Saul Williams
Interview

Saul Williams

Dialogue express avec le maître du slam, en escale aux Eurockéennes de Belfort en juillet dernier. Sujets du jour : la crunk music, le public blanc et les diamants de Sierra Leone. Inattendu.

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Allez savoir pourquoi, parfois, on se fait des idées. Prenez Saul Williams. Figure de proue d’un genre – le slam – difficile à cerner, artiste reconnu en Europe, Saul Williams fait partie de ces artistes aux influences profondément ancrées dans le hip-hop, mais qui prennent un malin plaisir à se distancier du genre. Le souvenir flou d’une interview lointaine (« Écouter Eminem, c’est comme prendre une drogue dure« ) et de ses envolées enflammées dans Amethyst Rock Star suffisait presque pour faire passer ce trentenaire comme un éternel déçu du hip-hop, qui ne manquerait pas une occasion de tirer à vue sur un rap qui, décidément, n’en finit plus de trahir ses glorieux préceptes.

Vendredi 1er juillet 2005. Saul Williams revient aux Eurockéennes de Belfort, trois ans après sa première participation. Coup de chance, le MC est sur place dès le début de l’après-midi, accompagné de son Tour Manager et son DJ. Affublé d’un chapeau que n’aurait pas renié Common du temps de sa relation avec Erykah, Saul Williams se montre disponible, accepte poliment ma demande d’interview, et part se prêter au jeu de la conférence de presse, sous le chapiteau installé dans le « village pro » du festival. Quelques fans sont présents, et le questionnent sur son nouvel album, résolument rock. Lui, au contraire, estime que son LP éponyme est l’album rap qu’Amethyst Rock Star aurait du être. On lui parle de ses influences, et là, surprise : « les gens s’attendent à ce que j’écoute du rap bizarre, expérimental. Mais moi, je n’aime pas Sage Francis et Aesop Rock, je les trouve ennuyeux. Ce qui me plaît, c’est T.I., The Game, Three Six Mafia« , glisse-t-il en souriant. Plus tard, il avouera avoir été inspiré par un titre de Fat Joe et R.Kelly dans l’élaboration d’un morceau de son nouvel album (« le genre de titre que je me suis détesté d’avoir adoré« ). Après la conférence, le MC part au bord du lac pour une interview express avec MCM, et revient vers moi, « the journalist from a famous hip-hop-related website in France » (méthode minable pour obtenir une interview : en faire des tonnes). Dernière vérification du dictaphone, et c’est parti pour neuf minutes d’entrevue avec celui qui, quelques heures plus tard, prendra le relais de Jean Grae sur la scène de la Loggia.


Abcdr : C’est assez difficile de coller des étiquettes à ta musique. As-tu l’impression que, parfois, les gens se sentent un peu perdus avec Saul Williams ?

Saul Williams : Ouais, les gens sont vraiment déboussolés. Et je pense qu’il est vraiment enfantin de constater que musicalement, je fais du hip-hop. Tu sais, si je n’avais pas le hip-hop, je ne ferais sans doute pas de musique. Je pense que beaucoup de gens ont parfois une perception vraiment limitée de ce qu’est le hip hop. Quand ils entendent ma musique et découvrent qu’il y a des guitares, ils se disent que ça ne peut pas être du hip-hop. Mais, vous avez entendu parler de Run DMC, vous connaissez Public Enemy ? Moi, j’ai grandi en écoutant des groupes comme PE et Run DMC, et la musique que je fais aujourd’hui correspond à ce que j’aimais plus jeune. C’est toujours un son fort en sample, en boîte à rythme, et côté textes, la rime est souvent prédominante. D’une manière ou d’une autre, je me considère comme un MC, mais un MC qui refuse d’être confiné dans la première définition venue du MC, tu vois, je suis un MC auto-défini. Je pense que c’est important, et loin d’être différent de la démarche d’un Andre 3000 ou d’un Mos Def, quand ils se mettent à chanter. Je veux dire, je vois même Snoop chanter dans ses clips en ce moment, et je pense que la plupart des MC qui rappent depuis pas mal de temps finissent par être lassés par tous ces paramètres, c’est pourquoi nous voulons casser les paramètres. Musicalement et textuellement, c’est pour ces raisons que j’essaye de m’aligner avec un type de son très punk rock. Pour moi, le punk n’est pas foncièrement différent du son crunk. Le crunk est très punk rock. Prend les trucs de Trick Daddy, de Lil’ Jon, tout ces double-temps, ces « hey, hey« , tu vois c’est très crunk, euh, très punk ! Alors je fais une sorte de punk-crunk [rires].

A : Pendant la conférence de presse des Eurockéennes, tu as dit qu’il était important pour toi d’avoir un édifice sonore abouti. Est-ce que tu essayes, encore plus qu’avant, de trouver un équilibre entre la musique et les textes ?

S : Oui, dans mon prochain album je vais surement… Enfin, c’est difficile d’en parler maintenant car je viens à peine de commencer… C’est dingue, je me suis vraiment plongé dans beaucoup de sons « chopped and screwed », dans la crunk music, et la musique que je suis entrain de faire sera facilement assimilable à ce genre de son. Je pense que l’objectif est de trouver un équilibre entre les lyrics et la musique, mais aussi entre le contenu et toutes ces autres choses. C’est quelque chose de général, avoir un grand sens de l’équilibre.

