Sully Sefil
Interview

Sully Sefil

1995/2002 : voilà le temps qu’il aura fallu à Sully Sefil pour mener à bien sa propre success-story, avant de se vaporiser après un dernier coup de fil. Depuis, le rap français a bien changé et les gloires d’antan sont parfois les raillés d’aujourd’hui. Retour sur un septennat dont le bilan balaie de Lone à Royal Wear, de NTM à Lady Laistee, et laisse en filigrane le seul défi : résister au temps qui passe.

Abcdr du Son : Au milieu des 90s, tu rappais ‘Accroc de hip-hop’. Est-ce que ça te manque ?

Sully Sefil : Est-ce que ça me manque ? Plus que le rap, c’est la musique qui me manque. Je trouve que le rap est particulier aujourd’hui, même s’il y a de très bonnes choses qui se font. J’aime toujours le rap, j’ai toujours été un gars ouvert, les gens du hip-hop le savent, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, tout le monde se tire un peu dans les pattes. C’est un peu comme la politique, tout le monde se sent obligé de marcher sur la gueule d’un autre pour aller plus haut, de critiquer au lieu d’apporter des idées neuves. Cette mentalité là ne fait pas grandir les choses, donc j’ai envie de dépasser un peu tout ça, de m’épanouir. Quand on parle de rap il y a normalement la performance, partir de rien pour faire quelque chose. Ce sont ces choses là que j’adore !

A : Tu appliques le même constat aux USA ?

S : Franchement, les States aujourd’hui, il y a peut-être une volonté d’aller plus loin sur les sonorités, mais ça tourne quand même aussi pas mal en rond. Regarde l’autotune : tout le monde a repris le délire. Et le côté « Peace, love unity » n’est pas non plus très présent. Enfin, je demande pas à ce que ça ne soit que ça, on n’est pas des bisounours non plus. Mais c’est dommage pour la construction du Hip-Hop. Au lieu de se serrer la main, de se parler, c’est chacun pour sa gueule. On n’est pas soudés pour construire quelque chose et se faire respecter par rapport au monde.

Ce sont des cycles. Aujourd’hui, tu écoutes le rock, l’électro, tu vois que ce sont eux qui se renouvellent, qui ont des choses à proposer. Pour l’instant le rock fonctionne, mais quand le rap est arrivé, le rock devenait has-been, et le rap a imposé son énergie, ses idées originales. Aujourd’hui c’est le rap qui redevient un peu has-been et l’électro et le rock qui se réveillent, qui ressurgissent. A l’heure actuelle, la fraîcheur du rock prend le pas. Et le cycle s’inversera à nouveau, quand le rap aura quelque chose à proposer de vraiment neuf.

A : Du coup, avec ce constat un peu sombre, qu’est ce qui te motive toi aujourd’hui à revenir ?

S : Le métissage de façon générale. J’ai envie d’apporter une couleur différente, essayer d’aller plus loin. Ça peut paraître ambitieux, prétentieux, mais j’ai envie d’amener un vrai métissage sonore. Les gens connaissent la formule du rap aujourd’hui, ils ont leurs clichés qui ne sont pas vraiment démentis : le rappeur qui se plaint, le rappeur qui est enragé, et ceci et cela. J’ai envie de montrer que le rap peut apporter quelque chose de nouveau. Et aussi qu’il peut vieillir, ce qu’on a du mal à concevoir en France. Quand j’ai commencé, j’avais un certain âge, aujourd’hui j’en ai un autre, avec une maturité, un regard. Un jazzman commence jeune et finit vieux. Alors qu’aujourd’hui, les rappeurs, quand ils atteignent un certain âge, hop ils s’arrêtent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont l’impression d’être trop vieux pour la clientèle. Mais c’est aussi à nous d’élargir notre public, de savoir parler à d’autres personnes que les jeunes. Moi j’aimerais bien que des « vieux » se retrouvent dans des morceaux de rap, que ça leur parle, qu’ils y retrouvent une maturité. Voilà ce que je vise avec mes projets de musique.

A : Après le hit de ‘J’voulais’ et ton album, tu as disparu très rapidement de la scène rap. On a parfois l’impression que tu n’as pas voulu enfoncer le clou, que tu restais sur un statut de « One hit wonder ». Qu’est ce qui s’est passé exactement ?

S : A la base, j’ai toujours évolué au sein de groupes, je ne faisais pas de morceaux en solo. J’écrivais mon truc, on s’appuyait les uns sur les autres. Je ne suis pas un mec qui écrit beaucoup. Et j’essaie de faire de la qualité. Je ne dis pas que j’y arrive, mais c’est ce que j’essaie de faire. Écrire beaucoup, pour moi, c’est un accouchement dans la douleur. Sortir des lyrics qui me plaisent, ça me demande de l’introspection, c’est difficile pour moi.

J’avais pourtant envie de faire un album solo. C’était un rêve. Placer mes beats, réaliser quelque chose de personnel dans la musique. Et un jour, le rêve a pu se concrétiser. Mais avant ça, j’ai mis en marche Royal Wear, je suis parti avec mon sac sous le bras faire du dépôt vente, même demander à ma mère de coudre les étiquettes dans les fringues, bref je me suis embarqué dans un truc en partant de rien. Ça a fini avec trois étages en plein Paris, des soirées avec le neveu de Michael Jackson pour l’inauguration des lieux. Et partir de rien pour arriver à ça, ça a été beaucoup de travail, d’énergie, de prises de tête. En plus, à côté je faisais des prods, j’avais mon crew Royal Squad, des scènes à assurer en backant Busta Flex, bref, c’était une course de fond. Longue. Exigeante. Et enfin, là dedans, il y avait aussi l’album. Alors une fois que je l’ai fait, j’ai eu ce besoin de relâcher la pression. Le rêve était réalisé. Quant à savoir si j’étais capable d’en faire un deuxième ? Mais j’en n’avais même pas envie sur le moment ! Avant de faire Sullysefilistic, je ne parlais d’ailleurs pas de deux ou trois albums, mais d’un. Ce n’était pas mon ambition de faire plein de disques, me dire meilleur rappeur du monde, etc. J’étais crevé en plus, je portais beaucoup de choses sur mes épaules. Je pense être quelqu’un qui est capable de faire pas mal de choses en même temps, mais il arrive un moment où moi aussi je dois reprendre mon souffle. Et comme je n’avais pas la prétention d’enchaîner sur un deuxième disque, surtout qu’en plus c’est un gros travail, j’ai « disparu ».

