Tecnik (Funky Maestro)
Interview

Tecnik (Funky Maestro)

Troisième pièce maîtresse de Funky Maestro, Tecnik a servi ses instrumentaux gonflés aux samples de soul à Endo, les X-Men, Fabe, Kohndo ou Tandem. Aujourd’hui retraité du monde de la musique, il revient sur son parcours, entre réussites et déceptions.

et Photographie : Draft Dodgers

Avec un nom tel que le sien, on pensait rencontrer notre futur interviewé dans le cadre d’un home studio équipé de plusieurs modèles de MPC et SP. Mais pour ce qui est de son activité de producteur, elle semble définitivement appartenir à son passé. C’est dans le salon de son appartement val-de-marnais que Tecnik nous accueille, pendant que ses enfants et neveux se poilent devant les élucubrations d’Homer Simpson dans Springfield.

Pourtant, si Tecnik est redevenu définitivement Serge depuis quelques années, il fut la troisième pièce maitresse d’un groupe d’activistes qui a marqué le rap francilien et français entre la fin des années 90 et le début des années 2000 : Funky Maestro. Si Poska était la figure de proue en sa qualité de DJ, et Franky Montana la voix de leurs émissions sur Générations 88.2, Tecnik, comme tous les beatmakers de l’époque, était plus méconnu. Pourtant, grâce à ses compositions, il affiche aujourd’hui un CV discographique plus qu’honorable : Fabe, les X-Men, Kohndo, Tandem, Sully Sefill, Diam’s, Disiz, Kennedy, Endo, John Gali ou encore son idole de l’époque, Smoothe Da Hustler.

A sa manière, Tecnik a participé au façonnage d’un son parisien directement lié à celui de la Grosse Pomme. Revendiquant des influences allant de la Ruckus Clique de Smoothe à State Property, Tecnik a composé des instrumentaux qui n’ont pas à souffrir de la comparaison avec leurs pendants américains dans la formule beat massif et soul épique. Ces inspirations venus de la musique d’hier ont d’ailleurs finalement pris le dessus sur les goûts musicaux du producteur. S’il avoue être obsédé par le sample de « Over » de Drake » et apprécier les collaborations de Rick Ross et des J.U.S.T.I.C.E. League et l’entrain de la Sexion d’Assaut, il n’écoute quasiment plus de rap (« le rap français de maintenant est devenu ce qu’il ne voulait pas être au départ. La gratuité des textes, la méchanceté, « j’te flingue »… Ouais, super. Ça n’a pas de sens« ). C’est donc détaché du rap et de sa carrière de compositeur, et avec une bonhommie non-feinte, que le jeune retraité du son nous a raconté son parcours.

Merci au magasin Crocodisc pour la séance photo dans leur boutique soul/funk/rap.


Abcdrduson : Quel est ton premier souvenir lié au rap ?

Tecnik : J’ai grandi en banlieue, à Neuilly-sur-Marne, dans le 93. C’était dans une résidence, mais vu le nombre de tours, tu peux considérer ça comme une cité. Grâce à un pote, j’ai écouté mon premier disque de rap, It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back de Public Enemy. Je l’ai gardé une semaine à la maison et je suis devenu ouf, je me demandais ce que c’était que cet ovni. Une semaine plus tard, il est revenu chez moi avec les premières cassettes de Radio Nova. Et on s’est dit : « vas-y, on va écrire un rap ». [sourire] Le premier que j’ai écrit, c’était sur « Electric Boogie » de West Street Mob, un truc de smurf sur un sample d’Apache, dont les lyrics commençaient comme ceux de « Rapper’s Delight ». Peu après j’ai vu une émission sur FR3 qui s’appelait Décibels, spéciale Zulu. J’y ai vu Johnny Go, Destroy Man : j’ai trouvé ça mortel et j’ai complètement adhéré. C’est à ce moment là que j’ai commencé mes premières sorties et connu mes premières battles de danse à la Butte Verte à Noisy-le-Grand, entre cités.

A : Tu avais déjà eu une initiation musicale via ta famille ?

T : Mes parents n’écoutaient pas spécialement de musique, à part un peu de musique portugaise ou de la varièt’, des trucs comme ça. C’était pas quelque chose dominant. Par contre ma grande sœur est à peu près passée par toutes les étapes [sourire]. Elle a commencé par le funk, ensuite elle a viré au hard-rock, AC/DC, Iron Maiden. Puis elle a écouté du Pat Benatar, du Kate Bush. Du coup, j’observais et écoutais beaucoup.

En parallèle, je faisais de la batterie au conservatoire, j’avais commencé très tôt. Mon prof était un mec à fond dans le jazz, j’ai appris tout ce qui était rythmes ternaires. Mais ce que je voulais, c’était taper des trucs plutôt binaires, du funk, des breaks. Il a bien compris, donc au fur et à mesure, on est parti sur ce truc-là. Mais au conservatoire, le côté scolaire, le solfège, me saoulait. Quand tu tapes sur une batterie, t’as pas besoin de savoir si ça fait un la ou un fa. Et puis j’arrivais à l’adolescence, je ne voulais pas avoir des cours en plus. Donc je n’ai pas spécialement assuré au solfège, mais j’ai quand même fait dix ans de batterie. C’est à ce moment que j’avais commencé à virer au smurf et que mon pote me ramenait les premiers trucs de rap que j’ai écouté. Je voulais devenir DJ à l’époque, je m’étais acheté deux platines, je faisais les boums du collège. J’étais nul en dessin, le graffiti c’était pas pour moi, j’ai un peu tagué, mais je me suis vraiment bien éclaté à la danse.

A l’époque du bahut, j’ai rencontré mon collègue Franck [Franky Montana, animateur radio sur Générations, qui présentait également les émissions What’s The Flavor, NDLR]. On allait à la MJC à côté de chez moi où on faisait de tout, danse, rap, tag. On voulait monter un groupe, il nous manquait un DJ, donc a commencé à traîner dans quelques soirées, où on a rencontré DJ Poska. On s’est cotisé pour acheter notre premier sampleur.

A : C’est à ce moment que tu commences à composer ?

T : Non, je n’étais que dans le rap. Mais la machine m’attirait de manière presque… hypnotique. A cette même période, on a rencontré le frère d’Imhotep, qui habitait porte de Bagnolet. On squattait chez lui dès qu’on pouvait. Il nous a fait rencontrer son frère, qui nous a fait trois beats sur un Roland W-30, on devenait ouf ! A la même époque, on a rencontré ce qui s’appelait les Groovalistic, un groupe où il y avait K-Reen, Nob des Rootsneg… Donc on a fait un featuring avec K-Reen sur un de nos morceaux.

Un peu plus tard, Franck a commencé à travailler à LTD, à Châtelet, et Poska, de son côté, dans une manufacture de cassette… Très fort, le délire [sourire]. On profitait de tout : on a fait la première mixtape de Poska, et la première cassette de Lyr-X. Grâce à la manufacture, on produisait les cassettes, et Franck de son côté voyait avec le propriétaire du magasin pour les mettre en dépôt-vente. Les cassettes de Poska sont bien parties ; celles de Lyr-X, étonnamment, partaient pas trop mal. On a fait des envois un peu partout : maison de disques, presse spé, etc. Un jour, le directeur de la programmation chez MCM nous a appelé : « j’ai kiffé ce que vous faîtes, j’aimerais m’occuper de vous« . Il parlait déjà de management, de nous faire rencontrer des gens de maisons de disques. Comme il avait beaucoup de taf à côté, on n’y croyait pas plus que ça, mais on s’est dit : « on a un contact, autant s’en servir« . Le mec nous a fait rencontrer plusieurs D.A. de maisons de disques, on a fait notre apprentissage du business comme ça.

