Triptik
Interview

Triptik

Décidément, plus le temps passe, plus le rap français prend des allures de phénix. Cette fois, c’est Triptik qui renait de ses cendres. Retour sur la première vie de la formation en triangle avec Dabaaz et Blackboul’, pour une interview qui recatapulte le groupe dans le présent.

et Photographie : Photoctet

Abcdrduson : Dabaaz, dans ton album solo tu disais : « Triptik c’est mort et j’en porte encore le deuil » . Quand on abandonne un projet pendant quasi 7 ans, est-ce qu’on le retrouve dans l’état dans lequel on l’a laissé ? Les repères sont-ils les mêmes ?

Dabaaz : Pour commencer, on est un peu traumatisés. Tu sais, c’est un peu comme un couple. Tu passes 10 ans ensemble, où tu ne fais que ça. Alors une fois que ça s’arrête, ça te change pas mal de choses. Il faut te réadapter à une nouvelle vie. De notre côté, il y a eu pas mal d’événements qui ont fait que la séparation s’est affirmée et consommée. Blackboul’ s’est installé en Bourgogne, j’ai eu une petite fille juste après la tournée de TR-303. Ce n’était plus comme avant, on n’était plus en studio quasi tous les jours, et pour couronner le tout, on a fermé notre label pour cause de faillite et d’abandon du manager. Puis avec le temps, on a commencé à se recroiser. Un peu comme tu recroises une ex’ en fait : t’es content de la revoir, mais tu es un peu gêné aussi. Blackboul’ : Est-ce qu’on baise tout de suite ou pas ?

D : Puis bon, le temps est passé et c’est l’année dernière qu’on s’est vraiment revus, par les enfants en fait. Blackboul’ a revu Drixxxé, avec son fils qui a le même âge que le sien, puis il est repassé là-bas quand j’y étais. Et là, tu te retrouves dans la même configuration qu’il y a 6 ans et tu réalises que ça repart à l’ancienne. C’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. Et quand tu retrouves l’état d’esprit qui t’a fait kiffer durant des années, tu te dis très vite « ce serait quand même bien de refaire quelque chose » .
Quant aux repères, il n’y en a pas vraiment. On prépare un concert, on répète avec Pone, on recommence à refaire des featurings avec Blackboul’, mais on n’est pas sur plan défini. Par exemple, pour l’instant, on n’a encore rien refait musicalement avec Drixxxé, qui est sur son projet Mc Luvin. Mais l’énergie de Triptik, on l’a retrouvée intacte, on n’a pas de label, alors on est un peu comme quand on avait 19 ans, avec tous les points d’interrogations qu’il peut y avoir quand tu commences ou recommences quelque chose. Rien n’est programmé, on ne sait même pas ce qu’on va réussir à faire, si ce sera petit ou gros. Même l’idée d’album est effrayante, surtout dans le contexte actuel, l’idée de le rentabiliser sans une structure qui te permet de t’organiser, de gérer, ce n’est pas évident. Du coup tout reste à faire, mais la motivation est intacte.

B : On s’est aussi affiné dans nos savoir-faire respectifs. On connaît bien le game, il nous a coûté pas mal de notre vie, notre label même, donc il y a des écueils dans lesquels on ne va pas tomber. Puis on est à une époque où l’on peut tout faire en direct. Dabaaz est opé’ en graphisme, on sait communiquer avec les moyens du moment…

D : On a bien consolidé nos équipes en fait. Ce qu’a fait Blackboul’ en solo et avec son frère, ce que j’ai fait avec les fringues, les soirées, les collab’ avec DJ Gero, ça élargit les possibilités. En vieillissant, tu accumules les compétences. Donc on revient avec tout ça. Les clips, l’enregistrement, ce n’est plus comme quand on a commencé, où pour t’enregistrer tu foutais tout ton budget dans des sessions studio. Tout ça a changé.

B : Pareil pour un clip. A l’époque, sans une production derrière toi, c’était impossible de faire un clip. Alors qu’aujourd’hui…

D : Et vu qu’on est exigeants… On n’aime pas les mauvais mixes, les mauvaises images. Je ne dis pas qu’on arrive à tout faire parfaitement, mais en tout cas on essaie toujours de faire les choses bien. C’est tout ça qui rentre en compte, plus que le besoin de retrouver ses repères vu qu’on a l’envie originelle. Après, entre nous, d’un point de vue humain, il y a un moment où on a été un peu cons. Tout ça c’était des histoires de thunes, les choses de la vie. Alors tu t’arrêtes, et une fois que tu arrêtes, tu te rends vite compte que ça te manque. Si on a tenu 8 ans en groupe discographiquement parlant, ce n’est pas pour rien, c’est qu’on est amis malgré tout ce qu’il peut se passer. Alors même si un moment ça sature pour plein de raisons…

B : Et c’est justement ça. C’est une fois que tu as arrêté que tu te rends comptes que ce sont des raisons parasites qui t’ont poussé à tout stopper.

D : C’est là que tu vois que la base était saine, et que ce sont des à-côtés qui ont pourri les choses. Quand on se retrouve tous les trois, avec Drixxxé, on sent qu’il y a le truc, comme à l’époque.

« Depuis qu’on a annoncé qu’on se reformait, il y a plein de portes qui se rouvrent. Alors que quand on arrivait en solo, les gens étaient plutôt un peu véner. »

Dabaaz

A : Avec le temps, quand on met TR-303 en parallèle à votre split, on se rend compte qu’il y avait déjà cette démarche de commencer à faire des morceaux solos sur l’album. Avec le recul, on peut vite arriver à la conclusion que vous vous êtes un peu précipités dans cette voie. Vous n’avez pas été dépassés par ce besoin de solo ?