De toute façon, ce genre de parcours, avec ses combats, ses rencontres, ça t’écorche à vie. S’écorcher à la vie, c’est bien un truc de rappeur d’ailleurs. Un moment t’es à fond, un autre tu prends du recul. Et entre mon parcours, la mentalité dans le rap qui évoluait, un manque d’inspiration lié à tout ça, la vie personnelle, mes enfants, j’ai pris du recul. Mais la musique finit par te rattraper. C’est elle qui est venue me chercher, et aujourd’hui, je retrouve l’envie. Et autant avant je me considérais comme un rappeur, aujourd’hui avec mon parcours, je me défends en tant qu’artiste. Je ne veux pas être cantonné aux barrières du rap, mais faire de la musique comme je la souhaite. Je ne veux pas rendre des comptes liés à une étiquette, devoir être hip-hop pour être hip-hop, parce que Sully serait décrété hip-hop suite à mon parcours et par des journalistes. Non, je veux faire de la musique comme j’en ai envie. Je suis fier des morceaux que j’enregistre ces derniers temps, j’ai des idées, et je me dis que j’ai vraiment une place. Par exemple, dans le concept, dans la réalisation, ‘J voulais’ était assez différent de ce qui se faisait à l’époque. Je veux garder cette touche, ce rap parfois cinématographique que j’avais mis en place. Le créneau a d’ailleurs fonctionné, ça a été repris. Eh bien, pour faire une image par rapport à Royal Wear, je veux conserver mon « trône ». Comme on dit, je vais tenter de rendre à César ce qui lui appartient.

« Tu es encadré par une maison de disques qui est censée être composée de gens professionnels, compétents pour développer ta carrière. Avec le recul, je me rends compte qu’ils n’étaient pas si professionnels que ça. »

A : Quand on est découvert par le grand public via un single comme ‘J’voulais’, est-ce qu’on ne flippe pas d’en devenir prisonnier ? De le trainer toute sa carrière.

S : Il y a pas mal d’exemples comme ça, d’artistes dont on ne se souvient que d’un morceau. Du coup, il faut t’imposer derrière avec de nouveaux morceaux, aussi forts que celui qui t’as fait connaître. Mauvais exemple mais imagine s’il n’y avait qu’un seul des tubes de Michael Jackson qui avait rencontré le succès. Ne crois pas que je veux me comparer à Michael hein [rires]. Mais je veux prouver que j’ai les cartouches en stock pour montrer qu’il y aura autre chose que ‘J’voulais’. Dans ce que je prépare, je pense pouvoir faire aussi fort, si ce n’est plus. D’autant plus que des gens attendent un retour. Et je ne compte pas les décevoir.

A : Sortir le single de  ‘Ça fait bizarre’, morceau qui traite de ton succès, aussi rapidement après le carton de ‘J’voulais’, c’était voulu ? On a l’impression que tu as accusé le coup très vite.

S : Non, ce n’était pas voulu. Enfin, quand tu débutes, quand c’est ton premier album et qu’il n’est pas autoproduit, tu es encadré par une maison de disques qui est censée être composée de gens professionnels, compétents pour développer ta carrière. Avec le recul, je me rends compte qu’ils n’étaient pas si professionnels que ça, que quelque part, je m’y connais bien mieux qu’eux. Et balancer ‘Ça fait bizarre’ à ce moment là c’était une erreur de stratégie. Mais c’était le choix de la maison de disques. Même si toi tu ne le sens pas, que tu essaies un peu d’aller contre, tu restes un débutant au milieu de tout un tas de gens pour qui c’est un métier. Quand toute le label te dit que c’est le choix à faire, que tu les regardes et que tu te dis qu’après tout c’est leur taff, tu en conclus qu’ils sont censés savoir ce qu’ils font et qu’ils ont certainement raison. J’ai donc écouté ce que m’a dit mon équipe et leur stratégie s’est avérée être une erreur. Ce n’était pas à ce moment là qu’il fallait le sortir. Il fallait faire autrement.

Sur mon prochain album, je tiendrais les rennes, comme ça, s’il y a des erreurs, je ne pourrais m’en vouloir qu’à moi-même. Quoi qu’il en soit, je ne considère pas Sullysefilistic comme un échec, bien au contraire. Ça reste l’histoire d’un succès et d’une belle aventure, avec des erreurs certes, mais c’est le lot pour la plupart des albums.

A : Comment as-tu vécu ce passage de rappeur de l’underground à celui d’un type reconnu dans la rue, à qui même sa boulangère parle de son morceau ?

S : Il y a du bon. Voir que des gens ont été vraiment touchés, c’est une performance, une fierté. Ta musique fait du bien aux gens ? C’est une récompense. Par contre, courir après le star-system, ce n’est pas trop mon genre. La première semaine, quand tu découvres qu’on te reconnaît, que tu signes des autographes, que les gens te complimentent, ça fait plaisir. La plupart des gens ont sûrement envie de vivre ça d’ailleurs, juste pour voir ce que ça fait de se voir à la télé, d’être accosté, bref de se mettre dans la peau de quelqu’un qui connaît le succès. Mais au bout du moment, ça devient particulier [rires]. Le truc, c’est que le succès, tu ne peux pas en prendre qu’une partie, c’est le paquet entier ou rien. Donc ce n’est pas ce que j’ai le plus kiffé, mais je me suis fait une raison par rapport à ça.

Aujourd’hui, j’ai pesé le pour et le contre, j’ai eu le temps de me demander si c’était cette vie là que je voulais. Et quand tu fais de la musique, bah, s’il faut te donner corps et âme, après tout, si tu fais ce que tu aimes… Et puis, c’est aussi beaucoup d’amour que les gens te donnent, et j’en suis content. La sincérité de ma musique fait que les gens ont une reconnaissance, et j’ai décidé de l’assumer pleinement. Mais c’est vrai qu’à une époque ce n’était pas évident non plus. C’était soudain, tu découvres des attroupements autour de toi. En plus j’étais toujours dans un groupe avant, ou derrière quelqu’un : Busta Flex, Royal Squad. Je n’avais jamais cherché à me mettre en avant. Mais aujourd’hui, le côté sacrifice que peut avoir le succès ne m’effraie plus.

