Prince Fellaga, briseur de frontières
Interview

Prince Fellaga, briseur de frontières

Dis-moi avec qui tu rappes, je te dirai qui tu es. À l’occasion de la sortie d’Indigène, son premier album en solitaire, retour avec Prince Fellaga sur un parcours fait de rencontres improbables, d’Agen à Marseille via Harlem.

Abcdr du Son : Tu vis à Marseille aujourd’hui mais tu as grandi du côté d’Agen. Tu as commencé le rap là-bas ?

Prince Fellaga : Oui, par le biais de mes deux grands frères qui étaient dedans. L ‘un d’eux était danseur pour un groupe qui s’appelait Moyen-Age 1. MA1 était la référence du coin. Ils avaient des connexions avec Marseille, ils ont été signés un moment sur le label d’Imhotep, Kif Kif Production, sur lequel ils avaient sorti un maxi. Ils étaient affiliés au Côté Obscur. Ils avaient tout le matos de l’époque : la SP12, l’expander Yamaha… Peu après, mes frères et d’autres gars ont créé un groupe nommé ADM (Adeptes du Mouvement), avec des danseurs et un DJ, comme ça se faisait à l’époque. Ils m’ont écrit des textes, je devais avoir dix ou douze ans. C’était la période IAM, NTM, Assassin, difficile de passer à côté. Ma référence française, c’était IAM. En tant que gars du sud, ils nous représentaient. Après, on a kiffé sur les X-Men, La Cliqua, La Fonky Family, Les Sages Poètes de la Rue, Busta Flex, la Mafia K’1 Fry… J’ai toujours aimé les gars qui kickent, ceux qui ramènent un flow. On était à fond sur Das EFX, ils avaient les techniques de roulements, tout le monde essayait de les imiter. [sourire] On connaissait quelques DJ qui bougeaient tout le temps sur Toulouse et Bordeaux pour récupérer les nouveautés. J’avais un collègue, Ryad, un des premiers à avoir eu une parabole au quartier, il captait MTV donc on s’inspirait des clips…

A : Tu faisais partie d’un groupe nommé la 5ème Kolonne…

P : On a sorti l’album Quinta Kulumna en 2001, un maxi vinyle en 2002, et notre deuxième album La Vie est Rose en 2004. Mais c’est presque introuvable. Le premier a été distribué par Musicast, on l’avait pressé à mille exemplaires. Le maxi, mille aussi et le second album, cinq cents. On écoulait aussi via les concerts. Ce n’était pas la même époque, les gens achetaient des CD. Il y avait le circuit des shops indépendants qui faisaient du vinyle… C’étaient un peu des antres, des lieux de rassemblement. Tu croisais des DJ, des rappeurs… Donc même les groupes locaux arrivaient à faire leur truc. Aujourd’hui, ça n’existe plus. Il existait un autre groupe du même nom un peu plus connu, originaire de Saint-Etienne. On était déjà à fond sur Dipset, on trouvait ça incroyable. On faisait pas mal de concerts. C’était plus facile à l’époque : il n’y avait pas beaucoup de groupes dans le sud-ouest. On a fait les premières parties de 2 Bal 2 Neg’, Joey Starr, la Scred, Triptik, Ol Kainry… Les asso’ avaient plus de moyens qu’aujourd’hui. KDD était le groupe phare du Sud-Ouest mais la place était libre derrière. C’était très centralisé sur l’axe Paris-Marseille à l’époque donc certains gros groupes nous prenaient parfois pour des mecs de la cambrousse et n’échangeaient rien avec les artistes locaux. À peine si les gars te saluaient, tu vois le délire… Joey Starr était déjà dans le star-system, il était un peu perché, je ne sais pas ce qu’il avait pris ce soir-là… [sourire] Les Triptik étaient cool, ils étaient venus faire des ateliers d’écriture… On avait bien sympathisé avec Simple aussi, le DJ de Fabe, il nous avait filé tous les maxi et instru’ de Fabe en vinyles.

A : Tu ne te sentais pas un peu marginalisé dans tes goûts ? Le Dipset n’a pas vraiment trouvé d’écho en France à l’époque.