D : Ça a joué oui, à 50%. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’après 8 ans en groupe, tu as envie de faire tes trucs. Je compare toujours ça à un couple : il arrive toujours un moment où tu te dis que c’est bon, t’as envie de niquer d’autres meufs. Alors au lieu de rester ensemble, de se déchirer tous les six mois pour au final faire l’album de trop, ne plus se blairer et se cracher à la gueule publiquement, tu te dis qu’une vraie rupture limitera les dégâts. Ce qui n’enlève rien au côté traumatisant dont je t’ai parlé tout à l’heure ! Toutes nos vies tournaient autour de Triptik, alors quand du jour au lendemain tout change… En plus, le contexte de l’époque n’était pas terrible non plus. Tout se cassait la gueule, les magazines, les radios, etc.

B : Il y a aussi la vie qui te rattrape : les enfants, la thune. Quand tu commences un groupe en ayant 17 piges et en vivant chez tes parents, bien sûr que tu peux dire « Ouais, mon groupe passe avant tout le reste« . Mais entre temps l’amour arrive, tu fais des enfants, et tout ça change ton échelle de valeurs. Et arrive le moment où ça coince.

D : Et quand tu démarres en solo, il y a aussi cette espèce d’énergie qui est réelle mais qui fait aussi illusion. Ça te galvanise, parce que tu fais tout ce que tu avais envie de faire et que tu ne pouvais pas faire avec le groupe. Tu fais tes maquettes, tu les présentes, t’es autonome, super motivé. Je pense d’ailleurs que ces aventures personnelles, elles continueront, mais ce sera désormais ce qui est hors du cadre Triptik. C’est le groupe qui va tout cadrer en fait.

A : Qu’on soit bien d’accord : de la manière dont vous en parlez, vous ne vous reformez pas que pour un concert ?

B : Ah non, là c’est conçu pour durer ! On a nos quotidiens respectifs, nos envies solos qu’on arrive à assouvir chacun de notre côté, parce qu’on a le réseau, et tout ça. Mais à côté de ça, le concept de Triptik, c’est qu’on est amis. Nos meufs se connaissent, nos enfants nous les avons eu quasi en même temps, tout fonctionne. Les causes qui ont fait qu’on s’est séparés, c’est le manque de thunes, le fait de mettre la clef de notre label sous la porte et puis notre manager de l’époque qui nous a quittés.

A : Il vous a quitté ou il vous a planté ?

D : Il nous a planté. C’était soudain, pas prévu.

B : Juste avant la sortie de TR-303, et ça a commencé à précipiter les choses. Ne serait-ce que pour la sortie de l’album, il a fallu le remplacer…

D : C’est grâce à Mathieu de Disque Primeur que TR-303 est sorti. Il a sauvé l’album. Nous on était incapables de gérer cette sortie comme on le voulait. On connaît un peu le taf mais on n’est pas manager, ni comptable, tourneur ou négociateur de contrat. Mathieu est arrivé au bon moment et on a sauvé les meubles d’une force… Il y a même eu un moment où on a cru que le disque ne sortirait pas. On avait engagé tellement de frais qu’on a tout vendu. Tout le stock de vinyles a été vendu à Justlikehiphop, tout le catalogue Triptik a été cédé à Nocturne pour payer les frais. Quand tu as tout produit seul avec ton groupe via ton propre label, ça te met un coup. Et tu découvres en plus que ton manager s’est barré en te laissant des ardoises d’enculé : il n’avait pas payé les impôts depuis plusieurs années, il avait aussi merdé avec le loyer… Là on se reforme, mais il n’y a aucun problème d’échelle. On ne vise pas à revenir avec un gros succès ou quoi. Evidemment, plus ça marche, plus on sera content, comme tout le monde ! Mais même si on doit jouer devant 10 personnes, les choses se feront. Avec Triptik, sans qu’on fasse de disques d’or, on avait quand même une petite exposition. Puis une fois qu’on s’est lancés en solo, les résultats étaient un peu frustrants. On connaît les différentes facettes du truc. Alors au final le plus important, c’est de faire des trucs cool.

B : De toute manière, le rayonnement c’est un truc de ouf. Surtout quand tu compares nos trajectoires solos à l’engouement qu’il y a maintenant.

D : C’est clair, depuis qu’on a annoncé qu’on se reformait, il y a plein de portes qui se rouvrent. Alors que quand on arrivait en solo, les gens étaient plutôt un peu véner : « OK, on va suivre ce que tu fais, mais vous faites chier ! Nous on voulait du Triptik ! Vous vous êtes arrêtés alors vous reviendrez quand vous aurez du Triptik » . Et c’est exactement ce qu’il se passe.

A : Mais au moment de « QHuit » [projet collectif sorti en 2004 auquel ont participé les Triptik, NDLR] , vous étiez déjà en train de splitter ?

D : Non, Qhuit c’était avant TR-303.

A : Les enregistrements alors, parce que sauf erreur de ma part, « QHuit » est sorti après « TR-303 ».

D : Ouais. Mais on était déjà un peu au bout du rouleau. Qhuit c’était durant l’été 2003 et ça faisait environ 5 mois que TR-303 était fini. C’était déjà très tendu…

B : On était minés par la découverte du pot aux roses, toutes ces histoires de thunes…

D : Ça devenait chaud. Je commençais à avoir les huissiers au cul, on bouffait des demi baguettes tous les jours, t’as l’interdit bancaire au dessus de la gueule. On n’était pas détendus comme on pouvait l’être pour la sortie de l’album précédent.

B : Où on était chez Cut Killer, il y avait l’euphorie.

D : 2003/2004, c’était plutôt ambiance ‘L’envers du décor’ [référence à un morceau du groupe où sont dépeints tous les à-côtés détestables de la musique, NDLR].

« On ne court pas derrière notre adolescence, c’est surtout que quand tu es adolescent, tu as la vraie envie des choses, la quintessence de ce que tu souhaites. »

Blackboul’

A : Je suis retombé sur une interview assez récente de « QHuit » que vous avez donnée à Autopsie , où Dabaaz et Baste expliquent qu’en rappant, vous courrez quelque part après votre jeunesse. Dans votre reformation, y a-t-il ce besoin de rester jeune, ou de renouer avec cette jeunesse ?

