Run the Jewels, un couple presque parfait
Interview

Run the Jewels, un couple presque parfait

En voici deux qui se sont bien trouvés. Deux vétérans, deux symboles : El-P pour le rap new-yorkais apocalyptique, Killer Mike pour le rap sudiste fiévreux. Leur association sous la bannière Run the Jewels s’impose comme l’un des grands succès rap de cette décennie. Et une amitié comme on en voit peu.

, et Photographie : Draft Dodgers et Chroniques Automatiques

Bromance. Louis Brodinski en a fait un label et une façon de vivre. El-P et Killer Mike en ont fait un quotidien. Rassemblée sous l’égide Run the Jewels, l’association inattendue est devenue évidence, portée par une alchimie sortie d’un conte de fées. Il faut les observer sur scène et en interview pour mieux comprendre. Au-delà du succès artistique et commercial des deux épisodes de Run the Jewels, ces deux-là sont simplement devenus les meilleurs amis du monde. Ils le répètent volontiers, comme pour rappeler ce qui transparaît en quelques minutes.

Il faut se rappeler le El-P de Company Flow et Def Jux, un mec en souffrance et conflit perpétuels, pour mieux apprécier le caractère apaisé de celui qui nous fait face aujourd’hui. Le contraste est saisissant. Le new-yorkais pur jus flirte aujourd’hui, comme son comparse, de très près avec la quarantaine. Fort en gueule et taillé dans un menhir géorgien, Killer Mike est quant à lui un mec chaleureux au possible, avec le recul de celui qui a bourlingué. Le genre de mec qui commande deux pizzas pour t’en offrir une.

Nous sommes dimanche 14 décembre en fin d’après-midi, dans les salons chaleureux du Mama Shelter, au lendemain d’une soirée épique à La Bellevilloise. Et quelques jours avant un concert de poche confidentiel, mais franchement réussi, à La Recyclerie. El-Producto a récupéré sa voix et les deux potes arrivent en éclatant de rire. Bromance, again.


Abcdr du Son : Ça fait déjà longtemps que vous travaillez ensemble, d’abord sur l’album R.A.P. Music de Killer Mike, puis avec les deux albums Run the Jewels. De quelle manière vous êtes-vous « changés » mutuellement ?

Killer Mike : Je suis devenu beaucoup plus discipliné grâce à El. Étant producteur, il est plus méthodique que moi. C’est quelque chose qui me manquait, et dont j’avais besoin. Mais il ne m’a pas seulement changé, il m’a fait grandir. Grandir dans ma volonté d’aller plus loin dans mon écriture. Je me souviens de l’enregistrement du titre « Willie Burke Sherwood ». Le morceau allait partir dans une autre direction, mais El m’a dit « On a assez de titres comme ça, maintenant je veux davantage te connaître, je veux un titre plus personnel. » Tu sais, nous autres rappeurs, on a un tempérament bravache, une espèce d’armure que l’égo vient renforcer. Si je n’avais pas bossé avec El-P, je ne sais pas si j’aurais écrit un couplet comme celui de « Crown ». Je n’aurais peut-être pas atteint cette profondeur, ni partagé cette honnêteté que je portais en moi depuis des années. Sans cette relation stable, je ne sais pas si tu aurais entendu ce couplet.

Killer Mike - « Willie Burke Sherwood » (2012)

El-P : On se fait grandir mutuellement. Grâce à cette relation, chacune des idées de Mike devient une idée de Run the Jewels. Et c’est pareil pour moi : je commence à voir les choses avec les yeux de Mike, je commence à comprendre sa manière de penser, les choses qui le touchent, et tout ça vient influencer mes propres réflexions. Comme une vraie bonne amitié. L’amitié, c’est pas seulement trouver quelqu’un qui pense exactement comme toi – ça c’est du narcissisme. L’amitié, c’est permettre à une personne de te remettre en question, de te faire réfléchir sur des choses qui, normalement, t’auraient échappées. On s’éclate à fond, et c’est parce qu’on est vraiment des amis. On s’est lancés ensemble dans une grande aventure, on n’a jamais été aussi occupés de nos vies, et pourtant tout n’a jamais été aussi facile.

