Rachid Santaki
Interview

Rachid Santaki

Marketeur hors pair, journaliste, romancier : Rachid Santaki ne cumule pas les mandats mais les idées. Des 93MC à Mac Tyer, retour sur vingt ans de hip-hop avec une figure de Saint-Denis.

Photographie : Draft Dodgers

Abcdr du Son : Raconte-nous ta rencontre avec le hip-hop…

Rachid Santaki : Quand je suis arrivé à Saint-Denis, au collège où j’étais, il y avait Swen des 93MC. Et, par gens interposés, j’ai aussi rencontré Gabin des Aktuel Force. J’ai grandi avec ces gens frappés par la culture hip-hop, cet univers était autour de moi mais je ne l’ai pas directement vécu. Alors que mes camarades de classe ou d’école allaient défoncer les trains la nuit, dansaient aux Halles… Je les côtoyais mais je n’étais pas dans leur champ d’action. Plus tard, au lycée, j’avais un pote qui graffait, il avait la cassette Le Monde de Demain/C’est Clair [NDLR : Premier maxi de NTM, sorti en 1990], il me parlait de Mode2… A la base, mon truc, c’était la funk puis la new jack… Quand il y a eu Time Bomb, ça m’a interpellé. C’était du rap américain en français. Les mecs abordaient des thèmes de manière très subtile… Ça devenait intéressant. Le rap français a commencé à me parler. Et puis, au-delà de ça, inconsciemment, ce qui m’intéressait, c’était l’aspect social de cette musique. Je m’y suis identifié.

Après, tout le reste est revenu et, quand j’y pense, la culture hip-hop était en fait omniprésente depuis mon enfance. Étant petit, je lisais beaucoup de comics : Jack Kirby, les Marvel de l’époque et même ça, c’était hip-hop. Je l’ai réalisé il y a peu de temps, en faisant le portrait de Nova, un graffiti-artist belge. Il a une grosse influence des comics et j’ai reconnu tous ces grains. Je lui demande si ça l’a influencé, il me répond que oui. Et je lui dis : « Mais est-ce que les scénaristes et dessinateurs de l’époque n’ont pas aussi été influencés par le hip-hop ? » Il me dit : « Ouais, franchement, c’est une bonne question. » Et je me suis rendu compte que le hip-hop était partout et plein de trucs qui étaient en moi sont sortis. Finalement, le hip-hop a toujours été là, j’ai grandi avec sans le savoir. Avec un de mes meilleurs potes, Keury, de la marque Wrung, issu du graffiti, quand on regarde, on a les mêmes influences. Sauf que ces mecs-là étaient activistes, ils allaient poser… Par honnêteté, je ne peux pas dire que j’étais activiste car je ne jouais pas, à cette époque, un rôle dans cette culture. Mais à partir du moment où tu es curieux, tu ne peux pas passer à côté de ça. Et tout ça est ressorti en 2000, via la création du site hiphop.fr. Grosse expérience, avec nos travers et codes de l’époque.

« Le 22 avril 2002, je suis chez Fifou, le graphiste, et je reçois un texto : « Le Pen est au second tour ». Avec Aniès, on mobilise les gens dispo’ pour faire un morceau, juste histoire de faire un coup »

A : Comment en vient-on à créer un site consacré au hip-hop ?