A : Par le passé, tu as mené des réflexions autour de l’influence des Afro-Américains sur les Africains. Ces réflexions ont-elles évoluées au fil des années ?

S : [hésitant]. Ouais, j’en suis sûr…

A : … Tu déclarais avoir pleuré en voyant des jeunes Africains danser sur du Eric B & Rakim, Timberland aux pieds… Et aujourd’hui ?

S : Ha oui (rires). Et bien, tu sais, je connais un rappeur, un ami à moi, il s’appelle K’naan. Il est originaire d’Ethiopie et vient de tourner un clip au Kenya, et je pense qu’il est l’un de ces exemples, extrêmement porteur d’espoir, de l’influence positive du Hip-Hop sur une partie de la jeunesse africaine. Avec tous ces jeunes MC’s africains qui arrivent, je suis sûr que des choses mortelles vont se produire et bien sûr, je pense qu’il y a des aspects positifs à cette influence.

« Je pense qu’on doit essayer de faire en sorte que la musique reste… ghetto. »

A : J’ai lu dernièrement un article intéressant, dans Village Voice, dans lequel l’auteur évoquait la situation des artistes « pro-black » qui se retrouvent avec…

S : Un public blanc.

A : Oui, tu as lu cet article ? Qu’en as-tu pensé ?

S : Et bien, dans la majeure partie des cas, je pense que ça arrive très souvent, mais je pense qu’il s’agit également d’un reflet de la musique, vraiment. Je pense qu’on doit essayer de faire en sorte que la musique reste… ghetto [rires].

A : Es-tu surpris – voire… déçu – quand tu vois ce public majoritairement blanc qui apprécie ta musique ?

S : Je veux qu’ils aiment ma musique. Je veux que tout le monde l’aime. Ma musique, tout comme la musique africaine, est pour tout le monde. Quand j’écris un poème, je puise dans différentes influences, de sorte que les gens d’horizons et d’expériences différentes qui liront puissent se sentir concernés en le lisant. Je fais la même chose quand j’écris une chanson. C’est censé te plaire, que tu sois un fan de Bright Eyes, de Kool G Rap, de Ani DiFranco, de Serge Gainsbourg, il y a des choses là dedans qui te sont destinées. C’est pour tout le monde.

A : OK. Tu as fait une apparition surprenante dans le morceau de Kanye West, « Never let me down »…

S : C’est pas moi.

A : C’est pas toi ?! Oh, j’ai besoin que tu m’en dises plus…

S : Tout le monde a cru que c’était moi, c’est dommage. En réalité c’est un mec qui s’appelle J-Ivy.

A : C’est dingue, je pensais que tu avais pris un pseudonyme, tout le monde disait « c’est Saul Williams » !

S : Non, c’est pas moi, mais cela dit tout le monde y a cru, vraiment tout le monde.

A : Oh… OK, j’avais toute une série de questions sur ce sujet, je crois que je vais devoir les oublier ! L’Europe semble apprécier ta musique, l’accueil en France est très chaleureux. Et aux États-Unis, y a t il une différence ?

S : Ouais, j’en ai bien l’impression ces derniers temps. Il y a eu beaucoup de confusion autour de la sortie de mon dernier album, il y avait eu le 11 septembre, c’était vraiment, comment dire, étrange. Mais cet album a été très chaudement accueilli, il reçoit même le soutien de MTV et des marchés commerciaux, c’est cool.

A : Pendant la conférence, c’était assez marrant quand tu as dit qu’un titre de ton nouvel album avait été inspiré par un morceau de Fat Joe et R Kelly. Je pensais vraiment que, comme d’autres, tu allais me dire que le hip hop pue en ce moment, mais tu as cité TI, The Game, Three Six Mafia…

S : Ouais, j’aime énormément de mecs qui sortent en ce moment. Je ne crois pas que le hip hop pue aujourd’hui, je pense que la plupart des choses que les Mcs racontent tiennent la route, je pense aussi que beaucoup de choses restent à dire, tout comme je pense que l’on peut tous bénéficier du dialogue entre les uns et les autres. J’ai rencontré certains de ces MCs récemment… Par exemple, même Kanye, j’ai discuté avec lui, il ne savait rien des diamants en Sierra Leone – tu sais qu’il a fait ce morceau intitulé ‘Diamonds are from Sierra Leone’. Le titre s’appelait « Diamonds are forever », et alors mon ami et moi lui avons expliqué ce qu’il se passait là-bas…

A : Tu veux dire qu’il a changé le titre du morceau grâce à toi ?

S : Grâce à moi et mon pote, absolument. On prépare un documentaire sur le sujet, on lui en a parlé et il a décidé de changer le titre du morceau et de faire un clip autour de ça.

A : Mortel.

S : Ce que j’ai retenu de cette histoire, c’est qu’il suffit parfois d’une simple conversation pour que les gens se mettent à réaliser qu’ils doivent penser en dehors du bocal.

A : Vois-tu le succès de Kanye West comme un moyen d’apporter une plus grande réflexion dans le milieu hip-hop ?

S : Oh, il le faut, parce que les gens en ont marre d’écouter des conneries. Mais tu sais, le hip hop se doit aussi d’être fun, et c’est ce que le Sud apporte en ce moment, tous ces morceaux sans prétention. Mais oui, le changement est inévitable.

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