B : Non mais de toute façon, dans la vie l’épanouissement passe uniquement par la réalisation de tes rêves d’adolescent. Plus tu grandis, plus tu deviens blasé, moins tu as de rêves. Il arrive un moment où tu te rends compte que tu es fait pour écrire des textes, les rapper et les chanter. A partir du moment où tu sais ça, tu ne peux pas passer à côté. Si tu ne le fais pas tu rates ta vie. Il n’y a pas de plan B pour moi ! Moi je sais que je suis fait pour écrire des textes, que ce soit pour moi ou pour d’autres, et que j’ai ce besoin de les rapper ou de les chanter. Donc non, on ne court pas derrière notre adolescence, c’est surtout que quand tu es adolescent, tu as la vraie envie des choses, la quintessence de ce que tu souhaites.

D : Ce qui est kiffant maintenant, c’est d’avoir un passé, un statut d’ancien…

B : Le savoir-faire !

D : Tu as une vie d’adulte assumé, tu n’es plus en coloc’ en train de fumer des bédos devant la console, et tu fais le grand écart, pas toujours confortable demande à Jean-Claude Van Damme. Il y a ta réalité et effectivement, une certaine jeunesse que tu retrouves avec ton groupe, ta musique. On voit des jeunes qui ont 15 ans de moins que nous et qui connaissent ce qu’on a pu faire. Ils sont en phase avec nous, on est en phase avec eux. A côté, on voit Damage ou Dee Nasty, et on est aussi en phases. Je kiffe ça, mélanger les gens.

B : C’est le paradoxe d’avoir désormais l’expérience, mais de revenir avec l’esprit du débutant. On est comme des gosses et on jongle avec ça. C’est la nature de l’Homme quelque part, s’adapter ou mourir. On assume nos responsabilités persos, et à côté, on peut se permettre de continuer Triptik, parce qu’on a un savoir-faire, parce qu’on gère nos situations personnelles, et surtout parce qu’on a l’envie.

D : On a toujours ce côté bricoleur. On n’a jamais eu les conditions que peuvent connaître certains artistes qui réussissent à décrocher de gros contrats.

B : On ne connaît pas les majors ! Enfin Drixxxé depuis peu, mais pour nous, ça n’a jamais fonctionné comme ça.

D : Mais on essaie de faire comme si, parce qu’on aime le travail bien fait. Depuis le début c’est comme ça. On était dégoûtés de voir plein de rappeurs français avec des contrats de ouf. Mais qu’ils aient tel ou tel moyen et pas nous, ça ne nous a jamais paru une excuse pour qu’on arrive avec un mix tout pourri.

B : Un truc qui illustre bien tout ça : Aelpéacha m’a passé son album. Je l’écoutais hier, et il y a un skit qui dit que la musique c’est comme le restaurant, il y a devant et derrière. Derrière si ça se trouve y a un paki’ tout dégueulasse, mais toi tout ce que tu sais, c’est que ce que tu es en train de manger, tu le kiffes. En plus, tu le manges dans une ambiance. Le serveur il est bien, la table est bien mise, couverts et tout ce qu’il faut. Mais derrière, c’est comment ? Tu n’en sais rien ! Si ça se trouve, le mec qui te fait tout ça, il est dégueulasse, il pue. Mais tu kiffes sa bouffe ! Tu vois ce que je veux dire ? Bah nous c’est un peu ça. Ça ne sert à rien de nous lamenter sur notre sort, raconter nos galères de thunes, crier qu’on s’est bagarrés avec des centimes d’euros pour bouffer une demi baguette le midi. Et même moi je n’ai pas envie de me lamenter sur mon sort.

D : On a pas mal souffert de ce paradoxe là. On n’a jamais eu de clashs ni d’embrouilles, mais il y a un moment où des gens qui marchaient moins que nous nous faisaient comprendre que pour nous, ça leur semblait facile parce qu’on avait Cut Killer par exemple. Ou encore, on nous disait qu’on était commerciaux parce qu’on faisait des refrains sympas.

B : Même quand on allait voir les maisons de skeuds ! Elles nous disaient : « Mais attendez les gars, vous avez plus de visibilité que certains de nos artistes ! On ne vous sert à rien, on ne va tout de même pas être votre banque » . Mais si, vous ne vous rendez pas compte, donnez-nous de l’argent ! On est arrivé à ce genre de paradoxes. Des gens me demandaient même ce que je foutais dans le métro ! Comme si je n’avais plus rien à faire là. Mais si je te racontais ma vie, je t’aurais même expliqué que je fraudais. Après voilà, c’est cool, on discute, tu veux un autographe, pas de problèmes !

D : Aujourd’hui, les gens savent que tu peux faire de la musique en touchant le SMIC, que tu peux sortir des clips et des albums avec pas grand-chose, que ce n’est pas parce que tu passes à la télé que tu es Jay-Z. Mais à l’époque, beaucoup ne comprenaient pas ça. Et je suis souvent tombé sur des gens comme ça. Ça m’a un peu saoulé. Tout le monde croyait que c’était la teuf alors que nous on touchait le fond.

B : Eddie Barclay a dit : « derrière chaque artiste, il y a dix ans de galère » . Alors soit c’est au début, soit c’est au milieu, soit c’est à la fin. Nous en tout cas, je crois qu’on a mangé notre merde et que là, quoi qu’il arrive, on est dans des dispositions où… Il n’y a pas que Triptik dans l’absolu. Triptik c’est un bonus, ce n’est plus un enjeu de vie. Et cette liberté là apporte beaucoup.

D : On est bavards hein !?

A : C’est mieux que l’inverse ! On vous a aussi présenté un peu comme des représentants de la scène rap dite alternative/indé française…

D : [il coupe] Ça aussi ça nous saoulait un peu.

A : Justement, ça voulait dire quoi pour vous cette « appellation » ? Cette idée avait un sens ?

