Interview

Pusha T : Chad, Kanye, Tyler et les autres

De passage à Paris, la moitié de Clipse recrutée par Kanye West évoque le souvenir de six personnalités qui ont marqué son parcours.

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Pusha T a connu une carrière compliquée. Clipse, le duo qu’il formait avec son frère Malice, laisse derrière lui une discographie aussi admirable que chaotique : un premier album avorté, un deuxième disque de platine, un troisième retardé pendant quatre ans, et un quatrième en forme d’épitaphe. Malice est aujourd’hui un croyant repenti, et Pusha un joueur d’équipe au sein de G.O.O.D. Music, le collectif assemblé par Kanye West.

En ce soir d’octobre, il est aussi un Américain en promo à Paris, qui s’apprête à monter sur la scène de la Machine du Moulin Rouge pour un concert petit format (45 minutes, pas plus). L’objectif est double : promouvoir la sortie récente de Cruel Summer, l’album G.O.O.D. Music, et promettre un album solo imminent (récemment retardé à janvier 2013). Posé dans le bar de la salle, l’œil jamais vraiment détaché de son iPhone, il répond à une série d’interviews expéditives (dix minutes par tête) pendant qu’à deux pas, ses accompagnateurs (équipe compacte : deux mecs, une fille) dînent tranquillement un Quick à emporter. Pour retracer en quelques mots ses quinze années de rap, nous avons fait commenter au plus jeune des frères Thornton les portraits de six personnalités qui ont émaillé son parcours.

Tony Draper

Le fondateur de Suave House Records fait partie des premières personnes remerciées par Pusha T dans le livret de Hell Hath No Fury : « Tu m’as fait comprendre ce milieu quand j’étais encore aveugle à tout, tu ne m’as jamais menti, tu as tout fait pour l’intérêt du groupe. Je te suis redevable ! »

Pusha T : « J’ai rencontré Tony Draper en 1999 avec Gillie Da Kid, à l’époque où il était signé chez Suave House. C’est l’un des meilleurs businessmen indépendants de toute l’histoire hip-hop. Un homme très respectable. Très droit. Un mec qui parle juste, qui vise juste [NDLR : en anglais ça sonne mieux : « straight talker, straight shooter »]. Beaucoup de gens n’aiment pas son honnêteté, mais moi c’est justement ce que j’apprécie chez lui. Il m’a énormément appris : toujours aspirer à devenir ton propre patron, et aussi savoir être diplomate et loyal. C’est ça que j’ai retenu, plus que tout le reste. Quand tu sais te montrer loyal, quand tu agis de manière sensée, tu peux tout dire aux gens, et les gens seront satisfaits. »

Chad Hugo

Moins médiatique que Pharrell Williams, Chad Hugo est tout aussi essentiel que son acolyte dans l’alchimie des Neptunes. Pour preuve : son absence dans Hell Hath No Fury transformera totalement l’atmosphère du disque. Là où Lord Willin’ trouvait quelques élans presque festifs grâce à ses interventions (le saxophone de « Young Boy »), Hell Hath… s’apparente à un disque-squelette, porté presque exclusivement par l’instinct rythmique de Pharrell.

Pusha T : « Chad, c’est la moitié de l’équipe de production qui a lancé ma carrière. Il vivait dans la même rue que moi, je pouvais aller chez lui à pied. Avant même de commencer à faire officiellement de la musique, j’allais chez Chad pour faire de la musique avec les Neptunes. C’était trop drôle, ses parents nous foutaient toujours à la porte dès qu’ils arrivaient. Ils rentraient généralement très tard, mais on était quand même toujours là à faire du son. A l’époque, Chad jouait du clavier et Pharrell était à la rythmique. Ils étaient tous les deux créatifs mais ils avaient surtout cette capacité à rassembler ces deux éléments : son interprétation au clavier et la touche de Pharrell sur les drums. C’était un duo rêvé. Quand on a fait Hell Hath No Fury, Chad s’est concentré sur le mix et le mastering. La réalisation de cet album a été très longue. Il a été enregistré puis rangé dans un carton, mais il a quand même résisté au temps. Il y a eu quoi : quatre, cinq ans de retard ? Ouais, quatre ans ! De 2002 à 2006, alors qu’on l’avait bouclé en 2003… »

Barry Weiss

Ex-patron du label Jive, découvreur de Britney Spears, Barry Weiss personnifie les années de frustration de Clipse, coincés dans un placard entre leur premier et deuxième album. Frustration illustrée par la rime culte de Pusha T au sujet de Jive et ses blanc-becs déloyaux dans « Mr Me Too ».

