Vicelow : « l’essentiel ? Être fidèle à ce que tu peux être »
Interview

Vicelow : « l’essentiel ? Être fidèle à ce que tu peux être »

Il y a les joueurs d’équipes et les solistes. Ancien du sextet Saïan Supa Crew et du duo OFX, Vicelow a posé deux jalons avec ses deux Blue Tape, confectionnées en étroite relation avec le producteur tout-terrain SoFLY. Bilan avec un oeil dans le rétroviseur et un autre vers l’avenir.

Photographie : Draft Dodgers

Abcdr Du Son : BT2 est intégralement produit par soFLY, c’était un postulat de départ, une évidence pour toi ?

Vicelow : La réalisation de l’ensemble du projet a été menée à deux : soFLY et moi. La production, c’est à 99% son œuvre. 99% parce qu’il y a un morceau, « Hip-Hop Ninja », qui est produit à l’origine par Rachel Claudio et qu’ils ont revu à deux. En sachant que Sébastien Drumeaux a aussi apporté sa contribution sur les arrangements. Bosser avec un seul beatmaker, ça faisait pleinement partie du concept du projet. Je voulais avoir un comité restreint en home studio qui puisse mettre en avant le travail du beatmaker. C’est aussi pour ça qu’on a laissé tourner des productions ou que tu retrouves des interludes musicaux avec uniquement des instrus.

A : il y avait une volonté de recréer un duo, comme à l’époque des Pete Rock & C.L. Smooth, Guru et DJ Premier ?

V : Oui, c’est tout à fait ça. Le projet a été présenté en mon nom seul, mais ça aurait très bien pu être « Vicelow & soFLY présentent la BT2. » Ce principe de duo, c’est une formule Hip-Hop qui existe depuis longtemps et j’ai eu envie de recréer un peu ça. C’était intéressant de me retrouver face à de vrais challenges, avec notamment des instrus qui ne rentraient pas dans mes délires de base. Il m’a emmené dans son univers et réciproquement. Le partage a été vraiment mutuel.

A : Comment est-ce que vous bossez ensemble ?

V : On se connait extrêmement bien. Il n’a pas besoin de me faire écouter cinquante prods. Après, il y a aussi eu une part de hasard. C’était par exemple le cas pour un morceau comme « Zetwal Box ». On est souvent parti sur des bases de squelettes sur lesquels j’ai posé un premier couplet, un bout de refrain. Mais la structure et la réalisation des morceaux ont été menées en équipe, à partir des directions qu’on a chacun pu donner. Au final, on n’a pas suivi une méthode précise. On a surtout fonctionné sur des coups de cœur. Un morceau comme « Hip-Hop Ninja » c’était tout à fait ça. La production ne m’était pas destinée à l’origine, mais j’ai tellement bloqué dessus que j’ai écrit tout de suite le texte en mode non-stop.

A : La BT2 est sortie en digital au départ, avant d’être suivi d’une version physique, étoffée de remixes. Sortir une version physique, c’est une forme de confirmation ?

V : La sortie physique, honnêtement, je l’ai faite parce qu’on me l’a demandé. Quand j’ai finalisé la version digitale en avril, j’avais quelques morceaux en plus, ici et là. Je m’étais dit que j’allais les sortir plus tard. Les gens qui me suivent sur Facebook ou Twitter ont commencé à me dire qu’ils voulaient l’objet physique, comme ils avaient la Blue Tape et toute la discographie du Saïan en disque. Après, je ne voulais pas que ce projet soit le seul qui sorte uniquement en dématérialisé. Et comme je ne voulais pas sortir le disque tel quel, j’ai ajouté quelques inédits, des remixes. C’est une forme de confirmation aussi dans le sens où un seul morceau, le remix de « Hip-Hop Ninja », a permis au public de mieux comprendre quel était mon état d’esprit et mon univers. Je suis entre deux écoles, connecté à la fois avec la dernière génération et avec les dinosaures ! [Rires] Ce morceau a bien relancé la machine et créé un certain intérêt.

« Je suis entre deux écoles, connecté à la fois avec la dernière génération et avec les dinosaures ! »

A : Le remix de ce morceau, avec ces invités, te place en figure fédératrice, à cheval entre plusieurs générations. C’était un des messages que tu voulais faire passer ? 

