Vald
Interview

Vald

Yitzhak Rabin et le streaming boules, Cyrano de Bergerac et les « films de capes et de pédés », mais aussi Amélie Poulain et le 69, Jean Schulteis et un coquelicot, une étrange famille de Bretons… Si c’est bien Hiroshima dans la tête de Vald, toujours pas de bite à son front puisqu’au final ce sont les bourses ou la vue.

et

Abcdr : Tu étais à Lyon il y a quelques temps en compagnie de l’Animalerie. Quel bilan tires-tu de ces 48 h au zoo ?

Vald: C’était magnifique, splendide, tout ce que tu veux. Nous étions dans l’espèce de local d’Oster Lapwass. Il faisait froid, c’était humide… J’ai rencontré Oster, Anton Serra, Kacem Wapalek, Ilenazz, Dico… J’ai rencontré toute L’Animalerie je crois. Lucio Bukowski, Nadir… D’autres blazes encore…

A : Ethor Skull ?

V : Ethor Skull… Exactement ! Missak aussi est passé – j’ai placé un « 12 » sur son prochain album d’ailleurs… Non c’était trop frais. Les gens étaient trop réceptifs. C’était mon meilleur concert à ce jour ! Nous avons enchaîné avec une vidéo que nous avons tournée le lendemain du concert.

A : Dans quel état es-tu rentré de ce week-end ?

V : Fatigué…  Nous avons été accueillis comme des rois mais le respect du sommeil c’était pas trop ça [Rires]. Nous dormions sur la mezzanine du local mais en vrai nous étions beaucoup trop dans cette pièce. Tout le monde buvait, tout le monde fumait, c’était le bor-del.

A : Tu es amené à rebosser avec Oster, à l’avenir ?

V : J’espère ! J’ai quelques prods a lui sur mon bureau. Si une idée me vient je poserai dessus. J’aime bien ce qu’il fait.

A : Tu fonctionnais comment niveau prods jusqu’ici ? Le tracklisting de tes morceaux part un peu dans tous les sens à ce niveau-là…

V : Je faisais tout dans ma chambre en fait. Moi je fais pas de prods. Soit je prenais celles de Suik’on blaze AD, soit je récupérais des faces B. Goune aussi m’en a fait mais pour le reste j’étais presqu’un hippie là-dessus. Je faisais les trucs à l’arrache, je récupérais une instru, hop, je posais dessus… Mais maintenant c’est devenu plus professionnel.

A : C’est-à-dire ?

V : C’est-à-dire qu’aujourd’hui je suis produit par des anciens trèèès confirmés du rap français : Tefa, Kilomaître et Mercus. Fini l’à-peu-près. Les mecs sont carrés ! Même au micro ma voix est en haute définition, donc plus question de poser sur des infâmes faces A ou B téléchargées sur Youtube [Sourire].

A : Tu ressens une pression que tu n’avais pas avant…

V : Nan c’est juste une forme de travail plus aboutie dirons-nous.

A : C’est stressant ?

V : Même pas ! Au début peut-être mais maintenant on se connaît, on se fait confiance. Ils savent que je pars souvent en couille et je sais qu’il faut que ça reste un minimum sérieux. En fait je fais la même chose qu’avant, du NQNT…, mais plus approfondi.

A : Niveau inspiration, tu avais des textes d’avance ?

V : Ouais mais c’était très freestyle. Rien de très concret. Partir dans tous les sens c’est marrant sur des mixtapes gratuites mais je peux pas sortir ça sur tout un projet, c’est pas sérieux – dédicace à la concurrence [Rires]. Là j’ai trouvé des thèmes, des concepts des délires, des refrains, les égotrips sont très particuliers. C’est comme si NQNTMQMQMB et Cours de rattrapage avaient été mes maquettes. Maintenant je sais comment faire et comment aller plus loin.

A : Parce que tu t’es engagé à quoi avec eux, contractuellement ?

