Tiers Monde
Interview

Tiers Monde

Amateur de symboles et de grandes figures, Tiers Monde décrit à travers ses sons une réalité à géométrie variable. À l’occasion de la sortie de son nouvel album, Toby or not Toby, on a voulu retracer avec lui les parallèles de son histoire, ses rencontres, ses prises de conscience mais aussi et surtout de position.

A : Ton ancien surnom c’est Pad. Tu deviens Tiers Monde après un voyage au Sénégal, en 2003. Qu’est ce qui t’as le plus marqué lors de ce voyage ?

TM : Ça n’était pas la première fois que j’allais au Sénégal mais c’était la première fois que j’y allais avec une certaine forme de maturité. J’ai vu de nombreuses choses qui m’ont interpellées. J’ai réalisé que je pouvais, que je devais apporter quelque chose de plus important dans ma musique que l’égotrip. Ce changement de pseudonyme révèle cette prise de conscience et symbolise mon évolution en tant qu’artiste mais aussi en tant qu’homme. En m’écoutant, on ne peut pas dire que l’on n’est pas au courant ou sensibilisé.

A : Quand as-tu commencé à rapper ? 

TM : J’ai commencé il y a très longtemps. C’était l’époque de Solaar et j’ai commencé à m’identifier à ce qu’il faisait, et à me dire « pourquoi pas moi ?« . Pour l’anecdote, c’est mon oncle, un immigré sénégalais qui n’écoutait jamais de rap, qui m’avait ramené Qui sème le vent récolte le tempo. Rapidement, je me suis mis à écrire des textes sans trouver ça si compliqué d’ailleurs. Mais j’avais toujours en tête l’idée de faire mieux. On s’identifiait vraiment à cette culture à l’époque. Le petit frère de Salsa, Médine, moi… on s’habillait tous en baggy [Rire]. Il y a ceux qui jouaient au foot, ceux qui faisaient du basket et nous qui faisions du rap.

A : En 2002, tu sors le maxi Quand ruines et rimes s’rallient avec Brav’, un EP Matière grise en 2004, l’album concept Apartheid en 2006… Comment as-tu rencontré Brav et qu’est ce qui vous a amené à travailler ensemble puis à vous séparer ?

TM : Avec Brav’, nous étions au collège ensemble. Nos grands frères avaient déjà leurs groupes, comme Salsa et Proof avec Ness & Cité. De fil en aiguille, on s’est retrouvé dans leur entourage, on se côtoyait souvent, et je dirais que l’association s’est faite presque naturellement. On trouvait que nos expériences personnelles respectives amenaient une sorte de contradiction dans notre musique. Ce qui était intéressant à exploiter, sachant qu’à l’époque, Lunatic était notre exemple. Par contre, ce n’est pas une séparation, juste une parenthèse. J’ai lancé plusieurs perches à Brav pour qu’on refasse un album Bouchées Doubles mais il a également des projets de son côté. On attend que ça se calme et on relancera ça.

A : L’un des titres de Toby Or Not Toby s’appelle « Block To The Future ». Dans la mixtape Black To The Future, on retrouve « En ton nom » qui figurait sur Apartheid. Il semble y avoir des enchâssements dans tes albums.

TM : Je gamberge beaucoup. J’écris littéralement mes questionnements sur feuille et je veux que les gens le ressentent. J’évolue en tant qu’artiste et il serait injuste de ne pas faire ressentir cette évolution à travers ma musique. C’est un système de loupe : quand je fais de la musique, je veux que les gens voient ma condition. A travers la mienne, je veux qu’ils voient la leur et, à travers la leur, qu’ils perçoivent celle d’une plus grande minorité. J’essaie d’aider l’auditeur qui me suit depuis longtemps en lui livrant un fil conducteur.

A : Tu utilises beaucoup la symbolique dans tes sons et tes clips, surtout les derniers. Quelle signification derrière le symbole du Phoenix ?

TM : Le morceau devait à la base s’appeler « Des Chaînes de fer aux chaînes en or », du nom d’un reportage que j’ai vu sur Arte. Il parlait de toute l’histoire de la black music, de l’esclavage au gospel jusqu’aux artistes d’aujourd’hui. J’ai essayé de me l’accaparer, de le fondre dans mon histoire. Pas seulement en tant que noir mais en tant que jeune français banlieusard qui veut améliorer sa condition de vie. J’ai voulu détourner les clichés, grâce à des symboles. Le titre voulu était trop long et je me suis demandé ce qui pouvait représenter à la fois la renaissance et la remise à zéro tout en restant assez élégant. C’est comme ça que « Phoenix » est né. En choisissant ce symbole, on a voulu que toutes les minorités s’y identifient. Il généralise et symbolise en même temps. D’ailleurs, qu’est-ce qui tue le phoenix dans le clip ? Un autre phoenix. C’est une référence directe à Malcolm X ou d’autres leaders qui se sont faits assassinés par leurs semblables.