A côté de ça, on continuait nos morceaux, nos démos. On faisait ça dans nos chambres respectives, et il me semble qu’à cette période, tout le monde était parti en vacances, sauf moi. J’ai récupéré le W-30 chez moi, commencé à faire un ou deux beats, et ça commençait à tourner. Résultat : peu de temps après, on a fait les MCM Sessions, où on a joué trois morceaux, dont deux produits par moi. C’était une émission animée par Anne-Gaëlle Riccio, où un groupe jouait des morceaux avec une petite interview. C’était sympa [sourire].

A : Cette période coïncide avec celle où vous vous faîtes connaître avec vos mixtapes, non ?

T : Oui, les mixtapes commençaient à bien tourner. Poska travaillait toujours dans les cassettes, on avait ce confort-là. Mais attention, c’était fait à l’arrache : il fallait qu’il reste le soir pour les produire. De notre côté, on faisait les couvertures artisanalement – il n’y avait pas de Photoshop ! – on prenait du carton, on faisait du découpage, une photocopie master, et après on allait dans une boutique pour faire des photocopies couleurs, en changeant de couleurs à chaque numéro.

On a commencé à insérer des freestyles, d’abord les nôtres, puis de gens de l’extérieur. On a dû commencer avec les 2 Bal, et après avec Time Bomb. DJ Mars était un peu notre grand frère, on avait un super feeling avec lui, on allait souvent à Vallée FM. On fait donc la 23, avec Time Bomb, où Ill nous fait un freestyle de déglingué en one shot, comme j’ai jamais vu.

On s’approchait de la vingt-cinquième, on s’est dit : « il faut qu’on fasse quelque chose« . On a donc fait cette 25 spéciale rap français, avec que des featurings et des freestyles. On a noué pas mal de contacts avec des artistes en devenir, pas mal de gens qui ont fait une carrière un tant soit peu sérieuse. On a même fait des stickers pour cette 25 : Poska faisait des salons de skate, de surf, notamment dans le Sud-Ouest de la France. Résultat : chaque fois, on collait nos stickers partout. Ça a été un vrai succès commercial à l’échelle du marché de la mixtape, on a du en vendre cinq cent ou mille. On était en petite gué-guerre bonne enfant avec Cut Killer, une compétition constructive. On sortait qu’on était « cassette d’or » [sourire]. Il y a eu une vraie émulation avec Cut.

« Pour la vingt-cinquième mixtape, on s’est dit : « il faut qu’on fasse quelque chose ». On a donc fait cette 25 spéciale rap français, avec que des featurings et des freestyles. »

A : Comment vous êtes passés du marché des mixtapes à celui des compilations mixées en maison de disques ?

T : De fil en aiguille, Poska faisait son buzz, amenait beaucoup de monde en soirées. Cut venait de sortir déjà un ou deux volumes de Hip-Hop Soul Party, donc on s’est dit : « pourquoi pas nous ?« . On avait réussi à mettre de l’argent de côté avec toutes les tapes vendues, donc on s’est décidé à créer la société. C’est là qu’est née juridiquement Funky Maestro, en tant que S.A.R.L., ce qui nous a permis de traiter de société à société avec les maisons de disques. On a rencontré un responsable marketing d’Universal. Ça nous a permis de faire What’s The Flavor, notre première compilation officielle, avec le peu de moyens qu’on avait. On a eu l’autorisation pour les morceaux de rap américain – on choisit dans un catalogue, on leur donne une liste de deux ou trois cents titres pour être sûrs d’avoir une sélection finale qui nous plait, et ensuite ça se passait juridiquement. Et on s’est dit aussi que pour faire de l’oseille et faire parler de Funky Maestro, il fallait qu’on place des morceaux à nous. On a donc fait un morceau Lyr-X avec 2 Bal [« Faits divers », NDLR] et un autre Sully Sefil avec Kohndo [« Qu’ils comprennent », NDLR], des titres qu’on a signé en licence, comme les intro et les outro.

On a fait ça sans pub télé, sans super promo, Universal n’y croyait pas trop. Surtout qu’après avoir signé, l’équipe qui s’occupait du projet a changé. Ça a été juste un succès d’estime, environ vingt mille ventes. Ça a été cool malgré tout. Le fait que ça soit Universal, ça nous donné une exposition. Par exemple, pendant des vacances au bord de mer, il y avait une manifestation style And1, et j’ai entendu un de mes morceaux tourner [sourire].

A : Cette première expérience a du être fondamentale dans la construction du label Funky Maestro.

T : Oui, le label commençait à se structurer et à se dire que ce serait bien de produire des artistes. C’est à ce moment-là que je suis complètement entré dans la technique : en concertation avec mes associés, j’ai choisi la configuration du studio, console, multipiste ADAT. On prend un local à Neuilly-Plaisance, on l’appelle « La Chambre », comme le matos a toujours été dans une chambre jusque-là [sourire]. On paie le loyer au black grâce à l’argent des tapes. On fait notre configuration tant bien que mal : des potes nous ramènent des cloisons de bureaux, un de mes oncles nous fait des meubles de rangement, on récupère des enceintes de studio. On fait un coin spécial DJ pour Poska, une cabine prise de voix pour les freestyles.

Un groupe est venu frapper à notre porte pour taper un freestyle : Yusiness [groupe de Seine-et-Marne composé de Yoka, €psilon, Joke et Yugson, NDLR]. On est devenu ouf : on voit des petits jeunes sur-motivés, avec des voix et flows différents, des beats mortels. On a travaillé un peu avec eux, jusqu’à arriver à les placer sur la première compilation, avec en plus un morceau de Lyr-X avec Sully Sefil. A cette même époque, on a également rencontré Basic [groupe composé d’Endo et Veust, qui a notamment sorti 98 Jusqu’à l’infini, en 1998 chez PIAS France, ndlr], super feeling humainement parlant. Et toujours à la même période, on a eu un contact avec Hostile et Benjamin Chulvanij. Il s’apprêtait à sortir Hostile 2000, il trouvait Yusiness mortel, il a choisi un morceau. A ce moment, il nous a parlé d’un autre projet, un truc mort-né, où les producteurs hip-hop faisaient de la house [grimace sceptique, ndlr] Mouais… On s’est dit qu’on allait quand même essayé. Il nous a dit : « il n’y aura pas de royalties sur les ventes, je vous achète les DAT direct« , c’était vingt-cinq mille francs à l’époque. On en a fait deux, il nous les a acheté. Avec cette thune, on s’est payé une console numérique, une SP-1200, et un truc pour les basses qui s’appelle un SE-1, car on avait entendu que R. Kelly sur son dernier album n’avait utilisé que ça pour faire des basses [sourire]. On était adeptes de la politique des Little M.C.’s : on veut faire du rap en français, arriver au niveau des ricains pour le son, avec des paroles qu’on comprenne. On lisait The Source et Rap Pages : dans ce dernier, tous les mois, il y avait une page sur un producteur, son matériel. Tu voyais tout le temps S-950, SP-1200, W-30… Il nous fallait ses machines-là, pour avoir ce grain, mais les utiliser à notre propre manière.

A : Funky Maestro était aussi reconnu pour son émission en radio, sur Générations. A quel moment vous commencez à y travailler ?

T : Honnêtement, Franck pourra mieux te répondre que moi. J’ai eu un peu du mal à trouver ma place sur cet aspect et à prendre mon pied comme Franck le prenait. Ça coulait de source, il avait une voix super radiophonique, il a une aisance pour présenter, mener les interviews – preuve en est, il est toujours là aujourd’hui. Mais c’est sur cette même période, en tout cas. Il y a eu des bribes d’émission entre Poska et Générations à l’époque où la radio était à l’hôpital de gériatrie d’Ivry, là où Marc de Bombattak a gagné ses lettres de noblesse.