B : Non, nous on a toujours été bien avec tout le monde, ce qui est pas forcément le cas de…

D : [il le coupe] Les gens étaient contents, pour des raisons ou d’autres, de voir des rappeurs qui n’avaient pas la gueule ou le discours que devait soit disant avoir un rappeur français. Ils les ont mis ensemble sous la même étiquette, ont parlé de « nouvelle scène » parce que c’est plus pratique. Et comme en plus il y avait des affinités entre certains groupes, des featurings, etc… Ce côté concret a encore plus renforcé cette idée chez le public. Les gens oublient vite qu’en même temps que nous faisions des morceaux avec les Svinkels ou TTC, il y avait toujours tel morceau sur telle compile avec un tel. Avec Express’ D par exemple ! On était parfois beaucoup plus amis avec des groupes qui sur le papier n’avaient rien à voir avec nous qu’avec d’autres personnes qui pouvaient être habillées comme nous, aimer les mêmes groupes… Mais bon, ce n’était pas non plus un drame. Puis cette « nouvelle scène française » a fait long feu. Elle était un peu fragile tout de même. A part La Caution ou deux/trois groupes qui ont vraiment tourné, y a plein de trucs qui ont été assez éphémères, ça n’a pas marqué tant que ça. Enfin, ça a marqué des gens, mais ça reste des petites niches. Nous depuis le début, on avait une volonté plus ouverte que ça. On s’en foutait d’aller au sommet à tout prix, mais le but c’était de monter. On ne savait pas où ça atterrissait, mais on voulait brasser assez large, parce qu’on est comme ça dans la vie. Et puis selon à qui tu t’adresses, le discours change. Les mecs d’internet pensaient qu’on était plutôt des beaufs commerciaux.

B : Et deux semaines après, tu allais sur le ter-ter pour poser sur une mixtape et on te disait exactement l’inverse. « Ouais, vous là, le rap un peu fashion« . Ça ne les empêchait pas de nous inviter mais on sentait cette image qui nous tournait autour. Ils nous le disaient de toute manière, en discutant autour d’un spliff. C’est un paradoxe qu’on a toujours vécu, c’est un peu notre côté caméléons sociaux. Ça a toujours été notre marque de fabrique d’être super adaptables et à l’aise partout. On peut bouffer le mafé avec les mains et le coup d’après être en soirée VIP.

D : En revenant maintenant, il y a aussi une volonté d’être encore plus fédérateur, et de dire « allez-vous faire enculer, on fait ce qu’on veut« . Ce qu’on a vachement bien fait avec Drixxxé et Arthur King en soirées, c’est que justement on faisait venir des banlieusards, des kids, des minets, des vieux gars, des graffeurs, des mecs qui ne sortaient plus en soirée. Quand ça se mélange, que c’est le bordel comme ça, on kiffe. Alors dès qu’il y a un truc où on t’inclut dans une scène, ça ne te plait jamais trop. Beaucoup d’artistes doivent te le dire d’ailleurs. On est un peu freestyle en terme de goût. Même si nos albums avaient un cadre, tu prends toute notre discographie, ça part un peu dans tous les sens. C’est peut-être un défaut mais c’est comme ça.

B : On fait des morceaux pera-pera, et à côté on fait des morceaux un peu plus mainstream. ‘Panam’ RMX’ est ambiancé un peu pop par exemple. Nous, on kiffe la musique. Et il y a ce problème de la France qui a ce besoin de mettre des étiquettes. Comme on a émergé avec des groupes comme La Caution ou TTC, même si ils ont fait des albums après nous, on nous a mis plus ou moins là-dedans. C’est la France, il faut qu’on te mette une étiquette dessus.

D : Et même en solo on m’a refait le même coup. « Choisis ton camp ! » . Je fais un morceau avec Para One ? Paf ! Je me retrouve dans la scène électro-rap. Les forums n’aidaient pas non plus, surtout à cette époque. Ça tournait vite au commérage, aux gamineries, genre « tu connais pas ce groupe là, mais t’es un bouffon ! » ou « t’as vu il avait dit ça dans tel texte et maintenant il dit ça« . Ça me saoulait. On n’était pas du tout actifs en plus là-dessus, ce n’est qu’après que j’ai commencé à plus m’exprimer sur la toile.

B : Les forums au début, c’était relou. Il y en a plusieurs que j’aurais aimé croiser.

D : Il y a eu pas mal de petites embrouilles. Pone qui est plus sanguin s’était embrouillé avec un gars d’un forum. Detect aussi. Les mecs se lâchaient trop. Dès que ce n’était pas ultra underground, ils devenaient vite super méprisants. Depuis, ça a changé, les groupes ont réussi à faire leurs preuves ou pas, les tensions disparaissent, que ce soit entre les groupes ou avec les gens qui te suivent. En fait, quand tu grandis et que tu te retrouves avec tous ceux qui n’ont pas lâché l’affaire, il y a vachement de respect qui s’installe. Ceux qui faisaient n’importe quoi pour gratter un public ou un contrat, ils ont disparu de la carte tout seuls, on ne les voit plus.

A : Parmi tous les featurings que vous avez pu faire, vous avez des souvenirs super marquants ?

D : Moi j’en ai un. C’est souvent lié à l’alcool.

B : [rires]

D : Dee Nasty, Dany Dan et Triptik dans le même studio !

B : [il se marre] C’est ce à quoi je pensais !

D : Deuxième grand moment, Svinkels, TTC, Triptik et Pone enfermés en Bretagne 5 jours dans un gîte. Dormir dans des lits superposés avec les pieds de Nikus dans la gueule, c’est quelque chose.

B : Ah ouais, ça ! [rires]

D : La tournée avec Oxmo aussi, même si on n’a jamais fait de featuring sur disque ensemble. Cream, Bauza, Oxmo et nous dans le même camion pendant des mois. B : Pareil, c’était les mélanges. On a toujours kiffé ça.

D : Les freestyles et tout. Cream est super bon en impro’ d’ailleurs.

B : Pone aussi ! Moyennant alcool !