R.S : Concrètement, c’est Whitelock, un pote DJ et champion de DMC, qui vient me voir en mai 2000 et me dit : « Rachid, truc de ouf, le nom de domaine hiphop.fr est libre. Y a moyen de monter un site internet, on va se faire des sous… » Je le canalise un peu, j’étais un peu plus âgé que lui… Mais on lance le truc. On fait les démarches à la Chambre de Commerce, on monte les statuts… J’apprends à monter une entreprise. Et au lancement du site, Urban Act, une entreprise de street marketing gérée par Olivier, un ancien de Saint-Ouen qui a pris pas mal de sous avec le street marketing pendant les grosses années du rap, décide d’investir de l’argent dans ce projet. Il nous fournit des locaux tout neufs, on achète un serveur à 100 000 Francs… On avait un capital de 200 000 Francs. Et c’est la désillusion… Hicham [NDLR : Whitelock] gère n’importe comment. Embrouille en interne, un peu comme dans les groupes de rap en fait… On lui propose d’arrêter de travailler sur le site pour qu’on le développe. On est en 2001, là. Ma vision à l’époque, déjà, c’est d’être professionnel. Je connais le monde du travail, je pratique un sport qui demande de la rigueur et j’applique ses codes dans tout ce que je fais. Sauf qu’on est plusieurs. Et en fait, c’est une impasse, un échec. Il y a un loyer à payer, un serveur à 100 000 Francs qui nous coûte super cher en terme d’hébergement… ClariNet, l’hebergeur, nous allume à l’époque. Il faut rapidement trouver un modèle économique. Après un an et demi à tourner en rond, j’ai une idée. Je regarde la presse, on a une dizaine de titres rap dans lesquels on retrouve énormément de pub… Nous, on a déjà une certaine audience : on couvre des battle de danse, on est présent chaque samedi matin dans l’émission de Bob et Princesse Aniès – qui est une proche à l’époque –, Oxmo arrête le rap et est souvent avec moi… Il y a un petit noyau qui squatte à hiphop.fr. L’idée, c’est de trouver un moyen de gagner de l’argent alors qu’on sait qu’il y a des notes internes dans les maisons de disques disant qu’internet n’est pas quelque chose de fiable et qu’on ne peut pas communiquer dessus.

A : Quelle solution trouves-tu ?

R.S : Tout simplement, je me dis que je vais leur proposer un magazine papier. Un jour, on parle avec Nicolas Trotot – chef de produit chez Delabel – et il me dit :  »Si tu fais un magazine papier, je communique direct. » Je sors de chez Hostile, je prends mon téléphone, j’avais un contact à la Fnac des Ternes. Je réussis à avoir une première diffusion. Et comme cette personne est en relation avec tous les responsables de com’ de tous les magasins : château de cartes. On commence avec un magazine en 16 pages, fait à l’arrache… J’ai commencé avec zéro franc, j’avais un pote imprimeur, je lui dis : « Écoute, tu me fais une traite à trente jours, je lève des fonds avec les pubs, si j’amortis et dégage du bénef’, les bons de commandes te prouveront que c’est opé’… » Ça se passe super bien, je fais 6 000 euros. Le magazine passe de 16 à 24 puis 32 pages. On vend un package site/papier. Il y a plein de perspectives, c’est une période d’espoir. Cette époque était riche en évènements. Un souvenir d’hip-hop.fr : c’est le morceau « Hip-Hop Citoyen » dont je suis à l’initiative, avec Princesse Aniès. Le 22 avril 2002, je suis chez Fifou, le graphiste, et je reçois un texto : « Le Pen est au second tour« . Avec Aniès, on mobilise les gens dispo’ pour faire un morceau, juste histoire de faire un coup. Ce n’était pas pour inciter les gens à aller voter, parce que la citoyenneté, c’est une démarche personnelle. Tu avais 26 rappeurs en tout : Ol Kainry, Sniper, Triptik, la Scred, Zoxea, Black V.Ner, Maj Trafyk… Ce morceau installe le site internet. Je pars en vacances au Maroc. Je reviens et le site ne marche plus. A l’époque, on tapait pas loin des 100 000 visites par mois, ce qui était énorme. Ça nous pénalise parce qu’on avait un fonctionnement quotidien. On devait faire des démarches administratives, on avait rendez-vous aux impôts. La personne qui s’occupe de notre dossier fait rentrer Hicham, on ne comprend pas ce qu’il fait là. Il commence à dire : « Ouais, ils m’ont carotté mon site… » On comprend qu’il y a un truc qui n’est pas net. On file à la Chambre de Commerce de Bobigny, on découvre qu’il a changé les statuts pendant nos vacances, qu’il s’est renommé gérant et qu’il a récupéré le site. Si on se prend la tête avec lui, on va perdre de l’énergie et du temps pour rien. Et, surtout, c’était son idée à la base, ils nous a greffés dessus : c’est son bébé. On décide de lâcher l’affaire, on passe à autre chose.

