, mais il y a tout ce qui en découle. Quand tu fais de la musique, il faut faire plein de choses qui l’accompagnent. Il y a plusieurs corps de métier.

Thibault : Personne ici ne fait que de la musique, aucun des trois rappeurs.

Slimka : Di-Meh il fait du skate, et Makala c’est un sportif ! [Rires] On a défilé récemment, pour la plus jeune marque de la fashion week parisienne, Afterhomework. On essaie de toucher à tout.

Makala : On s’inspire de ce qu’il y a dans tous les domaines artistiques, les uns se nourrissent des autres.

« Quand tu fais de la musique, il faut faire plein de choses qui l’accompagnent. Personne ici ne fait que ça. »

A : À ce stade de vos carrières, chacun produit ses propres projets musicaux, mais il n’existe pas encore une mixtape ou un album commun entre vous. Y a-t-il une explication ?

Makala : On va aller chercher la force dans tous les coins possibles. Chacun a son style, sa manière de faire les choses, et le jour où ça viendra, on réunira toutes les forces que chacun aura. Mais là pour l’instant, on s’occupe tous de plusieurs parties du globe, on est les Avengers ! Il y a un film où tous sont réunis, quand il est là t’es content, c’est stylé, mais avant ça il y a un Thor, il y a un Spiderman, etc.

A : Et il y a des gens qui attendent plus le film sur Thor que celui sur Spiderman, et inversement. Est-ce que vous avez le même public ou pensez-vous que certaines personnes découvrent Makala sur scène parce qu’ils venaient voir Di-Meh et Slimka par exemple ? 

Di-Meh : C’est possible. Le fait de tourner en trio donne de la force à tous en fait.

A : Et sur scène, les morceaux enregistrés en solo se transforment en morceaux de groupe ?

Makala : On laisse chacun s’exprimer mais on sait aussi s’apporter de la force quand c’est nécessaire. C’est une équipe, s’il y a besoin de faire un une-deux, on le fait, s’il faut faire une passe à trois, on le fait aussi. Et si un gars veut partir solo, il fonce au but. De toute façon, on sait qu’il va marquer.

A : Cela fait deux ans que vous tournez quasiment en permanence, et vous avez fait des scènes assez diverses, des petites salles, des clubs, des gros festivals… Avez-vous une configuration favorite ?

Di-Meh : Je pense que l’on veut toujours plus gros, mais c’est bien de faire des concerts dans des petites salles. De toute façon que l’on soit devant cent-cinquante ou quatre mille personnes, ça va être la même shit.

Makala : Le feu va se répandre pareil.

Thibault :  En plus, pour ce qui est du set et du show, on décide un peu au dernier moment de ce que l’on va faire. Ce ne sera jamais le même concert.

A : Donc au début de votre tournée, vous n’écrivez pas une sorte de narration de concerts, que vous suivrez tout au long ?

Di-Meh : Non parce qu’en vrai on a besoin d’être surpris, et de suivre nos envies. Des fois je me dis « tiens ce son ça fait longtemps qu’on ne l’a pas fait » et du coup ce soir-là on le fait ! Et encore mieux, le son ne sera jamais le même que celui enregistré, il varie toujours sur scène.

A : À ce jour, pour le public comme pour les journalistes et pour vos pairs, une grosse partie de votre réputation repose sur cette énergie scénique, et votre capacité à chauffer des salles…

Makala : Cramer des salles ! Chauffer c’est pour ceux qui font des premières parties.

A : Ça ne vous fait pas peur des fois d’être cantonnés à ça ? Vous n’avez jamais l’impression que vos disques se trouvent dans l’ombre de vos scènes ?

Makala : Non, au contraire les disques sont mis en lumière par la scène.

Di-Meh : La scène renforce nos projets, ils vont ensemble, comme les clips vont avec les morceaux.

A : Et toutes ces scènes depuis des mois, d’un point de vue physique et mental, vous les vivez comment ? C’est du kiff total ou il y a un certain épuisement ?

Di-Meh : Il y a de l’épuisement oui… On ne peut pas faire ça tout le temps, il faut que l’on prenne des mesures nous aussi. Ça ne peut pas durer éternellement.

A : Comment arrivez-vous à organiser votre temps, notamment pour le studio, avec ces dates ?

Di-Meh : Franchement on mène une turbo-life. On rentre à Genève du lundi au mercredi, puis on repart, donc dans ces trois jours, il faut essayer d’aller au studio faire des titres.

Makala : La semaine nous sert à ça. La semaine c’est le taf. Et le week-end… C’est le taf aussi. C’est pour ça que je suis interpellé par ceux qui demandent si on n’a pas un job à côté… Non mec ! Quand ? On taffe déjà beaucoup.

Thibault : Par exemple quand tu tournes beaucoup, c’est quasiment impossible de clipper. Un clip c’est à peu près trois jours, ça veut dire que le lundi, mardi et mercredi, tu fais un clip entre deux dates… C’est chaud.

«  Je me permets d’être libre. J’ai une base directrice, mais je veux être instinctif. »

A : C’est peut-être là qu’intervient Colors, la structure dont tu es cofondateur Thibault. De quoi s’agit-il et quel est son rôle pour les gars ? 