V : Quand j’ai eu cette idée de morceau, j’ai commencé à faire une liste de gens que je connaissais, que j’appréciais et avec qui je n’allais pas galérer. J’ai croisé Zoxea, puis Busta… mais je ne voulais pas ramener uniquement des anciens ni juste les mecs de la nouvelle école comme Deen ou Nemir qui en plus étaient déjà sur la BT2. J’ai pensé très vite à A2H, il m’avait contacté un peu avant pour son album. J’aime son esprit, sa démarche et son univers musical. En plus, il était motivé pour participer au projet et il a apporté une autre énergie encore. Je voulais avoir des styles différents, avec des mecs qui puissent kicker, sans que ce soit trop street. J’ai aussi pensé à un mec comme Sadek. Il ne faut pas croire, je suis pas mal de rappeurs et je peux apprécier des gars même s’ils ne sont pas dans mon univers. Parfois, inviter quelqu’un qui n’est pas dans ton univers direct, ça contribue à faire passer un message. Bizarrement, et quand t’y repenses c’est un peu abusé, personne n’a été en studio. Tout a été fait à distance, à part Samuel. Personne ne s’est rencontré et personne ne savait qui faisait quoi..

A : Comment as-tu bossé le clip ?

V : C’est un peu une idée de dernière minute à la base. J’ai fait toute la direction artistique du clip… et quel taf ! [NDLR : il soupire] Le clip de la version originale de « Hip-Hop Ninja », le plan séquence, c’était mon concept. Comme ce concept avait bien fonctionné, je me suis dit que pour le remix, il fallait que je parte sur un truc simple. J’ai tout géré là-dessus, jusqu’à les appeler chacun individuellement. Je savais que c’était impossible d’avoir tout le monde en même temps. Vu que chacun allait être dans un endroit différent, il fallait trouver un élément, un objet qui puisse lier tout le monde. Il y a eu quelques couilles mémorables dans certains endroits. Avec Busta, on s’est fait arrêter par la police ferroviaire parce qu’on était dans un lieu où l’on n’aurait pas dû être. On a eu une amende et ça nous a retardés. C’était la mission ! J’ai fait Zoxea le lundi et tous les autres le mardi et le mercredi. Au final, le clip était prêt le vendredi et en ligne le dimanche. C’est aussi ce que j’ai aimé dans ce projet, il s’est fait de façon très spontané. Je suis arrivé mains dans les poches pour ce projet, je n’avais pas du tout d’argent.

Je vais bientôt commencer à travailler sur le clip de « Avenue Martin Luther ». Ensuite, en fonction du temps et des dispos de chacun, j’aimerais faire une dernière vidéo, pour le morceau « Nouvel automne » avec Rachel, Deen et Nemir.

A : Rachel Claudio est une invitée récurrente de la BT2, c’était un des styles que tu voulais voir figurer ?

V : À la base, je voulais surtout que Rachel figure sur ce projet. C’est quelqu’un que j’apprécie et en plus je l’ai rencontrée à un moment où artistiquement j’en avais un peu marre du rap. On a beaucoup échangé, elle m’a apporté son énergie et je voulais que son approche artistique apparaisse sur ce disque. Je l’ai poussée à rapper, toaster à tels et tels moments. Je ne voulais pas qu’elle fasse juste un refrain chanté. Rachel, c’est aussi une excellente musicienne. On a vraiment fait ce projet en famille, avec Rachel, soFLY et Sébastien [NDLR : Drumeaux].

A : Tu étais au Nouveau Casino le 24 Novembre pour fêter la sortie de la BT2. C’était une forme de consécration pour ce projet ?

V : Oui et non… [NDLR : Il hésite] J’aurais bien aimé faire une nouvelle date. Entre le moment où j’ai fait ce concert et maintenant, il y a encore un autre engouement. Ça reste dans le cadre du rap français, mais il y a quelque chose qui se passe. J’ai fait d’autres scènes depuis, sorti d’autres vidéos. Disons que ce concert du 24 novembre, c’était une belle surprise. Voir son public c’est autre chose et j’ai senti que les gens étaient vraiment entrés dans mon projet. La réaction du public m’a donné une énergie supplémentaire pour en faire plus. La scène c’est la vérité.

A : Selon toi, est-ce qu’il y a encore un public en France pour du rap dansant ? Dansant, dans le sens pour les danseurs, pas juste du dancefloor.