Après, à titre personnel, Générations, vue de l’extérieur, c’était mortel, mais vu de l’intérieur, ça ne me plaisait pas. Je ne parle vraiment qu’en mon nom, là, pas en celui de Funky Maestro. Franck a sans doute été plus malin ou tolérant sur des choses qui me faisaient chier et que je ne laissais pas passer. On travaillait à la fois avec Générations et avec des maisons de disques. Quand des projets sortaient et que les maisons de disques n’achetaient pas de pubs sur Générations, on nous le faisait comprendre du côté de la radio, alors que c’était pas de notre faute. On signalait de ne pas négliger Générations, mais les décisionnaires de maisons de disques, avec leur budget, ne voyaient pas ça comme ça, ils cherchaient à placer plus haut. J’étais pas d’accord avec ce genre de reproches de la part de Générations, je le faisais savoir. Et tu sais qu’en France, le genre de grandes gueules comme moi, on les met de côté. J’avais du mal à trouver ma place. Je laissais Franck et Poska gérer cette partie là, je passais de temps en temps faire mon clown, mais ça s’arrêtait là.

Lyr-X feat. Sully Sefil – « Guérilla Urbaine » (Nouvelle Donne, 1997)

T : Sully, c’était notre pote. Il est venu en studio pour enregistrer un morceau, et au final on a fait le beat ensemble. Ça a été une sorte d’apprentissage pour moi, car on l’a fait sur un S-950, et la couleur musicale de ce morceau était plus influencée Queensbridge. Ça a été un vrai échange, comme humainement c’était terrible avec Sully. Je ne crois pas qu’on l’ai fait exprès pour la compilation, mais en tout cas on l’a proposé une fois qu’il a été enregistré, et on l’a ensuite mixé définitivement.

A : Tu connaissais Sully depuis longtemps ? Tu as aussi remixé le titre de Koalition, « Eah-Koi » [également sorti en 1997, NDLR].

T : La première rencontre avec Sully, je suis incapable de te dire quand c’était… C’est Franck qui l’a rencontré. La femme de Sully était une D.A. de chez Barclay, ça s’est surement fait comme ça. On a fait un remix sur ce maxi donc, où il y en avait aussi de Time Bomb, Cut et Kilomaître. J’étais assez satisfait de ce que j’avais fait, même si ceux de Sek et Masta étaient beaucoup plus aboutis. J’avais trouvé celui de Cut beaucoup plus dissonant par contre [rire], mais rien de bien méchant.

Après on a continué à bosser avec Sully, puisqu’on a fait le remix de « Accrocs de Hip-Hop ». Au point même qu’à un moment on a été sponsorisé par Royal Wear. Même encore aujourd’hui, je suis de loin ce qu’il fait. Même si on ne se voit plus, je l’apprécie énormément.

A : Tu disais que cette prod avait un côté plus Queensbridge que ce que tu produisais à l’époque. C’est vrai que, globalement dans ta discographie, il y a surtout une couleur blaxploitation dans tes instrumentaux.

T : Contrairement à beaucoup de producteurs de l’époque qui venaient de la funk, moi je ne supportais pas ça [sourire]. A force de lire les pages consacrées aux producteurs de Rap Pages, dans lesquelles les mecs te donnaient les sources de leur sample, là, j’ai découvert ce que c’était la soul, le jazz, ce côté digging in the crates. Et à cette époque aussi – ça va surement faire jaser, mais je m’en fous [sourire] – on recevait beaucoup de disques promo ricains, pour les diffuser en radio. Si bien qu’on en recevait parfois en cinq ou six exemplaires. Du coup, on allait les échanger à Crocodisc [magasin de disques situé dans le Ve arrondissement de Paris, NDLR] contre des disques de soul, et principalement les sources que j’avais trouvées dans Rap Pages: The Dramatics, Undisputed Truth… De là, j’ai eu un gros attrait pour cette musique-là. Dès que je reconnaissais un sample, je devenais fou : « ha le salaud, ça tue ! ». Donc je suis parti dans ce délire. C’est toujours un vrai kif aujourd’hui : la soul, c’est la musique que j’écoute le plus, hormis quelques disques de rap anciens. Ce qui me plait, c’est le côté magistral, avec des sections cuivres et violons de fou. De la musique que tu ne peux même plus faire maintenant parce que ça coûte trop cher ! Tout ce qui est Shaft, Shaft in Africa, j’ai complètement adhéré à cette période-là. Je voulais que ça sonne gangster. J’aimais tout ce qui était Native Tongues, mais je ne voulais pas que ça sonne comme ça. Je voulais du son méchant, « How About Some Hardcore » de M.O.P. !

A : Quels producteurs t’ont marqué ?

T : DR Period, notamment son album pour Smooth Da Hustler [Once Upon a Time in America, sorti en 1996, NDLR], Just Blaze – quand il samplait, c’était un truc de ouf. Un autre qui m’a retourné la cervelle, mais qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait, c’est Bink!, un monstre ! Il a intégré des vraies batteries, j’ai essayé de reproduire certains de ses breaks, c’est impossible avec les machines. Je devenais ouf sur ses prods. Et bien sûr Buckwild, Showbiz, Lord Finesse.

Funky Maestro VS The Ruckus Click – « Le Choc de titans »  (La Rencontre – De Paris à New York, 1998)

T : Ce morceau a toute une histoire. Rien que le sample : je suis allé dans une brocante à Neuilly-sur-Marne, sans grande motivation. Je suis tombé sur un disque que j’ai acheté cinq francs, avec une pochette un peu ruinée. Un peu plus tard, j’ai regardé dans les trucs de convention : l’original de ce disque est côté à 150 € [sourire]. Je l’ai écouté et suis tombé sur ce sample : c’était une tuerie. J’ai donc fait un beat avec. Et puis ce projet est arrivé, géré par Fabrice Atchinak. Il est venu au studio, en nous disant qu’il voulait Yusiness sur le projet. On a un peu insisté en essayant de placer Lyr-X et Funky Maestro, le package : pour nous, c’était légitime. On estimait qu’on était en phase de conquête en termes de business, donc il fallait qu’on soit partout. On a été le voir chez AB Productions où il nous a présenté le projet. Je lui ai dit : « t’as qui en américains ?« . Dans la liste qu’il m’a détaillé, il a sorti le nom de Smoothe Da Hustler. A cette époque, Once Upon a Time in America était mon album de chevet. Je lui ai dit : « c’est avec lui que je veux travailler, et j’ai LE beat qu’il faut« . Ça faisait un peu prétentieux, mais il n’y avait pas de raison de ne pas essayer. Les cainris, de leur côté, ont donné leur accord.

Par contre, par manque de budget, le projet s’est fait par studios interposés, une partie à New York, une à Paris. Avec Yusiness, on a fait le morceau, posé nos couplets, le refrain. Puis l’ingé et le producteur sont partis avec les bandes à New York pour rencontrer Smoothe, D.V. Khryst et Trigger Tha Gambler. A leur retour, ils nous ont raconté que le morceau tuait. Les cainris ont demandé de traduire un peu nos textes, pour rentrer dans le délire, ils ont zappé certaines phrases du refrain pour placer les leurs. Le morceau devait être mixé là-bas : j’étais trop impatient, mon rappeur préféré de l’époque qui kickait sur une de mes prods ! Le mix final est arrivé un peu plus tard : j’ai eu des frissons à la première écoute. Smoothe fait un truc de déglingué, Trigger met la barre encore plus haute, D.V. Kryst aussi… C’était le morceau que je voulais. Pour te dire : on l’a fait écouter à Bouneau, pour lui c’était « trop hip-hop« . Rockin Squat, qui était là-bas en studio, nous a dit que c’était une des collaborations franco-américaines les plus abouties qu’il ait entendu. Pour moi, je venais de mettre le pied dans ce que je voulais faire musicalement.

A : Est-ce que tu as pu rencontrer Smoothe finalement ?