V : Je dois faire un EP avec eux puis un album. Le reste est optionnel, mais bon comme on va tout niquer il y a des chances que nous restions longtemps ensemble.

A : Un gros changement donc pour toi qui enregistrais jusqu’ici devant ton PC…

V : Oui. J’enregistrais dans ma chambre ou alors chez I.N.C.H. On enregistrait dans une pièce, tout le monde parlait, c’était pas un problème… Maintenant tout est propre y’a pas un bruit dans la cabine. Nico il fait des mises à plat juste pour que ce soit cool à écouter. Il éclate tous les mixes de tous mes anciens morceaux. C’est un choc presque mais c’est vraiment lourd, et puis je fais toujours des ambiances à la con sur les morceaux donc il y’a toujours cette impression de brouillon. Sauf que là c’est maîtrisé.

A : Comment ils t’ont contacté, Tefa et Mercus ?

V : Je crois que c’est la chanson « Smiley » qui a attiré leur attention. C’est marrant parce que c’est sans doute la chanson la plus conne que j’ai faite ! En même temps c’est là qu’ils ont vu que je pouvais faire n’importe quoi. Ils m’ont contacté par Facebook… et tu connais la suite. Facebook c’est sournois et c’est magique à la fois.

A : Qu’attendent-ils de toi ?

V : Que je sois le meilleur, que je me surpasse. On est loin des clichés sur les producteurs qui forcent l’artiste à faire des tubes qui puent l’escroquerie et la démagogie. Ils me supportent dans mes conneries. J’ai des refrains horribles complètement impassable en radio mais eux ils valident. Tant que c’est lourd et percutant je réponds à leurs « attentes ».

A : Donc là tu te retrouves comme dans le deuxième morceau de NQNTMQMQMB, quand tu dis “Page 1, chapitre 1, putain de verset 1…” C’était ton tout premier morceau ça, au fait ?

V : Non, c’est même le dernier morceau que j’ai fait pour NQNTMQMQMB en fait. C’était plus cette mixtape le premier pas. Avec le prochain projet qui arrive c’est mon premier coup de schlass, mon premier coup de seringue dans l’œil.

A : “Mes projets sont des esquisses, mes rendez-vous sont des esquives” dis-tu dans un morceau…

V : Là mes projets sont des dessins très détaillés mais ils sont au crayon à papier, j’ai pas repassé au feutre. Quand tu mets du feutre ça devient trop net, trop droit, trop lisse. Je ne passerai jamais le feutre sur mes croquis mais j’y ai mis de la précision.

A : Et AD, il devient quoi ?

V : AD il fait comme moi avant d’être produit. Il écrit, il pose dans ma chambre, je mixe comme je peux ses morceaux, il commence à sortir des solos sur Internet. Il fabrique de nouvelles prods, il s’est créé une page Facebook, un compte Youtube et bientôt un Soundcloud pour vendre ses prods. Il est en place pour démarrer sa propagande comme je l’ai fait.

A : T’es un peu son grand frère…

V : Disons que j’ai fait tout ce qu’il est en train de faire. Il m’a soutenu donc je le soutiens. Fraternité ma gueule.

A : Jusqu’à présent tu apparaissais surtout sur tes propres projets. Tu as fait beaucoup de feats ?

V : Beaucoup je sais pas mais j’ai posé avec Georgio, Bazoo, Suik’on blaze AD, Rabakar, DF, Jarod, Rockin Squat et toute une flopée d’autres mecs invités sur certains des feats précédemment énoncés. Avant même que j’écrive le premier morceau de NQNT… j’ai posé un couplet sur le projet de Rabakar. C’est marrant parce qu’en l’écoutant les gens disent que je m’améliore à chaque morceau alors que c‘est un morceau que j’ai écrit il y deux ans. Il y a d’ailleurs un clip extrait de son projet New York Time.