P : À part une poignée d’adeptes, c’est vrai que ça faisait un peu son de perchés à l’époque. Mais j’ai toujours fait du son pour moi, je ne calculais pas trop si ça pouvait plaire ou pas. On se retrouvait entre connaisseurs de Harlem et New York en général parce qu’au quartier, c’était Tupac à la mort. [rires] J’ai découvert les Dipset à l’époque de la signature de Cam’ron et son crew chez Roc-A-Fella Records. Ils ont apporté un nouveau souffle au rap new-yorkais avec un univers singulier qui ne pouvait pas te laisser indifférent : l’utilisation de beats avec des BPM assez lents et samples de voix pitchées, des flows saccadés avec un argot qui leur était propre et un style vestimentaire extravagant… Et plus qu’un groupe, c’était un véritable mouvement composé de plusieurs crews tels que les Taliban, Purple City Byrdgang, The Senate, Eurogang… Ils se sont imposés grâce à leurs mixtapes, un format promo dont ils sont les véritables pionniers.

Crime - « International Thug Muzik » (ft. Jim Jones, Freeway & Prince)

A : Tu peux nous expliquer le concept du mouvement Eurostreetz ?

P : Avec l’arrivée de Myspace, j’ai sympathisé avec un New-Yorkais qui s’appelle Star Crimes, membre des Taliban avec Luca Brasi… Je suis allé là-bas et je les ai rencontrés. L’idée était de créer un mouvement, un peu à la Diplomats. Pas faire un label mais se mettre en connexion avec le maximum de monde pour avoir les meilleurs beats possible, les meilleures pochettes… C’était plus de l’entraide entre artistes qu’un vrai crew. Ça m’a donné un peu d’exposition, beaucoup de rappeurs et beatmakers étrangers m’écrivaient… Avec l’aide de DJ Madgik, ça a débouché sur une première mixtape, Eurostreetz, où j’ai fait poser des Anglais, des Allemands, des Espagnols… On en a vendu quelques-unes à Harlem, Star Crimes m’en déposait dans les shops. On avait signé un contrat avec les Taliban, c’était assez sérieux. Mon équipe de beatmakers leur fournissait des prod’… On avait construit un délire : Luca Brasi était le général, Star Crimes l’ambassadeur et moi le prince. Mon blaze vient de là. Avant, je m’appelais juste Negaafellaga. Eux, c’étaient des mecs de la rue, ils avaient des connexions mais pour ce qui était visuels, beats, c’est notamment moi qui le leur apportais. Ils se disaient : « Putain merde, en Europe les gars ils sont là ! » J’ai fait un titre avec Lil’ Flip grâce à eux. Mais au-delà de la musique, c’est surtout fraternel. J’ai rencontré beaucoup de mecs dans le rap, je me suis fait peu d’amis mais ceux que je me suis faits sont des vrais.

Prince Negaafellaga - « Vision 3D » (ft. Since Kelly)

A : Toi qui es arrivé à Marseille il y a seulement quelques années, tu as réussi à te fondre dans l’environnement rap de la ville ?

P : Ça a été assez simple. C’est un petit monde, les connexions se font naturellement. J’ai rencontré Since Kelly, un chanteur R&B, par le biais de RFDO, un beatmaker marseillais qui nous avait réunis un soir pour qu’on pose un son ensemble. Gin-Su comme je l’appelle, c’est un frère sur qui j’ai pu compter dans des moments difficiles. Je travaille beaucoup avec lui, je l’ai invité sur une mixtape puis on a fait un album commun. J’espère bientôt un second. Il était signé sur le label Don’t Sleep de DJ Djel. Ça a merdé dans son label et on a bossé ensemble. Ensuite, j’ai rencontré DJ Faze et Sat. À un moment, je faisais les backs et quelques morceaux sur scène à tous les concerts de Sat. Quand il a sorti son album Diaspora, il montait un label, Corner Street. J’avais fait le son « Le Combat Continue » avec lui, on avait bien accroché. Il voulait me signer sur son label. J’ai pas mal bossé sur son album : les vidéos, la post-production, les refrains, les mélodies… Il aimait bien mon délire « futuriste ». C’était sans calcul. Je l’accompagnais sur les concerts, c’était une super opportunité pour moi. J’ai beaucoup appris sur le milieu, le business. Quand tu es indépendant, tu n’as pas conscience de tout. C’est un milieu spécial. Quand tu es dedans, pour mener un projet à bien, il faut vraiment kiffer ça parce que si tu ne le fais que pour l’argent… Ça m’a permis de me faire une vraie idée de ce qu’est le rap game.