A : Tu parlais tout à l’heure des erreurs de ton label à l’époque de « Sullysefilistic ». Comment tu as pris le fait de te retrouver avec une équipe de l’émission Exclusif sur ton plateau, voire même de te retrouver dans magazines pour adolescentes. Tu dealais comment  avec ça ?

S : Franchement, de façon très naturelle. Je vais reprendre l’exemple de Michael Jackson : il était dans ces magazines, à qui ça posait problème ? Pourquoi je n’y serais pas ? Je ne vais pas jouer la fermeture d’esprit, « ouais, je suis hip-hop underground« . Ce genre de postures, c’est un peu comme un vieux qui voit des jeunes sapés hip-hop et qui va dire : « c’est quoi ces clowns là ?« . Ne pas vouloir évoluer, rester enfermé dans son truc, ce n’est pas mon truc. De toute façon, on peut se saper comme on veut, on reste pareil derrière la casquette, on est tous des bonhommes parmi des bonhommes. Donc que des gamines de 16 ans kiffent… Et puis regarde, ma fille à 11 ans, si elle achète un magazine et qu’elle voit son père dedans, c’est ma fierté ! Ce n’est pas autre chose. Je n’ai pas de problème avec ça.

A : Bon, là c’est la question qui peut fâcher un peu. Il y a certains MCs qui ne t’ont pas loupé.

S : [il rit, NDLR]

A : Il y a eu Gab’1, Booba plus récemment, j’ai même entendu La Fouine il y a à peine quelques jours…

S : J’ai entendu aussi. [sourire]

« La Fouine peut dire ce qu’il veut, Royal Wear est une marque qui a eu un poids dans le rap français. »

A : Comment expliques-tu que tu reviennes comme ça dans leur bouche, et comment le vis-tu ?

S : Comme tu peux le voir, y a un sourire sur mes lèvres. Ça me fait sourire, ça me fait rigoler. Je vais te dire même. On va les prendre dans l’ordre. Quand je vois que Gab1 me cite avec NTM, Booba, etc. je me dis : « mais attends, moi qui suis venu tout seul, avec mes t-shirts etc., il me cite avec les plus grands du rap français !« . C’est quelque chose de dingue quand même. Je prends conscience que les gens avaient vraiment le regard sur moi. Je me dis que j’ai fait du chemin ! Alors finalement, pour moi, c’est une fierté d’être là, direct ! Il peut dire ce qu’il veut. Oui effectivement j’ai des tâches de rousseur. Apparemment les filles trouvent ça mignon, donc tu sais… [rires].

On rebondit sur Booba. Je suis « un rappeur disparu » [Dans ‘Rat des villes’, Booba en place une pour « les rappeurs disparus comme Sully Sefil », NDLR]. Putain mais y en a plein des rappeurs disparus ! Pourquoi parler de moi ? C’est Dumpe Fresh [la nouvelle marque de vêtements de Sully Sefil, NDLR] ? Le style de mes sapes ? Le fait que je puisse être un concurrent potentiel de Unkut ? Je ne sais pas, c’est bizarre. Mais s’il vient me déterrer, il y a bien une raison. Vous-même vous devez trouver ça chelou. J’ai eu des échos qui disaient qu’il n’y avait rien de méchant dans cette phrase, que ce n’était pas dirigé spécialement contre moi. Dehors, j’ai d’autres échos, de gens qui me disent que ce n’est pas bien, que ça ne se fait pas. Moi je ne me sens pas clashé. En général, Booba, quand il clashe quelqu’un on entend bien ce qu’il dit. Là en l’occurrence il cite mon nom, bon et ensuite ? Avant il dit de « Y a pas que le pera dans la vie, tu rappes à en devenir débile, une pensée pour les rappeurs disparus comme Sully Sefil ». En passant, vous verrez que j’ai appris mon texte ! [rires] On peut assimiler la rime « débile » à Sully Sefil, mais bon, je m’en fous. Les gens savent ce que je suis, j’ai un parcours dans le rap français, donc qu’est ce que tu veux que je prenne mal ? Une fois de plus, Booba dit mon nom, le mec est un peu le rappeur n° 1, c’est beau ! Belle pub’ ! Les jeunes qui l’écoutent et qui ne me connaissent pas parce que j’ai disparu, au moins ils me connaissent maintenant. Mon nom circule.

Maintenant La Fouine. Pour la petite anecdote, un pote m’appelle et me cite la phase en question [Dans son dernier morceau, ‘Krav Maga’, La Fouine dit qu’il a eu honte pour un gars habillé en Royal Wear, NDLR]. La Fouine, j’ai des photos de lui, dans les bureaux de Royal Wear, en train de poser avec une montre Royal Wear. Je ne comprends pas sa phase. Ça veut dire quoi qu’il a eu honte pour un gars en Royal Wear ? Ça tu vois, c’est la mentalité dont je te parlais tout à l’heure. Je n’ai rien à répondre à La Fouine, je fais ma vie, je ne m’arrête pas là-dessus. Et il peut dire ce qu’il veut, Royal Wear est une marque qui a eu un poids dans le rap français. Aujourd’hui ce n’est plus moi qui m’en occupe, même si ça risque de revenir. Et même si aujourd’hui, ce que fait cette marque n’est pas ce qui me plait, il faut la respecter. Elle est partie de rien pour finir avec trois étages au cœur de Paris, Snoop est venu dans les locaux et a tellement kiffé la vibe qu’il a posé un morceau sur place, à partir de là, quoi… ? On avait passé une après-midi à tripper avec Snoop, à tirer sur ses pétards de fou, alors si Snoop cautionne, tu sais, La Fouine, il peut dire ce qu’il veut.

A : Une grosse différence pour moi entre le Sully de Koalition et le Sully de « Sullysefilistic » est l’apparition de paroles plus introspectives, personnelles. Dans les thèmes, il y a cette question qui vient en réécoutant l’album : Est-ce qu’il avait besoin de se retourner sur lui-même, ou bien s’était-il fixé un cahier des charges ?