« Tant que ma musique suscite le débat, c’est le principal. »

A : Ne penses-tu pas que cette symbolique va parfois trop loin, quitte à être parfois incompris ?

TM : Lorsque tu dis les choses calmement les gens ne t’écoutent pas forcément avec attention. Malheureusement, aujourd’hui, nous vivons dans une société de l’image. Je préfère choquer, questionner et retenir l’attention que laisser indifférent. La symbolique n’est utilisée qu’à des fins conceptuelles, pour pousser des coups de gueule. Par exemple, les cagoules bleu blanc rouge dans « Balla Gaye II » représentent l’uniformisation des jeunes de banlieues : les clichés leur enlèvent leur individualité. Il y a une volonté de conscientiser derrière les symboles utilisés, rien n’est choisi par hasard. On ne mettra jamais quelque chose de choquant juste pour choquer. Et puis il y a un vieux dicton qui dit « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, l’important c’est qu’ils parlent de moi ! » Tant que ça suscite le débat, c’est le principal.

A : « Même Mélenchon a un RIB, Tiers Monde a un RIB ». Dans « Balla Gaye II », tu évoques la question du profit dans le rap conscient. L’argent est-il un sujet tabou dans le milieu du rap indé?

TM : Pas seulement dans le milieu du rap indé, ou du rap conscient. En France, c’est déjà un tabou en soi. Dans le rap « conscient », plus que dans les autres « catégories », il est mal vu de générer du profit. La plupart des auditeurs ont intégré le fait que l’on fait ça pour une noble cause, à tel point que lorsqu’on arrive en concert et qu’on demande des défraiements, on est face à des réactions du type : « c’est un faux lui ! Il m’a demandé de l’argent pour telle ou telle chose« . Mais on est dans un pays où l’on a besoin d’argent pour vivre. Et pour rester indépendant, on a besoin de générer du profit par nos propres moyens. Pour avoir de beaux messages, il faut bien être supporté !

A : Balla Gaye II, est le surnom d’un athlète de lutte sénégalaise, de son vrai nom Omar Sakho. Le sport de combat semble assez présent chez Din Records. Hasard?

TM : Moi je ne pratique pas de sport de combat, contrairement à Médine, même si j’ai fait les morceaux « KroKop » et « Balla Gaye II ». C’est vraiment plus pour une question d’état d’esprit du morceau. « Balla Gaye II », rien qu’avec le titre, tu sais où je t’emmène. Je parle notamment de l’esprit de Din Records, puisque je commence en disant « mon label est dans la lutte« . De plus, je suis d’origine sénégalaise et c’est actuellement le champion de lutte du Sénégal. Je me rends compte qu’il est pratiquement inconnu en France, alors que, là-bas, le gars est une superstar. Donc si je peux contribuer à amener une autre culture ici, ne serait-ce qu’avec un morceau de rap, je suis content de l’avoir fait.

A : Tu as du mal à écrire en te prenant personnellement comme sujet ?

TM : Oui, il y a des choses que je n’ai pas envie d’évoquer dans ma musique. Je n’aime pas tout mélanger. Je parle beaucoup de moi mais je pose mes limites. Tout ce qui est familial, je n’en parle pas. Pour ma part, j’estime que chaque être humain a ses imperfections. Mes parents, mes frères et sœurs, moi-même, on a tous des défauts! Je ne me vois pas, par respect, les afficher dans ma musique. Je pense que c’est culturel aussi. Dans la culture africaine, il y a beaucoup de pudeur. Même quand t’es en totale, tu ne le diras jamais, par exemple [Rire].

A : Il y a un son qui s’appelle « Peur de décevoir ». Est-ce ton cas avec cet album?

TM : Musicalement, oui. Je ne veux pas décevoir le public qui me suit depuis longtemps. J’avais une petite pression en travaillant sur l’album. D’ailleurs, quand j’ai fait ma première écoute en studio, je me suis barré de la pièce, pour ne pas voir les réactions tout de suite [Rire]. Tu as toujours la phobie que ça ne plaise pas, que ça ne passe pas, que les gens soient déçus… Mais avec cet album, je suis plutôt confiant parce que les gens à qui je voulais que ça plaise l’ont validé. Le reste, c’est que du bonus.

A : Si tu avais un reproche et un compliment à te faire sur cet opus, lesquels seraient-ils?

TM : Le reproche que je me ferais, c’est qu’il a mis du temps à arriver. Le compliment [Pensif]… Heureusement qu’il a mis du temps à arriver parce que j’ai pu fournir un travail dont je sais que je n’ai pas à avoir honte.

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