A : Il y a un autre gars que je trouvais fort sur Cours de rattrapage c’est DF…

V : Ah oui DF il est chaud, hein ! Il a sorti son projet, Le temps d’une cigarette. Il tue. On a fait le feat a distance sans se voir et même sans que je sache a quoi il ressemblait parce qu’à l’époque il y avait aucune vidéo ou photo où on le voyait. En fait j’ai fait un feat avec une voix qui rappe bien quoi. Lourd.

A : Oui, c’est le morceau « Hippopotomonstroesquippedaliophobie »… D’ailleurs, si je peux me permettre, après NQNTMQMQMB, c’est quoi exactement ton délire avec les titres à rallonge ? Tu veux aller chercher Cyrano de Bergerac et son hippocampéléfantocamelos d’Aristophane ?

V : Hippopotomonstroesquippedaliophobie, voyons ! Tu le trouves sur Google, c’est la phobie des longs mots. Dans le texte les mecs n’utilisent que des longs mots ou des mots incompréhensibles. C’est un truc qui me parle. Même sans vraiment sortir des mots de l’espace j’ai souvent des tournures de phrases dures d’accès ou des associations d’adjectifs improbables donc nous nous sommes bien entendus.

A : Qui es-tu vraiment, Vald Sullyvan ?

V : Eh bien c’est une loooongue histoire [Voix de conteur d’histoire]. J’avais 14 ans quand j’ai commencé à écouter du rap…

A : En 2006 donc, puisqu’en arrivant tu nous a dit être né en 1992…

V : Oui et c’était « Deux issues » un ancien clip de Kery James que j’avais récupéré sur un site de rap complètement perdu. C’était même pas sur Youtube, c’était une vidéo hébergée je ne sais plus où… C’est donc à ce moment-là que j’ai commencé à écouter du rap, à me dire que ça tuait sa mère. J’ai bousillé tout Kery James, Tandem, je ne saurai même plus te dire tout ce que j’ai écouté.

A : Et quand as-tu commencé à rapper ?

V : J’ai commencé avec AD en 2009. Le plus drôle c’est qu’au départ nous voulions être clowns, tu vois…

A : Clowns ? Dans le registre des vidéos comme « Pauline Kerch » ?

V : Oui voilà des comme ça on en a fait plein. Mais dès que j’ai commencé à faire un certain nombre de vues j’en ai supprimé plein aussi parce que pour une « Pauline Kerch » ou un « T’as des meujes » qui étaient réussis, il y en avait un certain nombre qui passaient mal le cap des années, si tu vois ce que je veux dire [Rires]. Et puis c’est vrai qu’ensuite AD a intégré une école de cinéma. Le montage est devenu plus pensé, la comédie mieux jouée… En fait c’est ça : tout a démarré quand j’ai acheté une petite caméra de merde. Elle était nuuuulle, oh la la, elle était nulle… Elle m’avait coûté 300 euros mais on l’a bien amortie. Dès qu’une idée drôle nous venait en tête, on faisait les cons devant la caméra et on foutait ça sur Youtube…

A : J’en déduis que c’est là que tu as commencé à rapper…

V : Voilà… Un jour l’illumination est arrivée. Nous étions en train de jouer à « Marvel vs. Capcom ». Et on a fait tourner un pack d’instrus de Dr. Dre – sûrement downloadé pour faire des ambiances dans nos videos parce qu’on rappait pas à l’époque. C’est là que j’ai commencé à rapper des textes d’autres rappeurs , sur les instrus de Dre. Et c’est là que j’ai vu que je savais être dans les temps. Pour moi c’était un mystère que de savoir rapper dans les temps. En fait j’avais tout simplement jamais essayé. Là j’essayais et ça tombait pile poil. Je trouvais ça incroyable ! 

A : Tu avais donc 17, 18 ans, c’est ça ?