« L’idée du « rap c’était mieux avant », je préfère en rigoler, mais le problème, c’est que pour certains c’est super sérieux. Limite t’as des mecs qui mettent des dates, genre le rap c’était bien du 13 février 88 au 12 décembre 95. »

Dabaaz

A : Blackboul’, à l’époque de Triptik, tu déplorais le manque de « good vibes » dans le rap français. Aujourd’hui, ton constat est toujours le même ?

B : Je vais te dire un truc ballot, mais ce qui prime aujourd’hui dans le rap céfran, c’est le rap hardcore, le rap ghetto. Le bon esprit n’y est pas vraiment. Il y a une connotation ter-ter bandit/lascar que je déplore un peu. Surtout que les mecs sont en boucle là-dessus en fait, en mode action, braco, on te découpe. Ce n’est pas mon délire.

D : Il faut aussi dire que depuis la fin de Triptik, on n’a plus trop fréquenté le rap français. Avec mon solo, j’ai fait vachement de clubs, parce que depuis Sarkozy, toutes les petites salles où tu pouvais jouer ont fermé. J’ai dû aller deux fois à Générations depuis la fin de Triptik et l’ambiance c’était dead. J’ai fait un festival avec Youssoupha, c’était dead aussi. Au final je suis resté dans mon coin. Et tout le monde reste dans son coin. Alors au final, c’est quoi le rap français ? Des soirées au Gibus, avec des petits jeunes qui arrivent lookés en Rihanna et Kanye West et qui s’amusent ? C’est cool mais je ne vais pas m’amuser avec eux. Sinon c’est quoi ? Des concerts d’anciens combattants genre Hip-Hop Resistance ? C’est cool aussi, tu vois des vieilles têtes, mais en même temps ça cultive le passé. J’ai un peu rejeté tout ça quand je me suis mis en solo. Plein de mecs de notre génération se sont repliés sur le passé, parfois des gars avec qui on aimait poser. Moi ça me déprimait, je trouvais ça dommage. Et puis l’idée du « rap c’était mieux avant » , je préfère en rigoler, mais le problème, c’est que pour certains c’est super sérieux. Limite t’as des mecs qui mettent des dates, genre le rap c’était bien du 13 février 88 au 12 décembre 95. Tu peux pas dire ça si t’aimes le rap, surtout si t’en fais ! Imagine des mecs aurait déjà commencé à dire ça dans les 90’s, il n’y aurait rien eu. Par contre, ce que je peux dire depuis que je connais beaucoup plus le club, c’est qu’à partir du moment où le rap français a commencé à vraiment se péter la gueule, que ce n’est plus le combo bédo/lascar qui prédomine en soirée, tu vois les meufs arriver ! Et les jeunes aussi. Ils ont explosé tous les codes eux d’ailleurs. Ils mélangent tout au niveau des sapes. Ils sont à la fois hip-hop, et adoptent aussi style rock avec tatouages, voire émo. Ils ont leur Ipod et dedans il y a de tout, tu ne comprends plus rien ! Ils écoutent du Lil’ Wayne et en même temps un vieux Scred Connexion. Ils sont dix fois moins cloisonnés que nous. Nous c’était rap, et encore dans le rap il y avait des chapelles sur la fin. Aujourd’hui, ce sont les meufs, les petits jeunes, ça ramène une putain d’ambiance. On l’a vérifié dans les soirées, on l’a vérifié hier [Triptik a donné un concert la veille pour la fête de la musique, NDLR]. Il y avait des cailleras, mélangées à des petites minettes, probablement du XVIème, mélangées à des vieilles têtes du rap français.

B : Puis au-delà de la mosaïque sociale, c’est une mosaïque d’âge. Hier au premier rang, certaines des petites meufs de dix-sept ans connaissaient les paroles par cœur. Ça m’a marqué !

D : Tous les jeunes devant ils connaissaient nos phases. Alors disons qu’ils ont dix-sept ans, il y a sept ans, quand TR-303 est sorti, ils en avaient dix. Peut-être qu’ils avaient un grand frère qui nous écoutait… C’est souvent comme ça, t’as un grand frère, et puis voilà, tu manques moins de trucs. Aujourd’hui, il y a des mecs de vingt ans qui font du rap et prennent Dany Dan ou La Cliqua comme des trucs vintages, exactement comme nous on s’inspirait de De La Soul par exemple, et ça c’est chant-mé. Tu connais Cool Connexion ?

A : Non.

D : C’est des mecs du XVIIIème qui ont dix-neuf/vingt ans. Ils ont fait un clip avec un cainri, qui n’est pas connu mais qui défonce. Quand ils rappent, t’as l’impression que c’est Moda & Dan. Ils rappent à l’ancienne de ouf et ils sont chant-més. En même temps ils sont trop actuels, dans leur style vestimentaire et tout. Donc tu te dis que le rap français il n’a pas fait que de la merde non plus. Cette culture elle est reprise maintenant. Ces histoires d’ambiance, c’est vrai qu’on en a chié un peu à l’époque parce qu’on avait envie de faire la teuf. On a ce côté jovial, on est là pour s’amuser, et donc c’est vrai que plus tu te retrouves à la radio ou dans des loges avec un artiste qui fume son pet’ en jetant des regards de travers, bon… Après, ne me fais pas dire ce que j’ai pas dit, ce n’était pas que ça. Avec le Double H par exemple, il y a eu des soirées mémorables. Il y a toujours des bonnes pattes pour goleri et parler d’autres choses que de rap, de rap et encore de rap. Les soirées avec dDamage, Pone, même avec Cut ou Dadoo avec qui on n’avait pas grand-chose à voir, c’était bien bon. Même Express D.

B : Grave ! Weedy c’est devenu mon ami.