A : Comment naît 5Styles ?

R.S : Comme je me suis constitué un réseau, je me dis que je vais aller vers la presse et revenir sur le net plus tard. A l’époque, je suis très proche de IV My People. Il est question de faire un nouveau magazine Authentik de 150 pages, comme Sony avait fait. Mais on part finalement sur notre propre magazine. Je cherche un nom et, avec Stéphane [NDLR : Ackermann], on décide qu’on l’appellera 5Styles. On s’est lancé en s’associant avec Fabrice Allouche, un boxeur, également responsable de communication de la marque Com-Eight. On a pris ce nom, car quand j’arrivais face aux annonceurs, je remarquais qu’il y avait un mépris de dingue pour la culture hip-hop, un amalgame avec la banlieue. L’idée était de partir sur un magazine plus large pour avoir des moyens. Et, après, on pourrait faire passer cette culture avec le sourire. A l’image de la couverture de 5Styles avec Miss France : « J’adore le 113. » C’était ironique, ce magazine était un mélange des genres pour aller au delà de la culture hip-hop. On lance 5Styles en janvier 2003, avec Busta Rhymes en couv’, un 36 pages. Franchement, c’était fait à l’arrache, je n’avais pas le recul que j’ai aujourd’hui. Les numéros s’accumulent et plus ça avance, plus je deviens pro. Je rencontre d’autres journalistes, je me nourris de ces fréquentations. Il aura fallu quatre ou cinq ans pour maîtriser le monde de l’édition.

A partir de ce moment, on arrive à quelque chose d’intéressant. On a fait un concept recto/verso avec une couv’ rap et une couv’ non rap, pour ne pas faire fuir les annonceurs. Grâce à ça, on s’est ouvert pleins de réseaux. L’idée, c’était de faire entrer la culture hip-hop partout sans lui faire perdre son identité. En créant la passerelle entre les institutions et cette culture, j’ai gagné le prix espoir d’économie en 2006. J’ai côtoyé beaucoup de gens, eu pas mal d’opportunités… L’aventure du magazine a duré pendant huit ans. Bête d’aventure qui me permet aussi de tâter le terrain du street marketing. On était présent dans les concerts. On a diffusé le magazine avec plein de réseaux de distributions : Courir, la Fnac, Made in Sport, la SNCF… Et puis on est parti sur un projet avec la marque Bullrot où il était question de développer le magazine entre 200 et 500 000 mille exemplaires. Mais ça ne s’est pas fait. C’était en juin 2007 et c’est là qu’a commencé le déclin de 5Styles. J’avais fait le tour et, moi, je marche beaucoup au kif, alors qu’au début de ces projets, c’était l’illusion de marcher pour les thunes.

J’ai doucement fait une transition vers l’écriture. J’ai écrit un livre qui s’appelle La Petite Cité dans la Prairie. C’était un truc perso, qui n’était pas voué à être édité. Quelqu’un que je n’aimais pas trop l’a lu et a été touché par le livre. Je me suis dit : « Pourquoi pas ? » C’était une grosse connerie. Il a été fait à l’instinct. Mais pas mal de gens ont été réceptifs. Je me suis dit que j’avais envie de faire du roman. C’était au moment des séries Braquo, Engrenages… De là, je me dis : « Mélange. » Je vais rajouter les codes de la culture hip-hop, il y a un truc à faire. Je travaille un an et demi sur Les Anges S’habillent en Caillera. Et je découvre en parallèle qu’il y a un mec qui s’appelle Pelecanos et qui a déjà cette démarche. Quitte à choquer les gens, pour moi, c’est pas extraordinaire ce qu’il fait. Il est très documenté, il a une écriture super précise et il réussit à te mettre dans des ambiances. C’est en cela qu’il est très fort. Je me rends compte que j’ai la même démarche, mais à mon époque. La sortie des Anges a lieu. Il est bien accueilli. L’idée était de travailler le livre comme un disque de rap. J’ai vu plein de parcours de rappeurs, j’ai développé un recul intéressant, qui me permet d’analyser ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Tu deviens un peu un bookmaker. Tu sais quand ça va prendre. Et tout ça, tu peux l’utiliser dans ton projet. Dès le départ, j’étais un marketeur, à côté du kif. C’est un truc viral, lié à la culture hip-hop. L’idée, c’était d’utiliser les codes, tout ce que j’ai vécu, dans le projet du livre. J’ai été faire l’affichage moi-même. Alors que tout le réseau, je l’ai. Mais en tant qu’auteur qui personnifie Saint-Denis, j’étais obligé de montrer que je connaissais la ville. Je peux aller coller à trois heures du matin à la gare de Saint-Denis, les crackers ne vont rien faire du tout. Je regardais une émission littéraire l’autre jour, je me disais :  »Merde, est-ce qu’il y en a un qui serait capable de le faire ? » Aller dans la rue pour ramener tes textes, c’était l’idée. Sans que ce soit intellectuel, juste pour l’action. C’est un truc typiquement lié à la culture hip-hop.