V : Oui. A cette époque je m’étais inscrit en fac de médecine pour suivre ma meuf du lycée. Le problème c’est que nous n’avons pas été mis dans la même fac de médecine [Rires]. Du coup je me suis retrouvé en fac de médecine pour rien ! Je n’avais rien à faire de ma vie, j’avais trop de temps devant moi et c’est là que je me suis mis à écrire.

A : C’était pas ton truc la médecine ? T’es pourtant calé en anatomie, à en juger par les thématiques de tes morceaux…

V : Ho la la, les schémas de squelette, les coupes transversales… C’était beaucoup trop pour moi. Bon je suis quand même allé aux exams et j’ai eu quelque chose comme 0,75. Je me suis retrouvé 2 400e mais j’étais même pas le dernier. Lourd.

« Tout a démarré quand j’ai acheté une petite caméra de merde. Elle était nuuuulle, oh la la, elle était nulle… »

A : Tu as enchaîné sur quoi derrière ?

V : Dans le désespoir je me suis réorienté vers une licence Maths-Informatique. C’était en milieu d’année donc cette moitié-là j’ai rien compris, c’était beaucoup trop haut pour moi. Du coup j’ai redoublé et après j’ai fait mes deux années de licence Maths-Informatique. Je devais faire la troisième année et ça m’a saoulé en fait… Et puis j’avais sorti NQNT…, il y avait trop de meufs qui me parlaient sur Facebook [Sourire]. Et là je me suis dit : ça y est, je peux arrêter les cours [Rires] Non en fait j’ai commencé à m’intéresser aux filières qui formaient des ingés sons. Dès qu’ils m’ont retenu j’ai arrêté la fac, même si sur mon CV je dis que j’ai un DEUG Maths-Informatique… que je n’ai pas validé. Je raconte ma vie un peu là quand même nan ? 

A : C’est le but de l’exercice en même temps [Sourire]… Et AD ?

V : Haha je le laisse sortir des projets qui vous intéresseront. Comme ça vous l’interviewerez et lui poserez la question ! 

A : Vous arrivez toujours à vous voir ?

V : Bien sur ! Même si c’est chaud entre moi le studio et lui son travail. On s’arrange ! 

A : Jusqu’ici vous vous voyiez H24 ?

V : Grave. AD c’est mon gars le plus sûr. C’est mon seul ami… On a tellement rouillé ensemble, c’est comme si on avait signé un pacte, on se verra toujours.

A : Vous vous êtes rencontrés à quel âge ?

V : Nous étions en Seconde. A l’époque nous voulions monter un duo de comiques. D’ailleurs nous étions partis au théâtre Trévise, tu sais c’est ce théâtre qui propose des scènes ouvertes. Nous étions persuadés d’avoir un talent et…

A : Et ce n’était pas le cas ?

V : Ben c’est surtout que nous avons mal géré. Le principe du théâtre Trévise c’est de venir à 18 heures pour pouvoir s’agglutiner vers 20 h quand la meuf vient sélectionner qui va passer. Et un jour ben on a été sélectionnés….

A : Et… ?

V : Et ça a effectivement été l’affiche [Sourire]. Oh la la, ce qu’on n’était pas drôle, oh la la. Ça a été une catastrophe. On ne parlait pas assez fort, du coup on ne comprenait pas pourquoi personne ne rigolait dans la salle. Tu sais, le temps de passage était de cinq minutes. Au bout de trois minutes, tu entends quelqu’un qui crie “Plus fort !”. Ça nous a niqués. On s’est dit : “OK, ça fait trois minutes qu’on jacte et personne ne nous comprend”. Le pire c’est que quand t’as fini tu repars avec un DVD de ta prestation…

A : Tu n’oses pas le regarder ?

V : C’est pire. A chaque fois que j’ose la regarder j’ai des crampes d’estomac.