Thibault : Colors est un label et une structure. Il y a Colors Records, la maison de disques, il y a Colors Live qui est une agence de booking et enfin Colors Publishing qui gère les éditions. Notre boulot avec les gars, c’est de les soulager de toutes ces questions, on a une équipe qui sert à coordonner les choses entre elles et à planifier au mieux leur emploi du temps musical. Là on est venus à Niort [l’interview est réalisée dans le cadre du festival En Vie Urbaine, NDLR], ils n’ont pas eu à se poser la question de la location du van, Colors Live est là pour ça. Quand ils sont à Genève, Théo Lacroix [cofondateur de Colors, NDLR] est là-bas pour s’occuper du studio.

A : Vous avez votre propre studio ?

Thibault : On a notre studio et il est en activité permanente. Di-Meh fait plus les nuits au studio, Makala vient davantage travailler en journée avec Varnish La Piscine, Slimka pareil plus la journée. Mais ce que je voulais dire c’est que l’on organise le studio pour que chacun soit à l’aise dans son travail là-bas, sans compter que d’autres artistes y viennent également.

Makala : C’est l’arche de Noé ! On ramène au studio ceux que l’on peut sauver.

Thibault : Ce qui est beau c’est que c’est ça que l’on défend en fait ! Sur Genève, beaucoup d’artistes sont doués et méritent d’avoir leur place, et nous essayons de bosser ensemble.

Makala : Quand les gens sont bons et essaient de faire les choses d’une manière professionnelle, ça se ressent et ça ne peut que marcher !

A : Thibault évoquait la richesse de la scène artistique genevoise. Il paraît qu’être Genevois n’est pas tout à fait synonyme d’être Suisse, que l’identité de cette ville dépasse le sentiment d’appartenance à la Suisse. Pensez-vous que cette ville a une importance quelconque dans ce qu’est votre art aujourd’hui ? Estimez-vous par exemple que votre musique est propre à votre ville ?

Di-Meh : Ouais, carrément. Ou plutôt, je pense que notre musique est propre à nous-mêmes et que nous sommes effectivement très marqués par Genève et son rap. On a été influencés par plein de gens qui étaient là avant nous. Après, quand tu parles du fait qu’à Genève on ne se sent pas Suisses… Des fois c’est un peu vrai qu’à l’extérieur on nous voit presque comme des Français… Enfin ce n’est pas tout à fait ça, je n’arrive pas à exprimer la façon dont ils nous voient.

Thibault : C’est un peu vrai pour toutes les grandes villes en fait, de l’extérieur on les voit autrement. Zurich ça a beau être une ville suisse, c’est super ouvert, et c’est proche d’un truc comme Berlin. Nous c’est pareil, on est dans une ville internationale.

Makala : Et on n’est pas des Français nous, parce qu’on a une histoire avec les Savoyards et tout. C’est une ville spéciale, conservatrice. C’est une île ! Je te jure c’est une île [Rire]

Di-Meh : Genève c’est Konoha et les hokages c’est nous !

A : À l’écoute de votre musique, on entend une spontanéité évidente, une énergie brute… Mais en même temps, on n’a pas envie de se dire qu’elle n’est qu’une forme d’improvisation. Il y a forcément du travail et de la recherche. Avez-vous une démarche spécifique ?

Di-Meh : Pour ma part, je me permets d’être libre. J’ai une base directrice, j’ai des textes, mais je laisse une part de moi-même essayer de trouver d’autres trucs au dernier moment, je veux être instinctif.

Makala : Moi, c’est le mouvement de l’eau… Tu le suis. Tu n’avais pas pensé à ça, tu y viens quand même, et ceci t’amène à cela, puis cela t’amène vers autre chose. Tu ne sais même pas vers où tu vas au début, mais à la fin tu arrives où le mouvement de l’eau t’amène.

Di-Meh : Des fois tu écris un seize mesures et quand tu le poses ça ne ressemble pas à ce que tu pensais. Tu mélanges deux mesures sans faire exprès et ça donne un autre morceau.

A : Et quand vous faites un morceau, vous pensez à la scène ou pas ? 

Di-Meh : On doit y penser mais ce n’est pas réfléchi. On n’a pas la notion d’un morceau calme ou d’un morceau énergique. On donne tout quand on le fait et voilà.

Makala : Il faut dire que l’on est notre musique aussi, elle est ce qu’on est.

A : Et quand vous faites de la musique aujourd’hui, en studio ou sur scène, cela vous paraît être facile ou cela ressemble plus à un effort ? Le lundi matin vous savez que jusqu’au dimanche soir vous allez faire de la musique, ça vous inspire quoi ?

Di-Meh : C’est cool, mais ça va être du travail.

Thibault : Et le travail, ce n’est pas des mathématiques. Le travail c’est avoir confiance en soi. Le travail c’est de savoir ce que tu peux donner, qu’est-ce que tu peux amener au monde ? Je parle pour Colors là, et ce que l’on demande à Slimka, Di-Meh et Makala, ce n’est pas de faire tel ou tel morceau. On va leur poser des questions sur des trucs, leur demander ce qu’il pense de certaines choses, mais on n’est pas là pour parler de stratégies marketing, de morceaux pour ceci ou pour cela… Plein d’albums qui sortent ont ça en eux, et ça se ressent. Nous, c’est tout l’inverse, ce qui est important c’est l’intégrité de l’artiste. Plus il a confiance en lui, plus on va loin ensemble.

Makala : Il faut que chacun puise au plus profond de son identité pour s’exprimer de la manière la plus vraie. La musique a la forme d’une extériorisation, mais elle n’est possible que si tu vas tout à l’intérieur de toi.

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