A : Ce qu’on retrouve aussi dans certaines disciplines du graff où le but est d’apposer son blaze dans le maximum d’endroits…

R.S : C’est exactement ça. Le graffiti, c’est la genèse du street marketing. NTM, pourquoi ils ont explosé ? Parce que les 93MC ont niqué la ligne 13. C’est ça, la street promo. Et quand tu le fais, tu sais que ça va parler aux gens. Certains sont dans l’élitisme, ne veulent pas se salir. Mais les gens te respectent énormément quand ils voient que tu bouges, que tu fais les choses. La démarche leur parle, ils s’y identifient. On a deux codes dans la vie : l’argent et les convictions. Les convictions, tu les défends par le travail. Les convictions constituent le socle. Tu peux fédérer avec. L’argent, tu le manges et tu vas aux toilettes après. Tu vois, le succès de Booba, au-delà de l’artistique, tout le monde s’est dit qu’il allait se casser la gueule quand il a dit pour 0.9 : « Je vais faire sans Skyrock, je vais n’utiliser que le net, je les emmerde… » En fin de compte, le mec a fait son truc et l’album d’après : boum. Les gens ont adhéré à la démarche du bonhomme. Donc, moi, je fais les choses avec conviction et s’il faut aller coller et distribuer des flyers, il n’y a pas de problèmes. Je viens d’un milieu populaire où on a toujours taffé, pourquoi ne reprendrais-je pas ces codes ? Surtout que mon travail est un kif. Tu fais un bouquin, tu le défends, tu le vends, tu le passes en poche… Après, il y a aussi le cinéma. Je suis en train de bosser avec Pierre Lacan pour l’adaptation. On budgétise le projet, on va rentrer en écriture du scénario. Ton projet a trois vies, tu en vis… Après, c’est exceptionnel, faut pas se mentir. Je suis parti coller 3 000 affiches en Seine Saint-Denis et ça a payé. Je suis un peu un insolent et je trouve des solutions très rapidement. Je m’identifie grave à Futé dans L’Agence Tout Risques, j’ai sa débrouille mais pas sa belle gueule. [sourire]

« Le graffiti, c’est la genèse du street marketing. NTM, pourquoi ils ont explosé ? Parce que les 93MC ont niqué la ligne 13. »

A : Comment as-tu rencontré Mac Tyer, récemment auteur d’une chanson dédiée à ton livre, Des Chiffres et des Litres ?

R.S : J’ai connu Mac Tyer par le biais de mon travail dans la presse. Je l’ai croisé la première fois alors qu’il était en radio sur Mission Suicide. Les Anges S’habillent en Caillera a été écrit sur D’Où Je Viens, je l’ai donc invité car il connaît Saint Denis et parce que j’aime sa musique. Il a porté plusieurs projets comme La Trilogie ou Patrimoine du Ghetto et la combinaison rap dark et polar était à faire. On a donc collaboré sur ce projet. Il a fait un morceau dédié au roman, clippé et mis en court métrage par Pierre Lacan, qui a fait Légitime Défense avec Jean-Paul Rouve. C’est original de voir ton livre décliné par un rappeur et un réalisateur. AKH avait fait un son pour sa bio et Monsieur R, un son pour Besancenot. Là, c’est différent, c’est pour un roman, complètement scénarisé, c’est inédit. Réunir des gens issus d’horizons différents et les réunir autour d’une table, ça me fait grave kiffer.

