Tuxedo : boogie-funk et nœud papillon
Interview

Tuxedo : boogie-funk et nœud papillon

Prenez un producteur toujours plus incontournable (Jake One) et un chanteur soul qui réchauffe les cœurs fragiles de la planète entière (Mayer Hawthorne). Ajoutez une passion commune pour le boogie-funk, la créativité de Stones Throw et un smoking rutilant. Ouvrez les yeux et les oreilles : voici Tuxedo.

Mardi 24 février. Au fin fond du vingtième arrondissement parisien, le Mama Shelter parisien sert de terre d’accueil au duo Tuxedo. Un cadre raffiné, pas franchement no go-zone, qui colle on ne peut mieux avec un projet en forme de nœud papillon. Un public particulièrement mixte commence à remplir l’espace, entre fidèles de l’Abcdr (si si la famille), habitués du coin et récentes converties aux charmes de Mayer Hawthorne (et Jake One). Il doit être 19h30 et le duo branché boogie-funk est déjà à table, face à un magret de canard rosé. Laidback au possible, Jake One et Mayer Hawthorne n’ont plus rien à prouver. Tuxedo, c’est à la fois une forme de retour aux sources et une vraie cour de récréation. Mais Stones Throw n’est pas le meilleur label indépendant depuis dix ans pour rien. Tuxedo, c’est aussi un projet avec un potentiel de succès planétaire. Quelques années après les mises sur orbite d’Aloe Blacc et Mayer Hawthorne, les idées de Peanut Butter Wolf pèsent toujours une tonne.


Abcdr du Son : On est ravis de vous voir tous les deux à Paris, réunis sous la forme d’un duo plutôt inattendu. Vous pouvez nous en dire plus sur l’origine de ce projet ?

Jake One : Je pense que Tuxedo est né par le biais des mixtapes. Des mixtapes de boogie-funk. J’avais commencé, il y a quelques années, à faire quelques morceaux dans ce genre-là. À cette époque, le premier morceau de Mayer Hawthorne « Just ain’t gonna work out » [NDLR : son premier deux titres Just ain’t gonna work out/When I said goobye a vu le jour en novembre 2008] n’était pas encore sorti. Il n’était pas encore connu en tant que chanteur. Je me souviens lui avoir envoyé la composition et il m’avait envoyé sa prise de voix dès le lendemain. On a enregistré les morceaux progressivement.
Au final, ça a pris beaucoup de temps, pour un paquet de raisons assez différentes, mais peu importe. Le projet va sortir [NDLR : interview menée le 24 février, une grosse semaine avant la sortie officielle] dans de bonnes conditions, c’est tout ce qui compte.

Mayer Hawthorne : Après, comme tu le sais, on s’est rencontrés par le Hip-Hop, par la production et le DJing. C’est vraiment notre base commune le Hip-Hop, tout vient de là. Mais bon, vers 2007, tu ne trouvais pas grand monde qui était aussi dans le boogie comme nous. Vraiment pas grand monde… sauf des gens un peu étranges, quelques français qui ont fait monter le prix des disques sur eBay ! [rires] À cette époque, personne ne cherchait des disques de Bernard Wright, Shalamar ou The Ritchie Family. Quand on a commencé à échanger nos mixtapes de boogie, ils ne coûtaient rien. Aujourd’hui, ils valent une petite fortune.

A : On sent qu’il y a un vrai intérêt pour cette musique aujourd’hui. On le ressent aussi dans le public, très mixte, qui est présent ce soir. On a l’impression qu’il y a une base qui vous connaît pour votre parcours dans le rap, d’autres qui sont là pour faire des selfies avec Mayer Hawthorne et d’autres qui vous découvrent depuis quelques semaines. Êtes-vous surpris de recevoir autant de retours autour de cet album ? 

J : On avait mis en ligne trois morceaux il y a un an et demi. On avait fait ça parce qu’on avait entendu « Treasure » de Bruno Mars et « Get Lucky » des Daft Punk. Quand on a entendu ces morceaux, on s’est dit : « peut-être que c’est le moment de sortir nos titres« . Et les réactions ont confirmé cette impression : les gens avaient vraiment envie d’écouter des trucs comme ça. À ce moment-là, on avait déjà une bonne vingtaine de titres quasiment prêts. Il fallait juste qu’on boucle tout ça et qu’on le fasse bien. Mais on était tous les deux occupés par d’autres projets. C’était un peu comme quand tu as un boulot régulier et que tu veux concentrer dessus. Sauf que ton passe-temps à côté devient autre chose… et du coup tu veux passer plus de temps là-dessus. Mayer Hawthorne devait faire du Mayer Hawthorne, enchaîner les 200 concerts par an ! [rires] Et moi, je devais sortir des productions pour Drake et plein d’autres personnes. Ce n’est pas que je n’aime pas faire ça, loin de là même. C’est juste une autre approche, un truc vraiment à part. Quelque chose qu’on a fait pour se marrer avant tout. Honnêtement, j’hallucine de voir combien le public accroche aussi simplement et naturellement au projet.

M : Je pense que c’est précisément la raison pour laquelle les gens réagissent comme ça. Ils sentent qu’on a fait cette musique pour s’amuser. Ça se ressent, et peu importe tes affinités musicales, tout le monde aime se marrer. Et tout le monde aime la musique où tu ressens ça.