T : Comme la compil’ a été faite moitié en France, moitié en Amérique, les journalistes ne voulaient pas en parler : « ça s’appelle La Rencontre, mais les mecs ne se sont pas rencontrés. On fait quelque chose dessus que si les mecs se rencontrent vraiment pour les interviews« . La maison de disque a réfléchi et s’est dit que ce qui coûterait le moins cher, c’est d’envoyer les français aux États-Unis plutôt que l’inverse. On est donc parti là-bas avec deux mecs de Yusiness, Koma, et d’autres dont je ne me souviens plus. On était cinq ou six artistes. Ça devait être pour L’Affiche ou quelque chose comme ça.

On est arrivé dans l’appart’ pour l’interview. Peu après y sont entrés Smoothe, Trigger, et Divine, leur manager. D.V. Khryst n’était pas là, je l’ai jamais vu, lui [rire]. Le manager a commencé à jacter, « yo what’s up ? » [sourire], et il a sorti « où est le mec qui a fait le beat ?« … [se pointant lui-même du doigt, NDLR] « Là !« . Check et hug à l’américaine, puis il m’a dit : « damn ! Qu’un français fasse des beats comme nous, et en plus un blanc, c’est incroyable ! Comment t’as pu capter la musique qu’on fait ?« . Je lui ai répondu que j’ai retourné et fumé l’album de Smoothe, puis je lui ai parlé de la réalité sociale en France, qu’on a des cités en banlieue mais que ce n’est pas la même chose, qu’on est plus mélangé niveau population, et que la musique est universelle, que j’ai compris leur musique. Suite à ça, ça a bédavé à mort – c’était la grande époque des Phillies blunts – et ça discutait. Du coup, j’ai proposé une tape de beats. A l’époque, Trigger venait de signer chez Def Jam, je me suis dit qu’il y avait peut-être un filon [sourire]. Mais j’ai pas eu de nouvelles.

Ce qui est encore plus flatteur pour moi, c’est qu’un jour, Arnaud Fraisse [ancien rédacteur en chef de Groove, aujourd’hui réalisateur de documentaires, NDLR] nous a appelé : « j’ai entendu un bootleg, un white label de Smooth et Trigger, vous n’êtes pas dessus, mais c’est un de vos beats« . Du coup, Franck et les autres se sont dit : « on laisse pas passer« , ils ont fait appel à un avocat. Mais pour moi c’était mortel, c’était un honneur que les mecs veuillent s’accaparer le beat. Bon, qu’ils nous baisent un peu sur les droits, c’était un peu moins mortel [sourire]. J’ai vu plus tard une cassette vidéo qui servait de promo où on voit D.V. Khryst, son petit frère, Trigger et Smoothe qui freestylent dessus en studio. C’était mortel. Pour moi, j’avais réussi à faire ce que je voulais.

A : Ce morceau, ainsi que « Tecnik Microfonik », avec le scratch de Jeru, c’est tes dernières apparitions en tant que rappeur, non ?

T : Ouais. Je le défends bien d’ailleurs ce morceau, parce que Busta Flex, qu’on côtoyait beaucoup à l’époque, me disait « ce beat, mec, ce beat !« . C’était un sample de jazz pour le coup, dont je suis moins fan. Franck voulait pas rapper – il avait déjà ce recul -, donc j’ai dit : « moi je fais un solo qu’est-ce qu’y’a ? » [sourire]. Je l’ai défendu sur scène plusieurs fois, notamment au New Morning, où il y avait Kohndo, auteur de la phrase « j’ai l’art de maitriser la technique microphonique » qu’on a scratché pour le refrain. Le truc marrant, c’est que deux jours avant, j’étais aphone. J’étais en vacances dans les Landes, j’ai dû aller voir un médecin qui m’a bourré de cortisone pour que je puisse poser deux jours après. C’est pour ça que j’ai une voix plus grave sur ce morceau.

Je prenais plus mon pied à la prod, le fait d’être plus derrière la scène que devant. Je m’épanouissais plus dans le fait de faire du son, de commencer à faire une musique, faire en sorte qu’elle sonne, et la mixer pour qu’elle sonne encore plus. Comme les Lego pour un gamin ! Pour ce qui est de Lyr-X, on ne s’est jamais réellement dit « on arrête« , mais on n’a simplement plus eu la motivation.

« C’est ouf, on fait la sortie d’un album où j’ai fait 70 ou 80% des prods, c’est ma musique qui va passer dans la boîte, et on m’empêche d’y rentrer ! »

Endo – « Pas le droit de juger »  (Pas le droit de juger 12′, 1999)

T : Premier maxi sorti sur notre label, avec « Pas le droit de juger » en face A, et « Si tu crois » et « Où sont les gars » en B. « Pas le droit de juger », ça sort de la SP-1200 justement, et c’est un titre qu’on a mixé chez nous. Basic avait un petit buzz, ils venaient de sortir leur album avec Niro [des 2 Neg, NDLR]. Ça marque le début de l’aventure entre Funky Maestro et Endo. On a pas mal bougé pour placer le maxi à droite à gauche, Franck travaillait toujours à LTD.

On commençait à être sollicité à cette époque. Je crois que la rencontre avec Vest et Endo vient de là, c’est venu d’eux-mêmes. Bon feeling assez vite au niveau de la culture musicale : on était d’accord sur les mêmes artistes. Avec Endo, on faisait des combats de couplet américain, à se faire découvrir le M.C. qui tuait le plus. Il nous fait découvrir celui de G.Dep dans « The Mall » de Gangstarr [sur l’album The Moment of Truth, NDLR], on devient ouf. Moi, je lui fais écouter celui de Scaramanga dans un maxi sur une prod de Godfather Don – tiens, un autre producteur que j’aimais beaucoup. Grosse complicité musicale, puis humaine.

A : Effectivement, Endo avait une manière très américaine de poser, qui se couplait assez bien à tes prods.

T : Il avait une aisance, c’est clair. Peu de gens le savent, et c’était rare en plus à l’époque, mais Endo n’écrivait pas ses textes. Tout dans sa tête. Ça, pour moi, c’était monstrueux. Il s’isolait, marmonnait, faisait son couplet. Si sa quatrième phrase n’était pas bonne, il coupait, revenait dessus avec une nouvelle phase. Niveau performance M.C., c’était un tueur, il avait un flow fluide, pas saccadé, c’est ça que je kiffais. Et en même temps, il était ouvert à la réalisation, il se laissait bien guider en cabine.

Vestat était pareil, d’ailleurs. Après, je pense que leurs vies ont fait qu’ils se voyaient de moins en moins, et que nous, on s’est plus rapproché d’Endo. On a fait vraiment plein de morceaux ensemble… que je n’ai pas [sourire], mais que Franck a. On est pas loin de deux albums complets. On a des titres que j’aimerais écouter aujourd’hui, je suis frustré ! Mais ma frustration devrait bientôt être assouvi, je devrais les récupérer bientôt.

A : Pourquoi rien n’est jamais sorti justement ?

T : Objectivement, je sais pas si notre erreur n’a pas été de vouloir le sortir absolument en maison de disques et pas par nous-mêmes. Ça a peut-être été notre faiblesse, ne pas avoir les couilles, le courage, de sortir son album. On avait peut-être plus d’ambitions pour lui, finalement ; mais stratégiquement, ça ne s’est pas avéré le meilleur choix.

Humainement, Franck et Endo étaient très proches. Moi, un peu moins, on a eu quelques petites histoires, des trucs qui arrivent quand on est dans un groupe, rien de méchant. Franck a continué à le gérer artistiquement. Mais Endo a commencé à faire d’autres choses aussi, je crois qu’il vit en Asie maintenant, au Japon. Ça a coïncidé avec la fin de notre collaboration.

Mais Endo nous a aussi ramené des artistes très bons, que je regrette, comme Smoker. Je pense que c’est ce qui a fait que Funky Maestro a été présent longtemps, on était entouré de très bons artistes.