D : Ils sont devenus super potes. Ils nous ont invités. La vérité ? Au début, on était un peu en panique. Ils avaient la réputation la plus racailleuse. On s’est retrouvé dans un studio à Ivry puis ils nous ont invités au resto chinois et on a passé deux heures à goleri. C’était cool ! Le manque d’ambiance qu’il peut y avoir aujourd’hui, au final c’est surtout à cause du néant. Ce n’est même pas qu’il y a une bonne ou une mauvaise ambiance, c’est qu’il n’y en a pas. Pour croiser Alpha 5.20 faut que j’aille à son stand. Pour croiser Salif il a fallu que j’aille à Canal + ! Avant tu le croisais facile à Générations par exemple. C’est ça qui est chiant maintenant. Mais j’aimerais bien qu’un truc se développe, un point de ralliement ou un site, parce que télé et presse papiers, c’est trop compliqué.

B : Faut se mélanger !

D : Après en ce moment on kiffe quand même. On refait quelques radios, et on revoit des gens qui sont encore là, ou même des mecs comme toi. Toute la sale période, elle a fait le ménage. Ceux qui étaient là à l’époque et qui sont encore là, ils ne sont pas là pour la mode ou se la raconter. C’est plutôt des warriors, parce que forcément il n’y a pas une thune à se faire, il y a moins de disques qui se vendent, il y a moins de visites, et voilà, c’est cool, ils sont là quand même, ils aiment ça et se font plaisir.

A : Blackboul’, je t’avais lu expliquer que tu étais convaincu que la plume de pas mal de rappeurs pouvait apporter beaucoup de choses à la chanson française, permettre des passerelles. Qu’as-tu pensé de la victoire de musique qu’a gagnée Oxmo ?

B : [Enthousiaste] Je ne peux pas la dissocier de la victoire de la musique de BNN en 2004. Ce sont deux potes, Birdy nam Nam avec Pone, et Oxmo. J’ai une boule dans la gorge pour les deux. Je lui ai envoyé un message de félicitations et il m’a répondu :  « Mec, j’ai tellement pensé à vous, je nous revoyais quand on était à 9 dans le J9 [camionnette de chez Peugeot, à l’ancienne, NDLR] lors de la tournée« . [Puis, il bloque] Mais à part ça, où tu veux en venir en fait ?

A : Par rapport à ce que tu disais sur la chanson française justement. Pour toi c’est une vraie reconnaissance ou c’est plutôt la preuve que le rap doit s’assagir, se tourner vers des horizons plus chansons comme Oxmo l’a fait avec « L’arme de paix », pour qu’un mec comme lui soit reconnu ?

D : C’est un peu les deux.

B : [pensif] C’est un peu les deux ouais je pense.

D : Mais c’est clair, ils ont attendu Grand Corps Malade, ils ont attendu Oxmo, ils ont attendu des mecs comme Shurik’n et Akhenaton parce qu’ils parlaient bien et tout ça. C’est ça qui est chiant ! Les mecs qui n’ont pas envie de faire de concessions, qui sont bruts, et qui ont parfois plus de talent que des mecs un peu lissés, ils ne sont pas encore acceptés. En France on n’aime pas trop ça quand même. Ou alors ça se fait dans d’autres créneaux. Gainsbourg pouvait chier sur tout le monde, on continuait à dire que c’était un génie. Mais dans un mode issu de la banlieue, si en plus t’es un peu coloré, si tu t’énerves un peu, ça passe mal… Il y a Joey Starr peut-être, qui a ce statut un peu particulier, où on l’aime tout de même. Quoi que je pense quand même que la moitié de la France doit avoir envie de le brûler. Les victoires c’est toujours un peu cheum. Grand Corps Malade ça avait fait tiep’ aussi. Tout ce truc sur le slam, ça y est, on ne dit plus de gros mots, ça veut dire que la banlieue c’est cool ! Mouais bon…

B : Tu sais les victoires de la musique, c’est particulier. Je ne sais pas trop quoi en penser de tout ça, je sèche un peu.

D : Mais après le lien rap/chanson française, il s’est vérifié mille fois. Passi/Johnny, Calogero.

B : Mais en fait, ce que je crois surtout, c’est que l’écriture du rap a fait beaucoup pour la chanson française. Rappelle toi dans les années 80, la chanson française c’était comprenne qui veut ! Ça juxtaposait des mots pour l’ambiance, ça n’allait pas chercher bien loin si tu regardes les textes de l’époque. Le rap a remis l’idée d’introduction/développement/conclusion sur la table. D’ailleurs, regarde la nouvelle chanson française, les mecs ont tous écouté du pera. Le symbole de ça c’est Biolay. Il bosse avec Animalsons, est ouvertement fan absolu de Booba.

D : La manière d’écrire certains storytelling, Faf la rage par exemple…

B : Oxmo !

D : Les trucs de l’époque de certains rappeurs, assez poétiques. Je sais que la plupart des mecs de la variet’ se sont intéressés au rap. Même Obispo fait style que les rappeurs sont ses potes.

B : Mais ils écoutent tous du pera !

D : Ouais enfin à l’époque ils n’aimaient pas trop ça. Ils écoutaient d’une oreille, en se rappelant bien que c’était des gens qui n’avaient pas spécialement d’éducation musicale. Moi je me souviens, quand j’écoutais NTM, il y avait des mots que je ne connaissais même pas, que j’étais obligé d’aller chercher dans le dico’. Et en plus ils avaient un débit à la Public Enemy mais en français. C’est vraiment ça qui a fait que le rap français a plu au public. Et c’est aussi ça qui a fait que ces gens ont bien fini par s’y intéresser. Même si au début ils ne comprenaient pas à cause de l’accent et du débit. Quand tu lis un texte de rap, il s’en passe des choses quand même !

« Le rap a remis l’idée d’introduction/développement/conclusion sur la table. D’ailleurs, regarde la nouvelle chanson française, les mecs ont tous écouté du pera. »

Dabaaz

A : J’ai aussi le souvenir d’une interview où Drixxxé insistait sur l’importance de Cutee B dans la réussite de TR-303.

D : De Microphonorama aussi ! Quand on l’a rencontré on était contents ! Le mec bosse super vite, il sait ce qu’il fait, est confiant, il connaît son matos par cœur.

B : Il est DJ, multi-instrumentiste.