A : J’imagine que ça a douché ta vocation pour de bon…

V : Mais direct ! En plus c’était la période où je commençais à rapper. J’allumais la caméra, je mettais mon instru, je rappais. C’était mon enregistrement, c’était mon mix, tu vois… Suite à l’affiche au théâtre de Trévise, je me suis dit  “J’arrête ces conneries maintenant. C’est fini, je me concentre sur le rap”. Un été j’ai travaillé, j’ai acheté un micro, un PC, et c’est parti.

A : Bon, parlons d’un sujet qui a l’air de bien te brancher apparemment : le porno. Dans un morceau tu dis “J’ai vu ma première teuch j’avais pas neuf bougies”. Ça remonte donc à loin ton affaire !

V : Ahem… [Embarrassé] Ouais ça fait référence à un sombre épisode vécu à la campagne alors qu’on était en vacances moi et mon frère chez des amis de mes parents [Rires]. C’était en Bretagne, une histoire avec leurs filles sur laquelle je ne pourrai pas fournir plus de détails mais en résumé c’est bien à cet âge-là que j’ai commencé à « observer des teuches ». [Vald raconte l’histoire en off. Impubliable. NDLR]

A : Tu sais que tu tords le cou à une légende urbaine avec ton histoire, là. Je fais partie de ceux qui étaient persuadés que tes multiples références au sexe étaient issues principalement de ta culture geek…

V : Je crois que c’est deux ans après que je suis tombé sur un film de boules de mon frère. J’avais même pas dix ans, tu vois. En plus c’était un film de boules horrible. Ils étaient deux sur la pauvre fille, c’était infâme… Pour commencer, il y a mieux je pense. En tout cas ça m’a marqué. [Voix penaude] C’est dur de vivre avec ça après [Rires].

A : Et donc c’est à la suite de ça que tu es passé du côté obscur de la force…

V : Exactement. Au début je consommais les films de mon frère jusqu’au moment où j’ai appris comment faire pour télécharger les miens. Après ça, c’était parti. Mais pour être honnête je ne pouvais pas “consommer” devant un film. J’habitais à la cité à l’époque. Il n’y avait pas beaucoup de place dans l’appart’. Du coup je faisais fonctionner mon imagination. Je me souviens qu’à l’école je disais a mes potes “Hé mais vous savez quand on se branle devant un film ça vient plus vite, tsé”… Apres on a déménagé et j’ai commencé à enregistrer les films érotiques de la Six. J’avais pas Canal + donc je ne pouvais pas enregistrer Canal. Et puis j’ai eu un PC. A partir de là, ça a été la débandade.

A : Ou la vraie bandade…

V : Oui… Et puis il y a eu la vraie révolution dans la révolution. Au début sur Internet pour télécharger les films il fallait aller sur eMule et là tu tombais souvent sur des trucs chelous. Progressivement il y a  eu les premiers teasers sur le Net – et Dieu sait que j’en ai consommés ! Ce n’est qu’ensuite que le streaming est arrivé avec le site XNXX et aujourd’hui il n’y a plus que ça : le streaming boules. Moi j’ai vécu cette évolution.

A : La question que je me pose à l’égard de ta génération c’est : comment s’est passé le point de bascule, c’est à dire le moment où tu es passé du virtuel au réel…

V : Bah écoute je sais pas pour les autres mais moi j’ai juste grandi avec ca. J’ai pu en consommer sans limites. J’ai vu des trucs hardcore toute mon « enfance ». J’ai eu ma premiere meuf à 16 ans mais j’étais pas un psychopathe complètement détraqué sexuellement – enfin je crois [Sourire]. Je dis bien « je sais pas pour les autres » parce qu’il semblerait que le porno nique sérieusement la vie de certains quand même. Mais moi nan.

« Si tu rigoles là-dessus, déjà c’est que tu m’écoutes. Et une fois que tu m’écoutes, peut-être que tu vas tendre l’oreille et t’apercevoir que derrière je dis des trucs »

A : Et ça ne te pose aucun problème de pudeur de parler autant de cul dans tes morceaux ?