Homecore – L’Album (1999)

A : C’est le premier projet sur lequel tu as presque l’intégralité des prods. Comment ça s’est fait ?

T : Ça partait d’un sponsoring via Poska. Si je me souviens bien, sur le premier maxi de Basic qu’on a produit, il y avait le sticker Homecore. Ils voulaient s’investir plus dans la musique. Ils nous ont parlé d’un projet de disque, Franck a proposé qu’on soit à la réalisation et à la production. Ils ont même embauché une nana en tant que chef de projet. Ils ont investi dans vingt-six jours de studio, prise et mix, mais que des séances de nuit, pour payer moins cher. La ligne de conduite qu’ils ont imposé, c’est d’amener des artistes pas encore exposés, ils voulaient être précurseurs. De notre côté, on a complètement adhéré. On a pu choisir le studio : Recorder, au Pré-Saint-Gervais [en Seine-Saint-Denis, NDLR], là où je venais de faire une formation ingé son. Les gars de Homecore nous ont juste imposé un ingé son qu’on ne connaissait pas, Kiki [Gérard « Kiki » Noël, NDLR].

On a avancé sur le projet en ayant un contrôle complet, de la prise de son au mix, avec en plus quasiment que des prods de moi. On était super attentif au mix : l’ingé buvait et fumait, c’était de nuit, donc parfois il s’endormait sur la console. On lui mettait des petites tartes derrière les oreilles pour le réveiller [sourire]. A la fin du projet, on était tous déphasés.

Commercialement, ils voulaient vendre le disque dans leur propre réseau, là où ils vendaient leurs vêtements. Dur. Pour nous, ça posait problème. Ils ont fait tout un truc, un packaging spécial… [grimace sceptique, NDLR] Mais en termes de ventes, ça limitait le champ d’action, parce que ceux qui achetaient les vêtements Homecore n’étaient pas forcément ceux qui achetaient les disques, et vice versa. Je ne sais pas combien ils en ont vendu au final, mais pour nous de toute façon, c’était pas un objectif. On s’est surtout bien amusés, et c’est le premier projet de réalisation complète.

Et puis on a fait aussi des morceaux house dessus [sourire], des trucs un peu plus dancefloors, pour les breakers, dont un morceau avec Julia Channel [« Orgasme », NDLR]. Pour l’anecdote, elle était dans notre bahut à l’époque ! On savait ce qu’elle était devenue, elle ne savait pas ce qu’on faisait. Mais comme elle était devenue l’égérie de Homecore, on a forcément fait ce rapprochement. C’était drôle.

A : Il y a des productions que tu affectionnes sur ce projet ?

T : Je retiens particulièrement le morceau F.Dy et Disiz, « Laisse seulement », je kiffe ma prod [rire]. C’est comme ça qu’on les a rencontrés, avec Fouta Barge et JM Dee. On a découvert l’univers de Disiz et JM Dee, qui était un très bon producteur, avec une couleur vraiment à lui. On n’avait pas le même univers, mais on se comprenait quand on parlait musique J’aime beaucoup aussi la prod du morceau de Laddjah, « Ça crève l’œil », très new-yorkaise. Reda, c’était un mec que DJ James nous avait présenté. De A à Z, c’était le groupe du petit frère de Franck. J’avais bien déliré avec ResK.P., les séances de studio, c’était des barres de rire. Dans le groupe, il y avait Mass, Papy – un mec malheureusement décédé dans des conditions assez atroces -, Off, Prince… Que des mecs avec qui j’ai déliré, je les oublie pas. Ce morceau m’a bien marqué. Celui du 357 Squad aussi, le concept des freestyles au téléphone est mortel. Grand regret sur un des rappeurs de ce groupe, Buzz Eastwood, je le trouvais très bon, je ne sais pas ce qu’il est devenu.

Une anecdote, pour finir. Pour la sortie de la compilation avait été organisée une soirée aux Bains Douches. C’était une boîte super select à cette époque. Il fallait avoir de la chance pour entrer. Et ce soir-là, le physio m’avait empêché de rentrer. Je me suis dit « c’est ouf, on fait la sortie d’un album où j’ai fait 70 ou 80% des prods, c’est ma musique qui va passer dans la boîte, et on m’empêche d’y rentrer !« . J’avais envie de péter un plomb, je disais au physio que c’est ma musique qui passait. Je ne sais même plus si je suis rentré au final, mais c’est ce dont je me souviens le plus.

Fabe – « Evidence » (La Rage de dire, 2000)

A : Fabe sur une prod à la Ruff Ryderz, c’était osé ! Tu t’attendais à ce que Fabe la prenne ?

T : Non, pas du tout. A cette période, on était dans une phase où on faisait des CDs de beats qu’on filait aux artistes. Là, pour cette prod, j’ai essayé, je me suis amusé. Si tu m’avais dit de faire une sélection de beats juste pour Fabe, je n’aurais jamais mis celle-là pour Fabe. Franck, lui, avait une ouverture d’esprit, une façon de penser plus large. Il m’a dit « met-le, on ne sait jamais ». Et Fabe l’a pris.

On s’est retrouvé en studio chez Cut pour écouter le résultat : mortel. J’étais assez fier du morceau, surtout que j’étais assez confiant sur ce que Fabe allait en faire, je pouvais y aller les yeux fermés. Fabe était quelqu’un de plus distant, humainement parlant, je ne peux pas dire que ce soit quelqu’un que je connaisse bien. Mais le peu d’échanges qu’on a eu, ça été très respectueux du travail respectif, avec un bon échange.

A : Toi qui a connu le son new-yorkais des années 90, comment tu as pris ce changement musical avec les beats synthétiques ?

T : Je ne suis pas contre le progrès, déjà [sourire]. Après, tout ce que sortait les Ruff Ryderz ne me plaisait pas forcément.[Il réfléchit] Je pense que j’ai fait cette transition parce que d’autres personnes à New York l’ont fait. Des mecs comme le Boot Camp par exemple. Je me suis dit : « merde, on peut faire des bons morceaux qui sonnent comme ça !« . Il y avait cette constante d’avoir un côté soul, mais en donnant une texture un peu différente. Je ne voulais surtout pas me dire : « j’ai déjà fait un beat comme ça« . Déjà sur Homecore il y avait ce défi : « Laisse seulement » avec les cuivres qui pètent, le saxo de « Ruffneck ».

A : Sur « La Prochaine fois », avec Rocé, on reconnaissait déjà un peu plus ta touche.

T : Celui-ci, il y a un truc que j’aime pas. Fabe a fait venir un bassiste en studio, et je n’aime pas du tout la basse sur le morceau. La basse d’origine et celle-là, je suis pas d’accord [sourire]. J’ai quand même mis de l’eau dans mon vin : je suis prêt à essayer, on me dit que ça marche, pourquoi pas. Mais au fond de moi, je suis pas d’accord. Sur le principe, aller chercher un bassiste, carrément ! Mais je n’aime pas ce qu’il a joué. Je trouve que ça correspond pas au beat, comment il tourne, au sample. J’ai l’impression qu’il y a le beat, et la basse à côté, ça ne se mélange pas.

X-Men – « Sur les boulevards »  (Old School, 2000)

T : Poska avait fait une bande son pour un court-métrage. Il est devenu super pote avec le réalisateur, Karim Abbou, qui nous a alors proposé de travailler avec lui pour un projet de film. De fil en aiguille, alors que le film se faisait, et on nous a proposé de faire la bande originale – pas le score, juste la B.O.. On a essayé le score, mais ça n’a pas marché [sourire]. Le score a finalement été attribué à Joey Starr : comme il jouait dans le film, le distributeur a exigé que ce soit lui qui le fasse.