A : Si tu devais choisir trois titres de Mac Tyer ?

R.S : « 93 Hardcore »  : Un classique du rap français, pour son côté sale et ses lyrics : « Je baiserai la France jusqu’à ce qu’elle m’aime. » Et ce clip… Après « Pour Ceux » de la Mafia K1fry, le duo a marqué son époque avec de l’image bien dure, bien hard, qui a repositionné la Seine Saint-Denis dans le hardcore.

« Le Général »  : On retrouve Mac Tyer sur un titre à l’ambiance plus calme et qui annonce celle du Général. Ce titre me parlait a l’époque de 5styles, je prenais de la maturité dans le métier de la presse, j’avais essuyé quelques déceptions amicales et professionnelles… L’image du soldat devenu général me parlait dans ce morceau.

« D’où Je Viens »  : Un clip de qualité, et un morceau qui résume bien le décor des Anges S’habillent En Caillera. Ce titre m’a inspire dans l’écriture bien dark et pour Stéphane Kabiri, le flic ripoux des Anges, et plante le décor sombre de la Seine Saint-Denis.

A : Tu es assez proche d’Oxmo Puccino… Comment vos chemins se sont-il croisés ?

R.S : On a fait une interview à l’époque d’ hiphop.fr, en 2001, et il s’avère qu’on avait plein de connaissances en commun. Il était à la fac de Saint-Denis avec des gens qui étaient avec moi au collège. Et, à cette époque-là, le site est à l’origine d’un gros battle hip-hop aux Halles : Benji versus Junior. C’est parti de notre forum, les deux se sont embrouillés. Il y avait 800 personnes, ça a pris une proportion énorme. La vidéo a tourné dans le monde entier. Oxmo voit tout ça, on est souvent ensemble et il vit ce que hiphop.fr vit. C’est après L’Amour est Mort, il vient d’arrêter le rap. Il était très branché sur les nouvelles technologies et il hallucinait sur ce qui se passait. Notre site était un monde où il se passait plein de choses. Je lui disais : « Ouais, tu devrais même pas arrêter… » Lui se posait la question de s’il allait reprendre ou pas…

A : Puis il revient avec « Avoir des Potes »

S : Il est chez un pote en Martinique, il me l’envoie par mail et il le met en copie au chef de produit. Le chef de produit lui dit qu’on peut en faire un single, il l’encourage. Et il est reparti. Au moment où il avait arrêté, on était souvent ensemble, c’était une pause intéressante. Moi, je commençais, deux destins qui se croisent… Puis on s’est retrouvé pour la préface des Anges. Des amitiés comme ça par le biais du hip-hop, il y en a eu plein. Princesse Aniès, à l’époque de Conte de Faits… Gabin des Aktuel Force, les 93MC… Quand ils avaient organisé leur événement sur Saint-Denis, on se voyait souvent au bureau et on avait placé une pub…

A : Tu étais proche de Kool Shen également ?

R.S : Avec Stéphane, on était davantage proches de son label que de lui, notamment de Salem et Karimbo, qui faisaient partie de l’équipe de Kool Shen, parce qu’ils étaient de Saint-Denis. Princesse Aniès était signée chez lui et il y avait aussi Secundo, un producteur que j’apprécie beaucoup et avec lequel j’ai pas mal d’affinités. Fabrice Allouche également, un boxeur très proche de Kool Shen, qui a fait la préparation de NTM quand ils sont remontés sur scène. On a eu ce projet de refaire un magazine dans le même esprit qu’Authentik pour IV My People, autour de Kool Shen. Mais ça demandait beaucoup de boulot et d’organisation.

A : Quels points communs penses-tu qu’il y a entre la boxe, le rap et la littérature ?