S : Comment dirais-je… Ce que je peux donner de plus vrai, c’est ce que je vis, ce que je ressens. Après, je peux faire des freestyles, kicker le mic’, dire que je casse tout. Mais ça reste de l’entertainement. Ça fait kiffer les gens, c’est stylé évidemment, et c’est un délire de performance. Mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus fort. C’est une image. Alors que le reste, c’est une réalité, c’est le vécu d’un homme, et c’est ce qu’il y a de plus fort. Après je peux comprendre que ça déstabilise, car quand on est jeune, on a envie de délirer, d’entendre gueuler, de prendre de la performance dans la tronche. Je comprends que quand on achète un disque, on n’ait pas seulement envie de se confronter à l’introspection de son auteur. Mais quoi qu’il en soit, c’était mon premier album,  avec ses défauts, ses qualités, et si les gens me connaissent, c’est grâce à cette partie plus introspective. Et je pense que c’est ce que je fais le mieux, même si on peut croire le contraire. Je kiffe la performance sur un beat, mais en faisant ça, je n’ai pas l’impression d’évoluer. Puis, quand je me suis retrouvé seul face à mon album, je n’étais plus non plus dans le délire de groupe, face à des Busta, des OSFA, où tout le monde se motive, se challenge.

Construire un album, c’est d’abord penser de vrais morceaux, qui peuvent traverser le temps. Puis ensuite tu t’amuses, tu fais de l’entertainement, tu freestyles, tu sors des vannes à la con… De toute façon, pour les vannes à la con, je suis le champion. Avec Busta dès qu’on s’appelle, c’est que des conneries, donc ça fait aussi pleinement partie de ma vie. C’est pour ça que ce ne sera jamais effacé. Mais j’ai envie de faire un vrai disque, avec un fond. Éventuellement, bon mon prochain album est pas terminé, mais je pourrais faire deux CDs dont l’un avec de la performance. Mais je trouve plus fort de parler de la vie, que les gens se reconnaissent dans les morceaux parce quelque part on vit aussi un peu tous la même chose. Mon album, je cherche à le construire comme un relief de la vie, avec ses moments de bonheur, de joie, de tristesse, d’éclatade en soirée. C’est ça, le relief d’une vie. Et s’il peut y avoir de l’égotrip, une vie ce n’est pas non plus que faire le con. Il y a des moments où tu te retrouves seul, où tu réfléchis, où tu fais la fête, où tu perds quelqu’un. Je parle de ce que je connais, de ce que je vis.

A : Un autre titre que ’J’voulais’ était très scénarisé, c’était ‘Rap Fugitif’…

S : Avec Agression Verbale ?

A : Ouais avec Endo’ et tout.

S : Ouais.

A : Ce sont des morceaux qui font tous les deux des clins d’œil au cinéma. Leur construction, le clip de ‘J’voulais’, les samples dans Tommy Lee Jones dans ‘Rap Fugitif’, le jingle UGC. Ces clins d’œil au cinéma, ces constructions de morceau, ça te vient d’où ?

S : En ce qui concerne ‘Fugitif’, ce n’est pas moi qui ai fait la prod’, c’est Agression Verbale. Mais le cinéma, c’est un gros kiff. J’essaie d’ailleurs de me mettre à filmer des choses, à les monter, d’écrire des textes pour des acteurs. Même le jeu, ça pourrait me plaire. Et si possible un jour être derrière une caméra, à driver les choses. Quand j’écris un texte, c’est vrai que je cherche à être très visuel, à créer des images dans l’écriture. C’est lié à tout ce que j’ai ingurgité en cinéma. Je veux que les gens voient des images en m’écoutant, et si mes textes y arrivent c’est qu’ils ont quelque chose de cinématographique.

A : Le jingle UGC, vous aviez eu les droits ?

S : Non, c’est pour ça qu’il n’est pas sur l’album.

A : Il est juste dans le clip en fait ?

S : Non, dans le clip c’est moi qui ai joué un truc du genre. On leur avait demandé, on n’a jamais eu de réponse. Enfin si, on a eu en ligne un mec qui ne savait pas, qui ne savait rien du tout d’ailleurs. Donc on n’a pas pris le risque sur l’album. Le vrai jingle, c’est dans le maxi vinyle qu’il est. C’était un kiff.

A : C’est vrai que Skyrock ne voulait pas passer ‘J’voulais’ au départ ?

S : Ouais. Les échos que j’ai eu de ma maison de disques, c’est qu’une fois qu’ils lui ont fait écouter, il n’était pas chaud pour le jouer…

A : [Le coupant] « Il » c’est Bouneau ?

S : Je ne sais pas, ils m’ont dit « Il » [rires].  Donc « Il » pensait que ça ne le faisait pas, car le personnage se suicide, ce qui faisait que quelque part il le voyait comme un loser. Bref, il n’a pas trop kiffé. De son côté, Ado FM l’a joué, et ça a cartonné. Leur standard explosait. Du coup, face à la demande, Sky s’est mis à le jouer.

A : Dans ton écriture, tu as un vocabulaire très direct. Tu ne recherches pas non plus les figures de style. Pourquoi ?

S : C’est très simple, j’ai envie que l’auditeur me comprenne comme si j’étais en face de lui. Je m’exprime dans mon rap comme je m’exprime là devant vous. J’ai envie que ce soit la même personne sur disque que celle que je suis. Après je n’ai pas fait des études de malade, je ne cherche donc pas non plus vraiment à tomber dans les figures de style ultra-recherchées. Je n’en ai pas la volonté non plus d’ailleurs. Mais voilà, je pense être un mec simple, j’aime parler simplement. Il y a des mecs, ils ont des rimes dans tous les sens, parfois tu dois les écouter avec un dictionnaire, et c’est bien parfois hein ! Mais ce n’est pas ce dont j’ai envie pour moi. Je m’exprime sans calcul, c’est tout. Ce n’est pas pour ça que j’ai des propos simplistes. Et comme je te le disais tout à l’heure, écrire, c’est parfois un accouchement dans la douleur.

A : Il y a-t-il eu un jour un projet d’album commun avec Busta Flex ?

S : Oui.

A : Pourquoi ça ne s’est pas fait ?

S : Parce qu’on a chacun eu des trucs à faire de notre côté, tout simplement, et donc ça ne s’est jamais concrétisé.

A : Vous travaillez toujours ensemble, ou vous retravaillerez ensemble ?