Pour l’anecdote, les producteurs du film n’étaient pas satisfaits du générique. Deux jours avant la fin du mastering, ils m’ont appelé : « Serge, on a besoin de toi« . J’ai fait ce générique-là, qui est ensuite devenu l’intro de la bande originale. Je n’ai pas dormi de la nuit : j’ai fait ça à l’arrache en regardant les images qu’on m’a filé, et fait le mix derrière. Je l’ai ensuite apporté au studio de post-prod vidéo. Une fois mis à l’image, les producteurs l’ont regardé, ont sauté du canapé et dit : « c’est mortel ! » [sourire]. Pour moi, c’était bon, j’avais le générique ! Deux jours après, j’apprenais que le générique n’y serait pas, parce que des personnes ont fait pression pour que ce soit B.O.S.S. et pas nous. Je t’épargne les détails… Ils ont menacé de se retirer du projet. Provenant de personnes dont je me disais qu’elles n’avaient pas besoin de ça [il fait une mine déçue, NDLR], ça fout les boules.

A : Ça annule la question que j’allais te poser : comment s’est passée la collaboration avec B.O.S.S..

T : Le truc c’est qu’à la base il n’y a pas eu de collaboration, chacun a fait ses morceaux de son côté. A part Mass, qui collaborait beaucoup avec B.O.S.S. à ce moment-là, il n’y a pas eu de connexion véritable. De mon côté, il y avait plutôt une concurrence sportive, leur montrer que même si c’était B.O.S.S., on pouvait les concurrencer musicalement. Ça a été un moteur positif pour moi.

A : Parlons des morceaux que tu as produit.

T : [Immédiatement] « Sur les boulevards », avec les X ! J’étais fan d’Ill. On leur a proposé de faire, ils ont accepté, mortel. Je leur ai proposé la prod, ils étaient un peu réticents au début. On a fait les prises de voix chez nous, on avait loué un ampli et des micros. Ill était dans cette période où j’avais l’impression qu’il cherchait des nouveaux flows pour arrêter d’être copié à chaque fois, du coup on sentait qu’il se perdait un petit peu. On a galéré au début, il n’était pas satisfait de son couplet ; nous ça nous allait. Cass’, lui, a bien fait son truc, motivé. On est alors passé au deuxième couplet, et là, j’ai senti Ill réveillé dans son rap, comme si la lumière revenait. Je me suis dit « c’est trop bon« , on était dingues derrière. D’un seul coup, il s’est arrêté, nous a dit « Stop !« . « Comment ça ?« . « Il y a deux choses qui se passent dans ma tête : d’une, je me rappelle comment je rappais avant, et la deuxième, c’est que je suis en train de vous écouter« . J’ai lu votre interview de Ill : je pense qu’il est constant. Ce qui ressort de lui dans l’interview ne m’a pas étonné par rapport à ce qu’il était quand on a travaillé avec lui. En sachant qu’Ill fait partie des MCs qui m’ont le plus impressionné en termes de facilité. C’est un génie qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait. J’étais super fier d’avoir fait un morceau avec les X-Men, je pense qu’il y a peu de producteurs qui peuvent se targuer d’en avoir un.

A : Tu as aussi réussi sur ce morceau à faire tourner différemment un sample relativement prisé.

T : Ouais, je me suis bien éclaté. A ce moment-là, mon morceau préféré c’était « What a Thug About » de Beanie Sigel, ce genre d’ambiances. Sur Old School, il y a aussi le morceau « Vu d’ici », avec Diam’s, Eloquence et John Gali, qui n’étaient pas encore des noms connus. J’étais super content d’avoir un morceau avec des rookies comme ça, et j’étais super fier de ma prod [sourire], comment j’ai fait tourner le sample – dont j’écoute encore beaucoup l’original. Et j’ai beaucoup aimé comment l’ingé, Chris Chavenon, a fait sonner l’ensemble.

Les autres morceaux me marquent moins. La prod sur le morceau d’Endo, « Le Casse du siècle », je la regrette, je ne voulais pas faire sonner le beat comme ça. « Par tous les moyens », de l’S.Kadrille, ça a été plus du rap français classique, pas comme moi je le ressentais, il a fallu trouver un compromis. Et il y avait aussi Relic avec « Premier pas ». Relic était un groupe du quartier de Karim, qu’il a voulu placer sur la B.O.. Et finalement je crois que ça leur a bien servi, puisqu’ils ont signé après en maison de disque.

Ce qui était intéressant pour moi sur Old School, c’était cette association avec le cinéma, c’est quelque chose que j’aurais voulu approfondir. On a eu à le défendre pendant le festival de Cannes, donc ça a été une expérience sympa.

Kohndo – « J’entends les sirènes (Woop! Woop!) »  (J’entends les sirènes (Woop! Woop!) 12 », 2001)

T : La performance de Kohndo est monstrueuse sur ce morceau. Il montre une technique tellement calée sur le beat, avec précision… Il m’a bluffé. J’ai créé la prod pour lui, avec ce délire un peu à la Flic de Beverly Hills. Je me suis éclaté à faire la prod, enregistrer les voix, faire le mix. Je pense que ça se sent aussi bien pour moi que pour lui. Autant le morceau parle des flics, autant il y a tout ce côté bounce. C’était assez différent de ce qui se faisait. D’ailleurs, en toute modestie, quand j’ai entendu le morceau de Diddy et Nelly [« Shake Your Tailfeather », avec Murphy Lee, pour la B.O. de Bad Boys II, NDLR], j’ai trouvé des ressemblances au niveau de la mélodie, la sirène des flics… Je me suis demandé si le mec n’avait pas entendu mon morceau !

A cette époque, Kohndo était quelqu’un qu’on fréquentait beaucoup. Il avait besoin d’enregistrer, donc venait pas mal chez nous, il était en recherche de prods aussi. On se comprenait facilement en termes artistiques.

Futuristiq & Endo – « Bouge » (What’s The Flavor, 2001)

T : C’est la constante dont je te parlais : je voulais qu’on sente ma patte, mais essayer autre chose en même temps. Qu’à chaque fois ça sonne différent. Je ne me voyais pas faire comme les Neptunes, avec une couleur musicale et un son ou deux qui changent par morceaux. J’arrivais pas à concevoir ça.

A : Là, il y a ce côté blaxploitation, en un peu plus électrique.

T : Carrément, j’avais envie de m’amuser. J’aimais beaucoup Nubi et Qrono, leur rage de l’époque. Leur manager, Popeye, était quelqu’un avec qui je m’entendais super bien. Nubi habitait pas loin de chez Endo dans le 91, avaient les mêmes influences. C’était évident. Futuristiq avaient aussi leur touche à eux, il ne fallait pas que le morceau soit trop conventionnel. C’est un morceau que j’aime bien.

A : Comment s’est fait ce volume What’s The Flavor? ?

T : Par rapport au premier sorti chez Universal, on a fait ce deuxième chez Virgin. On a bossé avec quelqu’un de super motivé, sur le rajout des titres, sur le mix, et la promo. Il a compris notre délire. Quelqu’un en major, qui ne vient pas du hip-hop, qui comprend ton délire, qui met les moyens : c’était forcément bon pour nous. J’ai kiffé ce jeu sur les saveurs dans l’univers graphique de l’album. Commercialement, ça n’a été ni un échec, ni un succès. Moi ça me convenait, je me disais qu’on était dans une progression logique.

« Le D.A. envoyait des mails à Bouneau lui disant « prête une oreille attentive à « J’aime pas » », le mec répondait par un simple « bof ». Foutage de gueule. »

Le morceau de Diam’s et Sniper, « J’aime pas », j’aime beaucoup la prod, et le refrain qu’ils ont sorti. Ce qui est marrant avec ce morceau, c’est que je conçois la production dans une ambiance ricaine, et finalement on se retrouve avec un morceau plus rap français, moins comme je l’entends [rire]. Ce genre de concession fait partie du jeu. Ce qui est paradoxal, c’est que Diam’s et Sniper faisaient partie des artistes qui commençaient à bien monter, mais que le morceau n’est pas passé en radio, Bouneau n’en a pas voulu. Le D.A. lui envoyait des mails lui disant « prête une oreille attentive à ce morceau », le mec répondait par un simple « bof ». Foutage de gueule. Mais pour le coup, si sur Google tu tapes « Sniper et Diam’s « J’aime pas » », compte le nombre de sites sur lequel les paroles sont retranscrites ! C’est impressionnant, ça m’a dépassé.