K : Complétement.

E : Si on fait ce qu’on fait, à la base, c’est parce qu’on s’amuse. On arrive à un point où je vais dire des choses que Mike aurait dû dire à ma place, et vice versa. C’est comme si on étendait nos vocabulaires artistiques respectifs. C’est un vrai équilibre, et trouver cet équilibre, ça s’apprend. Si Mike arrive sur un morceau de manière très agressive, ça me permet de jouer un autre rôle. On a une énorme marge de manœuvre pour faire les cons, et ça nous ouvre beaucoup de perspectives artistiques. Quand j’étais en solo, c’était à la vie, à la mort. Chaque couplet devait être le couplet le plus important de ma vie. J’en ai pas honte aujourd’hui, et je ne pense pas avoir eu tort de le faire, c’était juste mon état d’esprit de l’époque. Ces disques étaient très cathartiques pour moi. Si j’ai fait des albums comme I’ll Sleep When you’re Dead or Cancer 4 Cure, c’est parce que je me sentais vraiment paumé, pas à ma place. Run the Jewels, c’est un projet plus léger. C’est pas superficiel pour autant, mais ça nous laisse plus de place. On peut aller du très sérieux au très stupide, en sachant qu’on a un équilibre. C’est comme ce jeu qu’on faisait gamin, à l’école, le trust fall : tu dois tomber en arrière, en sachant que quelqu’un te rattrapera. C’est très cool de pouvoir se dire : allez, je m’en fous, je tombe. [rires] Je ne crois pas qu’on savait à quel point on avait besoin de cet équilibre.

El-P - « Stepfather Factory » (2002)

A : On vous sent presque soulagés de vous être trouvés…

E : C’est exactement ça. Quand tu rencontres quelqu’un avec qui tu peux faire de la bonne musique, faire de l’argent, rigoler, avoir de vrais échanges, tu ne regardes plus en arrière.

A : Vous voyez un équivalent à Run the Jewels dans le monde du rap aujourd’hui ? C’est pas certain que beaucoup de groupes revendiquent une telle alchimie.

E : Personne d’autre n’a cette alchimie. Personne. Et je dis même pas ça pour me la raconter. Mais je ne pense pas que ce soit le cas. En tout cas je ne vois qui ça pourrait être.

M : Beaucoup de groupes veulent le meilleur pour le groupe. Nous, on veut le meilleur l’un pour l’autre. Je veux que mon pote soit heureux. On est un groupe, mais ce groupe s’est transformé en une amitié sincère. El-P est mon producteur, on sait tous qu’il fait des sons mortels, mais en tant qu’ami… Mec, mon ami, tu le connais pas ! [rires]

E : En général, au moment où tu deviens suffisamment adulte pour être capable de développer une vraie amitié, tu n’es plus assez à la pointe pour faire du bon rap. Et c’est en ça qu’on est uniques. Parce qu’on a presque quarante ans, mais ça y est, on a chacun trouvé un équilibre dans nos vies. On n’est plus aussi cinglés qu’avant, et c’est parce qu’on a trouvé quelqu’un pour nous aider à traverser ce bordel. Je pense qu’au moment où on s’est rencontrés, nos points de vue avaient changé, on était un peu plus ouverts. La seule différence, c’est qu’on sait toujours rapper. [rires] Je suis sûr qu’aujourd’hui, Kid ‘n Play sont probablement les meilleurs amis du monde. Ils doivent s’adorer, prendre du bon temps, mais par contre ils sont incapables de rapper correctement. [rires]

« On arrive à un point où je vais dire des choses que Mike aurait dû dire à ma place, et vice versa.  »

El-P

A : Quel est le premier souvenir que vous avez l’un de l’autre ?