S : Je te dirais pourquoi pas ! En même temps, aujourd’hui, dans la musique, je pense que la direction que je prends est différente de la sienne. On était vraiment lié par le délire egotrip, performance, freestyle, ce dont je m’écarte aujourd’hui. Je vois les gens « plus sérieusement » quelque part. Mais on pourrait se dire : « allez, on se fait un album délire« , même si pour le moment, j’ai ma priorité : m’imposer comme artiste.

A : Comment avais-tu atterri sur l’album de Lone ?

S : C’est un ami d’enfance, on était ensemble au fond de la classe. Deux glandeurs avec leurs lunettes de soleil ! Des mecs à qui les profs disaient qu’ils ne feraient rien de leur vie. Juste pour la petite anecdote, Lone est aujourd’hui à Los Angeles et écrit des textes pour les américains. Donc il est loin d’être un bras cassé, contrairement à ce qui lui avait été annoncé à l’école.

A : C’est là que tu as rencontré Busta ?

S : Non, la rencontre avec Busta c’était juste avant. On s’était croisés dans une radio, Radio Tropicale en l’occurrence. Je me souviens d’ailleurs, quand j’étais rentré, j’avais dit à Lone « j’ai vu un mec super fort en freestyle !« .

A : Et avec NTM, tu étais sur la tournée de l’album « Suprême NTM »…

S : J’étais surtout en back avec Busta Flex qui faisait leur première partie.

A : Quel souvenir tu en gardes ? Cette tournée a quelque chose d’un peu mythique.

S : C’était quelque chose de géant. Je n’ai pas de détails précis à te sortir, mais on a fait plein de dates, et surtout, l’alchimie avec Busta était incroyable. J’ai même l’impression que parfois, on les a mis à l’amende [rires]. Non, franchement, super souvenir, un truc très fort.

A : Toi, tu n’as jamais défendu ta musique en live ?

S : Non, encore un truc qui a mal été géré par la maison de disques. C’était décousu.

A : Ça ne t’a jamais manqué d’être seul sur scène ?

S : J’ai tout de même fait quelques trucs, mais non, ça ne m’a jamais manqué car j’estime que je devais avoir plus de morceaux. Un premier album c’est chouette, mais bon, autant faire une scène conséquente, avec plus de morceaux, des vrais instruments éventuellement, bref, être prêt à donner un vrai gros set.

A : Tu as un regard sur le retour de NTM sur scène ?

S : [hésitant] C’est difficile. Ça fait plaisir à leur public, alors je dirais tant mieux. Maintenant, je pense qu’ils sont plus que capables de faire de nouveaux morceaux. Il semble d’ailleurs que Kool Shen ait remis le couvert en solo, je n’ai pas écouté. En même temps, je n’étais pas au concert, donc je ne connais pas parfaitement le sujet.

A : Tu n’as plus de contact avec Kool Shen ?

S : Non. On peut se croiser mais pas plus que ça.

A : Il y avait Joey Starr sur ton album.

S : Joey oui on se croise, Shen beaucoup moins. Y a pas de problèmes mais chacun sa vie.

A : Continuons dans le passé. Tu avais produit le son de Sista Cheefa sur le projet Lab’Elles, premier projet de rap dit « féminin ».

S :  [Surpris et amusé] Oh, putain.

A : Tu as aussi produit pour Lady Laistee. Quel regard portes-tu sur l’évolution de la place des  filles dans le rap français ?

S : Bah, il suffit de regarder le succès de Diams. On ne peut que respecter. Pour Lab’elles, c’était une belle initiative, mais bon, il n’y avait pas de quoi réellement la développer. Les souvenirs que j’en ai, c’est une belle expérience, avec Cheefa qui était à fond hip-hop, qui a crée son magazine et militante de dingue [sourire]. Il y avait aussi E-Komba qui rappait en anglais avec qui j’ai travaillé. C’est un bon souvenir.

A : Il y avait l’impression de défendre un truc à cette époque là, en faisant ce projet ?

S : [rires]  Moi je n’étais pas parti pour défendre un truc, on est venu me demander de faire des prods  ! Moi tant que ma musique circule et que y a un bon courant qui passe avec les artistes, c’est cool. Mais je n’étais pas parti pour défendre la cause féminine, j’étais parti pour faire du gros son et c’est tout ! [rires]

A : Sur ‘Avant qu’il soit trop tard’, tu sous-entends que tu es athée non ?

S : Heu, ouais, enfin je crois en des choses. Je peux croire en tout.

A : La place de la religion dans le rap, ça t’interpelle ?

S : Moi je me dis que si les gens trouvent du courage dans des croyances, qu’elles leur permettent d’avancer, c’est tant mieux. Maintenant, tant qu’il y a rien qui me perturbe, chacun fait ce qu’il veut et prie qui il veut. Je m’en fous quelque part. Pour moi faire de la musique c’est être libre. Si tu veux y mettre Jésus, y mettre Allah, fais le.

« J’encourage les jeunes à essayer de développer leurs trucs. »

A : Toi qui a été l’un des premiers rappeurs français à faire de entrepreneuriat, quel bilan tires-tu après tes débuts des relations entre rap et entrepreneuriat ?

S : Disons que j’estime être vraiment amateur de fringues. Donc par rapport à moi, il y a vraiment ce lien aux sapes qui rentre en compte. J’ai un amour de la fringue. Après, il y a eu beaucoup d’entrepreneurs qui se lançaient dans le textile sans en avoir rien à foutre, qui n’y connaissaient rien, et qui y ont juste vu un business. Donc j’installe vraiment une différence par rapport à ça. Maintenant, ce qui suit derrière moi, tant mieux quand je vois qu’il y en a qui tirent très bien leur épingle du jeu. Ça fait du business pour le milieu hip-hop, des emplois. Après c’est dommage que ce soit toujours chacun pour sa gueule. Mais bon, c’est comme ça. J’encourage les jeunes à essayer de développer leurs trucs en tout cas.

A : Tu essaies de montrer la voie un peu ?

S : Oui, comme d’autres me l’ont montré. Une marque comme HomeCore par laquelle j’étais sponsorisé m’a donné envie de me lancer. A mon tour de passer le relais.

A : Tu avais sponsorisé des DJs, des MCs avec Royal Wear. Tu avais également crée une ligne pour le golf je crois, ainsi que sponsorisé un champion de BMX. Parmi tous ces gens qui ont été sponso’ Royal Wear, certains ont passé le cap en développant leur propre marque ?

