TRZ, rappeur sombre aux idées claires
Interview

TRZ, rappeur sombre aux idées claires

Le 17 mars, TRZ sortira sa première mixtape La Rue t’appelle. Fait rare pour un rookie, ce projet n’est pas plein de promesses, mais est déjà une franche réussite artistique, sans doute due à la maturité déroutante du Nancéien.

Abcdrduson : Malgré ton jeune âge, les gens qui suivent les pages Facebook liées au rap français te connaissent depuis quelques années. Te souviens-tu de la première fois que tu as rappé ?

TRZ : La première fois que j’ai pris un micro, je devais avoir treize ans, c’était dans mon quartier à Nancy. On essayait d’organiser des petits délires à la MJC, et un soir j’ai pris le micro, vu que j’écrivais des petits trucs à l’époque. J’ai enjaillé un peu les mecs de mon quartier et c’est parti de là, jusqu’à ce que je sorte un freestyle qui a buzzé à fond. De là je me suis dit pourquoi ne pas partager ça avec les gens ?

A : C’est justement par le biais de freestyles que tu t’es fait connaître il y a trois ou quatre ans, sur les pages Facebook du style « Les meilleures punchlines du rap fançais ». Tu t’es retrouvé sur ces pages par hasard ou bien c’est que tu en avais compris le potentiel viral ?

T : Je n’ai jamais démarché de pages Facebook de ma vie. J’ai toujours été dans l’optique où si les gens valident ce que je fais, ils donneront de la force naturellement, sans que j’ai à leur demander. C’est ma mentalité, je n’aime pas forcer les gens. Donc tout ça s’est fait naturellement, les gens ont partagé. Quand ça se fait comme ça, ça fait plaisir, tu te réveilles le matin, tu vois les partages tu te dis que les gens sont déter’, ils partagent à fond alors que tu n’as même pas fait la démarche. J’avais juste un profil Facebook comme tout le monde et j’y mettais des petits freestyles comme ça de temps en temps.

A : Depuis ces débuts, tu n’avais jamais eu l’opportunité de sortir ta musique sur un autre format ? Quel a été le déclic pour que tu franchisses le pas en 2017 ?

T : J’ai vu qu’il y avait de plus en plus de monde, et c’est vrai que sortir un projet, c’est un objectif que j’avais en tête depuis trois ou quatre ans. Je me disais qu’il fallait sortir un truc, pour voir ce que ça pouvait donner. Que ça marche ou pas, on ne sait pas, mais j’aime la musique et j’ai envie de la partager avec les gens, donc je me suis dit « pourquoi pas sortir un projet ? » Puis le mettre sur disque est un objectif sympathique à atteindre. Après je n’ai que vingt ans, c’est un bon début, juste de me dire que je l’ai fait c’est déjà quelque chose.

 

A : Ton rap fait la part belle à l’écriture, et laisse penser que tu as commencé à écrire avant de penser à faire de la musique, est-ce juste ? 

T : C’est exactement ça. Même étant plus petit, pour les rédactions à l’école les profs disaient que j’avais de l’inspiration sur l’écriture, pour expliquer les choses avec détail. J’ai toujours aimé écrire. Je pense que beaucoup de gens ont commencé à écrire dans la rigolade, mais moi étant petit c’est la réalité qui m’a fait écrire. Quand tu commences à grandir, que tu entres dans l’adolescence, tu vois des choses qui te frappent dans la vie, visuellement et psychologiquement. J’ai commencé à écrire par rapport à ça, et c’est devenu un exutoire petit à petit, sans m’en rendre compte. Aujourd’hui je pense que des collégiens doivent le sentir et comprendre le délire.

A : Est-ce que tu as pu te faire un nom sur la scène nancéienne via des open-mics ou autre avant de te faire connaître au-delà ? 

T : Disons qu’à Nancy c’est compliqué, culturellement la ville est un peu fermée par rapport au rap. Ça a toujours été comme ça, l’ancien maire de Nancy n’a jamais apprécié tout ce mouvement, et il y avait peu de choses. Il y avait parfois des petits open-mics, dans des petites salles, c’était underground mais il y avait un peu de toutes les catégories sociales qui venaient. C’était pour kiffer le son, quand j’étais plus petit, vers mes quinze ans. Il y a eu un moment où ça a commencé à bien prendre, et après ils ont tout rangé. Mais il y avait des petits trucs comme ça, c’était sympa, j’y allais avec plaisir, avec dix ou quinze potes, on délirait, c’était une bonne ambiance.

A : Tes auditeurs ont pu t’entendre rapper depuis pas mal de quartiers, en région parisienne comme en province, sur différentes vidéos freestyle. Tu as fait ton petit tour de France ?

T : Ce n’était pas par rapport à la musique, je suis un débrouillard dans l’âme et j’ai toujours aimé voyager. Je prenais le train et je me barrais sur un coup de tête avec deux trois potos. J’ai toujours été comme ça, du coup je connais du monde un peu partout, dans toute la France. C’est cool. Quatre-vingt-quinze pourcents de ces déplacements n’étaient pas du tout liés à la musique, c’était personnel. Je suis un mec qui déteste rester sur place… Plus de deux mois je ne peux pas, je me lasse très vite de l’endroit où je suis, et il faut toujours que je me casse pour prendre l’air.