K : Mon premier souvenir, c’est quand on s’est rencontrés au Patchwork Studio. Quand El s’est mis à parler, il était le stéréotype absolu du New-Yorkais, et en tant que mec du Sud, j’ai trouvé ça très charmant. Tout le monde était super gentil, mais lui il était juste brutal ! Pas méchant hein, mais les New-Yorkais sont des gens durs. C’était marrant de le voir au milieu de gens du Sud qui étaient tous très serviables avec lui. Je me souviens m’être dit : « Ce mec était complétement new-yorkais. Je vais le kiffer. »

E : On s’est rencontrés directement en studio. On avait échangé quelques tweets avant ça, peut-être qu’on s’était parlé une fois par téléphone, mais on s’est vus pour la première fois en studio.

A : Vous vous suiviez avant ça ?

E : Je n’aurais pas pris l’avion pour Atlanta si je n’avais pas su ce qu’il faisait, et si je n’avais pas été intéressé par une collaboration. Évidemment, j’avais en tête tout ce qu’il avait fait avec OutKast. À l’époque de l’album Monster, il n’était pas vraiment sur mon radar parce que c’était une époque où je réalisais tout un tas de disques dans mon coin. J’étais dans mon monde. Je me suis à nouveau intéressé à lui quand il a fait la série des mixtapes The Pledge. Quand je l’ai vu en mode bandana, Grind Time, quand j’ai entendu les morceaux, ça a immédiatement capté mon attention. Il racontait des vrais trucs, un peu à la Ice Cube. The Pledge 2, c’est vraiment un projet que j’attendais de pied ferme. J’ai adoré cet album. J’ai aussi aimé le volume 3, mais à ce moment-là, on s’était déjà rencontrés. Je ne connaissais pas tout son répertoire, mais je savais que ce type était un pur rappeur.

K : C’est ce qui fait la beauté du truc : il n’y avait aucun préjugé de part et d’autre. On savait juste qu’on était bons, et qu’on allait faire des trucs mortels ensemble. Quand il m’a joué son premier beat, qui est devenu plus tard le morceau « Big Beat », je l’ai regardé en me disant : « Il faut qu’on fasse ce disque. » D’ailleurs, je pense que si tu places trop d’attentes dans une collaboration, si tu crois savoir par avance ce qui doit se passer, la magie se perd. C’est pas ce qu’il s’est passé dans notre cas.

A : Quand on regarde les intervenants de Run the Jewels 2, on trouve des représentants de la Dungeon Family, Rawkus, Hypnotize Minds, Rage Against the Machine… Et on se dit que ce genre de rencontres, pour beaucoup, reste encore inattendue, voire anormale.

E : Pour moi, Run the Jewels met fin à ce genre de raisonnement.

A : Justement : on a l’impression que ces barrières existent avant tout dans la tête de certains auditeurs, mais pas dans la tête des artistes.

E : Absolument. C’est complétement ça. Les musiciens ne raisonnent pas comme ça. En tout cas pas les vrais musiciens. C’est pas nous qui inventons tous ces sous-genres musicaux.

K : En termes d’influences, le rap est sans doute la forme musicale la plus avancée, rien qu’au niveau de la production. Sur un seul morceau de rap, tu peux trouver des cuivres samplés dans le jazz, des guitares issues du rock, un bruitage venu d’un vieux Disney… C’est du mélange. Pour moi, il ne devrait pas y avoir de règles dans le rap, et il n’y en a pas. Avant, il y avait des gens qui pensaient que je ne connaissais pas Rakim car je venais du Sud. Ce genre de raisonnement, il vient de gens qui restent derrière leur ordinateur. Mais lève-toi mec, et viens voir les concerts ! Les concerts, c’est vraiment l’une de plus belles évolutions auxquelles j’ai assisté dans ma carrière. Ce mélange de gens différents qui ne se seraient pas forcément croisés en dehors. Mais ils sont là, à nos concerts, ensemble, et c’est quelque chose qui me touche énormément. Parce que c’est ce que représente le rap à mes yeux.