Aujourd’hui, on ne se parle plus. Les mecs te promettent des trucs, toi tu t’investis et l’aiguille tourne… Je suis devenu papa entre-temps… Et finalement, tu vois que ce n’est que du blabla. On n’a pas signé parce qu’il ne comptait signer personne en fait sur ce label. D’autres artistes avec beaucoup de talent étaient dans le même cas que moi. Il a fait ce label pour avoir des fonds de Sony. Il a produit l’album en licence avec Sony donc lui récupérait les budgets… Je ne crois pas qu’il voulait vraiment produire des artistes, il voulait juste un deal de licence, faire un album structuré avec de vrais statuts et, à nous, il nous a vendu un peu du rêve. Et quand j’ai vu qu’il y avait des trucs bizarres, j’ai dit : « Nique sa mère, je perds trop de temps dans ses conneries. » Il fallait que j’aille au charbon pour ma fille Siham, paix à son âme. Je n’ai pas de rancœur envers lui, le rap est comme ça. Lui aura sûrement une autre version. Moi, j’essaie de tenir mes promesses et mes engagements, c’est une question d’honneur. Mon père m’a inculqué ces valeurs, paix à son âme. J’ai collaboré avec beaucoup de monde à Marseille : Lil Saï, SP du groupe Skrim, Zino de Révolution Urbaine, Boss One de 3ème Oeil, MOH et D2T de Black Marché… Et je ne voudrais pas oublier de lâcher un big up à Hassany du groupe Légendaire B.Vice, c’est un bonhomme. Il gère une asso’ à La Savine dans les quartiers Nord de Marseille, une structure pour les habitants du quartiers avec un studio, des ordi’, une salle de danse…

Prince Fellaga - « C dans l’air RMX » (ft. Prince Ali & Le Rat Luciano)

A : Tu as collaboré à deux reprises avec Le Rat Luciano. Vu de Paris et du reste de la France, il est considéré comme la « légende » de Marseille. C’est comme ça que vous le percevez aussi ?

P : C’est vrai. Moi, je le vois comme ça aussi. Tout le monde ici a énormément de respect pour Le Rat Luciano. C’est un grand rappeur mais c’est surtout humainement qu’il est reconnu. Tu vois ce que je te disais tout à l’heure, la différence entre Le Rat et un gars comme l’autre, c’est le côté humain. Il n’y a pas que le rap. Il donne beaucoup d’amour. Comment ne pas respecter un mec comme ça ? C’est Le Rat quoi ! Il a je ne sais combien de morceaux de côté, c’est impressionnant. C’est un mec entier. Il a eu un enfant il n’y a pas longtemps, je crois qu’il s’y consacre. Et je comprends sa position. Je ne me compare pas à lui mais ma fille Siham, paix à son âme, est décédée il y a un peu plus d’un an des suites d’une longue maladie. C’était une période très compliquée pour mes proches et moi, là on est dans les vraies choses de la vie. Et, tu sais, c’est étrange comme ton entourage et tes soi-disant amis disparaissent de peur que le malheur les contamine : même pas un putain de coup de fil ou un SMS… Tu revois tes priorités, tu en as marre de faire le clown et tu te demandes si tu ne vas pas arrêter le son… Mais j’ai du respect pour ceux qui ont travaillé sur mon album donc je ne pouvais pas ne pas le sortir. Tu ne peux pas planter les gens comme ça. Pour en revenir au Rat, c’est le meilleur. C’est un homme. Ce sont des mecs comme ça qui m’inspirent. Il n’a pas oublié d’où il vient.

Prince Negaafellaga - « En Off Shore » (ft. Cassidy)

A : Tu as également enregistré deux sons avec Cassidy des X.Men, dont le très bon « En Offshore ». Ça perpétue les bonnes relations qu’avaient les X.Men avec Marseille à l’époque.