Tandem – « Ghetto Jet Set » (Ceux qui le savent m’écoutent, 2001)

T : La connexion avec Tandem s’est faite pour What’s the Flavor? [le morceau « Tout se passe en profondeur », avec Pit Baccardi, NDLR]. On a beaucoup apprécié leur style. Du coup, on a produit deux morceaux sur leur EP : Poska en a produit un, et moi, celui-ci. En écoutant la prod, So et Mac m’ont dit : « c’est un morceau festif, bounce !« . C’était le morceau le plus joyeux pour eux. Pour moi, c’était le défi justement ! L’intérêt, c’était qu’on puisse échanger, parce que je savais que la couleur qu’ils allaient lui donner n’allait pas être bounce justement ! Et puis à l’époque Socrate m’a mis des claques, il avait une écriture de ouf. La manière dont il exprimait les choses à ce moment était beaucoup moins directe, plus imagée, plus chiadée.

Bonne expérience avec Tefa et Masta aussi. Je connaissais assez peu Masta, mais Tefa, on le connaissait depuis l’époque de Lyr-X, Groovalistic… On le voyait même dans le clip de Solaar et Guru, « Le bien, le mal » ! On l’a toujours suivi, et je pense que c’est ce feeling qui nous a permis de travailler avec Tandem. Masta s’entendait bien avec Franck aussi, et puis au niveau de ses prods, j’appréciais son taf.

A : J’allais te poser la question justement : est-ce qu’il y a des producteurs français qui t’ont aussi mis des claques ?

T : Ah bah carrément ! Plein ! Suffisamment pour me remettre en question régulièrement. Mysta D, dans l’Invincible Armada, sa prod pour le morceau d’Oxmo Puccino [« Mr. Puccino », NDLR], je me suis dit : « Quel salaud !« . Je lui en voulais, à Rodrigue. Il avait mis la barre super haute, je lui avais dit : « t’as pas le droit de faire une prod comme ça ! » [sourire]. JM Dee avait des prods de tueur ; Tefa et Masta aussi. Celle pour Rohff dans Hostile [« Sensation brave », NDLR] est violente, bravo messieurs ! Time Bomb : Sek et Mars, leurs prods pour Lunatic, « Le Crime paie », celles pour les X, Oxmo… C’est même pas parce que c’est des potes, c’est juste que c’est bon ! La musique dans cette conception-là, donnez-en moi encore maintenant, je prends !

Dayen feat. Treyz l’Affreux et Apotre H – « Qui Suis-Je »  (Y’a qu’toi qu’ca inquiete 12 », 2002)

A : Là, c’est une prod bounce !

T : [rire] Carrément ! Disiz nous a sollicité pour le projet de Dayen. Une bonne clique, des bons bougs. Treyz : des barres, un personnage ! C’est marrant que tu me le ressortes, je l’avais oublié.

A : Restons chez Fuck Dat : deux ans plus tard, sur l’album Itinéraire d’un enfant bronzé de Disiz, tu lui as également servi un instru, pour « Sénégalais de France ».

T : Malgré les années, on a continué à avoir un bon relationnel avec Disiz. On  a donc proposé ce beat, avec un autre de Poska aussi je crois. Celui-ci, je me suis éclaté. Sans forcément penser au délire Roc-A-Fella de l’époque, je l’ai pitché un peu au hasard, et le truc tournait bien ! Donc j’ai construit le beat autour de la boucle. Je n’ai entendu le résultat qu’à la fin, en studio, une fois qu’ils ont tous posé [Iron Sy, 16Ar, Flag, Mental et Gaye Cissoko, NDLR]. Et j’ai kiffé ! Je suis fier de ce morceau : j’aime la prod, le concept du morceau.

Kennedy – « Flashback »  (Flashback, 2005)

T : [rire dès les premières secondes du morceau, NDLR] Kennedy… On a dû le croiser plein de fois à la radio – sans exagérer, on devait connaître tout le rap français, les contacts se faisaient très facilement. A cette époque, Étienne, manager des Ghetto Diplomats, est bien pote avec lui, je crois, et veut devenir son manager. On connaissait déjà Kennedy par Diam’s, il était venu sur des mixtapes.

On lui fait donc écouter des prods, il tombe sur celle-là, et la prend pour faire un morceau. Ça donne ce morceau : grosse claque. On est sur la même longueur d’ondes, au même moment. C’est pour ce genre de choses que la musique est intéressante : pour ces moments-là. C’était une séance studio de nuit – je crois d’ailleurs que je n’ai pas dit à Franck que je venais chez nous [sourire]. On réalise le morceau tous ensemble, on fait nous-mêmes les voix qui servent d’ambiance dans le morceau, Etienne, Kennedy et moi. Je crois qu’il l’a enregistré deux fois, c’est la deuxième qui a donné cette version définitive. La magie a opéré.

Pour moi, un morceau comme ça, c’est ça, le rap. Je kiffe ce qu’il a fait sur ma prod, de longs couplets, pas de refrain. Le morceau lui a fait une bonne pub en tout cas. Il m’a même demandé de faire un remix, un « Flashback 2 », pour son projet suivant, mais je n’ai pas réussi. Il voulait quelque chose de différent, avec le même sample : pour moi, ça revient à refaire deux fois le même morceau, je n’y arrive pas. Ce n’est pas faute d’avoir essayé pourtant. Je pense que ce premier jet s’auto-suffit : ce morceau est une de mes références, et une de celle de Kennedy. Je regrette qu’il n’ait pas eu cette constance sur sa carrière : à titre personnel, avec ce genre de morceaux, je pense qu’il aurait eu une meilleure carrière.

Remo Williamz – « Biographie » (Intemporel, 2005)

T : J’ai rencontré Remo via John Gali, il faisait partie de la Mafia Underground. Il était également proche de Rohff, ils avaient un groupe ensemble à leur tout début. Au moment où il a sorti un maxi en indépendant, il est passé à la radio. Le feeling est bien passé, et on a commencé à bosser avec lui. On a fait plein de choses, dont un album qui n’est pas sorti.

Sa manageuse avait un plan avec l’ADAMI [administration des droits des artistes et musiciens interprètes, NDLR], qui permettait d’avoir des subventions pour financer un projet. Mais il lui fallait une structure pour le faire. On a signé : il pouvait enregistrer, on mixait son album et lui proposait quelques prods.

Je crois que « Biographie » était sur une mixtape qu’il a sorti avant son album [Intemporel, en 2005, NDLR]. La couleur musicale est différente : je venais de changer de matériel. Je sentais que j’avais besoin de renouveler ma façon de bosser, d’appréhender la musique différemment. J’ai racheté le matériel d’un des gars de Get Large : S-3000 et un clavier dont je kiffais le son des basses. Et puis un peu plus tard une MPC-4000 aussi. J’ai posé ce matériel chez moi, et non à La Chambre. Je fais partie des producteurs un peu relou : je ne travaille pas le soir, je n’y arrive pas. Au casque, impossible. Donc je bosse de jour, sans bruit autour de moi, avec le son fort, pour être imprégné.