« Stones Throw, c’est une vraie famille.  »

Mayer Hawthorne

A : J’ai le sentiment que cet album devait forcément sortir sur Stones Throw. C’était une évidence pour vous aussi ?

M : Stones Throw, c’est une vraie famille. Quand tu en as fait partie, tu as l’impression que tu y seras toujours un peu chez toi. Quoi qu’il arrive. J’ai quitté Stones Throw il y a quelques années pour signer chez Universal et sortir mes deux derniers albums [NDLR : How do you do et Where does this door go]. Une bonne partie du public ne sait pas que j’ai quitté le label. J’ai beau être parti depuis des années, j’échange toujours très régulièrement avec Peanut Butter Wolf. Au moins une fois par semaine. On fait toujours des fêtes ensemble, on va acheter des disques ensemble. On est toujours très potes. Je lui fais écouter mes prochains morceaux, mes maquettes et lui me parle toujours de ce qui va sortir sur Stones Throw. Il m’avait fait écouter le projet Snoop et Dâm-Funk par exemple.

A : Quand on a bouffé du rap pendant des années, et qu’on écoute pour la première fois « Number One », on a forcément cette réaction : « mais bordel c’est le « Ain’t no fun » de Snoop. »

J : En fait, une bonne partie de notre album est dans cet esprit-là. Et c’est cette musique-là, celle de cette époque, qui a inspiré une partie du G-Funk. Un paquet des morceaux G-Funk qu’on adore tous, ce sont des versions revisitées de ces titres des années quatre-vingt. Ils ont parfois repris une ligne de basse, parfois un bout de refrain chanté… Et c’est aussi ce qu’on a beaucoup aimé dans le G-Funk. Après, dans le cas de « Ain’t no fun », c’était un peu différent. Il n’y avait pas un seul sample ou morceau à la base de tout. Du coup, j’ai eu cette idée : je me suis dit qu’on allait faire le morceau qui aurait pu être samplé pour faire « Ain’t no fun » ! [rires] On a pris le truc à l’envers.

M : Presque tous les morceaux de The Chronic, Doggystyle et Regulator, tous ces classiques de G-Funk, ils sont basés sur des gros samples de funk. Ou sinon ils sont ultra-inspirés par des morceaux de funk des années quatre-vingt. Tu joues Doggystyle aujourd’hui, ça sonne encore incroyablement bien. Mais tu ne peux pas jouer « Ain’t no fun » à la radio, il y a trop de passages qui vont être censurés. Par contre, tu peux jouer notre morceau à la radio, sans souci. Et c’est quelque chose que l’on voulait vraiment : pouvoir passer en radio.

« J’étais vraiment content qu’un morceau aussi cool que « Get lucky » devienne un vrai hit. »

Jake One

A : Vous avez d’autres titres sur l’album qui reprennent ce concept ?

M : Non, pas vraiment. Je vais même te dire : à la base, on ne voulait pas mettre « Number One » sur l’album. On trouvait que le morceau avait trop de gimmicks. Mais tous ceux qui l’ont écouté nous ont dit la même chose : « ce titre est mortel, il faut absolument le mettre sur l’album« .

A : Vous parliez de « Get lucky » tout à l’heure. Qu’est-ce que vous avez ressenti la première fois que vous avez l’entendu ?

J : J’étais vraiment content. Sincèrement content qu’un morceau aussi cool devienne un vrai hit. Ça nous a aussi amenés à penser qu’on était sur la bonne voie. Voir la réaction aussi massive et unanime du public, c’était quelque chose. Quelque part, on s’est dit que le monde était prêt pour Tuxedo.

M : Notre objectif, ça reste de venir avec un groupe entier et de faire une tournée internationale. Mais ça coûte très cher. Cette musique, tu ne peux pas la jouer correctement avec un petit groupe. Et on veut que celui qui vient nous voir à un concert puisse vivre une expérience vraiment unique. Pour cette tournée en Europe, on fait des DJs set. Mais le truc plutôt cool, c’est qu’on a tous les deux commencé en tant que DJ avec des vinyles, dans les années quatre-vingt-dix. Quand tu es producteur ou chanteur, les gens s’attendent à ce que tu sois un DJ franchement merdique. Mais nous, on est DJs depuis toujours.

J : Tu as l’impression parfois que certains producteurs se disent qu’ils ne font pas assez de fric en vendant des beats. Du coup, ils veulent faire des tournées pour jouer les DJs, vu que le fric il est là. Mais ils n’aiment pas forcément ça ou ils ne savent pas le faire comme il faut. Être DJ, c’est un peu comme une seconde nature pour moi. Ça fait un moment que je n’ai pas touché des platines et pouvoir m’y remettre, ça me fait vraiment plaisir. En plus, là on va se partager avec les platines avec Mayer, je sais qu’on va bien se marrer. On est des vrais DJ de Hip-Hop, on va jouer comme ça, avec des scratches, en coupant les morceaux quand on en aura envie.

A : Quels sont les derniers morceaux qui vous ont marqués ?

J : J’écoute beaucoup la dernière mixtape de Rich Gang, il y a ce morceau « Givenchy »… Je suis allé dans un magasin à Paris, j’ai vu les prix des chemises. J’ai halluciné. 2 000 dollars pour une chemise ou un t-shirt. Bon, j’adore ce morceau… [NDLR : il s’arrête pendant quelques secondes] Putain 2 000 dollars pour un t-shirt ! [rires]

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