R.S : L’énergie. En boxe, tu as une maîtrise technique : savoir dévisser le poing, placer les coups de genoux, tenir à distance ton adversaire… A partir de là, tu vas pouvoir travailler des thématiques. Par exemple, tu fais une mise de gants et tu ne t’amuses qu’à planter des genoux… Tu traites les thèmes selon la technique. Le rythme, tu l’imposes par le thème, la manière dont tu vas travailler. La mise de gants, c’est plus intense qu’une compétition mais sans le stress de celle-ci. Tu t’amuses, tu fais des bruitages… Le rap, c’est pareil. Regarde les mecs les plus forts : ils ont la technique, ils sont relâchés, fluides… Les boxeurs qui arrivent et font des têtes de ouf, ils sont déjà contractés, tu vas les taper et il vont exploser comme un oeuf. Les boxeurs Thaï, ils arrivent en rigolant, ils sont légers mais quand ils te l’envoient, t’es pris… Le rap, c’est pareil. Je pense que les artistes les plus forts sont ceux qui ne se prennent pas au sérieux. Ce qui n’empêche pas d’être professionnel. La littérature, c’est pareil. Mes meilleurs chapitres sont ceux que je fais en m’amusant. Mais tu retravailles ton texte sans cesse, le peaufine, comme un boxeur qui se prépare pour un combat, jusqu’à ce qu’il soit sec. Quand tu montes sur le ring, on voit que tu as travaillé. La clé, c’est la fluidité. Et tu peux l’appliquer dans n’importe quel domaine.

A : Tu as écoulé combien d’exemplaires des Anges ?

R.S : On en a vendu 7 000. Au départ, mon éditeur avait fait une mise en place de 2 000. Il est sorti le 21 janvier 2011 et on a eu une rupture de stock dans les jours qui ont suivi. On a visé trop bas mais on ne pouvait pas savoir. C’est difficile d’évaluer l’engouement. Pendant dix jours, on n’avait pas de livres. En sachant que j’ai eu la page trois de 20 Minutes, cinq diffusions au journal de France 3, du dimanche soir au mardi soir. Il y a eu France Info, LCI… Et, bien sûr, c’était pile au moment où on était en rupture de stock. Erreur de fou [rires]. On avait 250 demandes par jour et on n’avait plus rien. Et, bizarrement, au onzième jour, c’est reparti comme si de rien n’était. On aurait peut-être pu péter les 10 000. Mais c’était mortel en tout cas, j’ai kiffé. L’idée, là, c’est d’aller encore plus loin.

A : L’industrie du livre est-elle comparable à celle du disque ?

R.S : Complètement. Et comme je connais les codes du disque… J’ai beaucoup analysé les succès et les échecs de certains artistes. L’expérience du magazine a été très bénéfique et m’a permis de comprendre l’industrie musicale. Mais la différence avec le disque, c’est que le livre peut avoir plusieurs vies. L’édition de poche, c’est presque une nouvelle vie parce que le livre est à bas prix. Tu touches d’autres gens. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas avec la réédition d’un disque.

A : Bizarrement, le personnage principal des Anges est davantage tourné vers la chanson française que vers le rap…

R.S : Je ne pouvais pas travestir Le Marseillais, personnage qui existe vraiment, et le rendre hip-hop. Je me suis inspiré de lui. Tout le reste est fiction et quand j’ai pu placer du hip-hop, je l’ai placé. Il y a beaucoup de clins d’oeil. Notamment par rapport à « Demain c’est Loin », avec Zulu Boy. J’ai écrit le livre sur D’Où Je Viens de Mac Tyer. J’ai ramené l’influence et l’identité du rap français dans mon écriture. Après, on est dans une fresque urbaine. Sur Saint-Denis, tu avais aussi des gens qui n’étaient pas dans la culture hip-hop. Il ne faut pas forcer les choses. Le Marseillais, lui, n’en a rien à foutre et c’était normal de le souligner.

« J’ai ramené l’influence et l’identité du rap français dans mon écriture. »

A : Tu viens de sortir ton nouveau roman, Des Chiffres et Des Litres. L’histoire se déroule quelques années avant celle de Les Anges S’habillent en Caillera, dans le même environnement. Tu comptes en faire une série ?