S : [Il réfléchit] Non, je ne crois pas. Je sais que certains y ont songé, ont tenté, sans vraiment réussir. Mais je ne suis pas là pour les citer.

A : Pourquoi ça a foiré ?

S : Soit ils ne cherchaient pas à s’y connaître, soit ils ne faisaient ça que pour le blé. Mais bon, ça peut aussi marcher quand tu fais ça uniquement pour l’aspect financier. Mais il ne faut pas se laisser prendre par la facilité apparente du truc. Vu de ta fenêtre, ça te parait facile, mais au final, ça ne l’est pas tant que ça. Souvent l’échec est dû à cette simplicité apparente, qui fait que les gens prennent ça facilement. C’est loin d’être aussi facile que ce que ça peut en avoir l’air.

A : Tu parlais d’HomeCore, tu avais d’autres inspirations ?

S : Attention, HomeCore ne m’a pas inspiré dans mes fringues. C’est un exemple qui m’a motivé. Des marques américaines assez anciennes maintenant m’ont motivé aussi, Cross Colours par exemple. Après, ce que j’aime, c’est la touche française. Pendant des années, on a eu cette expression : « oh putain, c’est trop cainri comme style ». Limite on a fini par complexer, comme si les français c’était de la merde. Mais au bout d’un moment il faut arrêter de se dire que les américains sont trop beaux et que nous on est à la ramasse. La France, et Paris en particulier, c’est quand même la capitale de la mode. En la matière on a un vrai savoir-faire, c’est d’ailleurs pour ça que je parle de french savoir-faire. A notre niveau, il faut se décomplexer, arrêter de bloquer sur les ricains. Et ça vaut pour d’autres domaines. Regarde l’électro ou l’art culinaire ! Les français sont très forts. Il est temps d’arrêter de complexer et de marcher la tête haute, de montrer au monde qu’on a du talent, qu’on a notre savoir-faire et qu’on n’envie personne. Rien que se mettre ça dans la tête, ça nous fera avancer, au lieu d’être aux pieds des Américains où je ne sais quoi. Je prêche beaucoup pour ça, que les Français aillent de l’avant, se démarquent. C’est comme ça qu’on trouvera l’originalité, qu’on pourra prendre le bon virage, qu’on pourra être hip-hop.

A : Au niveau du business, il y a des gens qui t’ont motivé, des exemples ?

S : Un paquet. Quelqu’un comme Russell Simons ou comme Steve Jobs. Tu les vois, laisse tomber, ça motive. Ce sont des mecs qui ont des rêves et les concrétisent.

A : En France, on est un peu frileux sur la prise d’initiative.

S : Ouais, c’est très fermé et ça critique ceux qui veulent faire des choses. Ce n’est pas évident, mais bon au bout d’un moment, à force que les gens parlent mal, tu ne sens plus rien. Au début ça pique, mais quand tu as compris le système, tu t’en fous, tu fais tes trucs.

A : Quand tu as commencé, tu as cherché des soutiens financiers, tu avais des appuis ?

S : Non, je travaillais à côté et je mettais mon salaire là-dedans. J’aimais le truc. Et de fil en aiguille, ça a marché. Un truc qui m’a permis de réussir, c’est mon amour pour la photo, et d’avoir un œil en la matière. En fait, on avait vraiment conçu les premiers clichés en pensant à leur mise en scène, de sorte à ce que les gens aient l’impression qu’il y avait une grosse machine financière derrière. On cherchait à faire des trucs façon pubs Nike, ça allait loin. Du coup, les investisseurs ont été vite intéressés, car ils avaient l’impression d’avoir affaire à une grosse machine. J’ai mis mon savoir-faire et ma passion de l’image pour pousser la marque en fait, la faire passer pour quelque chose de très puissant et pro’ dès le début. Ça créait l’illusion. Les investisseurs nous ont approchés, et ils ont pris le relais.

Mais au final, ils ne se sont pas avérés si capables que ça. C’était un peu comme des gars qui conduisaient une Ferrari sans permis. Ils n’avaient pas le potentiel et la connaissance pour bien gérer la puissance et les possibilités de la marque. Du coup, elle est parfois partie à droite à gauche, voire rentrée dans des murs. Je n’ai pas eu les bons partenaires pour l’emmener là où je voulais l’emmener. Et moi aussi j’apprenais sur le tas. Tout ce que je n’ai pas appris à l’école, je l’apprenais là. Et je l’ai un peu payé quelque part, à travers des erreurs, en découvrant les rouages du business.

J’ai mis mon savoir-faire et ma passion de l’image pour pousser la marque, la faire passer pour quelque chose de très puissant et pro’ dès le début. Ça créait l’illusion. Les investisseurs nous ont approchés, et ils ont pris le relais.

« J’ai mis mon savoir-faire et ma passion de l’image pour pousser la marque, la faire passer pour quelque chose de très puissant et pro’ dès le début. Ça créait l’illusion. Les investisseurs nous ont approchés, et ils ont pris le relais. »

A : J’ai retrouvé deux anecdotes sur les débuts de Royal Wear. L’une où tu expliques que tu créais tes premiers t-shirts chez toi à l’aide de pochoir, l’autre où un article de Libération revenait sur un costume que tu t’étais fait confectionner lorsque tu avais été invité par ton manager à monter les marches du festival de Cannes.

S : Non, pour le costume, c’était bien après la création de Royal Wear. C’est ce qui m’a donné envie de faire des costumes par contre. Au festival de Cannes j’avais un costume Royal Wear, qui gardait l’esprit de la marque, avec le logo sériegraphié. J’avais croisé pas mal de jeunes qui normalement ont rien à foutre des costumes, mais là, en le voyant, ils n’en pouvaient plus. Ça m’a donné envie de développer cette idée.

A : A un moment tu t’es justement éloigné du streetwear avec le costume, ou encore des sapes pour le golf. C’était une opportunité liée à la demande ?

S : le costume avait la particularité d’être assez streetwear. Il était un peu baggy, avec des serrages sur le pantalon, une sériegraphie du logo Royal Wear sur la veste. Ca apportait quelque chose de nouveau.

A : Mais je suppose que tu ne vas pas taguer ou faire du skate avec !