V : Pas du tout. Je trouve plutôt ça marrant. Limite même je trouve que c’est ça le plus marrant, tu vois. En ce moment j’ai un syndrome : quand je démarre un texte, je suis obligé de commencer par une phase de cul. C’est comme ça. Une fois que j’ai craché cette phase, j’enchaîne sur autre chose tu vois, mais au départ il me faut cette phase. En plus c’est toujours des images, c’est jamais bête et méchant. J’exprime secrètement un truc à chaque fois.

A : C’est vrai que derrière les références au cul il y a toujours quelques fulgurances, comme ce passage : “L’attente change rien, j’ai toujours la chance en latence, je fais semblant de me prendre en main, m’sentant bien dans mon absence, ça me donne un aspect terre à terre, d’avoir des problèmes et de rien faire…”

V : Voilà. C’est un peu ça mon but, réussir un beau mélange. Pour ne rien te cacher j’attache beaucoup d’importance au fait de donner un côté débile à ce que je dis. La connerie, c’est drôle et c’est universel. Si tu rigoles là-dessus, déjà c’est que tu m’écoutes. Et une fois que tu m’écoutes, peut-être que tu vas tendre l’oreille et t’apercevoir que derrière je dis des trucs. Il est là le but.

A : Tu prêches un convaincu, là. J’ai toujours pensé que les comiques comptaient parmi les mecs les plus lucides. Voire les plus désespérés… Et il y a de ça dans tes morceaux, notamment les outros qui apportent souvent une touche de grave à l’hypervolubilité qui les précède…

V : Tout à fait. D’autant que je mets beaucoup de temps à écrire. Et ce que j’écris je ne le jette pas.

A : Dans le morceau John Doe tu dis : “A quoi bon parler si je suis le seul à me comprendre ?”

V : C’est une grande question, ça. Ça rejoint le fait que dans la vie je ne parle pas beaucoup, paradoxalement. Parce qu’il y a déjà tellement de codes a respecter pour qu’on daigne t’accorder de l’attention, alors pour en plus être compris… C’est pour ça, autant fermer sa gueule on gagne du temps.

A : Il y a quelques temps un collègue de l’Abcdr a interviewé Nemir. Le gars trouvait que nous étions actuellement dans un âge d’or du rap français. C’était rafraîchissant de lire ça après des années de nostalgie des années 95-98. Tu partages son analyse ?

V : En fait le problème c’est que je ne connais vraiment pas le rap. Quand j’entends parler des années 95-98, je n’ai pas les CD, tu vois. Donc je peux pas faire le comparatif mais c’est vrai qu’en ce moment il y a plein de nouveaux mecs qui ont du niveau. C’est cool.

A : Et à Aulnay ? Sefyu ?

V : A Aulnay ? Franchement à part moi, il n’y a personne à Aulnay [Rires] ! 

A : Tu revendiques peu Aulnay dans tes morceaux, d’ailleurs…

V : Ben tu sais, revendiquer sa ville c’est un peu lui faire de la pub et agir pour elle gratuitement. Moi je suis casanier. Je ne suis pas dealer. Je n’ai aucun territoire à représenter. Je pourrais représenter la cité comme un trou de balle, mais le fait est qu’en plus mes parents ont déménagé. Donc bon…. J’ai quand même envie de représenter Aulnay mais j’ai envie de le faire d’une manière différente que du simple tribalisme. Tu verras…

A : Tu viens de dire que tu as pris le wagon du hip-hop en cours de route. Tu cherches à rattraper tes lacunes aujourd’hui ?

V : J’écoute tout ce qui passe. Ça a ses bons et ses mauvais côtés. Le bon côté c’est que ça m’amuse de voir des rappeurs nuls à chier et ça me motive quand ils sont chauds. Le mauvais côté c’est que je ne prends plus trop le temps de m’attarder. Et puis de faire moi-même de la musique, j’entends tous les défauts, les tics. Je suis devenu critique, c’est dommage. J’aimerais bien redevenir un pauvre auditeur qui n’entend rien aux à-côtés du game [Rires]. Et puis tu vois depuis quelques mois je rencontre tout le monde. Je connais un peu leurs vies, leurs vices… Quelque part c’est moins excitant, tu vois.