R.S : C’était censé être une trilogie mais je pense que ça va partir en série, oui. Le point central restera Saint-Denis. Un peu comme Pelecanos avec Washington, finalement. Ce retour en arrière permet de comprendre comment certaines choses se sont mises en place. Là, on est vraiment dans du polar. En quatre, cinq mois, j’ai bossé quarante versions du bouquin. Je suis toujours au bureau dès six heures du matin. C’est le moment le plus propice pour écrire, entre six et neuf heures. J’ai charbonné. Mais c’était trop. Je te parlais de fluidité tout à l’heure : tu finis par la perdre quand tu t’acharnes à travailler. Je me suis donné un impératif, celui de sortir le livre un an après le précédent. Du coup, comme la promo s’est un peu éternisé sur Les Anges, j’ai manqué de temps pour écrire. L’énergie, je l’ai mais il faut avoir le recul, ça demande un minimum de temps. Et comme me le dis souvent Oxmo, le temps est précieux et on ne le maîtrise pas. Ça a été ma principale difficulté. J’avais déjà fait trente chapitres en mars 2011 mais j’ai tout dégagé, ce n’était pas bon. J’étais parti sur une suite logique au départ. J’ai dû finir une première version en juillet. Mais il y avait plein d’incohérences. Du coup, j’étais toujours en relecture. Tu as un plan et chaque chapitre équivaut à une ambiance. Après, tu tailles dedans et, ensuite, ça s’assemble, comme un puzzle. Tu peux retravailler chaque chapitre indépendamment. J’ai bouclé la version finale en novembre dernier.

A : Pourquoi y a-t-il des baskets en couvertures de tes deux romans ?

R.S : Gamin, quand on était à l’école, le premier truc sur lequel on chambrait, c’était les baskets. C’était important pour moi parce que chaque paire de baskets représente une époque. La Requin, c’est du 98. C’est ce qui est marrant aujourd’hui, tu ne regardes pas la tête d’un mec, ses yeux, s’il a l’air honnête ou pas, tu regardes ses baskets pour situer son niveau social [sourire]. Donc c’était ça le concept. Il y a deux lectures. Les pieds plantent l’époque et le décor de fond montre quel angle de Saint-Denis je vais présenter. Tout est défini, imagé, cohérent. Jusqu’aux titres, qui sont des samples.

A : Pour finir, quels sont les artistes que tu écoutes en ce moment ?

R.S : Booba, Autopsie et son album Lunatic. Là, j’attends avec impatience Untouchable de Mac Tyer. Je voyage beaucoup avec YouTube, je n’écoute plus la radio et je me mets à écouter les sons des personnages de mes romans, c’est donc assez large : de Joe Dassin à Keith Sweat en passant par NTM. Je suis un peu déconnecté en ce moment. Le fait de fabriquer constamment te met un peu à l’écart. Je suis dans une bulle. Va falloir y remédier parce que la musique est un repère temporel. J’ai acheté récemment Watch The Throne, quelques rééditions de funk du label vinyle Masterpiece : Active Force, Howard Johnson. Après, mon rapport au rap français est complexe. C’est une musique de jeunes et, aujourd’hui, j’ai 38 ans. J’écoute Oxmo, Mac Tyer, Booba… Ali aussi, même si je n’ai pas écouté son dernier album. Rohff, plus maintenant. J’aimais bien mais je n’ai même pas eu envie d’écouter le dernier. Je me suis arrêté au Code de l’Horreur. Il y avait une histoire, il a été fait avec les tripes. Rohff est bon quand il marche à l’instinct, avec sa rage. Dès qu’il calcule trop, ça ne fonctionne pas. J’aime écouter des choses assez matures, techniquement ou dans le fond. Booba, c’est pas « mature » dans le fond mais il y a une maîtrise, des références, des punchlines, un concept : faire du trash. Un mec « normal » de 38 ans n’écouterait pas du Booba, il ne va pas comprendre le concept mais s’indigner des vulgarités qu’on retrouve dans ses morceaux ou ses propos.

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