D : On n’avait pas vraiment de budget en plus. Alors en studio, soit tu te retrouvais avec un ingé son qui ne te connaissait pas et était à la ramasse, soit tu te retrouvais avec ton ingé’ son, mais dans un studio où il met tellement de temps à appréhender le matos qu’il ne connaît pas que bon… Sans parler que tu y vas en pleine nuit parce que c’est moins cher. Avec Cutee B, on allait chez lui, on arrivait à midi, on repartait à quatre heures, le morceau était fini et parfait.

A : Vous ne trouvez pas que tout le monde essaie de sonner pareil aujourd’hui ?

D : Ça fait peur hein ? Mais on disait déjà ça à l’époque. On disait : « tout le monde essaie de faire du son à la Mobb Deep« , mais il y avait tout de même un peu plus de variété. Aujourd’hui, ce qui me fait gerber, ce sont tout ces mecs qui essaient de faire un son grand public et qui au final font une mauvaise copie du G-Unit d’il y a 5 ans. Et ils font ça en boucle en plus ! Tu me diras, ça remplace le mauvais Mobb Deep d’il y a dix ans. Il y a eu la même pour la vague South. Alors bien sûr que quand le South est arrivé on a pris une claque. Moi-même ça m’a influencé. Mais de là à me mettre avec 15 000 billets, en foutre dans les strings des meufs et tout… Il y a des trucs ridicules dans le mauvais plagiat français. Je ne sais pas si tu as vu tous ces mecs qui ont fait des crunkeries… En plus, culturellement, ça n’a rien à voir avec ce qu’on vit ici. L’effet de mode a été tellement violent que ce n’était pas du tout crédible, à part Booba qui a su le faire à sa sauce. Même moi, le petit pas que j’ai pu faire dans cette direction, le résultat est qu’aujourd’hui le morceau je ne peux plus l’écouter. Je le trouve ridicule. L’uniformisation est de plus en plus flippante. Il suffit d’aller sur Booska-p qui est censé représenter le rap cé-fran, tu zappes les morceaux… Et en plus il n’y a pas que la musique ! Il y a le flow, il y a les thèmes…

A : Même le mixage, le mastering. Personnellement, c’est aussi ça qui me choque, comment tout le monde poursuit le même son.

B : Ouais mais en même temps, les moyens de production ne sont plus les mêmes, ça a tout changé.

D : Le matos s’est uniformisé. Maintenant tout le monde a les mêmes plugs, les mêmes moyens de production. Après, mon truc préféré dans le rap, ça reste les rappeurs. Je me prends des claques par certains producteurs et c’est cool, mais un bon texte et un bon flow, humainement crédible, c’est vraiment ça qui me tient. Alors quand t’entends tout le monde répéter les mêmes phrases toutes faites en testant les mêmes flows… En même temps, je ne veux pas trop juger. Nous on a un peu décroché du rap de maintenant, donc au final, peut-être qu’on ne le comprend pas bien. Je n’en écoute peut-être pas assez pour capter le délire, et je ne veux pas non plus me transformer en petit vieux qui dit que le rap c’est toujours pareil.

B : En tout cas, très souvent, en fonction des morceaux de rap français du moment, tu captes direct  l’influence du morceau de cainri qui correspond. Vu qu’on est au taquet sur le rap cainri, on nous l’a fait pas trop.

D : Même les rappeurs français qui vendent beaucoup, tu les grilles direct. Le mec arrive avec un morceau d’électro-house, tu captes le truc. Après, c’est des mecs qui n’ont pas besoin de notre avis pour réussir ou pas. Et je ne dis pas que nous avons toujours la bonne démarche. Mais on fait notre truc.

A : Triptik sample beaucoup, et pourtant, dans plusieurs interviews, que ce soit vous ou Drixxxé, vous expliquez ne pas être collectionneur de disques, ne pas être diggers. Comment se passe vos choix pour les samples ? Il y a quand même une volonté d’aller piocher à tel ou tel endroit, ou rien de tout ça ?

D : Déjà c’est Drixxxé qui sample tout. Effectivement, il n’est pas collectionneur. Il n’a pas trop de vinyles. Par contre, il a beaucoup de CDs et comme il bosse en major, il récupère pas mal de vieux trucs de leur catalogue. Il a les intégrales de beaucoup de groupes phares et surtout une énorme culture musicale. Dans ce qu’il aime, tu lui sors un disque, il sait qui est le bassiste par exemple et pourquoi lui et pas un autre.  Après, ça a pu arriver qu’on participe au choix des samples mais bon…

B : Il arrive que je trouve des samples qui m’intéressent, mais je les utilise pour moi.

D : En général, on n’intervient pas trop là-dessus. On donne plus des idées de thèmes, on réclame parfois des ambiances. Nous on écoute un peu de tout, on pioche à droite à gauche, on n’a pas la culture musicale de Drixxxé.

B : Personnellement je bloque plus sur des morceaux que sur des albums en entier. Il y a des exceptions, des artistes intemporels des 70’s par exemple, mais dans l’ensemble, je retiens plus des morceaux que des albums.

D : Drixxxé par contre, il va t’étudier des discographies complètes.

B : Sur TR-303, c’est lui qui a eu le souci de donner une unité à l’album. Il était vachement là-dessus, à nous répéter tout le temps qu’il fallait que les gens prennent l’album. Il est dans la construction de l’album.

D : Ça montre bien d’ailleurs que Triptik, c’est vraiment Triptik que quand on est tous les trois. Tu enlèves Drixxxé, ça ne ressemble plus du tout à la même chose.

B : Et puis il a vachement gagné en expérience. Aujourd’hui il peut être réalisateur d’un album, ce qui n’était pas le cas avant.

D : Il sait mixer un morceau, faire les arrangements. Il commence même avec son projet pop, Mc Luvin, à toucher à des instruments qu’il ne touchait pas trop avant. C’est un bon musicien Drixxxé. Il est surtout branché claviers, mais c’est un bon musicien. Et en machines aussi il touche.