A : C’est marrant, là aussi tu mets le doigt sur un autre fait générationnel. Il y a quelques années lorsque nous interviewions des artistes avec l’Abcdr, à la question “qu’est-ce que tu écoutes ?” les mecs répondaient presque immanquablement “surtout pas de rap français”…

V : Ah ouais ? Moi j’adore ça. Je suis grave curieux. Quand je vois un autre rappeur, j’ai envie de le connaître. Savoir comment il rappe, comment il se place, qu’est-ce qu’il a à dire, est-ce que c’est vraiment un concurrent. C’est pas ça le jeu ? 

A : Quels sont les mecs qui t’ont fait tripper récemment ?

V : Vald m’a assez surpris récemment ! J’dois t’avouer que j’ai cliqué sans trop y croire mais putain ! Il m’a endoctriné.

A : Un morceau comme « V.A.L.SE » avec sa boucle d’Amélie Poulain, tu le joues sur scène ? Il envoie…

V : Oui mais non. Pour moi les paroles de ce morceau sont trop faibles. Il date d’avant NQNT…, pour moi c’est daté. Celui-là, « Nique le bordel », « Poésie moderne », en gros les trois bonus de Cours de rattrapage, c’était avant que je me décide à me mettre sur un projet. Ils sont potables mais c’est une autre époque.

A : Et le NQNT… 2, il est toujours d’actualité ?

V : Evidemment. Il vous guette ! NQNTMQMQMB 3, NQNTMQMQMB 4, 5, 6, ils vous guettent tous.

« Le but c’est que les gens reconnaissent le fait que Vald et AD c’est les plus chauds. »

A : Dans NQNT… il y a un morceau qui s’appelle « Branleur ». C’est marrant car au même moment Lucio Bukowski, un des gars de L’Animalerie, sortait un morceau intitulé « Ludo », avec le même principe de se mettre en abyme et de parler de soi à la troisième personne…

V : « Branleur » c’est un grand morceau que je voulais écrire. Les deux premiers seize de ce morceau, je les avais écrit en sous-marin sur une prod de Arachni. Et puis je ne trouvais pas la suite quand je disais “Mais quand vas-tu prendre ta vie en main, rendre ta mère ravie, te mettre à taffer au lieu de tenter de ressusciter Yitzhak Rabin”. J’ai terminé là-dessus et puis voilà qu’AD me pond une boucle d’abruti. J’écoute et je me dis que c’est pas mal. C’est le bon BPM, du coup j’ai posé dessus à l’arrache. J’avais rien à faire avant d’aller manger. T’as juste ma mère qui me gueule dessus “Viens manger !”. J’appuie sur Record, j’enregistre le couplet et voilà… L’amusant c’est qu’aujourd’hui certains me disent que c’est mon meilleur morceau. En concert, quand l’instru démarre, les gens deviennent fous.

A : Tu évoquais ton collègue AD, là. Sa phrase sur “les films de capes et de pédés” m’a bien fait marrer…

V : En fait avec AD nous avons un but précis dans la vie. Nous ne voulons pas être riches ni avoir des millions de groupies. Nous voulons juste être reconnus. Car nous sommes convaincus qu’on est trop chauds en fait [Sourires]. Le but c’est pas d’être connus comme un candidat de Secret Story ou autre. Le but c’est que les gens reconnaissent le fait que Vald et AD c’est les plus chauds.

A : Et ce serait quoi le critère de reconnaissance pour vous ? Une couv’ de magazine ?

V : C’est vrai que nous ne nous sommes pas posés la question… En tout cas une couv’ de magazine c’est pas terrible. Nous pouvons mieux faire je pense.