V : Le public des danseurs en France est relativement petit. Par contre, il est international. Tous mes sons qui ont tourné en battle, ils ont été joués en France mais aussi en Russie, en Allemagne. Tu vas là-bas, au sein de cette communauté, tu parles de soFLY les gens pètent un câble. Donc ton nom existe… mais financièrement, ce ne sont pas des gens qui consomment, achètent des disques. Du coup, dans la BT2, j’ai voulu allier les deux : avoir des sons qui parlent aux danseurs parce que c’est un kiff, mais aussi des titres plus rap classique comme « Nouvel automne » ou « Hip-Hop Ninja ». Ces deux dimensions, ça me correspond vraiment.

La danse fait pleinement partie de mon éducation. J’ai toujours aimé ça. Quand tu as plus de trente piges, ce sont des choses dont tu te souviens, du vécu. Au départ, je me suis intéressé à la danse par Michael Jackson, je ne savais même pas que certains mouvements c’était du Hip-Hop. Après, j’ai aimé des trucs en modern jazz, mais globalement j’apprécie les mises en scène, les créations, les comédies musicales. Je suis sensible à l’expression du corps que peuvent avoir certains danseurs.

A : Le clip de « Casse les côtes », c’est le reflet de cet intérêt ?

V : Oui, en sachant que pour ce clip, j’avais eu l’opportunité de bosser avec un jeune réalisateur. Je lui avais laissé carte blanche et il avait tout pris en main, en exprimant son délire. Le son est assez spé’, et je sais que ce type de prod’ ça plait aux danseurs. Il fallait exprimer visuellement l’esprit du morceau.

A : Je t’ai vu avec Milk, Coffee and Sugar à La Bellevilloise en décembre dernier. Il y avait une belle émulation collective. Elle ne te manque pas cette énergie de groupe ?

V : Quand tu évolues en équipe, forcément, tu te sens plus fort. Et tu appréhendes la scène assez différemment. Poser juste un seize mesures, c’est autre chose que faire tous les refrains et des couplets. Si tu as un trou de mémoire, tu ne vas pas avoir ton gars à côté de toi pour te reprendre. C’est un autre engagement. Dernièrement, j’ai aussi été sur scène avec Sly et Samuel et ce sont des sensations que j’avais un peu oubliées. Il y a un truc un peu magique. Si demain je me retrouve de nouveau sur scène avec eux, c’est certain que je me sentirai le plus fort du monde. Évoluer en tant qu’artiste solo c’est aussi se mettre en danger. C’est un autre exercice et j’apprends sur moi en évoluant dans cette configuration. Peut-être que demain ça va me lasser, que je vais vouloir de nouveau bosser en équipe. En sachant que ça, honnêtement, à la fin avec le Saïan, on l’avait perdu. On se connaissait tellement bien…

A : Ça veut dire que tu pourrais envisager de refaire des scènes dans un groupe, en complément de ta carrière solo ? 

V : Oui, oui, mais j’ai une étape à passer avant ça. J’ai envie de bosser avec des musiciens et j’ai énormément de choses à apprendre et tester dans des formations de ce type. Un artiste solo avec un guitariste, un batteur et un bassiste sur scène, c’est particulier, il est accompagné par des gens qui vont lui amener une énergie. Il y a forcément plus de vie que lorsque tu es juste avec un DJ.

« Aujourd’hui, j’ai une toute autre philosophie de la vie. Je suis moins en compétition avec les autres, je veux juste faire ce qui va me rendre meilleur. C’est une autre quête. »

A : Quels sont tes prochains projets ? 

V : Mon album. J’ai des bouts de textes mais je n’ai pas commencé à bosser de vrais morceaux. Il y a des scènes ici et là pour la BT2 mais le gros projet c’est mon premier album. Je compte bosser avec différents musiciens et beatmakers – pas uniquement soFLY – pour ce projet. J’ai appris beaucoup de trucs avec la BT2 et j’ai envie de partir sur autre chose, de donner plus de place aux textes. Je veux pouvoir le jouer sur scène avec des musiciens et que ça sonne Hip-Hop. En ce moment j’écoute beaucoup le deuxième album de Kanye West. Ce qu’il a trouvé dans cet album, ça défonce. Je me l’étais déjà pris dans la gueule il y a des années. Cet album ce sera une des références comme d’autres trucs qu’il a pu faire avec Common.