E : Moi, je dirais que les gens devraient rester prisonniers de leurs règles bizarres, comme ça on passera pour des dieux. [rires] Mon objectif, c’est que les gens restent bousillés, et qu’ils nous laissent voir que rien de tout ça n’a d’importance. S’ils commencent à en prendre conscience, on va être dans la merde.

K : T’inquiète, on est trop forts, on n’a pas à s’inquiéter.

E : Ceci dit, je pense que ce point de vue s’est considérablement affaibli. Au début des années 2000, on a atteint un point de non-retour : les auditeurs devaient s’identifier à un sous-genre musical. Il fallait écouter tel ou tel genre de rap, telle personne ne pouvait écouter tel morceau. Mais ni Mike, ni moi n’ont été élevé comme ça. On vient d’une époque où chaque nouveau disque était simplement un nouveau disque de hip-hop, et des disques, il y en avait pas en grande quantité. Quand un disque sortait, tout le monde allait l’écouter, parce que c’était notre musique. Chaque disque représentait une nouvelle idée, une nouvelle personnalité. Un jour tu écoutais les Fat Boys, le lendemain tu avais Slick Rick qui parlait de bijoux et de sodomie en prison. [rires] Tu passais de Big Daddy Kane à Too $hort, de NWA à De La Soul. Au bout d’un moment, le genre est devenu suffisamment grand pour que des gens puissent commencer à tracer des lignes dans le sable. Mais je suis en profond désaccord avec cette manière d’envisager la musique. Je pense au contraire qu’il faut permettre aux gens d’être plus compliqués qu’ils semblent être. Soyons plus respectueux des gens, laissons-les être des individus complets. Ça ne me pose aucun problème de sortir un album qui parle de tuer un caniche puis de violence policière. C’est la nature humaine : l’humour et la tragédie font partie de nous, et non seulement ces aspects se croisent, mais ils doivent se croiser. La musique, c’est pareil. Il n’y a pas un seul groupe de rock anglais qui n’a pas été influencé par la musique noire du sud des États-Unis. On s’influence tous mutuellement. L’homogénéisation peut donner lieu à des choses intéressantes, comme le développement d’un son régional, mais au final, il faut bien que tu ailles voir ailleurs pour rencontrer la femme de ta vie. Tu vas pas épouser ta cousine. Tes gosses risqueraient d’être un peu bizarres. [rires] Ce que Mike et moi on fait, c’est quelque chose qui ne peut pas être catégorisé. Et ça, j’en suis très fier, parce qu’on ne dicte pas aux gens ce que les choses devraient être. Nous sommes ce que nous sommes, et c’est tout.

« Il n’y avait aucun préjugé de part et d’autre. On savait juste qu’on était bons, et qu’on allait faire des trucs mortels ensemble. »

Killer Mike

A : Il y a un public de tous horizons dans vos concerts.

K : Et leurs influences sont aussi vastes que les nôtres, et ça c’est vraiment cool. J’ai d’ailleurs des fans qui me font découvrir des trucs. [à El-P] C’est comment le nom de ce groupe avec qui on va bientôt travailler ? Les trois gamins qui viennent d’Australie.

E : Disclosure ?

K : Non, pas Disclosure, ça c’est un gros truc. [à une connaissance] Hé Mitch, le groupe australien, il s’appelle comment ? [Mitch lui donne la réponse] BADBADNOTGOOD, voilà. Des Canadiens. Mec, ces enfoirés sont super forts. Ils ont fait ma première partie un jour, et j’en ai parlé sur Twitter. Direct, j’ai des gens qui m’ont dit d’aller leur parler. Et j’ai découvert qu’ils étaient fans de ma musique. C’est vraiment mortel d’avoir des fans qui ont validé ce groupe pour moi. Moi, je voulais faire le malin, genre j’ai découvert un jeune groupe, et mes fans répondent qu’ils les connaissent depuis longtemps ! Je suis en admiration devant la sensibilité artistique de notre public. J’ai vu les fan arts les plus dingues depuis le Wu-Tang. Il y a de vrais artistes parmi nos fans, c’est merveilleux. Il y a un échange d’énergie qui nous fait grandir et nous emmène dans des directions inattendues. Avoir un public comme ça, c’est une vraie récompense.