Pusha T : « Barry Weiss est patron de Def Jam maintenant. Je peux pas lui échapper, il est partout. [rires] Les gens racontent toujours qu’on avait une relation très tendue à l’époque de Jive, mais elle était tendue parce qu’il y avait tout un tas d’intervenants différents autour de nous. C’est drôle, car quand il a été recruté par Def Jam, on s’est croisé au showcase de Big Sean. J’étais là pour représenter G.O.O.D. Music. Il était dans un coin de la salle, moi dans un autre. Tous les gens autour de lui étaient dans leurs petits souliers car le nouveau boss était là. Et puis il m’a vu. « Hé, quoi de neuf Pusha ! » « Quoi de neuf Barry ! » Et voilà, on a discuté tranquillement. Tout le monde se demandait ce qu’on pouvait bien se raconter. On a juste eu une discussion courtoise. Il m’a dit « Allez, on laisse le passé derrière nous, ça te dit de signer chez nous ? » Moi j’ai dit « OK, quand vous voulez ! » Et depuis tout est cool. Barry est cool. Barry est Barry. Au final c’est un businessman, un point c’est tout. »

Kanye West

Pusha T a connu sa véritable intronisation dans le collectif G.O.O.D. Music le jour des MTV Awards 2010. Il sera l’un des accessoires-clé de la performance de Kanye West pour « Runaway », son costume à la Don Johnson complétant un tableau composé de danseuses étoiles et d’une MPC posée sur une colonne romaine. Pour le grand public, l’instant baptisera officiellement le début de sa nouvelle carrière sans son frère. Le souvenir de Pusha : « C’est la rédactrice en chef du Vogue italien qui m’a habillé. Si j’avais eu ça pour mon album, ça aurait déjà été dingue. Mais là c’était pour quoi, quatre petites minutes sur scène ? Ça veut dire quoi ?! »

Pusha T : « Kanye… Un génie musical de notre époque. Le plus grand producteur actuel. Et peut-être même le plus grand artiste dans le game – enfin c’est juste mon opinion. »

Tyler, The Creator

Fan absolu des Neptunes, le cerveau d’Odd Future fait partie de cette première génération de rappeurs à avoir été directement nourrie par le son du duo virginien. Âgé de onze ans à la sortie de Lord Willin’, il a collaboré l’année dernière avec Pusha T sur « Trouble on my mind », produit par Pharrell.

Pusha T : « Ha, ce gosse… Le degré de respect que j’ai pour lui est très haut, parce que l’équipe Odd Future, ils font ce qu’ils veulent, et ils prennent vraiment soin de leurs fans. Si tu veux les rejoindre, ils t’accueillent à bras ouverts. Si tu restes en dehors, ils te calculent même pas. Ils s’en foutent, et lui est un mec incroyable. C’est un petit génie. Il a une vision, une intelligence. Tu crois qu’il fait de trucs choquants sans réfléchir, mais en fait il calcule en permanence. C’est un vrai marionnettiste. »

Rick Rubin

Quand Rick Rubin a pris les rênes du label Columbia, la possibilité d’une collaboration Rubin/Clipse a été évoquée pendant un temps. Et puis rien. Dommage, car la filiation entre le son Def Jam des années 80 et Clipse – même minimalisme, même rejet des mélodies – était pourtant évidente. Si le barbu légendaire a bien été aperçu en studio avec le duo, Pusha T va détruire notre rêve : d’un lapidaire « non », il nous confirmera que Rick Rubin n’a jamais produit le moindre titre pour Clipse.

Pusha T : « Si j’ai déjà rencontré Rick Rubin ? Bien sûr que oui ! On est allés à Malibu pour lui faire écouter ‘Til The Casket Drops. Il nous a juste dit [prenant un air profond] « … Tu aimes ce disque ? » J’ai répondu oui. Puis il a dit « Il y a des morceaux que j’aime beaucoup, d’autres où j’ai l’impression que vous avez cherché le compromis. Mais tous les morceaux que vous, vous aimez, vous devez les garder. Tout ceux que vous n’aimez pas, vous vous en débarrassez, et vous faites encore plus de morceaux que vous aimez vraiment. » On a roulé jusqu’à Malibu juste pour avoir cette conversation. On était sur la plage, dans son Range Rover. On n’est même pas allé chez lui, on est resté dans la bagnole. »

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3 commentaires

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  • Nicobbl,

    Merci Yacine_. Chouette moment mais on aurait tellement kiffé avoir une heure avec lui pour développer comme il se doit une vraie interview.

  • borsalino,

    Clipse – As God As My Witness (TBA)

  • Yacine_,

    Très bonne interview. Le passage sur Tony Draper est cool. Etonné pour Malice, je pensais qu’il faisait juste une pause pour écrire un roman ou je ne sais quoi.