S : Tu peux ! Ce décalage, c’est aussi l’esprit Royal Wear. Tant que tu peux courir pour ne pas te faire arrêter par les flics ! [rires] Le costume était suffisamment large pour ça, donc pas de problèmes. Mais effectivement, parfois, genre à un mariage, il faut porter des costumes. Il y a plein de mecs qui ne supportent pas ça, ne sont pas à l’aise, se sentent trop hip-hop pour ça ou quoi. Ce costume permettait de conjuguer l’élégance, de faire plaisir aux parents ou au boulot, et d’être à l’aise en le portant, même en ayant un blocage avec les costards.

Il faut pouvoir adapter nos fringues à toutes les situations. Et pour grandir aussi. Tu ne vas pas passer ta vie en jogging. Il y a des mecs qui allaient au boulot avec ce costume, et se sentaient très bien dedans. C’était un compromis entre l’esprit hip-hop et certaines contraintes de la vie.

A : Comment évalues-tu l’impact de la marque par rapport aux concurrents sur le marché du streetwear ? 

S : En ce moment, il y a Airness qui déchire tout, mais c’est une autre époque que Royal Wear donc ce n’est pas vraiment comparable. En tout cas, quand j’étais à la barre de Royal Wear en tant que graphiste et styliste, je considère que c’est vraiment la première marque hip-hop. A ma connaissance, chez HomeCore il n’y avait personne d’impliqué dans le monde de la musique. Dans le graff’ peut-être… Mais Royal Wear était vraiment la marque de la musique hip-hop. Des mecs comme Cut Killer l’ont représenté. Il y avait cette photo avec le DJ All Stars et dont le plateau fait date. Il y a eu beaucoup d’acteurs du hip-hop à nos côtés, sur nos photos, que ce soit Kool Shen qui après a fait sa marque, ou Joey Starr qui a également porté Royal Wear. Je pense qu’aucune marque n’a jamais eu autant d’artistes. Pour moi c’est ça qui différencie Royal Wear des autres : la marque hip-hop par excellence.

A : La période où la marque a commencé à avoir des problèmes ?

S : Quand les partenaires n’ont pas su suivre. C’est l’image de la Ferrari que j’utilisais tout à l’heure. Je ne pourrais plus te dire précisément quand ça a commencé. Mais malheureusement, ce n’était même pas que la marque ne plaisait plus. C’était vraiment un problème interne et ça c’est triste, car la marque aurait pu continuer, il y avait une demande. Mais des partenaires ont pété les plombs.

A : Tu espères remettre la marque dans le jeu prochainement ?

S : Oui, c’est un bras de fer avec les partenaires, mais je l’espère.

A : Tu essaies de reprendre les actions à ton compte en fait ?

S : Il y a un peu de ça. Aujourd’hui, il y a des gens qui exploitent toujours cette marque même si je n’y participe plus. Mais je ne peux pas être fier des produits qu’ils sortent, ce ne sont pas ceux que j’imagine. Ces gens veulent qu’on se rapproche, qu’on trouve un terrain d’entente pour la faire revivre comme il faut. Ce sera selon les conditions. Aujourd’hui c’est vrai qu’il y a des produits qui sortent, d’ailleurs peut-être que c’est ce que La Fouine a croisé. Mais en tout cas je n’en suis pas responsable, tu vois ce que je veux dire ?

A : Depuis quand tu n’as plus la main sur Royal Wear ?

S : Un petit moment. Trois quatre ans.

A : Tu as crée Dumpe Fresh et Creativity Lab. Ce sont des projets parallèles ?

S : Ils sont nés après Royal Wear et répondent à mon besoin de créer, que ce soit la musique, la fringue, bref à ce besoin d’art sous toutes ces formes dont on parlait tout à l’heure. On a crée Creativity Lab pour répondre à ce besoin. On cherche à aider des artistes. C’est ça qui est intéressant : les rencontres, le côté vivier d’artistes, les échanges. Il y a de la peinture, du son, des acteurs.

A : Mais c’est un collectif d’artistes ? Il y a une peintre, un tatoueur tout de même assez côté [Tin-Tin, NDLR], Dumpe Fresh [la marque de sapes de Sully, NDLR]…

S : [il coupe, NDLR] Le but est de faire évoluer et développer des projets artistiques. Tin-Tin par exemple, qui est un tatoueur connu dans le monde entier et qui retourne bien Paris. On avait l’intention de développer ses tatouages sur du textile, avec un bon goût, qui est moins « plein-de-choses-partout » que ce que peut faire Christian Audigier. C’est un mec vrai, intéressant, avec du charisme. Françoise Nielly qui peint au couteau et fait un travail incroyable, c’est pareil, on souhaite mettre son travail sur du textile. Phoks qui est un photographiste qu’on apprécie a pu utiliser nos locaux pour exposer son boulot. On suit un collectif qui s’appelle La Cage aussi, qui produit des programmes courts. En tout cas, on tient à servir de lieu de rencontres, où les artistes peuvent présenter leurs projets, nouer des contacts.

A : Ta nouvelle marque de vêtements Dumpe Fresh est beaucoup moins orientée hip-hop que Royal Wear. Comment as-tu choisi la direction de la marque ? Y avait-il une crainte de faire un clonage de Royal Wear ? C’est presque antagoniste quelque part, beaucoup plus coloré, moins uni, moins street que Royal Wear.

S : On évolue. Non pas que Royal Wear ne doit plus exister. Il y a des gens qui seront toujours Royal Wear et qui ne seront jamais Dumpe Fresh, et vice versa. On parlait de Cross Colours tout à l’heure, qui n’est pas une marque jeune, et qui avait des couleurs dans tous les sens. Comme je le disais tout à l’heure, les choses ne font que tourner. Et puisqu’on parle des années 80 avec les couleurs fluos etc. Bah la mode elle tourne aussi, et nous qui aimons la mode, on ne peut que vivre avec elle. Dumpe Fresh qui est beaucoup plus coloré, c’est notre façon de vivre ce revival 80s. Et sans complexes. On ne va pas dire : « ouais non, nous c’est Royal Wear, je suis street, qu’est ce qui se passe là ? Coloré ? Délire de tapettes !« . Non franchement, nous avant tout, ce sont les gens qui nous intéressent. Mon identité personnelle sera certainement moins marquée couleur, parce que j’ai peut-être un âge qui évacue un peu ces délires pour mes sapes à moi, mais je réfléchis en chef d’entreprise. Et voilà, quand on fait un show pour la marque, avec les jeunes qui envoient tout, où les couleurs pètent, c’est mortel aussi. C’est leur tour d’être exposé, comme ça a été le mien. Ce n’est pas parce que moi j’ai l’âge où personnellement, je recherche des vêtements plus sobres que ça va m’empêcher de trouver ce qu’ils font mortel et de bosser avec eux. Ma marque colle à l’ère du temps, mais il faut que ça me parle. Je ne pourrais pas te faire un truc Tecktonic, c’est impossible. Mais les 80s ça me parle, Fresh Prince, Run DMC, tout ça j’ai kiffé ma race. Ça fait partie de moi. Il faut qu’il y ait un feeling qui passe. Et quand je retrouve des vieilles fringues que je portais, j’y vois du Dumpe Fresh.