« Le web a disloqué le public. Avant tu avais tout de même une grosse population qui suivait le rap français, qui achetait la presse rap, qui allait aux concerts. Maintenant, cette grosse population s’est scindée en micro-populations. »

Dabaaz

A : Vous faites partie de ces rappeurs ayant dépeint Paris. La ville change à toute vitesse depuis quinze ans. Aujourd’hui, quel regard portez vous sur la capitale ?

D : Ce serait aussi à mettre en parallèle avec nos évolutions persos. Je traîne moins que quand j’avais vingt ans, alors forcément ça modifie ma perception des choses. Mais la « boboïsation« , elle est assez violente quand même. Des quartiers comme celui-ci [au croisement de la rue Rébeval et du boulevard de Belleville, NDLR], bon il a encore des petits coins cools. Après t’as aussi l’opposé, le noyau dur de Barbès par exemple, ou ce n’est vraiment centré que sur un délire, que sur une communauté. Ici, ça se mélange encore. Mais c’est de plus en plus rare.

B : Il y a une vraie « boboïsation« .

D : Et c’est même plus que ça, c’est « l’élitisation ». Les loyers sont devenus oufs. Tu te demandes si un mec qui bosse dans la pub ou chez Canal + pourra vivre dans plus qu’un trois pièces. J’habite encore à Paris, et franchement je me saigne.

B : Dès que j’entends parler de quelqu’un qui déménage dans Paris, je lui dis bon courage.

D : Quand t’es tout seul, t’as encore quelques solutions, genre la colocation.

B : Même quand t’es tout seul c’est chaud. Je me suis aussi barré pour ça. Tu ne peux quasi plus rien faire ici.

D : Moi j’ai toujours cravaché pour rester dans Paris. J’ai des trucs à gérer ici, et puis je n’ai pas mon permis. Peut-être qu’un jour j’en pourrais plus mais bon…

 

A : Dabaaz, tu avais été impliqué sur la refonte graphique de 90bpm.net à l’époque…

D : [il coupe] Ouais, c’était pas une grande réussite.

A : Le site a pas mal changé, il est devenu plus généraliste. La presse papier je n’en parle même pas. Vous avez un regard sur l’évolution des médias rap en France ?

B : La presse papier elle est quasi morte tu peux dire !

D : Franchement, j’ai jamais été un fan de magazines, encore moins de magazines rap. En fait y a tout de même des bons journalistes, mais en terme de magazines, ce n’est pas trop ça… Je ne regarde quasi plus.

B : Et puis il y a un tel flot d’informations. Tu ne sais plus où aller. Ne serait-ce que pour une ré-soi. T’as l’impression que tous les soirs il y en a au moins une.D : Tiens d’ailleurs, pour revenir sur Paris, on a oublié la bonne ambiance des videurs et les tarifs des consos !

B : Maintenant aussi, le producteur ou l’artiste peut s’adresser directement à son public. Le rayonnement ne passe plus uniquement par la presse, loin de là. Si tu as ton réseau, encore mieux si tu as un réseau avec des leaders d’opinion dedans, tu arroses vite beaucoup de monde en un clic. Mais c’est aussi un piège. Tu te mets à passer du temps à faire ça, bloquer devant l’ordi à balancer tes infos et lire celle des autres. Le côté journalistique n’est plus le même. Je ne vais quasiment plus sur les sites.

D : A la place on regarde nos boîtes mails. Et même au-delà de la presse, le web a disloqué le public. Avant tu avais tout de même une grosse population qui suivait le rap français, qui achetait la presse rap, qui allait aux concerts. Maintenant, cette grosse population, elle s’est scindée en micro-populations. T’as les fans de Néochrome, ceux de TTC, ceux d’Alpha 5.20, chacun a son petit site préféré et puis voilà. T’as moins le côté généraliste que tu pouvais avoir à l’époque, comme quand tout à l’heure je te parlais de cette époque où les gens se mélangeaient à Générations par exemple. Le public est super dispatché. Et je connais peu de personnes aujourd’hui qui n’écoutent que du rap, alors qu’à l’époque, toute notre bande, c’était rap, rap, rap et encore rap. Maintenant, la plupart des gens et surtout les jeunes ils ont accès à tout et ils sont contents. Vu qu’en plus il y a des trucs bien qui sortent dans tous les styles…

A : Les soirées Poyz-n-Pyrlz, projet McLuvin’, le projet Greg Frite… On vous sent complètement décidés à aller au delà du rap. Est-ce que le rap est un milieu qui emprisonne ?

D : Il n’y a plus vraiment de milieu rap. J’avais un peu l’impression qu’on faisait partie d’une famille, d’un mouvement, qui se portait sur un truc, même si ça n’a jamais été Peace, Love, Unity and Havin’ Fun. Il y avait une émulation, le public qui guettait, les médias qui s’en mêlaient. Aujourd’hui, il n’y a plus le rap dans ce sens là. Après, la base de tout ce qu’on fait reste super connectée au rap. Et puis je pense que de toute façon, un mouvement c’est souvent quand tu es jeune. Avec l’âge, tu deviens plus famille, au sens propre du terme, mais aussi les amis proches. La famille artistique passe au second plan, alors qu’un moment on était rap de A à Z. Et je pense que c’est mieux. Les artistes qui me font kiffer, ce n’est plus seulement les rappeurs de base avec toujours la même casquette et le même délire.B : Tu te décloisonnes avec l’âge.D : Et finalement, est-ce qu’on ne s’éloigne pas du rap pour mieux s’en rapprocher ? Pour le rendre vivant, il faut que… Encore une fois c’est comme une meuf ! Si t’es 24 sur 24 devant sa gueule, tu t’en lasses. Il faut partir, il faut revenir. Tu pars en voyage tu ramènes des cadeaux, des souvenirs, un vécu. Là c’est pareil. Tu vas voir des gars en concert, ils n’ont rien à voir avec ce que tu fais mais sur scène ils t’ont donné une idée. Tout peut aider en fait.

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