J’ai envie de bosser mes premiers morceaux avec soFLY, en travaillant autrement. Je vais maquetter un maximum de titres, je ne veux pas que ça sorte juste en indépendant. Je voulais me faire plaisir avec la BT2 mais aussi montrer que je ne suis pas qu’un gars qui fait du rap. Je suis aussi derrière mes visuels, mes clips, c’était important pour moi. C’était aussi une façon de rattraper le temps que j’ai perdu quand j’étais en major avec le Saïan. On avait tout sous la main à l’époque. J’avais un réseau de fou, il s’est envolé comme ça… Tu ne te rends même pas compte, tu crois que c’est normal d’être en contact avec tel tourneur et tel réalisateur. J’ai beaucoup appris depuis, j’ai été sur le terrain et aujourd’hui je veux être libre de mes choix et de ma musique. J’ai mis du temps mais Vicelow en solo, ça n’existe pas encore. C’est Vicelow du Saïan et d’OFX.

A : Sur « Hip-Hop Ninja », tu dis : « à l’époque 6 capitaines coupables d’avoir décapité les scènes. RIP SSC, le rap français est sans larmes, ingrat. » Tu as l’impression que le public vous a déjà oublié ?

V : Oublié non… mais pour moi, honnêtement, on a fait ce qu’aucun groupe n’a fait et fera. Sans comparer avec qui que ce soit, je pense que j’étais entouré de putains d’artistes. Ça arrive une fois tous les dix siècles une équipe pareille. Et franchement, cette équipe-là mettait la pression à des cain-ris, on avait un truc à part. Comme on n’était pas dans un format classique, on a eu des échos assez tranchés. Soit des gros fans, soit des gens qui ont respecté la démarche mais n’ont pas kiffé plus que ça. Mais comme on a pris des directions solos extrêmement différentes, les gens ne comprennent pas trop. En plus, le rap évolue rapidement. Pour en revenir à cette phrase, je pense qu’on n’a pas eu la reconnaissance qu’on méritait…

A : Comment tu expliques ce manque – relatif – de reconnaissance ?

V : On était un putain de crew mais on n’était pas dans le game du rap français. Avec mon seul projet BT2, j’ai plus collaboré avec le reste du rap français que le Saïan au complet dans toute sa discographie. Tu ne verras pas un membre du Saïan faire des collaborations avec d’autres rappeurs français, ça ne se fait pas. On était dans notre bulle et c’était compliqué de ramener quelqu’un d’extérieur. Quand tu n’es pas trop dans le copinage et que tout s’arrête brutalement du jour au lendemain… [NDLR : Il fait une pause] En fait, je trouve que le public n’a pas calculé plus que ça. Maintenant que le temps est passé, que les projets solos voient le jour, on a l’impression que le public réalise maintenant, genre : « ah mais c’était bien ce que vous faisiez. » Il y a une phase de nostalgie en ce moment….

On sera tous liés à vie, j’apprécie les démarches de chacun et maintenant l’eau a coulé sous les ponts. Mes projets en solo m’ont aussi apaisé sur beaucoup de choses. Je vois et reconnais mes gars dans chacun des projets qu’ils peuvent sortir. C’est ça l’essentiel : être fidèle à ce que tu peux être. Peut-être qu’on fera un retour, sait-on jamais… [Rires] Avant, c’était quelque chose d’inenvisageable, aujourd’hui c’est différent. Quelque part, ce serait bien. J’aime encore ce côté compétition, kicker tous ensemble. Mais il ne faut pas juste revenir pour revenir, il faut qu’on casse des bouches.

A : Avec le recul, quels souvenirs gardes-tu de toute cette aventure ?

V : Mon souvenir aujourd’hui est globalement très positif, avec notamment toutes les rencontres qu’on a pu faire, tous les concerts. Si demain je dois fermer les yeux, je me dirai que j’ai vu ce que je devais voir. On était jeunes, le succès est venu vite, mais il était à la hauteur de ce qu’on pouvait proposer. Peut-être qu’on n’était pas assez bien entourés. Quand tu as été très connu et que tu connais ensuite une baisse de régime, tu vois les choses complètement différemment. Aujourd’hui, j’ai une toute autre philosophie de la vie. Je suis moins en compétition avec les autres, je veux juste faire ce qui va me rendre meilleur. C’est une autre quête.

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