A : Mais avec le développement de ta carrière, ne ressens-tu pas un besoin de te bloquer un peu sur Paris ? 

T : Pas forcément. Mais admettons, si je bosse mon projet sur Paname, j’aime bien m’y mettre à cent pour cent donc c’est préférable de rester bloqué pendant un moment et de ne me consacrer qu’à ça. Ça permet d’être bien concentré sur le projet jusqu’à ce qu’il arrive à son terme, mais après je retourne chez moi à Nancy. Je suis très attaché non pas à ma ville mais aux gens qui s’y trouvent, et j’ai besoin d’y retourner.

« C’est la réalité qui m’a fait écrire. Quand tu commences à grandir, tu vois des choses qui te frappent dans la vie, visuellement et psychologiquement. »

A : La Rue t’appelle est ton premier projet studio et marque forcément un tournant dans ta carrière. Tu t’es mis seul en tête de sortir cette mixtape ou tu as été démarché ? 

T : On ne fait jamais tout tout seul, il y a toujours des gens qui sont là pour te tendre la main et d’ailleurs je les remercie. Ce n’est pas forcément dix ou quinze personnes, il suffit d’une ou deux qui te tendent la main, qui croient en toi, en ton projet, et ça donne encore plus envie. Tu te dis « là, voilà des vrais gens, qui ont vraiment envie de faire avancer les choses » et tu y vas ! Pourquoi pas en fait ? Pourquoi ne pas le faire ? Si c’est pour arriver à quarante piges et avoir des regrets, dire « j’aurais pu faire ça, j’aurais pu faire ci »… Que ça marche ou que ça ne marche pas, ce ne sont pas les artistes qui le décident, c’est le public, et pour avoir un résultat il faut arriver au terme de son projet ! Moi je suis dans cette démarche-là.

A : Cette première mixtape peut être vue comme une carte de visite, tu t’aventures sur différents registres, mais on peut aussi y voir un manque de cohérence, que répondrais-tu à cela ?

T : Sur le morceau « Je suis moi », je dis « je suis schizophrène, je fais des feats avec moi-même. » Cette phrase veut tout dire, elle résume tout le délire. C’est de la schizophrénie musicale, j’ai toujours été un couteau suisse et je n’aime pas que le rap. Vu que j’aime la musique je ne peux pas juste rester bloqué sur un registre, sur un style. Je peux me réveiller énervé et ne faire que des sons énervés pendant un mois, et ce sera naturel. Après peut-être que je serai mieux dans ma tête, j’aurai envie de faire des sons pour rigoler, pour m’enjailler. Je prends vraiment la musique comme ça, c’est pour ça que je parle de schizophrénie musicale, pour bien expliquer aux gens qu’on ne pourra me mettre dans une catégorie, je déteste ça.

A : Justement il y a des passages de cette mixtape qui sont très mélodieux, où tu chantonnes même, loin du registre boom-bap des freestyles qui t’ont fait connaître. Cela te tenait à cœur ?

T : Oui, bien sûr ! Les gens m’ont connu sur des trucs boom-bap, mais ça fait déjà des années que dans ma tête je suis sur un autre registre. Je veux aller plus loin depuis un moment, là les gens vont écouter La Rue t’appelle mais j’ai déjà des centaines d’autres morceaux en tête, des trucs auxquels ils ne s’attendent pas. Comme je le disais, je ne peux pas rester sur un registre, pour moi ce n’est pas de la musique ! Après si tu es bloqué dans un style et que tu n’arrives à faire que ce style-là, je comprends. Respect, tu fais ton truc, mais moi je ne peux pas rester bloqué sur un registre, il faut que je voie loin.

A : Comment as-tu travaillé concernant les beats sur ce projet ? 

T : J’ai mon mail à disposition des beatmakers, ils me montrent un peu leur travail et selon mes préférences ils m’envoient des palettes et c’est parti ! Je fonctionne comme ça. Je m’enferme en studio, j’écoute une cinquantaine d’instrus et je sélectionne, en général. Après il peut arriver que je sois en studio avec un beatmaker, qu’une mélodie me passe par la tête et qu’on la bosse sur le coup.

A : Il n’y a aucun invité sur La Rue t’appelle, tu n’en avais pas envie ?

T : Non, déjà je ne suis pas trop featurings, à moins qu’il y ait eu un gros rapport humain. Mais si je fais des feats c’est avec des potos, des mecs que j’apprécie humainement et musicalement. Faire des feats pour faire des feats, pour essayer de faire parler, ça ne m’intéresse pas. Je préfère me consacrer à ce que je sais faire de mieux, et laisser la sauce prendre.

A : Dans le même ordre d’idée, vu tes qualités de kickeur, on aurait pu s’attendre à te voir sur plus de sessions freestyles, à l’instar de celle où Georgio t’a invité.