P : Cassidy, c’est un bon gars. Ill et lui étaient venus faire un concert à Nice et j’y étais avec Sat. On a fait connaissance et on a maintenu le contact. On a même fait un clip pour « En Offshore » mais on ne l’a jamais sorti parce qu’il est pourri. On l’avait fait à Paris mais je n’y connaissais pas de bon real’. C’était Just Music Beats à la prod’. D’ailleurs, on devait faire une compilation Eurostreetz France avec eux, un mec de Lyon qui s’appelle HDisign, Deen Burbigo et Perso le Turf. On a fait quelques morceaux et scènes mais ça a capoté. Même Deen, sa première mixtape, c’est moi qui l’ai hostée. On avait fait la première de Talib Kweli ensemble, à l’époque où il n’était pas hype.

Pour en revenir à Cassidy, il était descendu chez moi quelques jours pour le morceau. On avait fait quelques radios et une vidéo pour le site Freestyle2Rue. Et il tenait absolument à revoir Le Rat. Mais bon, revoir Le Rat ! [sourire] Il me dit ça au dernier moment, mission impossible ! On fumait, on délirait et on se décide à aller en studio. Et boum, on tombe sur qui ? Le Rat. C’est le destin. Ils étaient amenés à se recroiser. Je crois qu’ils ne s’étaient pas revus depuis l’époque de Mode de Vie Béton Style. Pendant une heure et demie, ils ont tchatché non-stop, ils se rappelaient la bonne époque, c’était cool. Bon, on lui a un peu niqué sa séance studio au Rat. [rires] Cassidy, c’est un bon, on a pas mal de points communs. Même en termes de littérature spirituelle, c’est lui qui m’a fait découvrir les romans de Carlos Castaneda. J’espère qu’ils vont sortir leur projet. C’est les X.Men hein, je me souviens quand ils ont sorti « J’Attaque du Mike »… J’aimerais bien que la Fonky Family se reforme aussi mais c’est mort. A ses concerts, Sat faisait un medley de tous les classiques du groupe dans son show et c’était le bordel ! Ils ont des morceaux intemporels.

Prince Fellaga - L.P.D.A. Remix (ft. Lexxcoop, Hdsign & Crakk Falgas)

A : Tu as beaucoup de collaborations avec des Américains à ton actif. Tu as notamment rappé sur une prod’ d’AraabMuzik. Comment ça s’est fait ?

P : C’est Lexxcoop, un fréro, qui me l’a fait découvrir. J’ai demandé à mes gars de là-bas s’il y en avait qui le connaissaient. J’ai parlé avec lui sur MySpace et il m’a filé deux ou trois beats, dont un que je n’ai pas utilisé parce qu’il s’en servait pour les shows. J’ai réessayé de le contacter ensuite mais impossible, il était allé trop haut. [sourire] Il y a plein d’artistes comme ça qui sont encore accessibles un peu avant d’exploser. Tout ça, c’est gratos. Yung L.A. pareil. Bon après, ça a un peu merdé pour lui mais c’était juste avant son single « Ain’t I ». On lui avait envoyé des beats et puis de fil en aiguille, tu en viens à faire un son. Le son « International Thug Muzik » avec Jim Jones s’est fait par l’intermédiaire des Taliban. Freeway s’est rajouté après. Le truc te tombe dessus comme ça, tu te dis : « Putain, c’est pas possible ! » C’est pour ça que j’aime le rap, pour ces moments-là.

A: Dans la première version de ton nouvel album, Indigène, que tu nous avais envoyée, il y avait un remix de « Bout Dat Life » de JC et Future…

P : C’est un remix officiel. J’ai décidé de ne pas le mettre dans l’album parce qu’on m’a souvent reproché de ne faire que des mixtapes et des featurings. Là, c’est mon premier vrai album solo, donc je voulais marquer une différence. Il m’a envoyé les acapellas, les instru’, la totale… C’était avant qu’il pète, il y a trois ans environ. La connexion s’est faite par DJ Madgik qui fait partie des Fleets DJ’s, un gros collectif de DJ aux États-Unis.