J’essayais de nouvelles choses : là, on entend le bruit d’une porte de prison qui se ferme ; j’ai fait des morceaux sans beat aussi. En tout cas, c’est à cette époque qu’on construit notre collaboration avec Rémo jusqu’à ce fameux album qui n’est jamais sorti, où on a exploré plein de couleurs musicales, je me suis bien éclaté ! Attend, je vais te faire écouter. [NDLR : Tecnik lance alors deux morceaux aux productions sonnant très New York du milieu des années 2000, quelque part entre le son des Diplomats et celui de D-Block. Seul un guitare-voix vient changer la couleur des deux premiers morceaux] Ça, c’est moi qui l’ai réalisé, une idée à moi. Sur cet album, j’ai fait la réalisation de quasiment tous les titres, avec David Bordey [membre de la Mafia Underground, NDLR]. On voulait essayer plein de trucs : il y a de la guitare sèche, électrique, des choses plus commerciales. Il avait des prédispositions à être ouvert.

L’SKadrille – « Ils veulent »  (Nos Vies, 2006)

T : Une prod dont je suis très fier. Avec l’Skadrille, ça s’est fait par DJ Roc J, leur DJ de l’époque qui travaillait souvent chez nous pour ses mixtapes. On les connaissait depuis longtemps, on les a vu grandir. Franck les a managés pour leur signature en major. Arrivés à la fin de leur travail sur l’album, ils n’avaient pas leur titre street qu’ils voulaient absolument. Par MSN, j’ai dit à 13Or que j’avais une prod pour eux. Et le lendemain, ils enregistraient ce qui allait devenir le premier titre clippé de leur album.

John Gali feat. Trade Union – « G.A.L.I. »  (Le Jour G, 2006)

T : Gali était un mec avec qui je m’entendais très bien artistiquement. Pour son album, on est parti beaucoup plus sur de la composition, on a fait venir des choeurs. Tu te souviens de Charlie Baltimore ? Dans son album chez Def Jam, il y a un morceau avec des meufs qui répètent « Charlie ». J’ai fait la même chose avec les mecs de Trade Union, des voix dans le même style, accompagnées par des guitares électriques. J’ai travaillé avec de vrais zicos du coup.

Au départ, on partait pour un maxi, et puis au final on a fait plein de titres. Mais on lui a dit clairement : « on ne sortira pas cet album nous-mêmes, il faut qu’on trouve quelqu’un« . Il nous a appelé un jour en disant qu’il avait trouvé un producteur, Big Bros. Il nous a demandé comment faire pour récupérer les morceaux : je lui ai dit que son producteur avait simplement à rentrer en contact avec nous de manière à ce qu’on puisse parler business. Les morceaux étaient déjà enregistrés. Peu de temps plus tard, j’ai appris que ce producteur n’est autre que celui qui a monté le label Big Bros avec DJ Poska. Résultat : on a signé des contrats d’enregistrement, en se mettant d’accord sur les points de réalisation qu’on devait prendre l’un et l’autre. Mais je ne voyais pas les contrats de réalisation arriver. Je les ai appelé en demandant où ça en était : ils m’ont dit que, comme ils les ont ré-enregistré chez eux, la réalisation leur revenait. Mais la forme était restée la même, la nôtre. Ils refusaient. Donc je leur ai dit : « c’est simple : je vous rends votre contrat de réalisation et la thune, et les morceaux ne sortent pas« . Jusqu’au jour où j’ai appris que le disque sortait quand même. J’ai donc appelé un avocat qui m’a dit : « sortez les bandes mères. Si on fait un référé, en quarante-huit heures le disque est retiré des ventes ou vous touchez des dommages et intérêts« . Comme le disque n’a pas eu le succès commercial attendu, je n’ai pas cherché à payer un avocat plus longtemps. Ils ont voulu m’escroquer : ils ont eu leur récompense.

La fin de Funky Maestro et la retraite de la musique

T : Ça coïncide avec l’épisode de Big Bros dont je te parlais. Poska menait un peu sa vie comme il l’entendait. Nous, on avait besoin de sa présence : il fallait bien être trois pour faire fonctionner le truc comme il faut. Surtout que lui avait le côté vitrine avec les maisons de disques. Mais pendant un ou deux ans, on ne l’a pratiquement pas vu. Ça fait sept ans que je bosse, donc tout ça s’est passé il y a neuf ans je pense. Bref, à un moment, on ne pouvait plus compter sur lui pour certaines choses, ça nous a saoulé. Finalement, on a continué à sortir d’autres projets, dont le deuxième volume des Funky Sensations avec un autre DJ, Cutee B. On a aussi sorti Soul Therapy, une compilation avec une sélection que j’ai faite d’originaux de soul samplés, des trucs pointus et d’autres plus larges. De fil en aiguille, on ne voyait plus Poska. Beaucoup moins motivés, on a quand même continué à faire tourner le studio. On l’a loué au black à plein de mecs.

Au début de tout ça, j’avais dit à Franck et Poska : « la musique, c’est un plaisir. J’arrêterais le jour où ça deviendra une contrainte« . Le studio marchait, mais il fallait que je taffe à côté. J’ai pris un mi-temps, ça me permettait de combiner le travail officiel et le travail en studio. Mais plus ça allait, et plus je voyais des artistes qui ne me parlaient plus. On louait le studio, donc le côté artistique ne rentrait plus en compte, ce n’était que du business. J’y allais à contrecœur, et quand j’essayais de donner des conseils, c’était un peu « ta gueule vieux con« . Résultat, on s’est dit avec Franck qu’il fallait qu’on arrête. Franck, en plus, avait l’opportunité de continuer sa carrière à la radio. De mon côté, je pouvais passer en temps plein quand je voulais. Comme tout se fait à la majorité dans une société et qu’on était deux à être d’accord, on a décidé d’arrêter. On a fermé la boîte et revendu le matériel. On a surtout évité d’avoir des dettes, c’est déjà ça.

Souvent les gens me demandent : « ça n’a pas été trop dur d’avoir arrêté la musique ?« . Je leur réponds que je me sens comme un sportif professionnel qui a fait sa carrière et s’est reconverti. Ça ne me manque pas plus que ça, même si j’avoue que de temps en temps, ça me démange de me retrouver devant une machine pour faire un beat [sourire].

A : Tu as toujours du matériel ?

T : J’ai tout vendu. Je n’ai gardé que mes disques de soul. Après, j’ai un PC : je peux télécharger un logiciel et refaire du son si je veux, il me faudrait juste un clavier maitre et une enceinte ! Mais aujourd’hui, j’ai une famille recomposée et donc une vie de famille bien remplie, avec un taf à horaires décalés. Je n’ai aucun regret, j’ai connu une belle période, beaucoup de souvenirs, j’ai vécu des choses que beaucoup ne feront jamais dans leur vie. Si, peut-être un regret : je me dis qu’on n’est pas arrivés là où je voulais qu’on soit. Mais je sais me contenter de ce que j’ai eu, et en étant honnête avec moi-même, je sais que ce que je faisais ne pouvait sûrement pas plaire à un plus grand nombre de personnes.

La boucle est bouclée. Avec Franck, on se capte toujours, c’est mon pote. Je le considère comme quelqu’un de ma famille, il connait toute ma vie et moi la sienne. On s’est moins vu ces dernières années, mais on a traversé plein de choses ensemble. Poska, c’est plus compliqué, on s’est quittés en mauvais termes, et je ne suis pas d’accord avec son opinion sur l’histoire que je t’ai raconté. Mais on arrivera peut-être un jour à crever l’abcès, je ne suis pas quelqu’un d’obtus. Je vois encore Rémo, avec parcimonie, parce qu’il est dans le coin [Val-de-Marne, NDLR], et qu’on a partagé pas mal de choses ensemble sur la fin de Funky Maestro justement. Et je crois que c’est à peu près tout [rire]. Je fais juste ma vie tranquillement maintenant. Et il y a surtout une chose dont je suis content : je me retrouve avec la joie de réécouter la musique sans tout ce côté technique, en simple auditeur. Ça a du bon de retrouver ce côté-là !

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