E : Il y a un nouveau profil chez les fans de musique, car il y a eu de grands pas en avant dans le mélange des genres musicaux. Au cours des cinq dernières années, le hip-hop est devenu bien plus curieux envers les autres genres. On assiste à une vraie « pollinisation croisée » des publics. Kanye en est un bon exemple. D’autres l’ont fait, mais Kanye est tellement énorme qu’à partir du moment où lui l’a fait, ça a tout changé. Quand des gens comme lui ont cette démarche, ça redéfinit complétement le comportement du public. J’espère que Mike et moi, on y contribue également, ne serait-ce qu’en étant ensemble sur scène. Je sais qu’au fond, ce que beaucoup de gens pensent en nous voyant, c’est : ils ne peuvent pas être ensemble, sachant que l’un est Noir, et l’autre Blanc. Soyons honnêtes : c’est ça que pensent beaucoup de gens. Je le sais et je le comprends, parce qu’on a été formés à penser comme ça pendant des centaines d’années. La réponse, c’est qu’il n’y a pas de réponse : ouvre ton putain de cœur, ouvre ton putain d’esprit. L’énergie prend le dessus quand l’intellect échoue.

A : Pourquoi avoir sorti l’album gratuitement, et en avance ?

E : On a dû le sortir quatre jours plus tôt que prévu, mais ça allait être un album gratuit dans tous les cas. On savait qu’il y allait avoir une fuite. Comme l’album était en magasin, c’était inévitable. Dès qu’on a vu que quelqu’un avait balancé une version pourrie sur Internet, on a décidé de sortir le disque de la manière dont on le voulait, avec les textes et les visuels en haute définition. L’idée de sortir ce disque gratuitement, comme le premier, c’est un système qui nous convient. Je ne sais pas si ça pourrait marcher pour d’autres, mais pour nous, ça a du sens, car ça correspond à la relation qu’on veut avoir avec notre public. On veut que nos fans sachent qu’on attend pas d’eux une loyauté absolue, donc on fait le premier pas : on leur file l’album. On veut ton cœur, ton énergie, on veut que tu viennes nous voir en concert, on veut que tu nous soutiennes et que tu participes. Donc, voici le disque. On ne va pas te forcer à l’acheter. Écoute-le simplement. Tu veux l’acheter ? Cool. Pour nous, c’est une question de respect.

Au cours des dix dernières années, beaucoup d’artistes se sont mis en colère en essayant de gérer cette nouvelle réalité de l’Internet. Ils ont commencé à traiter leurs fans comme des criminels. Mais non, tes fans ne sont pas des criminels, ils sont la raison pour laquelle tu existes en tant qu’artiste ! On ne peut pas résumer les choses comme ça, tout comme on ne peut pas penser que c’est cool de voler le travail de quelqu’un. Alors, quel est le juste milieu ? Quel sera l’échange qui fera que chaque partie se sentira bien ? Nous, on choisit de laisser le choix à l’auditeur : on fait quelque chose, et on aimerait bien que tu y prêtes attention, et que tu te sentes concerné. Parce que franchement, on aimerait bien continuer à faire de la musique pendant dix ans encore. On aime ça !

A : Mike, on est toujours obsédés par la Dungeon Family.

K : Moi aussi. [rires]

A : … Mais après tout ce temps, faut-il laisser tomber l’espoir de retrouvailles ?

K : Non, car je suis la Dungeon Family ! Si tu me soutiens, ça veut dire que tu ne laisses pas tomber. Je n’ai pas abandonné tout espoir, mais je ne tiens pas le même rang dans la Dungeon Family que dans Run the Jewels. Mais ce que je peux te dire, c’est : sois optimiste, parce que non seulement nous serons sur le prochain album de Big Boi, mais je sais aussi qu’Organized Noize travaille à la direction artistique du disque. Tu voudras sans doute y jeter une oreille. Pour ma part, j’ai entendu les morceaux, et ils sont très impressionnants. Je pense que Big Boi va faire un retour triomphal vers ce son que vous aimez.