T : Georgio m’a invité, j’ai répondu avec grand plaisir, c’est quelqu’un que j’apprécie, un très bon artiste. Mais après je ne suis pas un mec qui s’incruste dans les trucs pour faire parler de lui. Je ne suis pas du tout dans cette mentalité-là. Parfois les gens pourront dire que je suis un peu à l’écart, mais c’est naturel, je suis comme ça dans la vie en général. On va dire que je n’aime pas déranger.

« J’ai toujours fait plus que mon âge, ce qui veut dire que je traînais avec des grands, et j’écoutais ce qu’ils écoutaient. »

A : Quelles sont tes attentes vis-à-vis de cette mixtape ? Est-elle annonciatrice d’un album ?

T : Pour moi la mixtape est déjà un aboutissement concret, c’est ce que je voulais faire, une bonne carte de visite. Bien sûr, j’ai déjà des idées pour la suite, j’en ai constamment qui trottent dans ma tête. Je pense qu’il y aura une suite, ce sera un autre registre, encore un autre truc, qui va choquer les gens. Là ce que j’ai fait sur la mixtape, c’est un très bon échantillon de ce qu’il peut y avoir par la suite. C’est un très très bon échantillon même, à mon avis ! Enfin c’est ce que je pense personnellement, moi j’écoute mes sons, je suis dans une voiture j’écoute ma musique avec grand plaisir. Donc je trouve que c’est un projet réussi.

A : Tu appartiens à une génération qui a grandi avec le rap français, quelles sont tes références ?

T : Il y a un projet qui m’a marqué à vie dans le rap français, c’est la bande originale de Ma 6T va crack-er. Selon moi elle restera gravée à jamais dans l’histoire du rap français, pour les connaisseurs, et pour les mecs ter-ter. C’est un projet qui m’a choqué. Après il y a IAM que j’ai écouté à l’époque, je pense que c’est normal, tout le monde a écouté du IAM, L’École du micro d’argent c’était un putain d’album. Il y a aussi les X-Men, Ärsenik… Après moi j’étais beaucoup dans la funk aussi. Chez nous à Nancy ça se butait à la funk, un peu comme sur Lyon. Même aujourd’hui, le rap est un peu plus écouté par les jeunes de mon âge, mais les anciens ils écoutent soit des sons du bled, soit de la funk. Et moi j’ai toujours fait plus que mon âge, ce qui veut dire que je traînais avec des grands, et j’écoutais ce qu’ils écoutaient. Donc je n’ai pas qu’une influence rap, je suis plus ouvert. Je peux même écouter de la chanson française, Léo Ferré, Brassens…

A : Lors d’une précédente interview, tu avais aussi cité des rappeurs américains : M.O.P, Biggie, Mobb Deep notamment, qui pour le coup ne sont pas non plus des références de ta génération.

T : En fait, quand j’étais petit, j’étais breakeur. J’ai commencé vers sept ans, à la MJC du quartier, où il y avait des petits groupes. Forcément, qui dit break dit rap américain, que j’aimais bien écouter. Mais après ce n’étaient pas spécialement des influences. De toutes façons c’est plus la vie qui m’influence, je ne suis pas un mec qui se bute à la musique, qui avale les albums chez lui. Mais il y a certains sons que j’ai écoutés à une certaine époque avec certaines personnes et qui traînent dans ma tête…

A : Lorsque tu avais rappé sur « Juicy » tu disais « je suis vieux à mon âge », or c’est quelque chose qui s’entend dans ta musique, dans ton propos. As-tu la sensation d’avoir grandi trop vite ? 

T : Oui, c’est vrai que je peux parfois me dire ça. Mes amis n’ont pas du tout mon âge, d’ailleurs mes amis n’ont jamais eu mon âge. J’ai peut-être vu des choses plus tôt, eu une gamberge plus tôt que les autres de mon âge, vu que j’ai toujours été avec des grands. Arrivé à un âge tu te rends compte que ce que tu as fait à treize ans, des mecs sont seulement en train de le faire à dix-neuf ans. C’est sûr que tu n’as pas la même gamberge, et que tu n’as pas la même entente avec les gens de ton âge. Si je reste à l’écart, ce n’est pas gratuit, ce n’est pas voulu, c’est comme ça… J’ai des amis qui ont trente-cinq ou quarante ans.

A : La vie de rue, l’alcool, et d’autres thèmes récurrents dans ce que tu écris font de ta musique quelque chose de sombre, souvent triste. Le rap t’apporte-t-il un peu d’oxygène, par un effet de catharsis ?

T : Bien sûr ! C’est pour ça que je dis souvent que je n’ai pas commencé à écrire dans la rigolade. C’est la tristesse qui m’a inspiré en premier. Je ne me suis jamais dit « oh ! j’ai envie d’écrire des trucs qui font rire ». Je prends le rap comme un sport de combat, comme de la boxe : t’es énervé, tu rentres sur le ring et tu pètes un mec. Le rap, je l’ai pris comme ça quand j’ai commencé, il fallait extérioriser quelque chose. Je ne m’en rappelle pas trop mais je pense que c’était ça. C’est vrai que ça fait du bien d’écrire, d’extérioriser et de partager ça avec des gens. Et voir qu’ils comprennent et adhèrent, ça fait du bien, je trouve que c’est une bonne thérapie.

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