Avoir un truc qui coûte cher, c’est se sentir valorisé. Tu te sens plus fort, plus beau. Alors je te dirais peut-être que les gens sont des cons, puisqu’un truc à prix bas, personne n’en veut, tout le monde dit que c’est de la merde. C’est comme ça que ça marche, malheureusement.

« Avoir un truc qui coûte cher, c’est se sentir valorisé. Tu te sens plus fort, plus beau. Alors je te dirais peut-être que les gens sont des cons, puisqu’un truc à prix bas, personne n’en veut, tout le monde dit que c’est de la merde. C’est comme ça que ça marche, malheureusement. »

A : Il y a un truc qui m’a souvent marqué avec les marques de streetwear, c’est leur prix. Ce n’est pas forcément destiné à une clientèle blindée de thunes, et rien que pour acheter un sweat, ça te coûte un bras, alors s’habiller avec la gamme… Je ne connais pas les prix que pratiquait Royal Wear à l’époque, mais comment vois-tu cet état de fait ?

S : Moi-même je ne les connaissais pas particulièrement. J’étais bien plus dans la partie direction artistique. Mais je sais qu’ils étaient très élevés, c’est vrai. Et les gens achetaient tout de même nos produits, et pas qu’un peu ! C’était une folie. Moi-même, dans la rue, j’avais mal au crâne à force de voir du Royal Wear partout.

Quelque part, les gens aiment ce qui est cher, c’est bien connu. Regarde en cité, les mecs veulent les marques les plus chères possibles. Avoir un truc qui coûte cher, c’est se sentir valorisé. Tu te sens plus fort, plus beau. Alors je te dirais peut-être que les gens sont des cons, puisqu’un truc à prix bas, personne n’en veut, tout le monde dit que c’est de la merde. C’est comme ça que ça marche, malheureusement. Même si aujourd’hui on est dans une ère où par exemple H&M propose des prix super bas avec de belles choses. Tout change à ce niveau là, les marques doivent se repositionner, les valeurs bougent un peu avec la crise. Mais sans parler de cette crise, les gens aiment ce qui est cher. Ça les fait rêver pour une grande partie d’entre eux. Et effectivement, quand ce n’est pas cher, ils considèrent que c’est de la merde.

A : Qui fixait les prix de Royal Wear ?

S : Le staff, les partenaires qui connaissaient mieux le business que moi, et surtout les commerciaux. Il y avait des réunions par rapport à ça. Moi artistiquement, je savais où je voulais aller. Mais il a fallu que je me mette plus dans le business.

A : Beaucoup de marques de Streetwear n’ont pas résisté au temps. Est-ce que le temps les a ringardisées ?

S : Je pense que le streetwear continuera à marcher et marchera tout le temps. Il y aura toujours des gens habillés en large, toujours à la cool. J’étais en Martinique il y a peu, je regardais les gens, ils sont toujours et encore habillés en large. Quand je regarde les cainris, pas seulement dans le ghetto, ils sont toujours habillés pareil : en large. Même à New-York.

A côté, il y a une clientèle à la Kanye West, qui suivra la tendance, voudra avoir du Vuitton, voudra être un mec du hip-hop élégant. Quand tu mets ça en parallèle avec les gens qui disent toujours « oh les crasseux avec leur survet’ », tu comprends qu’effectivement la sape a un rôle. C’est pas en survet’ que nous pourrons un jour être dans leur monde, dans leur grand monde. Un jour il faudra se placer si on veut contrôler les choses. Et pour ça, quoi qu’il en soit il faut rentrer dans certains codes.  Quand tu rentres dans ces codes, tu te rends compte que ce n’est pas si désagréable que ça. C’est juste que ce sont des trucs que tu n’as pas compris, tu es resté fermé sur ton monde, et tu dis « c’est de la merde, leur pantalon serré, c’est des homosexuels, machin« . Mais la réalité elle est toute autre, tu vois ce que je veux dire ? Quand tu portes une fringue qui est à ta taille, du sur-mesure en l’occurrence, ça veut dire que ça a été fait sur et pour ton corps. Qu’est ce qu’il y a de mieux que ça finalement ? Alors OK, t’es à l’aise dans un truc large mais au final, un truc sur-mesure c’est la perfection. Bref, je crois qu’il y a du bon des deux côtés, le streetwear, le plus classe, et qu’il ne faut pas se fermer les portes. Et si le street peut paraître ringard à certains aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’être sapé en large ne pousse actuellement pas au respect. C’est juste que les gens évoluent et rester pareil toute sa vie, je ne sais pas si c’est une forme d’évolution.

A : Comment expliques-tu l’engouement qu’ont les rappeurs aujourd’hui à monter leurs propres business ?

S : Je pense que c’est le cas pour tout le monde, ce n’est pas propre aux rappeurs. Avec Internet, tout le monde veut et peut développer son business. Tout le monde n’a peut-être pas la possibilité de réussir, mais tout le monde a la possibilité d’essayer. Et c’est pareil pour la musique, l’image. Regarde, il y a quelques années, les indépendants ne faisaient jamais de clips. Aujourd’hui, tout le monde a les moyens de faire son clip. C’est un progrès. Ça fait évoluer les choses et les gens. Quelque part, c’est flippant aussi, aujourd’hui, sur internet, sur Myspace, tout le monde dit avoir fait un album. Il y a un véritable accès désormais, et les gens ne gardent plus leurs idées pour eux.

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