Prince Fellaga - Le feu sacré

A : Indigène est intégralement produit par Gitdatbeats ? [producteur allemand, voir encadré]

P : Oui. GitDat m’avait envoyé des beats il y a six ou sept ans, j’ai kiffé direct et depuis on ne s’est pas lâchés. Je trouve qu’il a un énorme talent, il est capable de faire n’importe quel type de beats. C’était évident de faire l’album avec lui. Je voulais ne bosser qu’avec un gars pour donner une couleur. Et c’était le seul capable de créer un univers tout en proposant une palette large d’instru’. Il m’a envoyé les sons, j’ai tout maquetté et je suis parti en Allemagne pour enregistrer et avoir un son propre, faire les arrangements… Ils ont un super studio, de bons ingé’. On communique en anglais. On parle le même langage musical, il a une créativité incroyable. Il fait partie d’un label, Vibekingz, signé chez Sony en Allemagne. On voulait sortir l’album via leur structure mais on s’est vite rendu compte que ce serait compliqué parce qu’ils n’ont pas le réseau ici. Je ne voulais pas que ça traîne trop donc on a reporté l’idée, le temps qu’ils créent Vibekingz France.

A : Tu as invité Rockin’ Squat sur l’album, vous n’êtes pas du tout dans le même segment pourtant.

P : On est dans deux délires différents mais c’est un mec que je respecte, je serais capable de le backer. C’était important d’inviter un pilier comme lui pour rendre hommage aux anciens. Je trouve qu’il a assuré, il a relevé le challenge, il a mis du flow. J’avais déjà fait le son avec Agallah et je savais qu’ils se connaissaient donc j’ai eu envie de les réunir sur un même morceau. Agallah aussi, ça fait un moment que je le connais.

Prince Fellaga - « L’Iliade » (ft. Agallah & Rockin’ Squat)

A : Tu vends combien de chacun de tes projets en moyenne ?

P : Je bosse avec Believe. Par trimestre, je réalise en moyenne 20 000 streams, cinquante albums et 200 titres. Le stream est devenu la plus grosse source de revenus. Ils te remboursent les royalties au bout de trois mois. En général, je récolte entre 700 et 900 euros par projet, parfois un peu plus. Comme j’en sors pas mal, ça me permet de m’autofinancer. J’ai fait réaliser mes clips par Beat Bounce avant qu’ils ne soient connus et qu’ils ne travaillent avec Alonzo, Lacrim, Rohff, La Fouine, Soprano… Personne ne leur faisait trop confiance alors qu’ils avaient déjà une façon de filmer et un grain très américains. On s’est régalé sur les clips. C’était un challenge à chaque fois, ils nous mettaient des effets spéciaux de folie. Je crois qu’en réalisant mes clips et ceux de Since Kelly, ils exprimaient toute leur créativité parce qu’on leur laissait carte blanche. Et ils nous faisaient des prix défiant toute concurrence. Je suis content pour eux parce qu’ils sont vraiment partis de tout en bas. Aujourd’hui, je bosse avec Alex Seggio, un gars avec énormément de potentiel qui touche à tout : photos, vidéos… Il a aussi monté son site internet, Génération Urbaine, qui traite de l’actualité rap. Il a réalisé tous les clips d’Indigène, à part le cartoon « Ayahuasca » fait par l’équipe de Chapokane Animation.

A : Je suppose que tu travailles en dehors du rap ?

P : J’ai toujours taffé. Je suis éducateur dans un foyer. Je travaille avec les jeunes qui sont dans la merde. J’essaie de leur apporter mon aide autant que je peux. C’est l’humain qui prime, comme toujours. Je sais ce qu’ils aiment les jeunes [sourire] : Jul, les derniers morceaux d’Alonzo, Soprano, Wati B… D’ailleurs, si j’ai réussi à mettre des clips en télé, c’est grâce au manager de Soprano, François. Il m’a filé des coups de main. Je n’ai rien touché sur les passages télé parce qu’il fallait s’inscrire à un organisme… Ça, ce sont des conneries que tu fais quand tu es en indé’. Il y a l’équipe de Keny Arkana qui aide les rappeurs à faire l’administratif… Il faut le faire, les éditions, tout ça… Tu peux récupérer pas mal même en étant indépendant, de quoi financer les projets et les clips au moins. J’ai un home studio, c’est la base. J’enregistre les maquettes chez moi et je repose en studio ensuite. Quand tu es en indé’, il faut optimiser le temps et l’argent. On ne peut pas se permettre de traîner toute la journée en studio. Il faut que, dans une séance, tu poses au moins deux morceaux. C’est une habitude de travail. C’est bien de bosser en studio, ça nous est arrivé mais il faut les moyens. Pour l’album commun avec Since Kelly, Evolution, on a travaillé avec Christophe Boin, le mec qui a mixé les premiers albums de la FF. On se connaît bien, donc pour cent euros, on enregistre et il nous fait le mix et le master. C’est quand même pas cher. Mais ça, c’est après de nombreuses séances, le temps de se connaître. Les gens sont aussi là pour t’aider, pas que pour prendre du fric. C’est devenu plus accessible qu’à une époque.