A : Ce serait une revanche après Trévise…

V : Voilà. Nous voulions la reconnaissance de Trévise mais personne ne nous l’a donnée. Pas grave. On va l’obtenir autrement.

A : C’est toujours dans un coin de ta tête de faire comique ?

V : Moi je pense que je ne peux pas faire comique, en fait. Ça ne m’intéresse plus et je suis dégoûté par tous les comiques, tu vois. J’ai pas envie de me mélanger.

A : Ah… Et ça fait longtemps ?

V : Pour tout te dire ça a commencé la première fois que j’ai vu Dieudonné. J’ai vu son niveau, j’ai vu le niveau des autres et franchement c’est pas la même planète. Il y a Dieudonné et les autres. Du coup si tu veux faire ce métier soit il faut que tu aies vraiment quelque chose d’intéressant à apporter, avec le risque de devenir un marginal comme Dieudonné, soit tu deviens un suceur. Moi le spectacle c’est moins ma passion et j’ai pas envie d’être un suceur.

A : Du coup tu réserves tes talents de comiques à tes interludes… Merci au fait pour ta « Lettre à Elise ». Je ne peux plus écouter l’originale sans y penser à présent…

V : Elle tue sa mère celle-là. D’ailleurs pour l’anecdote ce n’est pas moi qui chante là-dessus. C’est un pote qui s’appelle Alexis. Il sera heureux que je le cite ici.

A : C’est lui aussi qui chante en portugais sur l’interlude « Fado »  ?

V : Non lui c’est William, un autre copain. Il sera très heureux lui aussi que je le cite.

A : Tes deux disques commencent d’ailleurs par le même refrain : “Suce ma bite”.

V : Oui d’ailleurs c’est marrant parce qu’au concert à Lyon les gens ont chanté “Suce ma bite”… Ils étaient heureux [Sourire].

A : D’ailleurs quels sont les titres que tu aimes le plus jouer sur scène aujourd’hui ?

V : Mon préféré sur scène c’est « Smiley ». Il y a aussi « Donkey Punch », « Que fait la police ? », « Winston », « Branleur », « CQFD »… Je suis même étonné car il y a des morceaux souvent sans refrain et les gens les reprennent. Même AD n’a plus besoin de me backer là-dessus. Je fais le début de la phrase et le public la termine. C’est mortel.

A : Il y a aussi l’interlude où tu parles de cette actrice russe, celle aussi qui s’intitule « Adulez-moi » …

V : Eh bien tu vois pour l’anecdote, « Adulez-moi » est un morceau que j’ai écrit en une journée – et heureusement [Sourire]. Je m’étais découvert une espèce de passion pour les années quatre-vingt avec une meuf alors pour la faire rire j’ai fait ce morceau à la con devant elle et du coup c’est devenu ma compagne [Sourire]. Le thème est en référence au titre « Confidence pour confidence » de Jean Schulteis où il dit « Je me fous ! Fous de vous ! Vous m’aimez ! Mais pas moi ». C’était un ouf, lui.

A : Ailleurs tu glisses “J’arrêterai de dériver quand je l’aurai décidé”. Tu as toujours le contrôle sur ce que tu fais ?

V : Oui dans l’ensemble. Même si je peux partir en couilles, je sais qu’en général je reviens toujours dans le droit chemin.

A : Et la famille de Bretons qui t’a initié au monde merveilleux des « teuches », tu les crédites en tant qu’inspirateurs dans tes futurs projets ?

V : Nan je m’inspire que de Vald. Mais je les dédicace en même temps que Suik’on Blaze AD, BBP, Screetch, Styck, I.N.C.H, Nico, Tioum’s, Stan, Georgio, Goune, Sami, Bazoo, DF, Rabakar, Jarod, Tefa, Merkus, Rockin Squat, toute l’Animalerie, L.O.R et le coquelicot.

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