A : Il y a nom qui revient souvent autour de Run the Jewels, c’est Jason DeMarco, le directeur de la création chez Adult Swim. Quel rôle a-t-il joué dans le projet ?

K : Jay est notre meilleur soutien. Il nous a présenté l’un à l’autre, en espérant que ça colle musicalement – et ça a collé. Quand il nous a vu causé pendant quarante minutes, il est parti, car il savait que son plan avait marché. Il s’est simplement dit qu’on allait bien s’entendre. Il a d’ailleurs dit que la chose la plus intelligente qu’il avait jamais faite, c’était de nous mettre dans la même pièce et nous laisser tranquilles. Je ne le remercierai jamais assez pour ça. C’est un mec très malin, très cynique, mais c’est sans doute la chose la plus optimiste qu’il a jamais faite.

E : C’est un optimiste secret !

K : C’est tout à fait ça. Je me souviens : quand il est arrivé et nous a vu en train de discuter, il a dit « Je reviens. » Et il est parti.

E : L’élément le plus important de Run the Jewels, à part Mike et moi, c’est lui.

A : Et qui est Little Shalimar, qui est crédité comme co-producteur de presque tous les titres ?

K : C’est Taco !

E : Il faisait partie du groupe CHIN CHIN, avec son frère. J’avais sorti leur album chez Def Jux. Ils font partie de mes meilleurs amis, et ils étaient également mon groupe en tournée. J’aime beaucoup travaillé avec Taco, c’est un excellent guitariste, un grand percussionniste, et juste un super type. Par le passé, l’un de mes gros problèmes, c’était que je m’isolais trop quand je faisais de la musique. Je n’étais pas ouvert à l’énergie des autres. Je pensais que j’avais pour mission de tout faire moi-même. Ce qui m’a sauvé, c’est de me détendre un peu, et de laisser entrer d’autres personnes dans la pièce, même si je suis encore très sélectif à ce niveau. Little Shalimar a emmené son bébé dans le studio. On a passé deux semaines ensemble, ma copine et moi, Mike et sa femme, Taco, sa femme et son petit… C’est une affaire de famille, tout ça. Mike et moi, on a fait du tri dans nos relations, et on s’est rapprochés des gens qui apportaient du sens. Des gens qui nous prenaient pour ce que nous sommes. On a autour de nous ce petit groupe de gens qui font partie intégrante de l’expérience Run the Jewels.

M : Notre tour manager a rencontré sa copine avec nous, quand on fait la croisière Coachella, et je pense qu’ils vont faire leur vie ensemble. Leur anniversaire arrive dans quelques jours, elle va d’ailleurs venir en France. Ce genre de trucs, ça n’arrive pas dans le rap normalement ! Dans les cercles du rap, tu rencontres une groupie, et tu l’oublies le lendemain. Là, nos femmes respectives sont amies. Ma femme, la copine d’El, les épouses de notre DJ et notre ingénieur son. Tu vas les croiser, les quatre ensemble. Je me suis beaucoup isolé quand j’ai réalisé The Pledge 3, parce que je voulais me prouver que je pouvais faire un grand disque par moi-même. Puis j’ai trouvé le partenaire idéal avec El-P, et maintenant on a cette petite coopérative de gens qui travaillent ensemble, qui voyagent ensemble, et qui font que ça marche. Je n’échangerais ça contre rien au monde.

Run the Jewels - « Oh My Darling (Don’t Cry) » (2014)

Fermer les commentaires

1 commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*

  • David,

    Super interview ! J’aimais déjà beaucoup leur boulot, je suis Mike depuis pas mal d’années et je dois avouer que leur état d’esprit me donne encore plus envie de les soutenir dans leurs futurs projets.