A : Au-delà des amitiés artistiques, est-ce qu’une rencontre t’a marqué plus qu’une autre dans ce milieu ?

P : Je ne sais pas pourquoi mais il y a ce petit séjour à Saint-Amand, dans le centre de la France, qui refait surface ! [sourire] Je crois que c’était en 2011, un créateur de bijoux m’a contacté en me disant qu’il kiffait bien mon délire et aimerait qu’on bosse ensemble pour promouvoir son activité de bijouterie, bling bling… Jusqu’ici tout va bien, j’en parle à mon frère Since Kelly, tout ça s’annonçait lourd ! Après quelques contacts téléphoniques, le gars nous propose de monter chez lui vers Clermont-Ferrand pour tourner un clip à ses frais et faire une vidéo de remise de bijoux pour sa promotion. Une bonne opération… A priori.

On prend donc la route. Après cinq ou six heures de voiture, on arrive en pleine nuit et on rejoint le bijoutier directement à son atelier. Le lieu est très particulier : l’architecture du bâtiment est en forme de pyramide. Mais ce qui est encore plus étrange, c’est le discours du mec qui part dans un délire d’illuminati et nous fait un parallèle entre les 33 degrés de niveau franc-maçonnique et les 33 petites pyramides présentes dans le parc de l’atelier. Là, on se regarde avec Since et on se dit : « Putain, où est-ce qu’on est tombés !? » Partagés entre une envie d’exploser de rire et une envie de le défoncer… Il continue son délire sans en démordre : il y a des réunions de francs-maçons ici, Sarkozy est un adepte des lieux… Plus il parlait, plus il s’enfonçait ! Et les mythos continuaient de plus belle : « Faites attention, il y a des choses bizarres dans cette ville, de mauvais esprits »… On ne savait plus quoi penser, on lui nique sa mère et on rentre ? Surtout que nos bijoux n’étaient pas finis, et cerise sur le gâteau, le soi-disant réalisateur du clip lui avait posé un plan et ne répondait plus au téléphone… Tout compte fait, on décide de rester, pas motivés à la vue de se refaire la route en sens inverse. À la base il avait l’air crédible, ce gars : il avait réalisé des bijoux pour la Fouine, Banlieue Sale… Nous, on s’est dit : « On fonce. » Bref, il nous avait quand même réservé un hôtel, qui avait l’air bizarre lui aussi. On est là, dans le centre de la France, en pleine campagne, avec des francs-maçons, des vampires [sourire]… On est reçus par une vieille dame, on se croyait dans un film, truc de fou ! On nous montre notre chambre, flippante dans le style vieux manoir, impossible de fermer l’œil de la nuit. Since a dormi avec une batte de baseball à la main ! [rires] On s’est dit : « Putain, c’est quoi ce traquenard ! » Le lendemain, rebelote, pas de bling, pas de clip, là il nous dit : « Je vous accompagne à Marseille, j’ai rendez-vous avec mon avocat sur Monaco… » Et il décide finalement de faire le clip à Marseille et de bosser avec notre équipe ! Au final, il nous a défrayé et a fini par envoyer les bling et tout. Ça te donne une idée du grain de folie qui habite certains de nos confrères du rap game. Et c’est une histoire parmi tant d’autres. Quand on en reparle avec Since, on rigole de malade. Il y a vraiment de tout dans ce milieu…

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4 commentaires

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  • Moi,

    Merci. Désolé pour le doublon.

    Et encore bravo pour tes interviews, Diamantaire. Elles sont intéressantes à lire, déjà sur ton blog…

  • Diamantaire,

    Quand on réussira à l’attraper (on a déjà essayé à plusieurs reprises et on y arrivera, promis) !

  • Joe,

    Intéressantes les anecdotes. A quand une itw du Rat ?

  • Yep,

    Belle interview ! Des anecdotes intéressantes. A quand l’itw du Rat ?